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     T-1273-93

OTTAWA (Ontario), le mardi 22 avril 1997

EN PRÉSENCE DE : madame le juge Reed

ENTRE :

     THE MARTEL BUILDING LIMITED,

     demanderesse,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     La présente action ayant été entendue à Ottawa (Ontario) les 10, 11, 12, 13, 14, 17, 18, 19, 20, 25 et 26 mars 1997, et la Cour ayant sursis au prononcé du jugement;

     Par les motifs de jugement prononcés ce jour,
     LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

     La réclamation de la demanderesse est rejetée;

     La défenderesse a droit à ses frais dans la présente demande.
                                 B. Reed
                    
                                 Juge
Traduction certifiée conforme         
                             Suzanne Bolduc, LL.B.

         T-1273-93

ENTRE :

     THE MARTEL BUILDING LIMITED,

     demanderesse,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE REED

     La demanderesse fait valoir que : (1) la défenderesse a violé une condition implicite du bail existant entre les parties et de l'entente de renouvellement du bail qui a été conclue aux environs du 30 octobre 1992; (2) la défenderesse a fait preuve de négligence en ne négociant pas de bonne foi le renouvellement du bail; (3) la défenderesse a fait preuve de négligence en n'agissant pas avec diligence dans le cadre des négociations avec la demanderesse en vue du renouvellement du bail, dans la préparation des documents d'appel d'offres et dans l'évaluation de la soumission de la demanderesse.

     La demanderesse est propriétaire d'un immeuble situé au 270, rue Albert, dans la ville d'Ottawa (ci-après l'immeuble Martel). L'immeuble fait actuellement l'objet du pouvoir de vente du créancier hypothécaire. L'immeuble est le seul actif de la société demanderesse. M. McMurray est président et directeur général de la société; M. Browning en est le secrétaire-trésorier. Ils en sont tous les deux propriétaires. À l'époque pertinente en l'espèce, la défenderesse était locataire de la plus grande partie des locaux de l'immeuble Martel et ce, depuis la construction de l'immeuble en 1975. La Commission de contrôle de l'énergie atomique (ci-après la CCÉA) était le principal occupant des locaux loués. Le bail consenti à la défenderesse était d'une durée de dix ans et expirait le 31 août 1993.

     Le ministère des Travaux publics1 (ci-après Travaux publics) est le ministère responsable des marchés conclus pour les locaux nécessaires aux divers ministères et organismes du gouvernement, notamment la CCÉA. À l'époque pertinente, lorsque des locaux à bureaux étaient loués par le gouvernement fédéral à Ottawa, deux directions de la Division de la région de la Capitale nationale de Travaux publics étaient concernées : la Direction générale des services de l'immobilier et la Direction du logement.

     La Direction du logement était formée de plusieurs sections, notamment la Section de la gestion des biens et la Section de la gestion de l'investissement. La première établissait les besoins en locaux d'un organisme ou ministère donné. La dernière (ci-après la section Logement (GI)) évaluait les diverses options qui s'offraient et déterminait celle qui était la plus avantageuse pour l'État aux fins de l'acquisition de locaux : appel d'offres, renégociation de bail ou utilisation de locaux visés par d'autres baux non expirés (le recours au répertoire des baux). La Direction générale des services de l'immobilier, dont la principale composante était la section Location, s'occupait de la négociation avec les propriétaires en vue de l'acquisition de locaux. Elle aidait également la Direction du logement en lui fournissant des renseignements sur le marché de la location dans la région de la capitale nationale. La défenderesse est évidemment la plus importante utilisatrice, et de loin, des locaux loués dans le coeur du centre-ville d'Ottawa.

     En prévision de l'expiration du bail des locaux de l'immeuble Martel en août 1993, M. McMurray et Mme MacKillop, gestionnaire de l'immeuble, ont sollicité, au début de 1991, une rencontre avec M. Séguin, chef de la location, pour examiner la possibilité de renégocier et de renouveler le bail. Une rencontre a été fixée au 28 mars 1991. M. Séguin n'a pu y assister; par conséquent, un subalterne, M. Bray, y a assisté à sa place. Lors de la rencontre, les représentants de la demanderesse ont indiqué qu'ils étaient intéressés à commencer les négociations en vue du renouvellement anticipé du bail. Ils avaient des plans en vue de la réfection de l'immeuble au moment du renouvellement du bail. M. McMurray et Mme MacKillop ont apporté avec eux les dessins préliminaires ainsi qu'un rapport sur les équipements de l'immeuble concernant la réfection prévue. La réfection visait à compléter l'aménagement effectué récemment par la CCÉA dans la majeure partie des locaux occupés. Des copies des plans préliminaires de la réfection et du rapport sur les systèmes de l'immeuble ont été remis à M. Bray.

     La " réfection " s'entend de la rénovation, entreprise par le propriétaire, habituellement tous les dix ou quinze ans, des aires communes d'un immeuble, notamment les ascenseurs, les entrées et les corridors, ainsi que de la modernisation de l'immeuble, notamment les systèmes mécaniques et électriques, en vue de les adapter aux normes actuelles. L'" aménagement " s'entend des travaux entrepris par le locataire dans les locaux qu'il occupe afin de répondre à ses besoins particuliers. Même si le coût de l'aménagement est payé par le locataire, ce dernier embauche habituellement le propriétaire pour agir comme entrepreneur aux fins des travaux. Le propriétaire connaît les systèmes de l'immeuble et peut évaluer les effets de l'aménagement proposé sur ceux-ci. La demanderesse avait été embauchée en cette qualité aux fins de l'aménagement récent effectué par la CCÉA.

