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     Date : 19981126

     T-1628-98

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 1998

En présence de Monsieur le juge Pinard

E n t r e :

     PHARMASCIENCE INC.,

     demanderesse,

     - et -

     COMMISSAIRE AUX BREVETS,

     défendeur,

     - et -

     G.D. SEARLE & CO.,

     défenderesse.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

                             YVON PINARD

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     Date : 19981126

     T-1628-98

E n t r e :

     PHARMASCIENCE INC.,

     demanderesse,

     - et -

     COMMISSAIRE AUX BREVETS,

     défendeur,

     - et -

     G.D. SEARLE & CO.,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]      La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, à l'égard de deux décisions du commissaire aux brevets.

[2]      Le Traité de coopération en matière de brevets (le PCT) établit un système qui permet à un demandeur de brevet de réclamer la protection conférée par un brevet dans 95 États répartis sur toute la surface du globe en présentant une seule demande internationale de brevet. Le Canada a adhéré au PCT le 2 octobre 1989 et le PCT est entré en vigueur le 2 janvier 1990. Le Règlement d'application du Traité de coopération en matière de brevets (le règlement d'application) a été enregistré le 21 septembre 1989 et est entré en vigueur le 2 janvier 1990, date à laquelle le PCT est lui-même entré en vigueur. Le PCT ne permet pas de délivrer des brevets, mais constitue simplement un mécanisme international de dépôt de brevets. La délivrance du brevet s'effectue au niveau national et un brevet doit être obtenu dans chaque État dans lequel la protection conférée par le brevet est réclamée. Cette procédure d'obtention de brevet dans un État déterminé s'appelle phase nationale.

[3]      La défenderesse G.D. Searle & Co. (Searle) a déposé le 1er mai 1991 la demande internationale de brevet no PCT/US91/02980 portant sur une " composition pharmaceutique ". La date de priorité était le 3 mai 1990. La demande était fondée sur la demande américaine no 518 353 (qui a depuis été abandonnée). La date limite fixée pour le dépôt au niveau national était le 3 novembre 1992, soit 30 mois après la date de priorité du 3 mai 1990. La demande no PCT/US91/02980 est devenue la demande de brevet canadien no 2 082 944 lorsque, le 13 novembre 1992, Searle a demandé de participer à la phase nationale après l'expiration du délai prescrit. Searle a ensuite déposé un affidavit souscrit par son avocat, Me James R. Keneford. Cet affidavit était fondé sur une lettre qu'un assistant juridique de Searle avait écrite à Me Keneford. Dans son affidavit, Me Keneford déclarait :

         [TRADUCTION]                 
         [...] le fait que notre cliente n'a pas pu participer à la phase nationale avant la date limite du 3 novembre 1992 s'explique par une erreur administrative et matérielle dans les dossiers et le système de rappel de notre cliente.                 

[4]      La participation tardive a été autorisée le 15 décembre 1992. Une seconde décision autorisant Searle à modifier volontairement son brevet a été rendue le 16 décembre 1997. La demande de brevet a été accueillie le 2 septembre 1998.

[5]      La demanderesse Pharmascience Inc. (Pharmascience) affirme que, le 10 juin 1997, elle a commencé à mettre au point des formulations pour ses nouveaux produits, le Diclofénac et le Misoprostol. Pharmascience allègue que le nouveau produit sera un équivalent générique du produit Arthrotec de Searle, un médicament utilisé pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde et de l'ostéo-arthrite. Pharmascience affirme qu'après avoir mis au point des formulations pour ce produit, elle a retenu les services d'agents de brevets canadiens pour qu'ils procèdent à une recherche d'antériorité de brevets pour savoir s'il existait d'autres brevets dont elle devait connaître l'existence. Elle a par la suite été informée de l'existence de la demande de brevet canadien no 2 082 944 déposée par Searle. Pharmascience allègue qu'entre juin 1997 et juillet 1998, alors qu'elle effectuait des essais et mettait au point des formulations, elle a surveillé de près l'évolution de la demande de brevet de Searle. Pharmascience affirme qu'en juillet 1998, elle a appris que la demande de brevet de Searle avait fait l'objet d'une acceptation interne le 15 juillet 1998. Affirmant qu'une des formulations de ses essais définitifs est semblable à la description que l'on trouve dans la demande de brevet de Searle et ajoutant qu'elle s'attend à être poursuivie pour contrefaçon de brevet, Pharmascience a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

