Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision



     Date: 19991215

     Dossier: T-891-94

     Action réelle contre le navire " Cherkassy " et le navire " Anadyr "

     (un navire frère) et action personnelle contre les propriétaires

     et les affréteurs du navire " Cherkassy "

ENTRE :


PIONEER GRAIN COMPANY LTD.,

M/S SAMPAT INDUSTRIAL AND CONSTRUCTION

CO. LTD., TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT

UN DROIT SUR LA CARGAISON DU NAVIRE " CHERKASSY "


demanderesses


et


FAR-EASTERN SHIPPING CO. (FESCO),

LES PROPRIÉTAIRES ET LES AFFRÉTEURS DES NAVIRES

" CHERKASSY " ET " ANADYR " ET

LES NAVIRES " CHERKASSY " ET " ANADYR "


défendeurs


MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

[1]      Ces motifs découlent d'une requête visant à la radiation d'une déclaration concernant des marchandises avariées, fondée sur la violation d'ordonnances successives rendues par la Cour en vue de la production de documents disponibles pertinents précis. La requête est accueillie parce qu'en l'espèce, la violation constitue une conduite équivalant à un abus.

[2]      Plus précisément, l'action elle-même se rapporte à une demande découlant du fait qu'une partie de la cargaison de pois secs qui avait été transportée de Vancouver à Bombay et qui avait été déchargée à Mumbai, en Inde, avait été endommagée par l'eau. Les marchandises ont indubitablement été en partie endommagées par l'eau au cours du transport maritime, mais la défenderesse Far Eastern Shipping Co. voulait à juste titre déterminer le montant réel des dommages subis une fois que toute la cargaison aurait été vendue. Après une série de demandes, de requêtes et de communications partielles, la défenderesse n'a pas pu obtenir de M/S Sampat Industrial and Construction Co. Ltd. (également appelée " Sampat ") la production des documents ordonnée par la Cour. D'où la présente requête visant à la radiation de la déclaration qui n'était pas fondée, comme il aurait été possible de le soutenir, sur le retard et sur le manque d'intérêt des demanderesses, comme c'était le cas dans Trusthouse Forte California Inc. c. Gateway Soap & Chemical Co. (1999), 86 C.P.R. (3d) 28 (C.F. 1re inst.), mais sur la violation d'une série d'ordonnances précises par lesquelles la Cour exigeait la production de documents. Il s'agit d'un résultat draconien, mais le résultat est attribuable aux circonstances. Toutefois, il n'est pas attribuable à l'avocat des demanderesses ou à la codemanderesse, Pioneer Grain Company Ltd., ou encore aux assureurs subrogés.

[3]      J'exposerai d'abord certains événements procéduraux pertinents; la défenderesse n'a pas pu obtenir la production de certains documents précis générés par ordinateur de la demanderesse, M/S Sampat Industrial and Construction Co. Ltd., de Bombay, documents dont Sampat reconnaissait l'existence et qui étaient entreposés près de Calcutta. Les documents, qui sont clairement pertinents puisqu'ils sont composés d'imprimés originaux, notamment de factures, préparés aux fins de l'impôt, permettraient à la défenderesse de vérifier les dommages allégués : la pertinence de pareils documents a clairement été établie dans l'arrêt Redpath Industries Ltd. c. le Cisco, [1994] 2 C.F. 279 (C.A.F.). Dans l'affaire Cisco, la demanderesse, qui était un raffineur de sucre, avait incorporé de petites quantités de sucre brut avarié à du sucre non avarié, de sorte que le montant de la réclamation relative aux dommages-intérêts était réduit de beaucoup. En l'espèce, la défenderesse veut examiner, au moyen de la procédure de communication, une possibilité similaire.

[4]      En ce qui concerne la poursuite de la demande, cette action, d'environ 350 000 $ US, a été intentée au mois d'avril 1994, soit environ un an après que la cargaison eut été expédiée. En temps et lieu, l'action s'étant apparemment éternisée, la Cour a délivré un avis d'examen de l'état de l'instance, soit en fait une demande de justification enjoignant aux demanderesses d'expliquer pourquoi l'action ne devrait pas être rejetée par suite du retard. Il ressort des observations qui ont été présentées au sujet de l'avis d'examen de l'état de l'instance que la valeur marchande saine de la cargaison à l'arrivée était en litige, que la défenderesse avait demandé des documents portant sur la valeur marchande saine permettant de déterminer le montant de la réclamation et que, selon la défenderesse, les documents permettant de vérifier cette valeur marchande saine n'avaient pas été produits. D'où une série de requêtes et d'ordonnances se rapportant à la production des documents et aux interrogatoires préalables.

