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     Date : 19980716

     Dossier : IMM-4795-97

ENTRE :

     ISHA FOFANAH,

     demanderesse,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, a trait à une décision par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a décrété que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.

[2]      La demanderesse, citoyenne du Sierra Leone, fonde sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention sur ses opinions politiques présumées et sa situation de famille, de même que sur son sexe.

[3]      La demanderesse est née en 1976 à Freetown, mais a déménagé à Kambia en 1988. En décembre 1993, après avoir fini ses études secondaires, elle est entrée au service du ministre des Finances. Le 20 janvier 1995, pendant qu'elle travaillait au bureau, la demanderesse a entendu des coups de feu. Ces derniers provenaient de soldats qui faisaient feu et incendiaient des maisons. Le bureau où travaillait la demanderesse a été bombardé, mais elle est parvenue à s'échapper, pour ensuite tomber entre les mains de soldats rebelles. Après deux semaines environ, la demanderesse à réussi à fuir.

[4]      La demanderesse a fui Kambia pour Makeni, où elle a retrouvé sa mère et sa soeur. C'est à ce moment qu'elle a appris que des soldats rebelles avaient assassiné son père et son oncle et que leur maison avait été détruite. Son père ne s'occupait pas de politique, mais il avait des parents qui avaient fait partie du gouvernement du président Momoh, renversé en 1992. Les rebelles qui avaient tué son père l'accusaient d'être lié au ministre des Affaires étrangères de l'époque, le Dr Alusine Fofanah.

[5]      Après que la demanderesse eut retrouvé les membres de sa famille, ils ont trouvé refuge à Freetown où il se sont installés chez un ami de sa tante. Peu après son arrivée à Freetown, la demanderesse a commencé à être harcelée par le major Mansaray, de la Force militaire du Sierra Leone. Celui-ci soutenait que le grand-père de la demanderesse l'avait promise en mariage à lui alors qu'elle n'avait que trois ans. Il menaçait de la tuer si elle ne l'épousait pas. La demanderesse refusait de l'épouser parce qu'elle était déjà fiancée à Foday Kamara, qui est plus tard devenu son époux.

[6]      La demanderesse allègue que le major a commencé à la harceler en se présentant à la maison, en tirant des coups de feu en l'air et en menaçant de la tuer. À Freetown, la police et les militaires ont fait peu de cas de ses plaintes.

[7]      Le 16 septembre 1995, la demanderesse a invité quelques amis à la maison pour fêter son dix-neuvième anniversaire. Le major Mansaray et un groupe de soldats s'y sont présentés. Des coups de feu ont été tirés, et des invités battus. La demanderesse et sa tante ont été violées, et la demanderesse a été battue jusqu'à ce qu'elle perde connaissance. Elle a été emmenée à un hôpital militaire où une intervention chirurgicale a été pratiquée d'urgence au nombril et au ventre. Elle est restée quatre semaines à l'hôpital.

[8]      La mère de la demanderesse a elle aussi été blessée. Elle a été touchée par des balles et battue. Pendant qu'ils la battaient, les soldats lui ont dit que si elle laissait la demanderesse épouser Foday Kamara, ils tueraient les deux. Là encore, le gouvernement militaire a fait peu de cas des plaintes de la demanderesse.

[9]      Après avoir quitté l'hôpital, la demanderesse est retournée à Freetown pendant une semaines ou deux. À la recommandation d'un médecin de l'hôpital militaire, le major H.B.Johnson, elle est partie pour la Guinée. Le Dr Johnson a pris les dispositions nécessaires pour que la demanderesse obtienne un passeport, et il a payé son voyage car c'était, selon lui, la seule façon pour elle d'échapper au major Mansaray. Elle est restée dans un camp de réfugiés en Guinée, du 22 novembre au 2 décembre 1995. Elle déclare qu'elle ne se sentait pas en sécurité en Guinée car de nombreux militaires guinéens luttaient pour le gouvernement militaire au Sierra Leone et elle craignait qu'il y eût un lien possible entre les forces de sécurité guinéennes et le major Mansaray.

[10]      De retour à Freetown, la demanderesse s'est cachée en attendant l'arrivée de son fiancé, le 20 décembre 1995. Elle était rentrée au Sierra Leone afin d'accomplir des rites funéraires pour sa mère, tuée dans une embuscade en mars 1995. Après l'arrivée de son fiancé, la demanderesse a appris que le major Mansaray se trouvait au Liberia pendant un mois, avec la Force de maintien de la paix de l'Afrique de l'Ouest. Elle a pris la décision de se marier afin d'éviter tout risque que le major Mansaray apparaisse.

