Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     NOTE DE LA TRADUCTRICE

Au paragraphe 68, il est fait mention du Linkage Regulations. Comme ces mots étaient en italique, j'ai pensé qu'il s'agissait d'un titre officiel. Je n'ai pu toutefois trouvé de règlement portant ce nom, malgré mes recherches. J'ai donc parlé des "dispositions réglementaires applicables en matière de lien".

     Date: 19980331

     Numéro: T-1273-97

ENTRE:

     MERCK & CO., INC.

     - et -

     MERCK FROSST CANADA INC.,

     requérantes,

ET

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     - et -

     APOTEX INC.

     - et -

     APOTEX FERMENTATION INC.,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE WETSTON

[1]      En vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, les requérantes demandent le contrôle judiciaire de la décision du ministre de la Santé (le ministre), en date du 26 mars 1997, à l'effet de délivrer un avis de conformité (AC) à Apotex Inc. (Apotex) relativement au médicament Apo-lovastatine. Les requérantes prient la Cour de rendre une ordonnance enjoignant au ministre de révoquer ou de suspendre l'AC délivré à Apotex et lui interdisant de délivrer tout autre AC ou toute autre monographie modifiée et de commencer ou de poursuivre l'évaluation de toute autre demande présentée au nom d'Apotex relativement à l'Apo-lovastatine.

[2]      La demande soulève trois questions principales :

     (1)      Apotex a-t-elle contrevenu à l'article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement sur les AC);
     (2)      Apotex a-t-elle fait des déclarations inexactes sur des renseignements importants soumis au ministre relativement à sa demande d'AC visant l'Apo-lovastatine;
     (3)      en délivrant l'AC, le ministre a-t-il outrepassé ou refusé d'exercer sa compétence, ou a-t-il exercé ses pouvoirs à mauvais escient?

[3]      Apotex est d'avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée parce que l'argumentation soumise par les requérantes ne concorde pas avec les motifs de révision exposés dans l'avis introductif d'instance. Elle fait valoir qu'une demande de contrôle judiciaire n'autorise pas un requérant à chercher à l'aveuglette des motifs à invoquer plus tard au cours de l'instance.

[4]      Apotex plaide aussi que les requérantes n'avaient demandé la révision de la décision du ministre que sur la base d'allégations concernant l'examen qu'il a fait de la présentation de drogue nouvelle relative à l'Apo-lovastatine. Elle soutient que le juge Hugessen a conclu, dans une décision datée du 10 octobre 1997 (T-1273-97) rendue dans l'affaire Merck Frosst Canada c. Ministre de la Santé, que ces allégations n'étaient pas justiciables. Autrement dit, Apotex prétend que Merck ne peut invoquer maintenant une contravention au Règlement sur les AC comme motif de contrôle judiciaire.

[5]      Il est vrai qu'en l'espèce l'avis de requête introductive d'instance est inhabituel, car il renferme des allégations de fait détaillées qu'on s'attend plutôt à trouver dans une déclaration. Ce n'est pas une déclaration, toutefois, et il n'y a pas lieu de le considérer comme tel. La seule exigence prévue par la règle 1602(2)d) des Règles de la Cour fédérale est qu'un tel avis doit exposer les motifs de la demande de contrôle judiciaire. Il ne fait aucun doute que les allégations détaillées comprennent le motif général selon lequel le ministre a outrepassé ses pouvoirs en délivrant l'AC relatif à l'Apo-lovastatine. Je suis d'avis que Merck a toujours fait grief au ministre d'avoir contrevenu au Règlement sur les AC en délivrant l'AC. Comme c'est normalement le cas dans les demandes de contrôle judiciaire, les faits substantiels ont évolué au fur et à mesure du dépôt des affidavits, de la tenue des contre-interrogatoires et de la production et de l'échange des documents.

[6]      Les questions pertinentes pour la présente demande de contrôle judiciaire ont été définies lors de l'instance susmentionnée présidée par le juge Hugessen et lors de l'instance présidée par le juge MacKay, le 1er octobre 1997. L'avis de requête introductive d'instance n'est pas une plaidoirie, contrairement à la déclaration; je ne puis donc donner raison à Apotex lorsqu'elle prétend que Merck Frosst a présenté des arguments qui ne reposaient pas sur les motifs généralement invoqués dans l'avis de requête introductive d'instance. Il est certes interdit aux requérantes d'invoquer des motifs ayant trait à la santé et à la sécurité ou à l'administration de la Loi et du Règlement sur les aliments et drogues par le ministre, en rapport avec la présentation de drogue nouvelle (PDN) déposée par Apotex au sujet de l'Apo-lovastatine, mais elles peuvent néanmoins mettre en question l'administration du Règlement sur les AC par le ministre lorsque le bien-fondé de la délivrance d'un AC revêt un intérêt pour elles.

[7]      Comme la présente demande procède d'une longue série de différends entre les parties, découlant de la demande d'AC présentée par Apotex relativement à l'Apo-lovastatine, il s'impose d'établir une chronologie détaillée.

[8]      Le 31 janvier 1984, la requérante Merck & Co., Ltd. (Merck) a obtenu un brevet protégeant le processus de fabrication du médicament lovastatine au moyen du microbe aspergillus terreus (terreus). Elle a subséquemment octroyé une licence à la requérante Merck Frosst Canada (Merck Frosst) autorisant celle-ci à commercialiser et à vendre le médicament au Canada, sous la marque de commerce Mevacor". Le 30 juin 1988, les requérantes ont obtenu le premier de quatre AC visant la commercialisation et la vente du Mevacor". Le 13 septembre 1991, Merck a obtenu un deuxième brevet, protégeant la conversion de la lovastatine en lactone.

[9]      Le Règlement sur les AC a été édicté le 12 mars 1993. Peu après, soit le 25 mars 1993, Apotex a soumis une PDN pour le médicament Apo-lovastatine en comprimés de trois dosages différents, confectionné au moyen du microbe aspergillus flavipes (flavipes). Le 6 avril 1993, les requérantes ont déposé une liste de brevets conformément au paragraphe 4(1) du Règlement sur les AC, dans laquelle étaient mentionnés leurs deux brevets portant sur la fabrication de la lovastatine au moyen de terreus.

[10]      Deux semaines plus tard, le 20 avril 1993, Apotex a déposé auprès du ministre une allégation portant qu'aucune revendication des brevets de Merck relative à la lovastatine ou à son utilisation ne serait contrefaite. Un avis d'allégation a été signifié aux requérantes le 19 avril 1993, accompagné d'un document se présentant comme un énoncé détaillé du fondement factuel et juridique de l'allégation. La preuve de la signification de cet avis a également été transmise au ministre.

[11]      Le 1er juin 1993, les requérantes ont déposé une requête visant l'obtention de l'ordonnance d'interdiction prévue à l'article 6 du Règlement sur les AC, afin d'empêcher le ministre de délivrer un AC à Apotex relativement à la PDN portant sur l'Apo-lovastatine. Ni l'avis d'allégation ni l'énoncé des faits et du droit n'expliquaient pourquoi il n'y aurait pas contrefaçon des brevets de Merck. Toutefois, les requérantes ont été avisées, sous réserve d'une ordonnance conservatoire prononcée par le juge McGillis le 10 juin 1993, que la lovastatine serait fabriquée au moyen du microbe coniothyrium fuckelii (fuckelii) et non du terreus. Apotex a confirmé ce fait dans un autre énoncé détaillé des faits et du droit qu'elle a été tenue de produire par suite d'une ordonnance du juge Cullen datée du 20 décembre 1993.