     Le 1er mai 1991, M. McMurray a écrit à M. Séguin pour lui confirmer ce qui avait été dit à M. Bray le 28 mars. La lettre indiquait que M. McMurray proposait un bail d'une durée de dix ans suivant les mêmes modalités que le bail existant, sauf en ce qui concerne le tarif de location. La réfection proposée a encore une fois été mentionnée. M. McMurray a joint des copies des documents relatifs à la réfection qui avaient déjà été remis à M. Bray.

     Le 23 mai, M. McMurray a de nouveau rencontré M. Bray (et probablement M. Séguin). M. Séguin a ensuite indiqué dans une note de service datée du 17 juin 1991 qu'il a adressée à son supérieur, M. Ratcliffe, directeur intérimaire de la section Logement (GI), que M. McMurray était intéressé à renégocier le bail. Il a remis à M. Ratcliffe un résumé des renseignements fournis par M. McMurray et lui a demandé si la section Logement (GI) était intéressée par la proposition de renouvellement. Le 2 juillet 1991, M. Séguin a reçu une réponse dans laquelle il était indiqué que le processus d'appel d'offres devait être suivi, mais où on lui demandait aussi quel était le tarif de location proposé par le propriétaire. On l'invitait à faire parvenir une recommandation sur les avantages pour l'État d'examiner la proposition du propriétaire. Le 16 juillet, M. Séguin a envoyé une copie de cette réponse à M. Bray et lui a demandé d'y donner suite. Aucune mesure n'a été prise pour y donner suite. Le 20 septembre, M. Séguin a encore une fois indiqué à M. Bray de communiquer avec M. McMurray [TRADUCTION] " pour savoir s'il était prêt à présenter une proposition formelle ". Aucune mesure n'a été prise.

     Un comité interne, composé d'employés de la Direction générale des services de l'immobilier et de la Direction du logement, appelé Comité d'examen du programme de location (ci-après le CEPL), se réunissait chaque mois. Une réunion de ce comité a été tenue le 18 octobre 1991. Un des points à l'ordre du jour était l'expiration du bail des locaux dans l'immeuble Martel en août 1993. Selon le compte rendu de cette réunion, M. Séguin devait faire rapport sur l'état des négociations avec le propriétaire2. M. Séguin n'a pas communiqué avec M. McMurray.

     Lors de la réunion subséquente du CEPL le 13 novembre 1991, la discussion a encore porté sur le bail des locaux dans l'immeuble Martel. Selon le compte rendu de cette réunion, la section Logement (GI) n'était toujours pas intervenue et aucun mandat n'avait été reçu pour la négociation du renouvellement du bail ou le recours à l'appel d'offres. La preuve indique qu'on avait approuvé à cette date la renégociation de la location de locaux dans un immeuble situé près de l'immeuble Martel (l'immeuble Trebla, au 473, rue Albert). La superficie des locaux était approximativement la même que celle visée par le bail dans l'immeuble Martel, et le bail existant pour les locaux dans cet immeuble expirait le 10 octobre 1993.

     Le 17 décembre 1991, M. McMurray n'ayant pas eu de nouvelles de la part de M. Séguin ou d'une autre personne en son nom depuis le mois de mai précédent a téléphoné à M. Séguin pour prendre rendez-vous. Ensuite, dans une lettre en date du 18 décembre, il a confirmé le contenu de leur conversation téléphonique. Dans sa lettre, M. McMurray a indiqué qu'il attendait [TRADUCTION] " un appel de M. Séguin en janvier concernant une rencontre éventuelle pour discuter du renouvellement " du bail de l'immeuble Martel. Il a joint une copie de la lettre qu'il avait adressée à M. Séguin le 1er mai et dans laquelle il avait demandé de commencer les négociations, mais à laquelle il n'avait pas encore obtenu de réponse. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il n'avait pas insisté auprès des représentants de la défenderesse, M. McMurray a répondu qu'il ne voulait pas les agacer et que, par expérience, il savait que ces derniers prenaient parfois un assez long moment avant de répondre.

     Le 10 février 1992, une autre réunion du CEPL a eu lieu et M. Séguin a été expressément chargé d'obtenir une proposition de la part de la demanderesse et de faire un rapport à la Direction du logement dans un délai de deux semaines, c'est-à-dire au plus tard le 24 février. M. Séguin avait reçu le mandat de discuter de la possibilité d'un bail d'une durée de cinq ans avec trois options d'une année chacune. M. Séguin n'a pas donné suite au mandat reçu.

     Au cours du mois de février, M. Séguin a demandé à la Section de l'évaluation de Travaux publics de faire préparer, par un entrepreneur du secteur privé, un rapport d'évaluation indiquant quelle était en août 1993 la juste valeur marchande du loyer pour l'immeuble Martel et les Tours Centennial. Selon le mandat, ce rapport avait pour but [TRADUCTION] " d'aider les représentants de Travaux publics Canada à négocier la location des locaux à bureaux concernés ". Le contrat relatif à l'établissement du rapport a été conclu le 2 mars 1992, et il y était stipulé que le rapport devait être prêt le 31 mars 1992.

     Le 18 mars 1992, il y a eu une autre réunion du CEPL. Selon le compte rendu de cette réunion, M. McMurray devait informer M. Séguin, au cours de la semaine suivante, du tarif de location qu'il s'attendait à recevoir aux termes du renouvellement du bail. Le compte rendu indique qu'une fois ces renseignements reçus, il serait possible de décider s'il y avait lieu de négocier le renouvellement du bail ou de faire un appel d'offres3. En fait, M. Séguin n'a pas tenté de communiquer avec M. McMurray. Ce dernier ne savait pas que le CEPL s'attendait à recevoir de sa part une proposition de tarif de location dans un délai d'une semaine.