[6]      La demande de contrôle judiciaire vise deux décisions prises par le commissaire aux brevets :

     (1)      la décision de rétablir la demande de brevet soumise par Searle ;
     (2)      la décision de permettre à Searle de modifier sa demande.

[7]      Ainsi qu'il a déjà été précisé, la première décision a été prise le 15 décembre 1992 et la seconde, le 16 décembre 1997.

[8]      Pharmascience invoque les moyens suivants au soutien de sa demande :

     a)      La demande PCT a été déposée le 1er mai 1991. Sa date de priorité aux États-Unis était le 3 mai 1990. Suivant le chapitre II du Traité PCT, la période d'inscription à la phase nationale expirait le 3 novembre 1992. Or, Searle n'a pas présenté de demande au Canada avant le 3 novembre 1992.
     b)      Aux termes du paragraphe 15(3) du Règlement d'application du Traité de coopération en matière de brevets1, Searle devait démontrer, par affidavit, qu'elle ne pouvait auparavant raisonnablement présenter au Canada une demande PCT à la phase nationale. Or, l'affidavit déposé ne permet pas de conclure que tel est le cas ; il démontre plutôt que Searle pouvait auparavant raisonnablement présenter au Canada une demande PCT à la phase nationale.
     c)      Qui plus est, aucune preuve directe n'a été présentée pour justifier le défaut de Searle de présenter une demande PCT à la phase nationale. Aucune preuve directe n'a été présentée pour démontrer que Searle ne pouvait auparavant raisonnablement présenter au Canada une demande PCT à la phase nationale. Les éléments de preuve contenus dans l'affidavit déposé auprès du Bureau des brevets n'étaient pas fondés sur la foi que le déclarant ajoutait aux éléments d'information qui lui avaient été communiqués. La preuve n'était pas suffisante pour permettre au commissaire aux brevets de conclure que Searle ne pouvait auparavant raisonnablement présenter au Canada une demande PCT à la phase nationale.
     d)      La première demande qui a été déposée visait uniquement des compositions pharmaceutiques incluant un noyau composé d'anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) choisis parmi le diclofénac et le piroxicam. La demande récemment modifiée élargit la portée du mémoire descriptif de l'invention et englobe des revendications portant sur des compositions pharmaceutiques qui comprennent un noyau de [TRADUCTION] " dose efficace d'un agent anti-inflammatoire non stéroïdien " sans limiter la liste de types d'agent.
     e)      Selon l'article 38.2 de la Loi sur les brevets2, il est interdit d'ajouter de nouveaux éléments à une demande après son dépôt.
     f)      L'article 28.1 de la Loi sur les brevets permet au demandeur de revendiquer la priorité à l'égard d'une demande sur le fondement d'une demande déjà déposée lorsque celle-ci divulgue l'objet que définissent les revendications. En élargissant la portée de l'invention et des revendications, la demande sur laquelle la priorité est revendiquée ne divulgue pas l'objet de l'invention. En conséquence, le demandeur n'a pas le droit de revendiquer la priorité.
     g)      Pharmascience est directement touchée par l'octroi du brevet demandé, étant donné qu'elle se propose de lancer sur le marché en produit qui est susceptible d'être visé par les revendications de la demande de brevet.