[12]      Le 19 novembre 1993, le ministre a envoyé un avis d'insuffisance à Apotex au sujet de la PDN visant l'Apo-lovastatine parce que la société n'avait pas fourni à Santé Canada assez de renseignements pour satisfaire le ministère relativement aux questions de sécurité et d'efficacité régies par le Règlement sur les aliments et drogues. Comme Apotex n'avait pas fourni les renseignements nécessaires dans le délai imparti, le ministre a tenu la PDN pour retirée, le 10 mars 1994, ce qui a eu pour effet pratique de faire perdre à la société sa place pour l'évaluation de sa PDN et de la reléguer, pour ainsi dire, au dernier rang. Environ neuf mois plus tard, le 21 décembre 1994, Apotex a déposé de nouveau sa PDN visant l'Apo-lovastatine fabriquée au moyen du microbe flavipes et aussi au moyen d'un autre microbe, l'aspergillus obscurus (obscurus). Le ministre a envoyé à Apotex, le 26 janvier 1995, une lettre d'acceptation concernant l'examen de la nouvelle PDN (PDN de 1995).

[13]      En résumé, au mois de janvier 1995, on pouvait recenser, dans divers documents, quatre microbes différents servant à la fabrication de la lovastatine. Le terreus était le microbe visé par le brevet de Merck, pour lequel un AC avait été délivré à cette dernière. Le flavipes était le microbe déclaré dans la PDN déposée par Apotex en 1993, puis redéposée et acceptée pour examen au début de 1995, visant la fabrication de l'Apo-lovastatine. L'obscurus était un autre microbe mentionné dans la PDN de 1995, et finalement, le fuckelii était mentionné dans l'énoncé détaillé des faits et du droit produit par suite de l'ordonnance rendue en décembre 1993 par le juge Cullen.

[14]      Dans la PDN de 1995, Apotex a inclus une allégation de non-contrefaçon datée du 12 décembre 1994, une photocopie de l'avis d'allégation datée du 19 avril 1993 et une copie de la preuve de la signification de cet avis, effectuée au mois d'avril 1993. Au moment de la PDN de 1995, Apotex n'a pas signifié aux requérantes de nouvel avis d'allégation ou de nouvel énoncé détaillé des faits et du droit. Elle n'a pas non plus fourni au ministre de copie d'une preuve de signification plus récente.

[15]      Plus tard la même année, le 23 juin 1995, Apotex a signifié à Merck Frosst un nouvel avis d'allégation dans lequel elle déclarait que les comprimés d'Apo-lovastatine seraient fabriqués au moyen d'un deuxième processus ne créant pas de contrefaçon. Le 9 août 1995, les requérantes ont donc présenté une deuxième requête visant l'obtention d'une ordonnance d'interdiction enjoignant au ministre de ne pas délivrer à Apotex d'AC pour l'Apo-lovastatine fabriquée au moyen de ce nouveau processus. Au cours de ces procédures, il est ressorti que la deuxième allégation concernait l'obscurus. Le deuxième avis d'allégation n'a jamais été joint à la PDN de 1995, et le ministre n'a jamais reçu de preuve de sa signification.

[16]      Peu après le début de la deuxième requête pour ordonnance d'interdiction, le juge Richard a accordé une prorogation d'un an (le 6 septembre 1995) concernant la première requête. Cette ordonnance, rendue du consentement des parties, reportait au mois de décembre 1996 au moins la date à laquelle le ministre pouvait délivrer un AC visant l'Apo-lovastatine fabriquée au moyen du fuckelii, le microbe mentionné dans le premier avis d'allégation.

[17]      Le ministre, par ailleurs, a envoyé à Apotex, le 11 octobre 1995, un avis de non-conformité relativement à la deuxième PDN visant l'Apo-lovastatine. Cet avis faisait état de lacunes au sujet des renseignements concernant l'obscurus et le flavipes, et enjoignait à Apotex d'apporter des modifications à sa monographie puisque celle-ci désignait le terreus comme le micro-organisme utilisé pour produire la lovastatine. Apotex a répondu à cet avis le 11 octobre 1995 et, le 21 mars 1996, le ministre l'a informée que la source proposée pour la lovastatine fabriquée au moyen de l'obscurus n'était pas acceptable. Le 29 mars 1996, Apotex a avisé le ministre que sa PDN relative à l'obscurus devait être considérée comme retirée. Par conséquent, il n'est resté qu'un seul processus de fabrication de la lovastatine dans la PDN soumise au ministre (savoir, le flavipes).

[18]      Un mois plus tard, le 30 avril 1996, Santé Canada a recommandé la délivrance d'un AC pour l'Apo-lovastatine fabriquée au moyen de l'aspergillus genus. Le 25 mai 1996, la PDN de 1995 a été placée "en attente", c'est-à-dire que la délivrance d'un AC pour l'Apo-lovastatine fabriquée au moyen du flavipes a été recommandée en attendant le règlement des deux requêtes pour ordonnance d'interdiction en instance, visant le flavipes et/ou l'obscurus, ou à l'expiration des brevets de requérantes.

[19]      Le 12 août 1996, Apotex a demandé à modifier la deuxième PDN pour solliciter un AC visant l'Apo-lovastatine produite à partir de la lovastatine obtenue au moyen du microbe fuckelii au lieu du flavipes. Santé Canada a examiné cette demande de "changement à déclaration obligatoire" sous le régime de la politique modifiée sur les modifications aux drogues mouvelles sur le marché élaborée en 1994 par le ministre dans l'exécution de ses fonctions d'évaluation des PDN et de délivrance des AC en application du Règlement sur les aliments et drogues . La politique de 1994 avait été modifiée afin que les PDN à l'égard desquelles un AC avait été recommandé mais qui étaient en attente puissent faire l'objet de changements à déclaration obligatoire. Cette modification datait du 29 mai 1996, soit environ trois mois avant que Santé Canada reçoive la demande de changement à déclaration obligatoire d'Apotex.

[20]      Le 18 novembre 1996, le ministre a envoyé un avis de non-satisfaction à Apotex relativement à sa demande visant à modifier la PDN en remplaçant le flavipes par le fuckelii. Dans cet avis, il demandait à Apotex de donner des précisions sur l'identification du fuckelii et de justifier le changement de méthode de fabrication de la lovastatine. Le 20 décembre 1996, Apotex a répondu à l'avis et, le 7 janvier 1997, le ministre a accepté pour examen les modifications soumises par Apotex comme changements à déclaration obligatoire.

[21]      À peu près au moment où le ministre examinait la demande de changement à déclaration obligatoire d'Apotex, les requérantes ont sollicité une autre prorogation de délai relativement à leur première requête pour ordonnance d'interdiction. Le juge Dubé a conclu, le 23 octobre 1996, que cette prorogation était nécessaire. Toutefois, la Cour d'appel a infirmé l'ordonnance du juge Dubé, le 10 février 1997, et a déclaré que la Cour fédérale n'avait pas compétence pour prolonger le délai prévu à l'article 7 du Règlement sur les AC lorsque aucune allégation précise de non-coopération n'avait été faite (Merck Frosst Canada Inc. c. Apotex Inc. (1997), 72 C.P.R. (3d) 170 (C.A.F.)). La Cour suprême du Canada a rejeté la demande de pourvoi le 25 septembre 1997.

[22] À peu près à l'époque où la Cour d'appel rendait sa décision, Apotex a informé le ministre et les requérantes (le 10 février 1997) qu'elle retirait son deuxième avis d'allégation, visant l'obscurus (la PDN à laquelle il se rapportait avait été retirée le 29 mars 1996). Le ministre a informé Apotex par lettre datée du 27 février 1997 qu'il ne s'opposait pas au changement à déclaration obligatoire de la PDN redéposée, par lequel Apotex remplaçait le flavipes par le fuckelii dans la fabrication de la lovastatine utilisée pour la confection des comprimés d'Apo-lovastatine.

[23]      Le 26 mars 1997, le juge Rothstein a rejeté la première requête pour ordonnance d'interdiction (visant le fuckelii) car, selon lui, il y avait chose jugée depuis la décision rendue le 10 février 1997 par la Cour d'appel. Le juge Rothstein a également conclu au rejet de la requête parce qu'aucun élément de preuve ne permettait d'établir un défaut de coopération de la part d'Apotex (Merck Frosst Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1997), 72 C.P.R. (3d) 453 (C.F. 1re inst.)). De plus, la deuxième requête pour ordonnance d'interdiction (portant sur l'obscurus) a été rejetée à cause du retrait par Apotex de l'avis d'allégation sur lequel elle était fondée (Merck Frosst Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1997), 72 C.P.R. (3d) 468 (C.F. 1re inst.)).