     Le 8 avril 1992, le CEPL s'est de nouveau réuni. Le compte rendu de cette réunion et les notes personnelles de M. Séguin indiquent que M. Séguin avait rencontré le locateur et attendait une proposition de la part de M. McMurray dans un délai de deux semaines. En fait, il n'y avait pas eu de rencontre et personne n'avait communiqué avec M. McMurray.

     M. McMurray n'ayant pas eu de réponse à sa lettre de mai 1991 et n'ayant pas été contacté par M. Séguin au début de 1992, comme promis en décembre 1991, a encore pris l'initiative de solliciter une rencontre. Une rencontre a été fixée au 15 avril 1992. Des souvenirs assez différents de ce qui s'est passé lors de cette réunion ont été rapportés. Les représentants de la défenderesse, MM. Séguin et Mahar, affirment que MM. McMurray et Browning ont été informés que la décision de faire un appel d'offres pour les besoins en locaux avait été prise, mais que s'ils présentaient une offre extrêmement avantageuse pour l'État, cette décision pourrait être annulée. MM. McMurray et Browning ont indiqué que ce n'est pas ce qui leur avait été dit. Ils affirment que, même s'ils étaient conscients que l'appel d'offres était toujours une possibilité, ils ont compris, d'après ce qui avait été dit à la réunion, que la défenderesse commençait des négociations avec eux en vue de conclure un bail sans recourir à l'appel d'offres.

     Je crois que la dernière description de ce qui s'est passé est la plus exacte. Elle est compatible avec les documents et les comportements datant de la même époque. Par exemple, rien dans les notes de M. Mahar résumant la réunion n'indique que lui-même et M. Séguin ont dit, comme ils l'affirment maintenant, que la décision de faire un appel d'offres avait été prise. En effet, un telle décision définitive n'avait pas été prise. Toutefois, les notes de M. Mahar contiennent ce qui suit : [TRADUCTION] " Communiquer avec Sid [M. McMurray] d'ici le 8 mai pour poursuivre les négociations ou l'informer que nous ferons un appel d'offres " (italique ajouté). Les souvenirs qu'ont MM. McMurray et Browning de la réunion sont également compatibles avec le comportement antérieur de M. Séguin qui a demandé une évaluation du loyer pour l'immeuble, avec le contenu des discussions du 15 avril et avec la conduite subséquente de MM. Séguin et Mahar.

     Au cours de la rencontre du 15 avril, M. Séguin a discuté avec MM. McMurray et Browning de la nouvelle clause d'indexation, utilisée dans les baux par Travaux publics et basée sur l'indice des prix à la consommation (IPC), ainsi que de la possibilité que la CCÉA ait besoin de locaux additionnels. MM. McMurray et Browning ont présenté deux propositions quant au tarif de location. La première était un bail de dix ans, 1992 étant l'année de référence, avec un tarif de location de 319 $/m2 et six mois de loyer gratuit. La deuxième était un bail de dix ans, 1983 étant l'année de référence, avec un tarif de location de 278 $/m2 et six mois de loyer gratuit. Les deux propositions correspondaient à un tarif réel net de 295,37 $/m2. MM. McMurray et Browning considéraient cette offre comme un point de départ à la négociation. Même s'il semble y avoir une certaine contradiction entre ce que M. McMurray a dit au cours de l'interrogatoire préalable et ce qu'il a dit au procès en ce qui concerne ses attentes quant à l'acceptation de l'une ou l'autre des offres, j'accepte les explications qu'il a données au procès. M. Séguin a informé MM. McMurray et Browning de l'évaluation qui avait été demandée et a dit qu'il communiquerait avec eux lorsqu'elle serait terminée.

     Le 28 avril, M. McMurray a écrit à M. Séguin au sujet de la réunion du 15 avril :

     [TRADUCTION] Vous avez indiqué que vous examineriez notre proposition relativement au nouveau bail ou au bail prolongé, et que vous seriez prêt à en discuter davantage au cours des prochaines semaines.                

MM. Séguin et Mahar affirment maintenant que cette lettre ne reflète pas exactement le contenu de la réunion. Comme je l'ai déjà indiqué, je préfère le témoignage de MM. McMurray et Browning. La date du 8 mai mentionnée dans les notes de M. Mahar concernant la réunion du 15 avril n'a pas été observée.

     Dans une note de service interne qu'il a préparée pour M. Séguin le 5 mai, M. Mahar écrit que l'évaluation faite par l'entrepreneur du secteur privé était toujours attendue et qu'une fois qu'ils l'auraient reçue, ils seraient en mesure grâce à celle-ci et aux renseignements fournis par la section de l'évaluation de Travaux publics de poursuivre les négociations4. La note de service de M. Mahar en date du 5 mai indique également que des [TRADUCTION] " négociations fructueuses avec le locateur actuel devront être terminées d'ici le 30 juin 1992 ".