[5]      Entre le moment où la perte avait été subie, en 1993, et le moment où elles ont produit leur affidavit, près de trois ans plus tard, soit le 14 février 1996, les demanderesses ont amplement eu le temps d'examiner leur preuve, de se renseigner et de comprendre leur cause ainsi que de déterminer ce qu'il fallait faire pour l'établir. Toutefois, l'affidavit des demanderesses était de toute évidence défectueux car il renfermait peu de documents au sujet de la vente, de l'entreposage, de la manutention ou de la disposition finale de la cargaison de pois ou encore il ne renfermait aucun document à ce sujet. Les demandes visant à l'obtention de ces documents ne portaient pas fruit. Par conséquent, le 29 mars 1999, la défenderesse a obtenu une ordonnance enjoignant aux demanderesses de fournir au plus tard le 19 avril 1999, un affidavit plus ample et plus précis, soit un affidavit qui n'était pas fait sous serment compte tenu du bref délai imparti, car la défenderesse voulait procéder aux interrogatoires préalables en Inde. L'ordonnance prévoyait d'une façon passablement expresse la production de documents permettant de fixer la valeur marchande saine de la cargaison :

[TRADUCTION]
1.      Les demanderesses fourniront au plus tard le 19 avril 1999 un affidavit non solennel plus ample et plus précis qui renfermera le genre de documents énumérés à l'annexe " A " de la requête, à savoir :
     1.      Tous les documents relatifs à la réclamation, y compris ceux sur lesquels elles entendent se fonder pour établir la valeur marchande saine de la cargaison et tous les documents concernant la disposition finale de la cargaison.
     2.      Tous les documents concernant la manutention ou la remise en état internes, l'entreposage, le transport, les contrats et factures de vente indiquant le prix obtenu pour toutes les marchandises censément avariées et pour toutes les marchandises saines qui ont été déchargées du Cherkassy.
     3.      Tous les documents concernant la disposition ou la destruction d'une partie des marchandises censément avariées, y compris les reçus de transport routier et les certificats de poids, les feuilles de contrôle et les certificats gouvernementaux.
     L'affidavit sera fait sous serment dès qu'il sera raisonnablement possible de le faire;
2.      Les demanderesses produiront au plus tard le 19 avril 1999 les documents énumérés dans l'affidavit plus ample et plus précis.

[6]      Les demanderesses ne se sont pas conformées à l'ordonnance dans le délai imparti, soit au plus tard le 19 avril. Étant donné que l'ordonnance avait été violée et que les demanderesses ne coopéraient apparemment pas, la défenderesse a obtenu une deuxième ordonnance, le 20 avril 1999, enjoignant aux demanderesses de produire un témoin de Sampat, un représentant de l'expert qui s'était occupé du déchargement des marchandises et, encore une fois, la production de tous les documents demandés le 29 mars a été ordonnée.

[7]      Les demanderesses n'ont fait aucun cas de cette deuxième ordonnance, mais le témoin de Sampat, M. Kothari, a dit que les originaux des documents et des factures demandés par la défenderesse étaient dans un entrepôt à Gauhati, au nord de Calcutta.

[8]      Les demanderesses n'ayant pas produit les documents demandés au cours des douze semaines suivantes, la défenderesse a présenté, au mois de juillet 1999, une requête dans laquelle elle sollicitait entre autres choses la radiation de la déclaration ou, entre autres solutions de rechange proposées, une ordonnance en vue de l'obtention d'un affidavit plus ample et plus précis, les frais du voyage devant être effectué en Inde, aux fins de l'interrogatoire préalable de M. Kothari, devant être à la charge des demanderesses. Étant donné que les ordonnances antérieures n'avaient pas été observées, j'ai décidé que la requête visant à la radiation avait de bonnes chances de succès mais qu'étant donné qu'il s'agissait d'une mesure draconienne, les demanderesses devraient avoir une autre possibilité de produire les documents, de sorte que j'ai rendu une autre ordonnance précise au sujet de ce qui devait être produit, notamment les documents qui étaient censément dans l'entrepôt, à Gauhati, les demanderesses devant payer les frais et débours de l'avocat de la défenderesse et du sténographe relativement au deuxième voyage effectué en Inde. Les documents devaient être produits au plus tard le 20 septembre 1999.