[24]      Sur réception de la décision du juge Rothstein, le 26 mars 1997, le ministre a délivré à Apotex un AC visant les comprimés d'Apo-lovastatine utilisés pour traiter l'hypercholestérolémie. La monographie du produit jointe à l'AC indiquait que l'Apo-lovastatine pouvait être fabriquée au moyen des microbes obscurus ou flavipes. Par suite d'une demande d'accès à l'information et d'un échange de lettres avec les requérantes, le ministre a corrigé la monographie le 11 juillet 1997. La monographie corrigée annexée à l'AC permet à présent la fabrication de l'Apo-lovastatine au moyen du fuckelii plutôt qu'au moyen du flavipes ou de l'obscurus.

[25]      Le 12 juin 1997, les requérantes ont intenté contre Apotex et Apotex Fermentation Inc. (AFI) une action pour atteinte à leurs droits afférents au brevet portant sur la fabrication de la lovastatine. Elles ont déposé en même temps l'avis de requête introduisant la présente demande.

Respect de l'article 5 du Règlement sur les AC

[26]      Les requérantes soutiennent que la décision du ministre, en date du 26 mars 1996, visant la délivrance d'un AC à Apotex relativement à l'Apo-lovastatine est nulle et non avenue car Apotex ne s'est pas conformée aux exigences de l'article 5 du Règlement sur les AC, lequel prévoit :

     5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou, avant la date d'entrée en vigueur du présent règlement, a déposé une demande d'avis de conformité à l'égard d'une drogue et souhaite comparer cette drogue à une drogue qui a été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard duquel une liste de brevets a été soumise ou qu'elle souhaite faire un renvoi à la drogue citée en second lieu, elle doit indiquer sur sa demande, à l'égard de chaque brevet énuméré dans la liste :
     a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;
     b) soit une allégation portant que, selon le cas :
     (i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)b) est fausse,
     (ii) le brevet est expiré,
     (iii) le brevet n'est pas valide,
     (iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité.
     (2) Lorsque, après le dépôt par la seconde personne d'une demande d'avis de conformité mais avant la délivrance de cet avis, une liste de brevets est soumise ou modifiée aux termes du paragraphe 4(5) à l'égard d'un brevet, la seconde personne doit modifier la demande pour y inclure, à l'égard de ce brevet, la déclaration ou l'allégation exigée par le paragraphe (1).
     (3) Lorsqu'une personne fait une allégation visée à l'alinéa (1)b) ou au paragraphe (2), elle doit :
     a) fournir un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle se fonde;
     b) signifier un avis d'allégation à la première personne et une preuve de cette signification au ministre.

[27]      Les requérantes soutiennent que cette disposition exige que la seconde personne (1) fournisse un énoncé détaillé du fondement factuel et juridique de l'allégation, (2) signifie un avis d'allégation à la première personne et (3) produise la preuve de cette signification au ministre. Il faut en outre que soit annexé à la PDN un avis d'allégation complété par un énoncé détaillé (Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 153 D.L.R. (4th) 68) (Eli Lilly). Elles prétendent que les intimées ne se sont pas conformées à ces exigences.

[28]      Les requérantes ont élaboré une argumentation fouillée affirmant qu'il convient d'interpréter restrictivement l'article 5 relativement aux exigences susmentionnées. Elles soutiennent qu'il est nécessaire de donner une interprétation littérale à la disposition et d'adhérer strictement à ses exigences si on veut donner effet à l'intention du législateur.

[29]      D'après les requérantes, cette intention est empêcher que la délivrance d'AC par le ministre ne donne lieu à la contrefaçon de brevets. Elles font valoir que le législateur a exprimé cet objectif en termes clairs au paragraphe 55.2(4) de la Loi sur les brevets. Les requérantes s'appuient en outre sur plusieurs décisions de la Section de première instance et de la Cour d'appel pour affirmer que le but primordial de la Loi et du Règlement est la protection des brevets (Eli Lilly & Co. c. Novopharm Ltd. (1995), 60 C.P.R. (3d) 417, à la p. 428 (C.F. 1re inst.); Hoffmann - La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 206, à la p. 213 (C.A.F.); AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 72 C.P.R. (3d) 318, à la p. 320 (C.F. 1re inst.).

[30]      Les requérantes affirment que l'avis d'allégation joue un rôle charnière dans le cadre réglementaire, car à l'instar de la cause d'action il met en branle les procédures prévues par le Règlement sur les AC (Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 60 C.P.R. (3d) 129, à la p. 134 (C.A.F.)). Elles plaident également l'importance que revêt l'énoncé détaillé des faits et du droit, car il avertit la première personne qu'une PDN a été faite, ce que celle-ci pourrait ignorer autrement (Eli Lilly and Co. c. Nu-Pharm Inc. (1996), 69 C.P.R. (3d) 1, à la p. 17 (C.A.F.); Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1993), 51 C.P.R. (3d) 329, à la p. 337 (C.A.F.)), sans compter qu'il satisfait à l'obligation réglementaire prescrivant de donner à la première personne la possibilité de déposer une demande d'ordonnance d'interdiction sous le régime du paragraphe 6(1), si elle choisit de le faire (AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 293, à la p. 298 (C.F. 1re inst.)).

[31]      Les requérantes insistent sur le caractère indissociable de la PDN, de l'avis d'allégation et de l'énoncé (Janssen Pharmaceuteca c. Apotex Inc. (1996), 68 C.P.R. (3d) 114, à la p. 116 (C.F. 1re inst.)). Elles affirment donc que les renseignements donnés dans l'avis d'allégation et dans l'énoncé détaillé doivent concorder, pendant tout le processus menant à la délivrance de l'AC, avec les renseignements figurant dans la PDN, c'est-à-dire que le microbe mentionné dans l'avis d'allégation et dans l'énoncé détaillé doit toujours être le microbe indiqué dans la PDN (Eli Lilly, précité, aux pp. 78 et 79 et Jansen, précité, à la p. 117). Elles soutiennent que l'emploi du mot "doit", à l'article 5, indique aussi le caractère obligatoire de la séquence découlant du libellé de la disposition.

[32]      Les requérantes appuient leur argumentation sur les conclusions formulées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Eli Lilly, précité. Dans cette affaire, un avis d'allégation avait été signifié quatre mois avant la modification d'une PDN existante, pour faire état d'une nouvelle allégation. Le juge Marceau a examiné la question de savoir s'il fallait respecter, dans l'ordre, les exigences prévues par l'article 5. Il a statué, aux pp. 78 et 79 :

     Suivant le ministre, la séquence en trois étapes prévue à l'article 5 est simplement indicative, et non obligatoire. Le ministre soutient que la procédure ne saurait être viciée du seul fait que les conditions prévues à l'article 5 n'ont pas été remplies dans l'ordre. J'abonde dans son sens. Le Règlement vise essentiellement à prévoir un mécanisme par lequel les brevets sont inscrits et protégés contre une éventuelle contrefaçon à la demande du titulaire du brevet. Le Règlement garantit donc qu'aucun avis de conformité n'est délivré sans que les titulaires de brevets aient eu l'occasion de défendre leurs brevets. Cette possibilité n'est pas diminuée par le fait que l'avis d'allégation est donné en premier lieu si, comme c'est le cas en l'espèce, il renferme suffisamment de renseignements pour permettre au titulaire du brevet de décider s'il y a lieu de demander une ordonnance d'interdiction, auquel cas la Cour peut immédiatement en examiner le bien-fondé. Si la séquence était jugée obligatoire, il faudrait tout simplement reprendre toute la procédure depuis le début, ce qui retarderait inutilement la mise en marché d'un médicament dans les cas où l'allégation s'avère justifiée. Il ressort du but visé par le Règlement que le non-respect de la séquence prévue à l'article 5 ne devrait pas être considéré comme un défaut suffisant pour vicier la procédure.         