     Lorsqu'il est nécessaire de faire un appel d'offres pour la location de locaux, Travaux publics demande un long délai d'exécution. Les documents d'appel d'offres doivent être préparés, les soumissions évaluées, les plans d'aménagement terminés, l'aménagement entrepris et les locataires déménagés dans les nouveaux locaux avant l'expiration du bail des locaux qu'ils occupent actuellement. Au cours du processus d'appel d'offres, diverses autorisations sont nécessaires à différentes étapes et différents niveaux. Par conséquent, la conclusion de M. Mahar que la décision de faire ou non un appel d'offres devait être prise au plus tard le 30 juin reposait sur une évaluation éclairée du temps requis par Travaux publics pour traiter correctement le projet de bail. La date du 30 juin 1992 était mentionnée comme étant la [TRADUCTION] " date ultime ".

     En prévision d'une réunion du CEPL le 13 mai 1992, M. Mahar a encore une fois préparé des notes pour M. Séguin. M Mahar a rappelé que le 30 juin 1992 était la date ultime et que, même si le rapport d'évaluation qu'ils attendaient était arrivé, aucun d'entre eux ne l'avait examiné. Les notes prises au sujet de la réunion du CEPL le 13 mai indiquaient que la CCÉA avait exprimé son désir de rester dans l'immeuble Martel et que M. Séguin avait encore une fois reçu pour mandat d'envoyer un rapport d'étape à la section Logement (GI) au sujet du bail. Voici le texte de ces notes :

     [TRADUCTION] Claude Séguin a indiqué que l'offre préliminaire faite par le propriétaire n'est pas avantageuse; toutefois, le rapport d'évaluation est attendu d'ici peu, après quoi les négociations commenceront. Le 30 juin 1992 est la date ultime. La section Location doit fournir tous les détails de l'offre préliminaire à H. Ratcliffe de sorte que le locataire soit informé qu'un déménagement sera peut-être inévitable et qu'il puisse demander leur aide au besoin.                

Le 14 mai, M. Séguin a rédigé une note de service dans laquelle il demandait à M. Ratcliffe si la section Logement (GI) voulait qu'il poursuive les négociations avec M. McMurray jusqu'à la date ultime. La réponse a été affirmative.

     Le 2 juin 1992, n'ayant pas eu de nouvelles de MM. Séguin et Mahar, M. McMurray a téléphoné à M. Mahar. Il a été informé que l'évaluation qu'attendaient MM. Séguin et Mahar était arrivée et que celle-ci indiquait que le taux du marché se situait entre 195 $ et 220 $/m2 pour un bail de dix ans. Une rencontre a été fixée au 11 juin. Une copie de la clause relative à l'IPC, que M. McMurray avait demandée au milieu d'avril, lui a été envoyée. M. McMurray et Mme MacKillop ont rencontré M. Mahar le 11 juin et lui ont présenté une offre. M. McMurray pensait que l'offre présentée était d'un tarif réel net de 220 $/m2, et il a dit être d'avis que le montant déterminé dans le rapport d'évaluation était trop bas et que celui-ci devait comporter des erreurs. Selon lui, les données utilisées n'étaient pas vraiment comparables et l'on n'avait pas tenu compte de la réfection qu'il avait proposée. (On n'en avait pas tenu compte.) Il a demandé une copie du rapport, mais on a refusé de lui en donner une. On a discuté du calcul de la valeur actuelle fait par M. McMurray, et il a été ultérieurement établi que la méthode de calcul qu'il avait utilisée différait de celle de la défenderesse. Le tarif réel net de l'offre du 11 juin était de 285 $/m2. Les notes prises par M. Mahar au sujet de cette réunion indiquent qu'il avait rencontré M. McMurray et Mme MacKillop [TRADUCTION] " pour poursuivre les négociations ".

     M. McMurray était d'avis qu'une fois la réfection terminée, l'immeuble Martel serait un immeuble de catégorie A. La notion d'immeuble de catégorie A est très subjective; il n'existe pas de critères objectifs. MM. Séguin et Mahar considéraient que l'immeuble Martel était un immeuble de catégorie B. Selon eux, un immeuble de catégorie A est un immeuble neuf, mais ce n'était évidemment pas ce que pensait M. McMurray. Ce dernier considérait qu'un immeuble rénové qui répondait aux normes actuelles entrait dans cette catégorie. M. McMurray a informé M. Mahar qu'il avait lui-même commandé une évaluation.

     Le 6 juillet, M. Séguin a écrit à M. Ratcliffe pour l'informer que les négociations en vue du renouvellement du bail de l'immeuble Martel avaient échoué. Le tarif de location réel le plus bas offert avait été de 272,64 $/m2 tandis que le taux du marché se situait entre 195 $ et 205 $/m2. La note de service signalait que le locateur faisait faire sa propre analyse de marché, mais que M. Séguin [TRADUCTION] " ne prévoyait pas une réduction suffisante du tarif pour justifier que la procédure d'appel d'offres soit court-circuitée ". Un échéancier révisé a été établi quant à la décision de faire un appel d'offres. Un [TRADUCTION] " échéancier accéléré " a été choisi et prévoyait qu'il fallait obtenir, au plus tard le 28 août 1992, l'autorisation de faire un appel d'offres.

     Le 9 juillet, M. McMurray a été informé par l'entreprise d'évaluation dont il avait retenu les services qu'il n'y avait pas actuellement assez de mouvement au centre-ville d'Ottawa dans la location de locaux ayant une superficie comparable à celle des locaux loués par la défenderesse dans l'immeuble Martel permettant de tirer des conclusions solides en ce qui concerne le marché de la location. Une rencontre a eu ensuite lieu entre MM. Mahar et McMurray le 29 juillet. M. McMurray a offert un tarif réel de location de 252 $/m2. Il était encore d'avis que le rapport d'évaluation préparé pour M. Séguin comportait des erreurs, que les données utilisées n'étaient pas vraiment comparables et que la réfection qu'il avait proposée n'avait pas été prise en considération.