[9]      Les demanderesses n'ont apparemment pas pu fournir les documents dans le délai imparti. Elles ont donc présenté une requête devant le juge en chef adjoint Richard (tel était alors son titre) en vue d'obtenir un délai additionnel aux fins de la production. Cette requête a été accueillie; en effet, le juge en chef adjoint a exigé la production des documents comme on l'avait déjà ordonné, mais il a prorogé le délai de production au 3 novembre 1999, à 10 h, les interrogatoires préalables qui devaient avoir lieu en Inde devant être effectués au plus tard le 5 novembre 1999. Je ferai ici remarquer que l'avocat des demanderesses a affirmé devant le juge en chef adjoint que, si la documentation n'était pas produite, l'action devait être rejetée; cette affirmation n'a pas été contredite. Cela nous amène à la présente requête et aux événements qui y ont donné lieu.

[10]      Lors de l'interrogatoire préalable, la défenderesse a établi que les imprimés originaux, qui avaient été préparés aux fins de l'impôt, sont dans un entrepôt, à Gauhati, dans l'est de l'Inde, où sont conservés les documents mêmes relatifs aux activités de M/S Sampat Industrial and Construction Co. Ltd., à Bombay. L'avocat de la défenderesse a également établi que la personne qui a témoigné à l'interrogatoire préalable savait, au moment de l'interrogatoire préalable qui a eu lieu au mois de novembre 1999, que la Cour fédérale avait rendu quatre ordonnances en vue de la production de documents précis, mais qu'elle a supposé que des documents similaires pouvaient être reproduits par ordinateur et qu'il n'était donc pas nécessaire de produire les documents précis initialement demandés. En outre, le témoin a dit qu'un voyage à Gauhati visant à permettre d'aller chercher les documents coûterait fort cher. Le témoin a déclaré que l'avocat était bien libre de se rendre à Gauhati pour y chercher les documents lui-même. Il importe ici de noter un certain manque d'intérêt de la part du témoin de la demanderesse au sujet de l'instance dans son ensemble, mais M/S Sampat Industrial and Construction Co. Ltd. avait probablement déjà été indemnisée par ses assureurs subrogés. De fait, voici ce que le témoin a déclaré par l'entremise de l'avocat (page 135 de la transcription de l'interrogatoire préalable) :

[TRADUCTION]
Les factures concernant les ventes se trouvent dans un grand livre, dans un livre, et elles ont été inscrites, mais elles ne peuvent pas être produites, ils doivent les conserver, de sorte qu'ils ont préparé les documents à l'aide de l'ordinateur, ils ont produit une copie exacte des factures.

Par conséquent, de l'avis du témoin de Sampat, il n'était pas nécessaire de produire les documents qui étaient à Gauhati.

[11]      Enfin, ce témoin, M. Kothari, a dit, lors de l'interrogatoire préalable qui a eu lieu le 5 novembre 1999 en Inde, que Sampat avait vérifié ses dossiers, à Gauhati, et que les documents qui étaient versés dans ces dossiers étaient les mêmes que ceux qui seraient générés par l'ordinateur à Bombay, de sorte que : [TRADUCTION] " [...] il ne servait à rien d'apporter ici les mêmes documents qui étaient à Gauhati " (page 164 de la transcription). En fait, compte tenu des quatre ordonnances rendues par la Cour, M. Kothari semblait prendre une décision quelconque au sujet de la pertinence d'une petite liasse de documents et des ordonnances de la Cour.

[12]      En faisant du mieux qu'il le pouvait pour ses clients, l'avocat des demanderesses a cherché à expliquer le défaut de production comme étant attribuable à un malentendu de nature culturelle et à une erreur de la part de l'avocat, qui ne se rendait pas compte que les factures originales générées aux fins de l'impôt étaient à Gauhati, mais qu'elles avaient en fait été générées par ordinateur, puisque les renseignements originaux figuraient à l'ordinateur. Cela jette la lumière sur l'affaire, sans expliquer toutefois l'omission de produire des documents précis accessibles par suite de quatre ordonnances claires et précises rendues par la Cour.

[13]      Les demanderesses n'ont pas non plus cherché à remédier à la situation en offrant, soit au moyen d'un affidavit soit même au moyen d'une lettre produite dans le dossier de leur requête, d'apporter les documents qui étaient à Gauhati. De fait, étant donné le délai prévu à l'égard de la présente requête, il aurait été simple pour M/S Sampat Industrial and Construction Co. Ltd. de veiller à ce que les documents soient apportés de Gauhati à Bombay et à ce qu'ils soient livrés ou télécopiés à l'avocat des défendeurs. Ou encore, étant donné le montant élevé qui était en cause, on aurait pu envoyer quelqu'un du Canada à Gauhati pour qu'il rapporte les documents, puisque Sampat dit, par l'entremise de son témoin, qu'elle sait exactement où les documents se trouvent. Or, vers la fin de l'audition de la présente requête, lorsqu'il est devenu tout à fait évident que les choses n'allaient pas bien pour ses clientes, l'avocat des demanderesses a offert d'essayer d'apporter les documents de Gauhati. Il était beaucoup trop tard pour le faire étant donné que par le passé, les demanderesses n'avaient pas tenu compte des ordonnances de production de la Cour.