[33]      Dans Smithkline Beecham Pharma Inc. c. Le Ministre de la Santé et du Bien-être social (T-2528-96, 24 novembre 1997 (C.F. 1re inst)), le juge McKeown a appliqué le raisonnement suivi par le juge Marceau dans l'arrêt Eli Lilly. Un avis d'allégation avait été déposé avant le dépôt de la PDN. Le juge McKeown a statué que le seul lien existant entre l'allégation de non-contrefaçon et la PDN est que l'allégation doit être jointe à la PDN. Dans la mesure où la première personne est mise au courant de l'allégation et dispose des détails la concernant, le titulaire de brevet sait tout ce qu'il a besoin de savoir pour pouvoir contester l'allégation sous le régime de l'article 6.

[34]      Les requérantes prétendent que l'arrêt Eli Lilly établit le principe qu'une contravention à l'article 5 peut ne pas être fatale si elle est de peu de gravité et si elle ne contredit pas l'objet du Règlement sur les AC. Toutefois, il peut être interdit au ministre de délivrer un AC lorsque les exigences de l'article 5 n'ont pas été respectées ou lorsque l'ordre suivi porte atteinte à l'objectif fondamental poursuivi par la Loi et par le Règlement.

[35]      Pour les requérantes, si la décision rendue dans l'affaire Smithkline Beecham est correcte, c'est que le vice a également été jugé sans gravité. Elles ajoutent que la conclusion formulée dans cette affaire diffère des faits de la présente espèce, où il y a eu une PDN et où l'allégation faisait état d'un processus de fabrication autre que celui qui était décrit dans l'avis d'allégation et dans l'énoncé détaillé.

[36]      Je ne puis accepter l'interprétation que les requérantes font de ces décisions. Dans l'arrêt Eli Lilly, le juge Marceau a déclaré que l'objectif poursuivi par le Règlement sur les AC est atteint lorsque les trois exigences prévues par l'article 5 sont respectées, quel que soit l'ordre suivi. Il n'a pas dit qu'un ordre particulier exigé par la disposition ne pouvait être enfreint que si l'on jugeait que l'infraction n'entraînait aucune conséquence grave. Il a plutôt affirmé que l'article 5 n'impose aucun ordre particulier et qu'il suffit que les exigences prévues soient remplies. C'est-à-dire qu'il faut considérer comme indicatif et non impératif tout ordre dont l'existence pourrait être inférée par interprétation.

[37]      Le libellé de l'alinéa 5(3)b) renforce cette conclusion. Cette disposition, en effet, oblige la seconde personne à signifier un avis d'allégation à la première personne. En faisant mention de l'alinéa 5(1)b), elle exprime clairement que l'allégation signifiée à la première personne est celle qui est incluse dans la PDN lorsque celle-ci est déposée, mais elle ne mentionne pas la PDN elle-même. Si les exigences énumérées à l'article 5 sont observées, peu importe dans quel ordre, la première personne aura été régulièrement avisée de l'allégation et, en temps opportun, le ministre sera en mesure de confirmer que l'allégation signifiée dans l'avis d'allégation est la même que celle qui est jointe à la PDN.

[38]      J'aborde maintenant la question de savoir si Apotex a manqué aux exigences de l'article 5, lesquelles consistent, selon l'arrêt Eli Lilly, précité, à joindre à la PDN une allégation complétée par un énoncé détaillé, à les signifier à la première personne et à faire tenir au ministre une preuve de cette signification.

[39]      Les requérantes indiquent d'abord quelle PDN doit faire l'objet du présent examen. Elles signalent qu'Apotex a déposé deux PDN distinctes relativement à l'Apo-lovastatine car, au début de 1994, le ministre a considéré la première, déposée en 1993, comme retirée. Elles soutiennent donc que pendant neuf mois environ, il n'y avait aucune PDN visant l'Apo-lovastatine. Prétendant que si le retrait de l'avis d'allégation enlève toute raison d'être à la demande d'ordonnance d'interdiction, le retrait de la PDN entraîne le même effet, elles font donc valoir que l'avis d'allégation et l'énoncé détaillé de 1993 n'étant liés à aucune PDN, la première demande d'ordonnance d'interdiction devrait être considérée comme sans objet. Alors, l'avis d'allégation et l'énoncé détaillé de 1993 devraient perdre toute importance juridique.

[40]      Selon les requérantes, puisque la PDN de 1993 a été retirée, la PDN de 1995 doit satisfaire aux exigences de l'article 5 pour que le ministre puisse délivrer un AC concernant l'Apo-lovastatine. La PDN redéposée visait la fabrication de l'Apo-lovastatine au moyen du flavipes ou au moyen de l'obscurus. Comme Apotex voulait faire mention du médicament à base de lovastatine fabriqué par Merck Frosst, elle devait joindre à sa PDN une allégation énonçant qu'elle ne contreferait pas les brevets des requérantes "advenant [...] la fabrication [...] par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité" (sous-al. 5(1)b )iv). Les requérantes soutiennent que bien qu'Apotex ait déposé une allégation avec la PDN de 1995, celle-ci devait faire mention de la fabrication au moyen du fuckelii et non des deux processus indiqués dans la PDN (le flavipes et l'obscurus).

[41]      L'avis d'allégation, l'énoncé détaillé et la preuve de signification déposés avec la PDN de 1995 étaient en fait des copies des documents qui accompagnaient la PDN déposée en 1993. L'énoncé détaillé supplémentaire dont la production avait été ordonnée par le juge Cullen dans le cadre de la première demande d'ordonnance d'interdiction, bien qu'il n'ait pas été joint à la PDN de 1995, faisait mention de la fabrication au moyen du fuckelii comme méthode ne portant pas atteinte au brevet. Les requérantes en concluent que l'allégation contenue dans la PDN de 1995 devait faire état de cette méthode de fabrication plutôt que de la méthode fondée sur le flavipes et l'obscurus déclarée dans la PDN de 1995. Elles soutiennent donc qu'Apotex n'a pas respecté la première exigence de l'article 5 du Règlement sur les AC puisque qu'elle n'a pas déposé avec sa PDN de 1995 (visant l'Apo-lovastatine obtenue par l'utilisation du flavipes ou de l'obscurus) une allégation de non-contrefaçon se rapportant à la méthode de fabrication mentionnée dans la présentation, laquelle aurait dû être la méthode utilisant le fuckelii.

[42]      Je ne saurais suivre les requérantes dans leur raisonnement. Le ministre disposait, à la date prévue, d'une PDN visant l'Apo-lovastatine qui satisfaisait à toutes les exigences imposées par le Règlement sur les aliments et drogues. Que la PDN ait été "nouvelle", "redéposée" ou identique à celle qui avait été remise au ministre en 1993 est sans importance. Le processus d'examen des PDN est totalement distinct de la procédure de demande d'ordonnance d'interdiction prévue à l'article 6 du Règlement sur les AC. C'est l'avis d'allégation, et non la PDN, qui sous-tend cette dernière procédure; la PDN ne fait pas partie du dossier et ne joue aucun rôle fondamental quant à l'issue de l'instance (Hoffman-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 67 C.P.R. (3d) 484, à la p. 505 (C.F. 1re inst.), confirmé par (1996), 70 C.P.R. (3d) 206 (C.A.F.)). Par conséquent, le retrait présumé de la PDN d'Apotex n'a pas eu d'effet sur la demande d'ordonnance d'interdiction relative à la méthode du fuckelii et n'a pas fait perdre leur raison d'être ou leur effet à l'avis d'allégation, à l'énoncé détaillé ou à la preuve de la signification de 1993.

[43]      De la même manière, le contenu d'une PDN à une date quelconque, de quelque façon qu'il ait pu être modifié, est sans rapport avec l'effet essentiel d'une allégation et de toute demande d'ordonnance d'interdiction en cours. Le processus d'approbation des PDN et l'instance visant à obtenir une ordonnance d'interdiction en rapport à une allégation sont tout à fait distincts. Il est vrai que l'allégation doit être jointe à la PDN, mais sa validité relativement à la revendication concernant le médicament lui-même ou relativement à la revendication concernant l'utilisation du médicament n'a besoin d'être liée qu'à la méthode de fabrication proposée pour le médicament décrit dans la PDN avant la délivrance de l'AC (Smithkline Beecham, précité).