[11]      La demanderesse est restée cachée après le mariage. Son époux a été contraint de quitter le Sierra Leone en janvier, après que les militaires eurent tué son père le 10 janvier 1996, à Makeni, le soupçonnant d'avoir planifié un coup d'État. L'époux de la demanderesse a appris qu'on l'accusait aussi du même crime du fait des activités de son père et de ses propres liens avec l'Union nationale des étudiants, un groupement qui s'opposait au gouvernement militaire parce qu'il ne tenait pas d'élections démocratiques.

[12]      La demanderesse déclare qu'après le départ de son époux, elle s'est sentie encore plus vulnérable, craignant que le major Mansaray et le gouvernement militaire se mettent à sa recherche en rapport avec les activités présumées de son époux. En janvier 1996, la demanderesse a appris que le major Mansaray avait su qu'elle s'était mariée, et, à ce moment, il a continué de la menacer de mort.

[13]      La demanderesse a communiqué avec son époux depuis Freetown, et lui a dit qu'elle devait trouver un endroit sûr. Son époux est entré en contact avec un ami en Guinée, qui s'est rendu à Freetown pour accompagner la demanderesse jusqu'en Guinée, le 23 février 1996. Lors de son séjour dans ce pays, la demanderesse a communiqué de nouveau avec son époux et l'a informé que, dans ce pays, elle vivait encore dans la peur; il s'est donc organisé pour emprunter de l'argent et faire venir la demanderesse au Canada. Celle-ci a quitté la Guinée le 2 mars 1996, et est arrivée au Canada le 5 mars suivant.

[14]      Lorsque le major Mansaray a appris le départ de la demanderesse, il a menacé de s'en prendre à la mère de cette dernière. Celle-ci et sa soeur ont alors fui le Sierra Leone le 10 mars 1996, et vivent actuellement dans un camp de réfugiés en Guinée.

[15]      La demanderesse craint de rentrer au Sierra Leone du fait des opinions politiques qui lui sont imputées par suite de son lien avec l'ancien gouvernement civil et de la position de son époux contre le gouvernement militaire. Elle craint aussi de rentrer dans ce pays parce que les agissements du major Mansaray restent impunis. La demanderesse a appris que ce dernier a été nommé chef des opérations militaires dans sa ville natale, et promu au grade de lieutenant-colonel. Elle est d'avis qu'en raison des liens militaires du major Mansaray, il lui est impossible de bénéficier d'une protection de la part des autorités.

[16]      En s'appuyant sur le témoignage de la demanderesse et les renseignements contenus dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), la SSR est arrivée à la conclusion suivante :