     Au cours de la première moitié d'août 1992, M. McMurray a essayé en vain de communiquer avec M. Mahar au sujet de la renégociation du bail. Par conséquent, le 14 août, il a envoyé une lettre par télécopieur à M. Séguin pour lui dire qu'il lui avait laissé des messages téléphoniques parce qu'il avait besoin [TRADUCTION] " de renseignements pour parachever [la] proposition en vue du renouvellement du bail ". Il a demandé que quelqu'un le rappelle. Il semble que M. Séguin aurait tenté de rejoindre M. McMurray, à la fin de l'après-midi le 14 août, mais qu'il n'a pas été en mesure de lui parler. Le 19 août, M. McMurray a indiqué par lettre qu'il souhaitait conclure une entente sur le tarif de location, et il a encore une fois dit être d'avis que l'évaluation commandée par Travaux publics était erronée. Il a demandé une réponse le plus tôt possible de la part de M. Mahar, mais il a souligné qu'il savait que celui-ci était en congé. Le 25 août, M. Mahar a téléphoné à M. McMurray et une rencontre a été fixée au 2 septembre. Lors de cette rencontre, M. McMurray a présenté deux propositions. On lui a demandé de les présenter par écrit, ce qu'il a fait le 4 septembre. La première offre était un bail de cinq ans avec un tarif réel net de location de 249,42 $/m2 ou de 233,99 $/m2 selon que l'année de référence était 1982 ou 1992. La deuxième était un bail de dix ans avec un tarif réel net de location de 253,42 $/m2 ou de 254,78 $/m2 selon que l'année de référence était 1982 ou 1992. MM. Mahar et Séguin n'ont pas donné signe de vie avant que M. McMurray ne téléphone à M. Séguin, le 14 octobre, parce qu'il avait entendu des rumeurs voulant que les besoins en locaux de la CCÉA devaient faire l'objet d'un appel d'offres.

     Voici maintenant une description de la procédure interne suivie par Travaux publics pour la conclusion de baux visant des locaux. Deux types différents d'autorisation sont requises: l'approbation préliminaire du projet (APP) et l'approbation finale du projet (AFP). L'approbation préliminaire du projet doit être obtenue avant de commencer la procédure d'appel d'offres. L'approbation finale du projet a lieu plus tard, après l'évaluation des soumissions. L'APP et l'AFP relèvent de différents niveaux au sein du Ministère, et parfois du Conseil du Trésor, en fonction de la somme en jeu. Le Conseil du Trésor établit et expose dans les Lignes directrices du Conseil du Trésor les niveaux d'autorisation. Dans le cas des besoins en locaux de la CCÉA, l'approbation préliminaire du projet relevait du sous-ministre adjoint, Logement (ci-après le SMA), tandis que l'approbation finale du projet relevait du Conseil du Trésor.

     Il existait une structure consultative interne chargée de passer au crible les propositions avant qu'elles ne soient soumises au SMA pour décision. La première étape était la préparation d'un rapport d'analyse des investissements (ci-après le RAI) par la section Logement (GI). Ce rapport analysait les différentes options qui s'offraient et contenait une recommandation sur la façon d'acquérir les locaux requis : par appel d'offres, par renégociation de bail ou par recours au répertoire des baux. Une fois préparé, le RAI était envoyé au Conseil régional de gestion des investissements (ci-après le CRGI), dont le président était le directeur régional, Logement. Ce comité faisait une recommandation au directeur régional. Lorsque la décision finale ne relevait pas du directeur régional, comme dans le cas présent, celui-ci présentait une recommandation à un autre comité, le Conseil de gestion des investissements (ci-après le CGI). Ce comité examinait l'affaire et faisait une recommandation au SMA en vue de la décision. (On comprend pourquoi un long délai devait s'écouler avant que des décisions ne soient prises.)

     Quoi qu'il en soit, le 11 août, un RAI n'avait pas été préparé pour les locaux de la CCÉA. Selon une note de service adressée ce même jour à M. Séguin, des renseignements étaient nécessaires au sujet notamment des coûts éventuels de l'aménagement si les besoins en locaux faisaient l'objet d'un appel d'offres, des coûts réalistes de l'aménagement si la CCÉA déménageait dans des locaux de la rue Nicholas (recours au répertoire des baux), des données du marché concernant les locaux qui avaient une superficie équivalente à celle dont avait besoin la CCÉA et qui étaient disponibles au centre-ville, tout nouveau renseignement dont disposait M. Séguin en ce qui avait trait à la position de M. McMurray et de combien le tarif demandé dépassait le tarif du marché. La note de service avait également été envoyée à un certain nombre d'autres personnes. Il n'appartenait pas à M. Séguin de fournir les renseignements concernant l'aménagement.

     Le 11 septembre, M. Mahar a informé la section Logement (GI) que la section Location était d'avis que le rapport d'évaluation commandé à une entreprise du secteur privé pouvait être jusqu'à 10 $/m2 trop bas. Il a exposé l'offre faite par M. McMurray le 4 septembre. Il a indiqué que la section Location n'était pas prête à recommander un tarif supérieur à 215 $/m2 compte tenu des renouvellements importants récents. Il a envoyé les documents de M. McMurray concernant la réfection prévue. Il a aussi indiqué qu'une lettre serait envoyée à M. McMurray pour l'informer que Travaux publics envisagerait d'autres solutions que le renouvellement du bail. Une telle lettre n'a jamais été envoyée.