[44]      Le fait de donner d'abord l'avis d'allégation ne met pas en péril la possibilité de contester une allégation, car l'avis fournit assez de renseignements pour que la première personne puisse décider s'il y a lieu de demander une ordonnance d'interdiction et pour que le tribunal saisi puisse déterminer s'il convient de l'accorder (Smithkline Beecham, précité, et Eli Lilly, précité). La date d'une allégation ou d'un avis d'allégation ne peut porter atteinte à la capacité de la première personne de présenter une demande d'ordonnance d'interdiction et de faire prendre effet à la suspension prévue par la loi. De plus, comme aucun AC ne peut être délivré tant qu'une PDN n'a pas été déposée, seule la seconde personne peut subir un préjudice si elle tarde à déposer sa PDN. L'examen que doit effectuer le ministre sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues ne peut avoir lieu en son absence, et aucun AC ne peut être délivré tant que l'examen n'est pas réalisé de façon satisfaisante.

[45]      Réciproquement, une interprétation qui exigerait que l'avis d'allégation soit signifié en même temps que la PDN ou postérieurement à celle-ci prolongerait artificiellement la suspension de trente mois prévue par la loi, chaque fois que la PDN est retardée, pour quelque raison que ce soit, ou qu'elle doit être redéposée. Il convient de rejeter une interprétation qui, au lieu de simplement offrir à la première personne la possibilité de faire déterminer sommairement le bien-fondé d'une allégation donnée, lui permettrait de repousser sans nécessité la date à laquelle un concurrent pourrait entrer sur le marché, car elle est fondamentalement incompatible avec les objets de la Loi et du Règlement sur les AC (Eli Lilly, précité).

[46]      Les requérantes font également valoir qu'Apotex n'a pas fourni au ministre, ou à Merck, l'énoncé détaillé du fondement factuel et juridique de l'allégation faite dans la PDN de 1995. Elles affirment qu'Apotex a plutôt soumis une copie de l'avis d'allégation et de l'énoncé détaillé de 1993 et que cela est insuffisant pour les deux raisons suivantes. Premièrement, le retrait présumé de la PDN de 1993 a fait perdre toute raison d'être à ces documents, lesquels ne pouvaient plus se rapporter à l'allégation jointe à la PDN de 1995. Deuxièmement, l'énoncé détaillé de 1993 ayant été jugé lacunaire par le juge Cullen, le 20 décembre 1993, son annexion à la PDN de 1995 ne pouvait satisfaire aux exigences de l'article 5.

[47]      Les requérantes prétendent que puisque Apotex n'a pas interjeté appel de la décision du juge Cullen portant que l'énoncé détaillé contenu dans l'avis d'allégation de 1993 était insuffisant, il y a chose jugée (Novopharm Limited c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 61 C.P.R. (3d) 82, à la p. 87 (C.A.F)). Elles affirment donc que l'affaire est réglée entre les parties et qu'Apotex ne peut maintenant utiliser ce prétendu "énoncé détaillé" aux fins de l'observation de l'article 5, même si ce document avait bien trait à l'allégation jointe à la PDN de 1995 et même s'il n'avait pas perdu sa raison d'être du fait du retrait présumé de la PDN de 1993.

[48]      Je ne puis retenir cet argument. Le fait que le juge Cullen a statué, en décembre 1993, que l'énoncé détaillé était insuffisant et qu'il n'y a pas eu appel de cette décision est sans effet sur la question qui nous occupe. Les requérantes ont reçu un avis d'allégation et un énoncé détaillé, même s'ils ont été transmis plus de trois ans avant la date à laquelle la PDN a été mise à jour relativement au fuckelii, et la preuve de signification a été déposée auprès du ministre. Apotex s'est conformée au début de 1994 à l'ordonnance lui enjoignant de fournir des précisions. Il se peut qu'en redéposant des copies de l'avis d'allégation, de l'énoncé détaillé et de la preuve de signification initiaux, Apotex ait facilité la tâche au ministre, du point de vue administratif, mais l'annexion de ces documents n'était pas nécessaire pour que la PDN redéposée en 1995 satisfasse aux exigences de l'article 5.

[49]      Les requérantes affirment en outre qu'Apotex n'a pas respecté l'alinéa 5(3)b) du Règlement sur les AC parce qu'elle n'a pas signifié d'avis de l'allégation jointe à la PDN de 1995 et qu'elle n'a pas, par conséquent, déposé auprès du ministre la preuve de signification requise. L'"allégation" dont Apotex devait signifier un avis à Merck Frosst conformément à l'alinéa 5(3)b ) était l'allégation faite dans la PDN de 1995, non celle qui avait été faite dans la PDN antérieure déposée environ vingt mois auparavant.

[50]      Les requérantes soutiennent que la signification prévue à l'alinéa 5(3)b) doit être faite au moment où les allégations sont faites dans la PDN ou, à tout le moins, après la PDN. Le paragraphe 5(1) prévoit la possibilité de faire une allégation (al. 1b) et par. 2) "sur sa demande". Le paragraphe 5(3) porte que "Lorsqu'une personne fait une allégation visée à l'alinéa (1)b ) ou au paragraphe (2), elle doit [...] b) signifier un avis d'allégation à la première personne". Les requérantes font donc valoir qu'on ne pouvait pas signifier un avis d'allégation une vingtaine de mois avant même qu'existent l'allégation et la PDN.

[51]      Je ne puis non plus me rendre à cet argument. L'exigence de la preuve de signification de l'avis d'allégation au ministre vise à garantir que le ministre ne délivrera d'AC qu'après que la première personne aura eu la possibilité de contester l'allégation sous le régime de l'article 6. Que la preuve de signification ait été reçue par le ministre en même temps que le dépôt ou la modification d'une PDN donnée, antérieurement ou postérieurement ne peut d'aucune façon porter atteinte à son pouvoir de confirmer s'il y a lieu de délivrer un AC, en tenant compte des restrictions prévues à l'article 7.

[52]      Il appert donc clairement que l'argument des requérantes voulant qu'Apotex n'ait pas respecté l'article 5 ne peut être retenu. Toutes les exigences prescrites par cette disposition ont été observées, même si elles l'ont été dans un ordre différent de celui que Merck Frosst a présenté. Les requérantes avaient la possibilité de contester les allégations d'Apotex, possibilité dont elles se sont prévalues, et le ministre a reçu l'avis nécessaire pour s'assurer du respect de l'article 7 avant de délivrer un AC. Si les requérantes ont manqué de temps, on ne peut en imputer la responsabilité à Apotex ou à AFI. L'objet du Règlement sur les AC a donc été respecté.

De graves déclarations inexactes ont-elles été faites au ministre?

[53]      Les requérantes prétendent que même si Apotex s'est conformée à l'article 5 du Règlement sur les AC, il s'impose de déclarer nul l'AC du 26 mars 1997 parce que le ministre a fondé sa décision sur de graves déclarations inexactes faites par Apotex.

[54]      Selon les requérantes, il y a eu déclarations inexactes pour deux raisons. Elles font valoir que lorsque la seconde personne sait que la méthode de fabrication décrite dans une PDN est couverte par un brevet appartenant à la première personne, elle doit s'engager à attendre l'expiration du brevet avant de pouvoir obtenir un AC, aux termes de l'alinéa 5(1)a). Dans la PDN de 1993 et dans celle de 1995, Apotex a demandé un AC pour l'Apo-lovastatine fabriquée au moyen du flavipes (puisque l'obscurus avait été retiré de la PDN en mars 1996). Les requérantes affirment que ces PDN auraient amené le ministre à conclure que la lovastatine obtenue avec le flavipes ne contreferait aucune revendication des brevets de Merck, ainsi qu'il ressort de l'allégation de non-contrefaçon jointe à la PDN de 1995.