         [TRADUCTION]                 
         L'intéressée dit craindre d'être prise pour cible par des rebelles parce qu'elle leur a échappé après qu'ils l'eurent capturée le 20 janvier 1995. Le tribunal conclut qu'elle faisait partie d'un groupe de personnes que les rebelles avaient capturées lors d'une attaque. Il n'a pas jugé que les rebelles visaient précisément l'intéressée, ou qu'ils étaient à sa recherche depuis qu'elle s'était échappée en janvier 1995.                 
         L'intéressée a déclaré aussi qu'elle a peur du gouvernement militaire parce que le régime considérait son époux et son père comme des opposants. Cependant, ce régime militaire-là n'est plus au pouvoir depuis longtemps, et l'intéressée est également séparée de son époux. Le tribunal n'est pas d'avis que l'intéressée craint avec raison d'être persécutée du fait des opinions politiques de son époux ou de son père à l'endroit d'un ancien régime militaire.                 
         L'intéressée craint aussi les rebelles parce que le cousin de son père, le Dr Fofanah, a été au service d'un gouvernement civil antérieur. Toutefois, le Dr Fofanah a également servi au sein du gouvernement militaire et a plus tard été destitué et mis en prison. Son épouse et ses enfants sont partis en Guinée. Le tribunal juge que l'intéressée, sa mère et sa soeur ne se trouvent pas dans une situation similaire à celle de l'épouse et des enfants (la famille immédiate) du Dr Fofanah, et que la crainte qu'elle dit éprouver du fait de cette relation n'est pas fondée.                 
         Quant au major Mansaray, l'intéressée n'a pas fait la preuve qu'il représente aujourd'hui une menace pour elle. Elle soutient qu'il est résolu à l'épouser, mais elle a déclaré que la famille de ce dernier n'a jamais fait de démarches auprès de la sienne, comme c'est la coutume au Sierra Leone. L'intéressée ajoute dans son FRP que sa famille et elle ont été harcelées par le major Mansaray. Cependant, dans sa déposition orale, l'intéressée a déclaré que le major Mansaray ne l'a rencontrée qu'à l'occasion, et non sa famille, et qu'il lui a demandé de l'épouser. Elle a écrit dans son FRP que le major Mansaray [TRADUCTION] " avait continué de me harceler en se présentant à la maison et en tirant des coups de feu en l'air, en proférant des mots injurieux et en menaçant de me tuer ". Elle a cependant déclaré dans sa déposition orale que le major ne s'était pas présenté à la maison, mais l'avait rencontrée sporadiquement à quelques autres endroits. L'intéressée a déclaré dans son FRP qu'elle avait porté plainte à la police et aux militaires à Freetown, mais que comme Mansaray était major, rien n'avait été fait. Dans sa déposition orale, l'intéressée a nié avoir fait les plaintes elle-même, mais qu'elles l'avaient été par le major H.B. Johnson, médecin-chef à l'hôpital militaire de Makeni, ainsi que par un ami de sa tante. L'intéressée a déclaré qu'à l'exception de l'incident survenu le 16 septembre 1995 - un incident répugnant, comme le tribunal l'a reconnu - et au cours duquel la tante de l'intéressée a été violée elle aussi, le major Mansaray n'avait pas recherché l'intéressée, ni tenté de l'enlever ou de lui faire du mal. À la recommandation du major Johnson, l'intéressée s'est rendue dans un camp de réfugiés en Guinée le 2 novembre 1995, mais est revenue à Freetown le 2 décembre 1995, où elle est restée jusqu'à son départ pour le Canada le 5 mars 1996. À l'audience, l'intéressée a déclaré qu'à Freetown, elle vivait chez l'ami de sa tante. Durant cette même période, le major Mansaray n'a rien fait pour entrer en contact avec elle, faire pression sur elle, lui faire du mal, l'enlever ou l'obliger à l'épouser. (Le major Mansaray avait passé un mois durant cette période au sein des forces de maintien de la paix de l'Afrique de l'Ouest, hors du Sierra Leone.) L'intéressée avait écrit dans son FRP qu'après le 16 septembre 1995, le major Mansaray était [TRADUCTION] " fâché que nous nous étions mariés et heureux d'apprendre que le père de Foday avait été tué. Il a réitéré ses menaces de mort contre mon époux et moi-même ". À l'audience, l'intéressée a déclaré qu'une amie à elle, prénommée Cynthia (elle ne connaît pas son nom de famille), avait entendu dire que le major Mansaray menaçait de s'en prendre à elle. Le tribunal n'accorde aucun poids à ces rumeurs. Il conclut, pour les motifs susmentionnés, que la crainte de persécution qu'éprouve l'intéressée à l'égard du major Mansaray est sans fondement. Après avoir examiné tous les motifs énumérés dans la revendication, le tribunal conclut que la crainte qu'a l'intéressée d'être persécutée si elle retourne au Sierra Leone n'est pas fondée et qu'Isha Fofanah n'est pas une réfugiée au sens de la Convention en vertu de la Loi sur l'immigration .                 

[17]      La demanderesse soulève dans la présente demande de contrôle judiciaire un certain nombre de points, qu'il est possible de résumer comme suit :

     1.      La SSR a commis une erreur en s'attachant à la question de savoir si la demanderesse avait été choisie comme cible de persécution et, ce faisant, a omis de déterminer convenablement si le traitement subi par la demanderesse aux mains des rebelles était assimilable à de la persécution;
     2.      La SSR a omis d'examiner si le changement de gouvernement militaire était assez important et effectif pour que la crainte de persécution de la demanderesse ne soit plus fondée;
     3.      La SSR a commis une erreur en concluant que ce que la demanderesse avait subi en rapport avec le major Mansaray n'équivalait pas à de la persécution.