     Une nouvelle " date ultime ", soit le 2 octobre 1992, a été fixée pour qu'une décision soit prise concernant l'appel d'offres. On pensait alors que si un déménagement dans un immeuble différent était envisagé, il serait nécessaire d'occuper après terme l'immeuble Martel pendant quelques mois afin d'avoir assez de temps pour concevoir et effectuer l'aménagement dans le nouvel immeuble.

     Le CRGI a examiné un RAI daté du 24 septembre 1992 lors d'une réunion tenue ce même jour. Le RAI recommandait la renégociation du bail visant l'immeuble Martel, car c'était l'option la plus rentable. Le rapport soulignait la réfection proposée de 1,6 million de dollars, les coûts d'aménagement de 1,4 million de dollars qui avaient été engagés récemment pour la CCÉA dans l'immeuble Martel et les coûts d'aménagement, de conception et de déménagement qui devraient être engagés si les occupants devaient déménager dans un autre immeuble. Le rapport indiquait que le tarif de location proposé se situait à l'intérieur de la fourchette des taux du marché pour la catégorie d'immeuble concernée. Il signalait également qu'il n'existait que deux autres immeubles à bureaux dans le coeur du centre-ville qui pouvaient offrir la superficie requise et que le tarif réel qui était proposé pour l'immeuble Martel était concurrentiel avec les tarifs offerts récemment pour des locaux dans ces immeubles. Il était recommandé d'entreprendre des négociations directes avec le propriétaire [TRADUCTION] " pour tenter de réduire davantage le tarif de location brut ".

     La présentation du RAI au CRGI avait été ajoutée à l'ordre du jour à la dernière minute. Des questions ont été soulevées et la décision a été reportée. Le RAI a été révisé et soumis de nouveau au CRGI le 9 octobre. Le nouveau RAI indiquait une économie encore plus importante pour la défenderesse si le renégociation du bail était l'option choisie. Le CRGI a rejeté la recommandation contenue dans le RAI et a plutôt recommandé [TRADUCTION] " [qu']un appel d'offres concurrentiel soit fait pour chaque locataire dans l'immeuble Martel ". Selon le compte rendu de la réunion, cette décision a été prise parce que la Direction des services de l'immobilier avait informé le comité que les tarifs de location du marché étaient considérablement inférieurs à ceux offerts par le locateur.

     Dans une note de service datée du 9 octobre, M. Vollrath, responsable à la section Logement (GI) du projet concernant l'acquisition de locaux et auteur des RAI, a donné pour instruction à M. Mahar de procéder immédiatement à la préparation et à la publication de l'annonce invitant les déclarations d'intérêt, qui est la première étape de l'appel d'offres. Il n'y avait eu aucune communication avec M. McMurray; aucune lettre ne lui avait été envoyée pour l'informer que les négociations étaient terminées. M. McMurray attendait toujours une réponse aux offres présentées en septembre.

     Même si la préparation de l'annonce invitant les déclarations d'intérêt faisait partie des tâches de M. Mahar, il n'en avait préparée qu'une ou deux par le passé. Il s'est servi d'un modèle qui portait sur un appel d'offres pour des locaux adjacents. En fait, pour obtenir de nouveaux locaux pour la CCÉA, il serait normal de demander des locaux adjacents. La CCÉA n'avait pas de locaux adjacents dans l'immeuble Martel. D'autres services du gouvernement avaient loué des étages intermédiaires. La CCÉA occupait une partie du rez-de-chaussée, les étages 2 à 8, une partie du 10e étage et le penthouse (le 13e étage).

     Le CGI n'a pas examiné la proposition d'appel d'offres et il n'est pas très clair à quel moment le SMA a donné son approbation. Selon le témoignage de M. Séguin, l'approbation a été donnée oralement à l'intérieur du délai prescrit, mais il ne sait pas à quel moment précis. Un document ministériel indique que l'approbation a été donnée le 30 octobre 1992, tandis qu'un autre indique qu'elle l'a été le 30 novembre 1992. M. McMurray a téléphoné à MM. Séguin et Mahar le 14 et le 15 octobre respectivement. Le 15 octobre, M. McMurray a écrit une lettre pour savoir ce qu'il en était de sa proposition du 4 septembre. Dans sa lettre, il indique que M. Mahar l'avait informé que MM. Séguin et Mahar n'avaient pas encore reçu l'analyse de la proposition du 4 septembre, que M. Mahar pensait que l'offre de la demanderesse était un peu élevée et que MM. Mahar et Séguin communiqueraient avec M. McMurray le plus tôt possible parce que ce dernier avait hâte de conclure une entente finale. M. McMurray a également indiqué que Travaux publics s'était engagé à ne pas prendre de décision finale tant que les négociations avec lui ne seraient pas terminées.

     MM. Séguin et Mahar ont répondu rapidement à cette lettre et dans des termes très précis. Ils ont affirmé qu'ils disaient depuis le 15 avril à M. McMurray que l'État avait décidé de faire un appel d'offres à moins qu'une offre très avantageuse ne lui soit faite. Ils ont indiqué que, le 11 juin, M. McMurray avait été informé que le tarif réel que le Ministère jugerait acceptable était de 195 $ à 200 $/m2 pour un bail de cinq ans ou de 205 $ à 220 $/m2 pour un bail de dix ans. Cette lettre a été écrite lorsqu'on savait que le CRGI avait conseillé de faire un appel d'offres, que M. Mahar avait rédigé ou était en voie d'achever la rédaction de l'annonce invitant les déclarations d'intérêt afin de commencer la procédure d'appel d'offres et que MM. Mahar et Séguin n'avaient pas encore répondu aux propositions faites par M. McMurray le 4 septembre.