[55]      Le 19 avril 1993, le Dr Sherman a certifié la formule V, soit une déclaration concernant une liste de brevets préparée par une seconde personne. Il y déclare que le sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement sur les AC s'applique à la fabrication de l'Apo-lovastatine. Le 12 décembre 1994, le Dr Sherman a certifié une autre formule V relativement à la PDN de 1995. Encore une fois, il y est fait état que cette même disposition s'applique à la fabrication de l'Apo-lovastatine. Les requérantes affirment que dans cette dernière formule, c'est l'alinéa 5(1)a) qui aurait dû être coché, c'est-à-dire la disposition portant que la seconde personne accepte que l'AC ne sera pas délivré avant la date déclarée de l'expiration du brevet. Elles soutiennent donc qu'Apotex a fait une grave déclaration inexacte au ministre.

[56]      Les requérantes prétendent, deuxièmement, que même si Apotex a déclaré qu'elle ne contrefaisait pas de brevet, au mois de décembre 1994, et a joint cette allégation à sa PDN de 1995, elle savait que la lovastatine fabriquée au moyen du flavipes - le seul microbe déclaré avant l'adoption du fuckelii - contreferait les brevets de Merck visant le terreus . Par conséquent, si la déclaration faisait mention du flavipes, il s'agissait d'une grave inexactitude. Les requérantes affirment que si Apotex s'était abstenue de faire une déclaration, car elle savait que le flavipes porterait atteinte à des brevets, aucun AC n'aurait pu être délivré avant l'expiration du premier brevet de Merck, savoir en 2001 au plus tôt. Autrement dit, elles soutiennent qu'Apotex n'a pas n'a pas fait la déclaration prescrite par l'article 5 et que, par conséquent, elle a dénaturé les faits et n'a pas dit la vérité.

[57]      J'ai examiné la preuve et l'argumentation relativement à la question des déclarations inexactes, et je suis d'avis de rejeter les allégations des requérantes sur cette question. La preuve relative aux études précliniques de 1991 et 1992 me convainc que ces études ont été effectuées dans le contexte du processus d'obtention d'une licence obligatoire par Apotex. Sous le régime de la licence obligatoire, ni l'identité du microbe ni le processus de fabrication de la lovastatine ne revêtaient d'importance. Si la Loi n'avait pas changé, il est probable qu'Apotex aurait poursuivi sa démarche en vue de l'obtention d'une licence obligatoire pour les comprimés de lovastatine fabriqués au moyen du microbe terreus. En 1991 et 1992, les comprimés étaient fabriqués au moyen du terreus, et Apotex explique que c'est pour cette raison qu'elle a inscrit ce microbe dans sa déclaration.

[58]      Au mois d'août 1992, néanmoins, Apotex croyait que le flavipes pouvait différer du terreus. De fait, Apotex avait obtenu d'American Type Culture Collection, un organisme indépendant servant de centre de dépôt et d'analyse de souches, un rapport indiquant qu'il y avait des différences entre les deux microbes.

[59]      Indépendamment de la question de savoir si Apotex savait que l'utilisation du flavipes contrefaisait un brevet au moment où elle a déposé sa PDN de 1993, j'estime, compte tenu des conclusions auxquelles je suis parvenu concernant l'interprétation de l'article 5 du Règlement sur les AC, il ne pouvait y avoir de déclarations inexactes devant le ministre au sujet de l'identité du microbe parce que, à ce stade, le ministre n'examine pas l'allégation de non-contrefaçon - c'est-à-dire les droits de propriété. Aux termes de l'article 7, c'est avant de délivrer un AC que le ministre doit être convaincu que les exigences de l'article 5 ont été remplies.

[60]      Il faut rappeler également que la PDN d'Apotex portait sur les comprimés d'Apo-lovastatine et non sur le processus de fabrication de la lovastatine. Elle n'affirme pas, dans son allégation, que le flavipes ne contrefait pas de brevet, mais bien qu'elle utilise un microbe qui n'en contrefait pas, savoir le fuckelii. Pour les fins du Règlement sur les AC, le flavipes n'a jamais été présenté comme un processus ne contrefaisant pas de brevet. Il se peut que le ministre se soit intéressé à la méthode de fabrication de la lovastatine proposée par Apotex, dans la mesure où elle avait des effets sur des questions de sécurité et d'efficacité (par ex., les impuretés), mais son principal souci était de savoir si la composition de la lovastatine, peu importe le procédé de fabrication, serait sûre et efficace.

[61]      L'examen du témoignage du Dr Cox établit clairement que lorsque la PDN a été redéposée en décembre 1994, Apotex savait qu'elle contreferait un brevet en utilisant le flavipes. Compte tenu de l'interprétation donnée au Règlement sur les AC et de l'appréciation de la preuve, cela ne suffit pas, toutefois, pour conclure qu'il y a eu déclaration inexacte. Les requérantes s'appuient sur le témoignage du Dr Sherman pour étayer leur argumentation relativement aux déclarations inexactes, mais ce dernier a dit très clairement, en contre-interrogatoire, au sujet de la demande préclinique (c.-à-d. antérieure à 1993) :

         Je ne vois aucune raison pour laquelle on aurait indiqué un microbe à ce stade!         

[62]      En d'autres termes, le Dr Sherman n'a pas considéré la PDN comme l'élément clé de la détermination des droits de propriété. Il m'est impossible, au vu de ces faits, de conclure qu'Apotex a fait une déclaration inexacte.

[63]      Après l'examen de la PDN de 1995 par le ministre, sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues, la PDN a été placée en attente, le 25 mai 1996 (le processus de fabrication proposé pour les comprimés de lovastatine faisait encore appel au flavipes). Conformément à l'article 7, la PDN serait demeurée en attente jusqu'à l'expiration du brevet ou, à tout le moins, jusqu'à ce qu'une allégation soit faite relativement à la lovastatine fabriquée au moyen du flavipes et qu'un avais d'allégation et un énoncé détaillé soient signifiés aux requérantes (leur donnant la possibilité de contester l'allégation sous le régime de l'article 6). Le 25 mai 1996, il ne restait que deux allégations pouvant être rattachées à la PDN, savoir des allégations pour lesquelles un avis d'allégation et un énoncé détaillé avaient été signifiés. Apotex a retiré l'avis d'allégation relatif à l'obscurus le 10 février 1997, et le ministre avait rejeté, le 21 mars 1996, la source proposée à son égard. L'autre avis d'allégation visait le fuckelii, qu'Apotex n'avait pas, à cette époque, proposé dans sa PDN comme processus de fabrication de la lovastatine.

[64]      Plus tard en 1996, le ministre a accepté la demande de changement à caractère déclaratoire faite par Apotex à l'égard de sa PDN de 1995, et il a évalué la PDN visant l'Apo-lovastatine obtenue avec de la lovastatine fabriquée au moyen du fuckelii. Le ministre a procédé à l'évaluation de la PDN de 1995, comme avant, sans égard à une quelconque demande d'ordonnance d'interdiction. Ce n'est qu'au moment où le ministre était prêt à délivrer un AC pour l'Apo-lovastatine fabriquée au moyen du fuckelii qu'un lien devait exister entre l'allégation relative à ce microbe et le processus de fabrication mentionné dans la PDN.

[65]      En conclusion, j'estime que le ministre n'a pas délivré l'AC du 26 mars 1997 par suite de déclarations inexactes d'Apotex.

Le ministre a-t-il agi de façon irrégulière en délivrant l'AC

[66]      Les requérantes prétendent que la décision du ministre de délivrer un AC devrait être annulée parce que ce dernier a agi illégalement et a outrepassé ou refusé d'exercer sa compétence. Elles soutiennent, premièrement, qu'il incombait au ministre de prendre des mesures pour mettre fin à l'instance d'ordonnance d'interdiction visant le fuckelii, lorsqu'il a considéré la PDN de 1993 comme retirée. C'est-à-dire qu'il n'aurait pas dû permettre que l'instance se poursuive ou, à tout le moins, qu'il aurait dû aviser soit Merck Frosst soit la Cour qu'il n'existait plus de PDN relativement à l'Apo-lovastatine. Selon elles, si le ministre avait respecté la loi sur ce point, Apotex n'aurait pu continuer à [TRADUCTION] "se camoufler derrière une instance ayant perdu sa raison d'être" et aurait dû alors signifier une nouvelle allégation lorsqu'elle aurait redéposé sa PDN. La même analyse s'applique relativement à la PDN de 1995 visant l'obscurus , laquelle a été retirée alors que l'instance d'ordonnance d'interdiction correspondante se poursuivait.