Le premier argument de la demanderesse est que la SSR a commis une erreur en concluant que la crainte de persécution de cette dernière est sans fondement parce qu'elle faisait partie d'un groupe capturé lors d'une attaque et que les rebelles ne la visaient pas précisément. La demanderesse se fonde sur la décision qu'a rendue la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Salibian c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1990) 73 D.L.R. (4th) 551; (1991), Imm.L.R. (2d) 174, où le juge Décary déclare ce qui suit à la page 185 :

         1) que le requérant n'a pas à prouver qu'il avait été persécuté lui-même dans le passé ou qu'il serait lui-même persécuté à l'avenir;                 
         2) que le requérant peut prouver que la crainte qu'il entretenait résultait non pas d'actes répréhensibles commis ou susceptibles d'être commis directement à son égard, mais d'actes répréhensibles commis ou susceptibles d'être commis à l'égard des membres d'un groupe auquel il appartenait;                 
         3) qu'une situation de guerre civile dans un pays donné ne fait pas obstacle à la revendication pourvu que la crainte entretenue soit non pas celle entretenue indistinctement par tous les citoyens en raison de la guerre civile, mais celle entretenue par le requérant lui-même, par un groupe auquel il est associé ou, à la rigueur, par tous les citoyens en raison d'un risque de persécution fondé sur l'un des motifs énoncés dans la définition, et                 
         4) que la crainte entretenue est celle d'une possibilité raisonnable que le requérant soit persécuté s'il retournait dans son pays d'origine (voir Seifu c. Commission d'appel de l'immigration, A-277-82, 12 janvier 1983, cité dans Adjei c. Canada, [1989] 2 C.F. 680, à la p. 683; Darwich c. Le ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1979] 1 C.F. 365; Rajudeen c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1984), 55 N.R. 129, aux pages 133 et 134).                 

[18]      Bien que la demanderesse ait raison d'affirmer qu'il n'est pas nécessaire qu'elle ait été " prise pour cible " de persécution afin de correspondre à la définition d'un réfugié au sens de la Convention, comme l'indique la partie 3 du texte il lui faut établir que sa crainte n'est pas entretenue indistinctement, mais par un groupe auquel elle est associée pour l'un des motifs énoncés dans la définition. La demanderesse n'a pas fait la preuve du lien nécessaire. Aucune preuve n'a été produite pour indiquer que les rebelles visaient une ou plusieurs personnes en particulier du fait de leur race, de leur nationalité, de leur opinions politiques ou de leur appartenance à un groupe social. Il ressort de la preuve que les incidents survenus en janvier 1995 étaient des actes de violence que de nombreuses personnes avaient subis, et les victimes n'étaient pas visées pour les motifs énoncés dans la Convention. Selon le deuxième argument de la demanderesse, la SSR a commis une erreur en n'évaluant pas si le changement de gouvernement militaire est important et effectif, de sorte que la demanderesse ne craindra plus d'être persécutée du fait des opinions politiques qui lui sont imputées. La demanderesse cite l'arrêt Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (A-130-92) (9 janvier 1995) (C.A.F.), où le juge Hugessen a fait les commentaires suivants, au paragraphe 2, pages 1 et 2 :

         Nous ajouterions que la question du " changement de situation " risque, semble-t-il, d'être élevée, erronément à notre avis, au rang de question de droit, alors qu'elle est, au fond, simplement une question de fait. Un changement dans la situation politique du pays d'origine du demandeur n'est pertinent que dans la mesure où il peut aider à déterminer si il y a, au moment de l'audience, une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que le demandeur soit persécuté dans l'éventualité de son retour au pays. Il s'agit donc d'établir les faits, et il n'existe aucun " critère " juridique distinct permettant de jauger les allégations de changement de situation. L'emploi de termes comme " important ", " réel " et " durable " n'est utile que si l'on garde bien à l'esprit que la seule question à résoudre, et par conséquent le seul critère à appliquer, est celle qui découle de la définition de réfugié au sens de la Convention donnée par l'art. 2 de la Loi : le demandeur du statut a-t-il actuellement raison de craindre d'être persécuté? * * *                 