     À mon avis, tant la lettre de M. McMurray en date du 15 octobre 1992 que la réponse de M. Mahar vont au-delà de ce qui a vraiment été dit. En ce qui concerne la première lettre, il semble peu probable que M. Mahar puisse avoir dit qu'ils attendaient encore l'analyse des propositions présentées le 4 septembre ou que lui-même et M. Séguin communiqueraient avec M. McMurray une fois cette analyse reçue. Il semble aussi peu probable que M. Mahar puisse avoir dit qu'aucune décision finale ne serait prise tant que les négociations finales avec M. McMurray ne seraient pas terminées. Toutefois, il se peut qu'il ait indiqué qu'ils avaient encore le temps de négocier.

     En ce qui concerne la lettre de M. Mahar, les deux premiers principaux paragraphes interprètent les faits passés d'une façon incompatible avec les documents datant de la même époque. Je ne peux pas conclure qu'il a été dit clairement à M. McMurray que le tarif de 220 $/m2 offert par la défenderesse était une limite non négociable. M. McMurray croyait qu'il était en train de négocier et que, tout comme son tarif de 319 $/m2 (taux réel de 295,37 $/m2) était un point de départ à la négociation, le tarif de 195 $ à 220 $/m2 offert par la défenderesse était également un point de départ à partir duquel il pouvait espérer un mouvement à la hausse. M. Séguin lui-même avait également dit, au sein du Ministère, qu'il pensait que l'évaluation à 220 $/m2 était trop basse. Je n'arrive pas non plus à conclure que le délai à l'intérieur duquel une entente devait être conclue avait été clairement indiqué à McMurray ou que MM. Mahar et Séguin n'avaient pas le pouvoir d'engager le Ministère. Dans sa lettre du 15 octobre, M. Mahar déclare qu'il écrit au nom du Ministère. Au procès, il a déclaré que c'était la terminologie employée dans les communications avec les propriétaires du secteur privé parce que la section Location était leur point de contact avec le Ministère. Les propriétaires n'étaient pas autorisés à communiquer directement avec la section Logement (GI). Il était logique que M. McMurray comprenne que MM. Mahar et Séguin représentaient le Ministère.

     Comme il a été signalé plus haut, M. Mahar a indiqué dans sa lettre du 15 octobre que M. McMurray avait été informé qu'à moins que le tarif de location ne passe à 205 $/m2 et 220 $/m2 pour une durée de dix ans, le Ministère ne recommanderait pas de renouveler le bail. La lettre se terminait de la manière suivante :

     [TRADUCTION] Le Ministère a évalué votre proposition et a décidé de faire maintenant un appel d'offres. Soyez assuré que votre immeuble sera pris en considération dans le cadre de cette procédure. Toutefois, si vous désirez négocier une entente finale acceptable pour l'État, comme vous l'avez signalé dans votre lettre, nous serions prêt à vous rencontrer dès que vous le pourriez. Rappelez-vous toutefois que le Ministère ne peut pas poursuivre les négociations après le 22 octobre 1992.                

     (non souligné dans l'original)

     Par la suite, M. McMurray a demandé une prolongation au-delà du 22 octobre parce qu'il a dû aller à l'extérieur du pays en raison de maladie dans sa famille. Une prolongation a été accordée et une rencontre a été fixée au 27 octobre. L'annonce invitant les déclarations d'intérêt en ce qui concerne les locaux de la CCÉA a été publiée dans le Ottawa Citizen du 27 octobre. M. McMurray et Mme MacKillop ont eu connaissance de l'annonce avant de rencontrer MM. Séguin et Mahar.

     Il y a beaucoup de contradictions dans la preuve présentée en ce qui concerne ce qui s'est réellement passé le 27 octobre. Mes conclusions sont les suivantes : M. McMurray et Mme MacKillop étaient consternés par l'annonce invitant les déclarations d'intérêt; ils ont été informés que cette annonce ne liait pas les parties et qu'elle pouvait être écartée; M. McMurray a indiqué qu'il lui était impossible d'offrir le tarif de 220 $/m2, mais qu'il pouvait faire une offre à 5 pour 100 près; il a ajouté que si cela n'était pas acceptable, il devrait alors tenter sa chance avec l'appel d'offres; M. Séguin lui a dit, qu'étant donné la tendance à la baisse qui existait sur le marché de la location des locaux à bureaux à Ottawa, certains locateurs avaient réussi a renégocier les modalités de leur hypothèque auprès de leur créancier hypothécaire afin de faire face aux tarifs plus bas. La procédure d'appel d'offres a également été abordée.

     M. McMurray affirme qu'il a dit à M. Séguin, lors de leur rencontre du 27 octobre, qu'il discuterait avec son prêteur, la London Life, de la possibilité de renégocier l'hypothèque grevant l'immeuble Martel pour lui permettre d'offrir un tarif de 220 $/m2. Il prétend que M. Séguin lui a dit que s'il pouvait offrir ce tarif, [TRADUCTION] " le marché serait conclu ". Je ne suis pas certaine que M. McMurray ait dit à M. Séguin, le 27 octobre, qu'il allait discuter de cette question avec son prêteur, mais il l'a certainement fait par téléphone le lendemain. Je ne peux pas conclure que M. Séguin a dit à M. McMurray que s'il pouvait offrir ce tarif de 220 $/m2 , " le marché serait conclu ". Je conclus toutefois que M. McMurray a compris, ce qui était raisonnable compte tenu des échanges qu'il avait eus avec MM. Séguin et Mahar, que s'il pouvait offrir un tarif de 220 $/m2 , le Ministère recommanderait le renouvellement du bail au Conseil du Trésor et que, à moins de circonstances imprévisibles, le bail serait probablement renouvelé.