[67]      Les requérantes prétendent, de la même façon, que le ministre ne s'est pas assuré de l'existence continue d'un lien approprié conformément aux exigences et à l'ordre qui, selon elles, sont prescrits par l'article 5.

[68]      À l'appui de leur position, elles se sont longuement étendues sur la nature des obligations du ministre relativement aux procédures attaquées. Elles reconnaissent que le ministre est chargé de protéger la santé et la sécurité du public, mais elles estiment qu'il assume l'obligation parallèle d'appliquer les dispositions réglementaires applicables en matière de lien et, dans ce sens, qu'il doit administrer le régime établi pour protéger les droits de propriété. Selon elles, le ministre ne saurait rester passif à cet égard, il n'est pas un simple pion dans l'application du Règlement sur les AC (Merck Frosst (1997), précité, à la p. 327).

[69]      En fait, les requérantes soutiennent que le ministre, en tant que gardien des droits de propriété, assume une obligation de nature quasi-fiduciaire à cause de l'inégalité criante qui existe entre le ministre et la première personne relativement à l'information concernant l'état de la demande présentée par la seconde personne (Guerin c. La Reine, [1984] 2 S.C.R. 335, et Chinoin Gyogyszer es Vegyeszeti Termekek Gyara R.T. c. Sous-procureur général du Canada, [1977] 2 C.F. 313 (C.A.). Elles affirment en outre que les représentants du ministre, qui sont des avocats du ministère de la Justice et des officiers de justice, étaient tenus d'informer la Cour que la PDN de 1993 avait été retirée.

[70]      Il est évident que le ministre a l'obligation d'observer le Règlement sur les AC, mais j'estime qu'il n'était nullement tenu d'informer Merck du retrait présumé de la PDN de 1993 ou de jouer quelque autre rôle dans la demande d'ordonnance d'interdiction. Son obligation se limite à veiller à ce que les exigences réglementaires soient respectées avant de délivrer un AC. C'est-à-dire qu'il doit s'assurer qu'un registre des brevets est tenu et qu'aucun AC n'est délivré à moins que le titulaire d'un brevet ou d'une licence n'ait eu la possibilité de contester l'avis d'allégation visant un brevet inscrit sur la liste.

[71]      J'ai déjà conclu qu'une demande d'ordonnance d'interdiction ne repose pas sur la PDN. Le ministre n'est aucunement tenu de s'assurer de la continuité de l'existence d'un lien entre la PDN de la seconde personne et l'avis d'allégation et l'énoncé détaillé, ni d'informer la première personne de toute différence pouvant exister entre la PDN et ces autres documents. Comme je l'ai déjà indiqué, le ministre doit s'assurer de la concordance entre les données figurant dans la PDN et dans l'avis d'allégation avant de délivrer un AC (Eli Lilly, précité, et Smithkline Beecham, précité). Comme il ne lui incombait pas, en l'occurrence, d'informer la Cour du retrait de la PDN, ses représentants n'assumaient aucune obligation à cet égard en tant qu'officiers de justice.

[72]      Les faits de l'espèce n'ont pas fait naître, non plus, d'obligation de nature quasi-fiduciaire. Les décisions citées par les requérantes à l'appui de l'existence d'une telle obligation s'inscrivaient dans un contexte juridique et factuel entièrement différent. En l'espèce, le ministre disposait de renseignements que les requérantes n'avaient pas, car il avait reçu la PDN et pouvait donc la comparer avec l'avis d'allégation. Je ne crois pas, toutefois, que cela constitue une "inégalité criante" susceptible d'imposer au ministre une obligation de nature quasi-fiduciaire envers les requérantes. Relativement aux renseignements fournis par Apotex, le rôle du ministre était de s'assurer, dans l'intérêt public, de la sécurité et de l'efficacité du médicament, non de protéger les droits de propriété d'Apotex ou de Merck Frosst (Glaxo Canada c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1988), 18 C.P.R. 206, à la p. 220 (C.F. 1re inst.); Apotex Inc. c. Procureur général du Canada (1986), 9 C.P.R. (3d) 193, à la p. 198 (C.F. 1re inst.).

[73]      Les requérantes prétendent également que le ministre a agi illégalement en mettant en oeuvre sa politique relative aux changements à déclaration obligatoire en 1996 ou en permettant à Apotex de déclarer un tel changement, en 1996, à l'égard de la PDN qu'elle avait redéposée visant la fabrication de la lovastatine au moyen du fuckelii. Selon les requérantes, si le ministre n'avait pas modifié sa politique Apotex aurait été obligée de déposer une PDN complémentaire ou une nouvelle PDN relativement au fuckelii, ce qui l'aurait forcée à signifier un nouvel avis d'allégation et un nouvel énoncé détaillé à Merck Frosst. Les requérantes auraient ainsi joui d'une autre possibilité de se prévaloir du recours en ordonnance d'interdiction prévu à l'article 6.

[74]      Les requérantes plaident que le ministre avait l'obligation de veiller au respect de l'esprit et de la lettre du Règlement sur les AC et devait s'abstenir d'instaurer un changement de politique qui semblait viser les PDN portant sur des médicaments génériques. Compte tenu, de plus, de la nature confidentielle du processus d'examen des PDN, la première personne est dans l'impossibilité de savoir si le lien qui doit être maintenu, selon les requérantes, entre l'examen d'une PDN et une demande d'ordonnance d'interdiction, l'est véritablement. Cela irait donc à l'encontre du but poursuivi par le Règlement sur les AC, qui est de garantir les droits afférents aux brevets des premières personnes en échange d'un assouplissement du régime de protection prévu par la Loi sur les brevets afin de permettre aux secondes personnes de travailler sur un nouveau médicament.

[75]      Les requérantes invoquent de plus la thèse de l'expectative légitime pour attaquer cette politique. Elles font valoir que l'industrie pharmaceutique n'a pas été consultée à propos du changement de politique effectué par le ministre en 1996, alors que ce dernier l'avait régulièrement consultée, dans le passé. En outre, le Règlement sur les AC, qui confère au premières personnes des droits procéduraux faisant en sorte qu'elles soient avisées des allégations de non-contrefaçon, lesquelles peuvent être fausses, engendre lui aussi l'expectative légitime que ces droits soient respectés et non subvertis par un changement de politique administrative ministérielle, selon les requérantes.

[76]      La théorie de l'expectative légitime accorde à une partie touchée par la décision d'un fonctionnaire la possibilité de présenter des observations dans des circonstances où cela ne serait pas autrement possible (Association des résidents du vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, à la p. 1204 (juge Sopinka)). Elle découle de l'obligation d'agir équitablement que les fonctionnaires assument généralement dans l'exercice de leurs fonctions administratives (Renvoi relatif au régime d'assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, à la p. 557). La Cour a jugé que le ministre avait une telle obligation envers les premières personnes relativement à la manière dont est tenu le registre des listes de brevets qu'elles soumettent en application de l'article 4 du Règlement sur les AC (Merck Frosst Canada c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1997) 74 C.P.R. (3d) 307, à la p. 329 (C.F. 1re inst.) (Simvastatine).