[9]      Après avoir entendu les avocats des parties et après avoir examiné la preuve, je suis d'avis que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les motifs suivants :

     (1)      le temps qui s'est écoulé avant que la Cour soit saisie de la présente demande de contrôle judiciaire n'a pas été expliqué de façon satisfaisante (voir l'arrêt Grewal c. Canada, [1985] 2 C.F. 263, à la page 277 (C.A.F.) et le jugement Beilin c. M.E.I., (1994), 88 F.T.R. 132, à la page 134). Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale fixe un délai de trente jours pour la présentation d'une demande de contrôle judiciaire. Plus précisément, cet article exige que la demande soit présentée dans les 30 jours suivant la première communication, par l'office fédéral concerné, de sa décision contestée. Le système régissant les demandes de brevets est une question d'intérêt public. Le dossier de la demande de brevet de Searle pouvait donc être consulté par n'importe quel citoyen. De son propre aveu, Pharmascience a reconnu qu'elle avait été mise au courant de cette demande en juin 1997, alors que la décision de rétablir la demande de brevet qui avait été prise en décembre 1992 était consignée dans les registres publics. La décision prise en décembre 1997 de modifier volontairement la demande a par la suite été consignée dans les registres publics. Pourtant, Pharmascience a choisi d'attendre jusqu'en août 1998, plus d'un an plus tard, pour présenter sa demande de contrôle judiciaire et ce, simplement parce qu'elle ne croyait pas que l'examinateur ferait droit à la demande de brevet.
     (2)      Pharmascience n'a pas la qualité pour agir. Aux termes du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale, une demande de contrôle judiciaire ne peut être présentée que par " quiconque est directement touché par l'objet de la demande ". À mon avis, la seule personne qui est " directement touchée " par les décisions qui sont prises au cours de l'examen d'une demande de brevet par le Bureau canadien des brevets est, en règle générale, le " demandeur " de brevet, au sens de l'article 2 de la Loi sur les brevets . À mon avis, comme dans l'affaire Syndicat canadien des télécommunications. c. Fraternité canadienne des cheminots, des employés des transports et autres ouvriers et al., (1981), 126 D.L.R. (3d) 228, Pharmascience n'est qu'indirectement touchée par les décisions en question, qui créent tout simplement une situation qui est susceptible de la concerner un jour. D'ailleurs, il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve au dossier pour démontrer que Pharmascience est directement touchée par la décision du commissaire aux brevets. Ainsi, Pharmascience en est toujours à la phase des essais pilotes sur les humains. En contre-interrogatoire, M. David Goodman, vice-président à l'expansion économique chez Pharmascience, a souligné que les résultats des seconds essais pilotes étaient [TRADUCTION] " encourageants ", mais que la formulation nécessitait [TRADUCTION] " de légères retouches ". En conséquence, pour le moment, Pharmascience ne vend aucun produit qui pourrait contrefaire les revendications visées par la demande de brevet, et il n'y a pas suffisamment de preuve pour démontrer qu'elle le fera dans un avenir rapproché.
         Le moyen de Pharmascience suivant lequel on peut lui reconnaître la qualité pour agir dans l'intérêt public est lui aussi mal fondé. À mon avis, Pharmascience a plutôt la qualité pour agir dans son intérêt personnel, étant donné qu'elle désire produire un médicament générique semblable à celui de Searle. En outre, elle ne prétend pas qu'il y a contravention à la loi, sous forme par exemple d'une commercialisation trompeuse qui causerait un préjudice au public, comme c'était le cas dans l'affaire Hoechst Canada Inc. c. Genpharm Inc., (1991), 35 C.P.R. (3d) 280, dans laquelle l'intérêt du public portait sur la commercialisation fausse ou trompeuse d'un produit. De plus, dans cette affaire, la demanderesse invoquait l'intérêt public en vertu de la Loi sur les marques de commerce, qui découle de l'exercice du pouvoir législatif. Je trouve convaincant l'argument des défenderesses suivant lequel les décisions contestées prises par le commissaire aux brevets sont des décisions discrétionnaires et non des décisions découlant de l'exercice d'un pouvoir législatif.
     (3)      De toute façon, je suis d'avis que le contrôle judiciaire ne constitue pas la voie de recours appropriée en l'espèce en raison des autres recours qui sont ouverts à Pharmascience, en l'occurrence l'article 10 des Règles sur les brevets, DORS/96-423, et le paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets, qui disposent respectivement :
         10. Communications addressed to the Commissioner pursuant to section 34.1 of the Act et communications addressed to the Commissioner with the stated or apparent intention of protesting against the granting of a patent shall be acknowledged, but, subject to section 10 of the Act or of the Act as it read immediately before October 1, 1989, no information shall be given as to the action taken.
         60. (1) A patent or any claim in a patent may be declared invalid or void by the Federal Court at the instance of the Attorney General of Canada or at the instance of any interested person.