[19]      Le simple fait qu'il soit survenu un changement au sein du gouvernement militaire au Sierra Leone ne veut pas dire que la SSR peut se soustraire à la responsabilité qui lui incombe d'évaluer s'il y a une possibilité raisonnable que la demanderesse soit persécutée advenant son retour dans ce pays. Il importe peu de savoir s'il y a eu un changement de gouvernement militaire; ce qui importe c'est de savoir si les opinions politiques imputées à sa famille du fait des liens que son père entretenait avec des membres du gouvernement précédent et les opinions attribuées à son époux seront également perçues comme contraires à l'actuel gouvernement militaire. La question n'est pas de savoir s'il y a eu un changement de gouvernement ou pas, mais si ce changement met un terme à la crainte de persécution de la demanderesse. Cela oblige à évaluer si les opinions politiques attribuées à la demanderesse, particulièrement en ce qui concerne son opposition au gouvernement militaire pour n'avoir pas tenu une élection démocratique, seront également perçues comme une menace aux yeux de l'actuel régime militaire. Comme l'a déclaré le juge La Forest dans l'arrêt Ward c. Canada (Procureur général) [1993] 2 R.C.S. 689, à la p. 747 du recueil :

         Les circonstances devraient être examinées du point de vue du persécuteur, puisque c'est ce qui est déterminant lorsqu'il s'agit d'inciter à la persécution. Les opinions politiques qui sont à l'origine de la persécution n'ont donc pas à être nécessairement attribuées avec raison au demandeur. Des considérations similaires sembleraient s'appliquer aux autres motifs de persécution.                 

La SSR a commis une erreur en ne procédant pas à une telle évaluation.

[20]      Le dernier argument qu'invoque la demanderesse est que la SSR a tiré une conclusion de fait inique en concluant qu'elle n'était plus menacée par le lieutenant-colonel Mansaray. La SSR, fait-elle valoir, a mal interprété les dates auxquelles elle se trouvait au Sierra Leone. Dans son témoignage et dans son FRP, elle déclare qu'elle s'est trouvée en Guinée du 22 novembre au 2 décembre 1995. Entre le 2 décembre 1995 et le 23 février 1996, l'intéressée se trouvait au Sierra Leone, où elle se cachait. Après l'arrivée de son époux le 23 décembre 1995, la demanderesse a appris que Mansaray était absent pour un mois. En fait, cela veut dire que durant un mois environ, au cours de la période où la demanderesse se cachait, le major Mansaray n'était pas à sa recherche. La SSR était toutefois d'avis que la demanderesse a vécu pendant trois mois sans raison objective de craindre Mansaray. Cette erreur de temps est importante, vu le temps total que la demanderesse a passé au Sierra Leone depuis la date de la première attaque. Compte tenu de cette erreur et du fait que la SSR a omis d'évaluer si les opinions politiques présumées de la demanderesse mèneront à une possibilité de persécution, il convient de renvoyer l'affaire à un tribunal de constitution différente de la SSR pour qu'il rende une nouvelle décision, en tenant pleinement compte des conclusions d'erreur de la présente Cour.

[21]      Il reste un dernier point à régler. Dans son analyse de la preuve concernant la détermination du major Mansaray à épouser la demanderesse, la SSR signale que ce dernier n'a jamais fait de démarches auprès de la famille de la demanderesse, comme c'est la coutume au Sierra Leone. La SSR a accepté le témoignage de la demanderesse que le major Mansaray l'avait violée, mais n'a pas cru que ce dernier était résolu à l'épouser car il ne s'était pas conformé à la coutume et n'était donc plus une menace pour la demanderesse. Il convient toutefois de rappeler à la SSR qu'une brute qui viole une femme ne se conforme certainement pas aux pratiques coutumières traditionnelles et que, par conséquent, pourquoi s'attendrait-on à ce qu'il demande poliment sa main?

[22]      Pour les raisons qui précèdent, il convient de faire droit à la demande de contrôle judiciaire. Il est donc ordonné au tribunal de constitution différente auquel est renvoyée la revendication du statut de réfugié de la demanderesse, afin qu'il statue de nouveau sur l'affaire, de tenir compte des présents motifs afin d'éviter les erreurs du tribunal précédent, et de rendre ainsi une décision correcte.

                             " F.C. Muldoon "

                        

                                 Juge

                                            

Ottawa (Ontario)

Le 16 juillet 1998

Traduction certifiée conforme :

Christiane Delon, LL.L

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :               IMM-4795-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      ISHA FOFANAH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :          14 JUILLET 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MULDOON

EN DATE DU :              16 JUILLET 1998

ONT COMPARU :

Me SAUL SIMMONDS              POUR LA DEMANDERESSE

Me LYLE BOUVIER              POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

GINDIN, WOLSON, SIMMONDS

WINNIPEG (MANITOBA)              POUR LA DEMANDERESSE

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada          POUR LE DÉFENDEUR

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