[14]      Malgré les divers arguments présentés par l'avocat des demanderesses, notamment que les documents originaux figuraient à l'ordinateur et que tous les autres n'étaient que des copies, le point litigieux ne se rapporte pas à la nature de l'information stockée électroniquement, qui, selon ce que M. Kothari a déclaré lors de l'interrogatoire préalable, pouvait sur demande être immédiatement tirée à 50 exemplaires. À coup sûr, un document comprend tout élément susceptible d'être lu, et les documents mémorisés n'y font pas exception, dans la mesure où il est établi qu'il n'y a pas eu utilisation illégitime de l'ordinateur et que celui-ci fonctionne bien. Cependant, telle n'est pas la question.

[15]      Le point litigieux se rapporte à la violation de quatre ordonnances judiciaires; des explications ont été fournies à ce sujet, sans toutefois qu'une excuse soit donnée. En général, les tribunaux ne radient pas une demande lorsque la production de documents n'est pas conforme à une ordonnance judiciaire, car cette mesure serait draconienne. Pourtant, il faut obéir aux ordonnances dans la mesure où il est raisonnable de le faire. Lorsque le défaut d'observation constitue une conduite équivalant à un abus, il sera mis fin à l'action, et je citerai ici la décision Smith Packing Corporation c. Gainvir Transport Ltd. (1992), 46 F.T.R. 62, rendue par Monsieur le juge MacKay. Dans l'affaire Smith Packing, les demanderesses sollicitaient la radiation d'une défense parce qu'une liste de documents produite par la défenderesse, conformément à une ordonnance de la Cour, n'était pas conforme à l'ordonnance de la Cour et aux Règles de la Cour fédérale. Monsieur le juge MacKay a fait les remarques suivantes :

Le redressement demandé, soit la radiation de la défense produite, est une mesure très radicale pour des défauts de procédure et il ne faudrait y recourir que dans les cas où il est bien évident que la partie défenderesse, de par sa conduite, a abusé des procédures de la Cour. (p. 70)

[16]      En l'espèce, il y a clairement eu abus de la part d'une demanderesse qui n'a pas tenu compte de quatre ordonnances judiciaires visant à la production de documents, même si les documents existent et sont disponibles, comme les demanderesses l'ont elles-mêmes avoué. Les défendeurs ont le droit de voir cet ensemble précis de documents. Une demanderesse qui semble ne pas avoir intérêt à produire les documents et qui est prête à courir le risque associé à l'inobservation de quatre ordonnances judiciaires précises a à maintes reprises empêché les défendeurs de voir ces documents. Par conséquent, l'action est rejetée, un abus de procédure ayant été commis.

[17]      L'avocat des défendeurs a demandé un montant élevé pour les dépens. Il serait peut-être justifié d'adjuger pareils dépens de façon à faire bien comprendre une chose à un plaideur rebelle. Toutefois, en l'espèce, la sanction résultant de la radiation d'une réclamation importante est suffisante. Il suffit d'accorder un montant moyen, dans la colonne III, à l'égard des dépens des défendeurs.



     " John A. Hargrave "

     Protonotaire

Le 15 décembre 1999

Vancouver (Colombie-Britannique)



Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      T-891-94

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      PIONEER GRAIN COMPANY LTD., M/S SAMPAT INDUSTRIAL AND CONSTRUCTION CO. LTD., TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LA CARGAISON DU NAVIRE " CHERKASSY "

     c.

     FAR-EASTERN SHIPPING CO. (FESCO), LES PROPRIÉTAIRES ET LES AFFRÉTEURS DES NAVIRES " CHERKASSY " ET " ANADYR " ET LES NAVIRES " CHERKASSY " ET " ANADYR "
LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 6 décembre 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE du protonotaire Hargrave en date du 15 décembre 1999


ONT COMPARU :

Jean-François Bilodeau      pour les demanderesses

Thomas Hawkins      pour les défendeurs     


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sproule Castonguay Pollack

Montréal (Québec)      pour les demanderesses

Campney & Murphy

Vancouver (Colombie-Britannique)      pour les défendeurs

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.