         10. Il est accusé réception des communications adressées au commissaire en application de l'article 34.1 de la Loi et des communications adressées à celui-ci dans l'intention, déclarée ou apparente, de protester contre la délivrance d'un brevet; toutefois, sous réserve de l'article 10 de la Loi et de la Loi dans sa version antérieure au 1er octobre 1989, nul renseignement ne peut être donné sur les mesures qui ont été prises.
         60. (1) Un brevet ou une revendication se rapportant à un brevet peut être déclaré invalide ou nul par la Cour fédérale, à la diligence du procureur général du Canada ou à la diligence d'un intéressé.
         L'article 10 des Règles sur les brevets permet de protester contre la délivrance d'un brevet au motif que la demande de brevet contrevient au paragraphe 38.2(1) de la Loi sur les brevets, lorsqu'un nouvel élément a été ajouté à la demande ou que la modification va au-delà de ce qui pourrait raisonnablement être présumé avoir été inclus dans la demande originale. À mon avis, l'article 10 des Règles constitue une voie de recours subsidiaire acceptable que Pharmascience aurait dû épuiser avant de présenter sa demande de contrôle judiciaire, du moins pour ce qui est de la décision relative à la modification volontaire de la demande de brevet. Pour ce qui est du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets, je suis d'avis qu'il permet à un tiers, une fois qu'un brevet a été délivré, de contester le droit de quiconque de revendiquer la priorité par voie de procédure en invalidité (voir, par exemple, l'affaire Richter Gedeon Vegyészeti Gyar RT c. Merck & Co., (1996), 68 C.P.R. (3d) 8). Comme Searle l'a fait remarquer, le contrôle judiciaire pourrait devenir un outil efficace permettant de retarder la délivrance d'un brevet pendant que la demande d'homologation réglementaire présentée par un tiers est examinée et accueillie. Dans le jugement Novapharm Ltd. c. Aktiebolaget Astra, (1996), 68 C.P.R. (3d) 117, à la page 122, la Cour a statué que le pouvoir discrétionnaire d'instruire une demande de contrôle judiciaire sera refusé lorsque le tribunal administratif procède par étapes pour en arriver à une conclusion au sujet de la véritable question en litige et que le contrôle judiciaire de chacune des décisions préliminaires ou interlocutoires pourrait interrompre le déroulement de l'instance.

[10]      Comme chacun des motifs précités suffit pour disposer de l'affaire sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur le fond des décisions contestées, la demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée avec dépens.

                         YVON PINARD

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 26 novembre 1998

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1628-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Pharmascience Inc. c. Commissaire aux brevets et G.D. Searle & Co.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :      19 novembre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Pinard le 26 novembre 1998

ONT COMPARU :

Me Car Hitchman                  pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

Me Ian Dick                      pour le défendeur,
Toronto (Ontario)                  le commissaire aux brevets
Mes David Aitken et Christine Hicks      pour la défenderesse
Ottawa (Ontario)                  G.D. Searle & Co.

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Hitchman & Sprigings              pour la demanderesse

Avocats et procureurs

Toronto (Ontario)

Ministère de la Justice              pour le défendeur,
Toronto (Ontario)                  le commissaire aux brevets
Osler, Hoskin & Harcourt              pour la défenderesse
Avocats et procureurs              G.D. Searle & Co.

Ottawa (Ontario)

__________________

     1      DORS/89-453.

     2      L.R.C. (1985), ch. P-4.

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