[77]      Deux types de circonstances peuvent donner lieu à l'application de cette théorie, même en l'absence d'une obligation de consulter imposée par la loi : (1) lorsque l'engagement de consulter une partie touchée par une décision a été pris expressément (R. v. Liverpool Corp., [1972] 2 All E.R. 589 (C.A.) et Bendahmane c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1989] 3 C.F. 16 (C.A.F.), et (2) lorsqu'il est établi qu'une partie a été accoutumée de participer à tout processus décisionnel public pouvant la toucher et qu'elle en a conçu l'expectative raisonnable d'être invitée à participer avant qu'un changement soit apporté à une décision ainsi prise (Council of Civil Service Unions v. Minister for Civil Service, [1985] 1 A.C. 374 à la p. 401 (H.L.) et Brinks Canada Ltée. c. Canada Council of Teamsters (1995), 185 N.R. 299 aux pp. 308 et 309 (C.A.F.). En l'occurrence, il s'agit du deuxième type.

[78]      Les requérantes allèguent que l'habitude prise par le ministre de consulter les sociétés pharmaceutiques, dont Merck Frosst, avant de modifier les politiques d'application du Règlement sur les aliments et drogues a fait naître, chez Merck Frosst, l'expectative légitime d'être consultée au sujet des changements visant la politique de 1994 concernant les changements devant être obligatoirement déclarés. Comme elle ne l'a pas été, la politique a été irrégulièrement modifiée, selon les requérantes, et la décision du ministre de recevoir la demande de changement faite par Apotex, qui reposait sur la politique modifiée, était nulle. Je ne puis accepter cet argument. J'ai examiné le témoignage de M. Saheb, de Merck Frosst, mais je ne suis pas convaincu qu'il existe une preuve suffisante pour que je conclue que les pratiques et procédures antérieurement observées par le ministre en matière de consultation ont fait naître une expectative légitime qui obligerait le ministre à consulter avant de modifier une politique.

[79]      Il est indéniable que le ministre assume envers Merck l'obligation d'administrer équitablement le Règlement sur les AC. Il ne l'assume toutefois qu'à l'égard des décisions qui touchent directement les droits de Merck (Simvastatine). Le présent litige concerne la décision du ministre du 26 mars 1997 de délivrer un AC à Apotex. Dans la mesure où les pratiques antérieures de consultation du ministre ont pu faire naître une expectative légitime relativement à l'évaluation de la PDN d'Apotex, sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues, il ne s'agit pas d'une question à l'égard de laquelle les requérantes ont qualité pour agir (Merck Frosst Canada Inc. c. Ministre de la Santé (T-1273-97, 10 octobre 1997, juge Hugessen)). Pour prétendre à une expectative légitime, Merck Frosst doit démontrer qu'elle a été directement touchée par le changement de politique, or j'estime qu'en l'espèce, elle ne l'a pas été.

[80]      Je ne puis accepter non plus l'argument des requérantes voulant que l'économie du Règlement sur les AC lui-même fasse naître une expectative légitime qui empêcherait le ministre d'apporter à la politique de 1994 sur les changements devant être obligatoirement déclarés toute modification qui permettrait à Apotex de remplacer le microbe qu'elle propose pour la fabrication de la lovastatine. Premièrement, je ne souscris pas, ainsi que je l'ai déjà dit, à l'argument concernant l'obligation du ministre de vérifier l'existence d'une correspondance entre la PDN et l'avis d'allégation. Deuxièmement, la théorie de l'expectative légitime ne fournit qu'une protection procédurale dans le contexte d'un processus décisionnel administratif, lorsque des consultations auraient dû être faites mais ne l'ont pas été. Elle ne saurait conférer de droits fondamentaux (Association des résidents du vieux St-Boniface, précité). Ainsi, la seule existence d'un cadre réglementaire ne fait pas naître d'expectative légitime.

[81]      Cela ne veut pas dire que les requérantes n'ont pas qualité pour faire déterminer si le ministre, en appliquant une de ses politiques concernant l'évaluation des PDN, a contrevenu au Règlement sur les AC. Elles peuvent le faire. En l'occurrence, toutefois, je ne puis conclure qu'il y a eu contravention.

[82]      Contrairement à ce que les requérantes ont soutenu, c'est en vertu de la politique de 1994 sur les modifications aux drogues nouvelles sur le marché que le ministre a donné la possibilité de modifier une PDN au moyen d'un changement à déclaration obligatoire. Le changement de politique de 1996, qui ne vise pas que les changements à déclaration obligatoire, permet simplement ce type de modification de PDN lorsque la PDN est en attente. Auparavant, il était possible de demander un changement à déclaration obligatoire pour une méthode de fabrication, mais seulement si la PDN n'était pas en attente. Ces changements de politique n'ont pas eu d'effet sur l'administration du Règlement sur les AC.

[83]      Autrement dit, la décision du ministre d'accepter la demande d'Apotex d'effectuer un changement à déclaration obligatoire n'a pas porté atteinte à la possibilité des requérantes de contester, sous le régime du Règlement sur les AC, l'allégation d'Apotex selon laquelle la fabrication de la lovastatine au moyen du fuckelii ne contreferait pas les brevets de Merck. Apotex demeurait tenue, même après la décision du ministre d'accepter le changement à déclaration obligatoire, de démontrer la sécurité et l'efficacité de la lovastatine fabriquée au moyen du fuckelii. S'il n'y avait pas eu l'avis d'allégation et la demande subséquente d'ordonnance d'interdiction visant le fuckelii fondée sur l'article 6, ou si une ordonnance d'interdiction avait été prononcée, le ministre n'aurait pas délivré d'AC. On peut donc dire qu'en l'espèce, l'objet du Règlement sur les AC et, en particulier, de l'article 5, a été atteint.

[84]      Les requérantes, AFI et Apotex ont toutes demandé les dépens afférents à la présente demande. La règle 1618 des Règles de la Cour fédérale dispose qu'il n'y aura pas de frais à l'occasion d'une demande de contrôle judiciaire à moins que la Cour n'en ordonne autrement. En dépit des arguments des avocats, je suis d'avis qu'il n'existe en l'instance aucun motif particulier justifiant l'adjudication de dépens.

[85]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                         "Howard I. Wetston"

                                 Juge

Toronto (Ontario)

Le 31 mars 1998

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date: 19980331

     Numéro: T-1273-97

ENTRE:

     MERCK & CO., INC.

     - et -

     MERCK FROSST CANADA INC.,

     requérantes,

ET

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     - et -

     APOTEX INC.

     - et -

     APOTEX FERMENTATION INC.,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

NO DU GREFFE:                  T-1273-97

INTITULÉ :                      MERCK & CO., INC.,

                         MERCK FROSST CANADA INC.

                         - et -

                         LE MINISTRE DE LA SANTÉ,

                         LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU     

                          CANADA, APOTEX INC.,

                         APOTEX FERMENTATION INC.

                        

DATE DE L'AUDIENCE :              26 JANVIER 1998
LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE WETSTON

EN DATE DU :                  31 MARS 1998

ONT COMPARU :                  M. Robert Charlton

                         M. Leigh Crestohl

                             Pour les requérantes

                         M. André L'Espérance

                         M. Francisco Couto

                             Pour les intimés

                             (Le ministre de la Santé et le procureur général du Canada)

                         M. J. Myers

                         M. Patrick Riley

                             Pour l'intimée

                             (Apotex Fermentation Inc.)

    

                         M. Harry Radomski

                         M David Scrimger

                        

                             Pour l'intimée

                             (Apotex Inc.)

PROCUREURS

INSCRITS AU DOSSIER :          M. Robert Charlton, M. J. Nelson Landry

                         OGILVY, RENAULT

                         1981, avenue McGill College

                         Pièce 1100

                         Montréal (Québec)

                         H3A 3C1

                             Pour les requérantes

                         M. George Thomson

                         Sous-procureur général du Canada

                             Pour les intimés

                             (Le ministre de la Santé et le procureur général du Canada)

                         M. J. Myers

                         TAYLOR, McCAFFREY

                         9 e étage, 400, avenue St. Mary

                         Winnipeg (Manitoba)

                         R3C 4K5

                             Pour l'intimée

                             (Apotex Fermentation Inc.)

                         M. Harry Radomski

                         GOODMAN PHILLIPS & VINEBERG

                         250, rue Yonge, pièce 2400

                         Toronto (Ontario)

                         M5B 2M6

                             Pour l'intimée

                             (Apotex Inc.)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.