     De toute façon, après la rencontre du 27 octobre, M. McMurray s'est rendu chez son prêteur à London (Ontario), pour discuter de l'affaire. Le 29 octobre, il a téléphoné à M. Séguin pour lui dire qu'il avait réussi à renégocier son hypothèque. Ce renseignement a été communiqué à M. Mahar qui l'a ensuite transmis, le même jour, à la section Logement (GI). Ensuite, le 30 octobre, M. McMurray a confirmé l'offre par écrit. MM. Séguin et Mahar ont informé la section Logement (GI) qu'ils étaient maintenant prêts à recommander la renégociation du bail. Ce renseignement a été communiqué au CRGI.

     Par l'entremise de la section Logement (GI), le CRGI a fait savoir que, même si le tarif de location semblait maintenant acceptable, les autres modalités pour la renégociation du bail n'étaient pas connues, notamment les détails de la réfection proposée. M. Séguin a indiqué dans son témoignage qu'il est normal de conclure tout d'abord une entente sur le tarif de location et, ensuite, de négocier les autres détails du bail avec le locateur. Le ton des communications au sein du Ministère à ce stade montre un degré considérable d'irritation.

     La note de service envoyée à M. Séguin le 30 octobre par la section Logement (GI) était ainsi rédigée :

     [TRADUCTION] La présente fait suite à ma lettre, par courrier électronique, concernant le projet susmentionné. Veuillez prendre note que je dois avoir la nouvelle proposition du propriétaire (avec tous les détails) et pas seulement le loyer de base au plus tard à 15 h CET APRÈS-MIDI afin que je puisse l'évaluer et déterminer son acceptation ou son rejet, et annuler éventuellement l'annonce invitant les déclarations d'intérêt. Si tous les détails de la " nouvelle " offre sont reçus après le délai fixé, le projet sera poursuivi tel que prévu, c'est-à-dire que nous ferons un appel d'offres pour les besoins en locaux de la CCÉA. Nous vous prions de porter une attention immédiate à cette affaire.                

     Une autre note de service portant la même date a été envoyée à M. Mahar par la section Logement (GI). Elle visait à obtenir des renseignements concernant l'état de l'immeuble, des lacunes apparentes dans l'entretien et des infractions au code du bâtiment, et demandait quelles étaient les mesures prises par le propriétaire pour remédier à la situation. Il y était signalé que l'année de référence utilisée dans l'offre était 1992 plutôt que 1993-1994, et que l'offre ne contenait aucun détail sur les éléments de base de l'immeuble. Par conséquent, M. Mahar était chargé de préparer les documents d'appel d'offres pour le 20 novembre 1992 au plus tard.

     En fait, il n'y avait aucune infraction au code du bâtiment. Même s'il y avait eu des plaintes au cours de la durée du bail au sujet du nettoyage inadéquat et de la nécessité de rénover certaines parties (p. ex., les lavabos dans les salles de toilette), des mesures avaient été prises pour corriger ces lacunes. Il n'y avait plus de problème à cet égard. L'année 1992 avait été utilisée comme année de référence parce que M. McMurray avait été invité à présenter son offre en utilisant 1992 comme année de référence.

     Voici un extrait de la réponse de M. Mahar à la note de service reçue :

     [TRADUCTION] Au cours de nos négociations prolongées avec M. McMurray, la principale pierre d'achoppement a toujours été son tarif de location. L'offre qu'il nous a présentée aujourd'hui est la première dans laquelle le tarif de location nous apparaît assez raisonnable pour justifier une examen complémentaire. Il ne s'agit pas d'une offre finale. Les négociations ne sont pas terminées. Normalement, la prochaine étape consisterait à rencontrer encore une fois M. McMurray pour régler certains détails. Le propriétaire a indiqué qu'il procédera à la réfection de l'immeuble pour une somme de 1,6 million de dollars, et un aperçu de cette réfection vous a été remis le 11 septembre. Le rapport du gestionnaire de l'immobilier (qui contient le rapport de notre section des services techniques sur les systèmes mécaniques, électriques et d'ascenseurs ainsi que le rapport de Travail Canada sur les aspects liés aux incendies et à la sécurité), dont une copie vous a été remise le 15 octobre, ne mentionne aucun problème majeur en ce qui concerne l'immeuble ou ses systèmes. Il est possible de discuter de ces éléments avec M. McMurray et d'établir une offre ferme tout en préparant les documents d'appel d'offres. Toutefois, si vous croyez fermement que vous ne pouvez plus prendre en considération la proposition de M. McMurray, nous ne perdrons plus notre temps ni celui de M. McMurray. Veuillez nous en informer.                

     (non souligné dans l'original)

     Il n'y a pas de compte rendu de la réunion tenue d'urgence par le CRCI le 30 octobre pour examiner l'offre du 29-30 octobre. Les explications qui ont été données par le directeur régional sur ce qui s'est passé à la réunion du CRCI sont les suivantes :

     [TRADUCTION] [...] Nous avons rejeté l'offre parce qu'elle correspondait à peine au prix du marché (229 $, je crois), parce que les besoins d'un locataire mineur avaient changé (500 m2 ne sont plus requis dans l'immeuble), parce que l'offre comportait des lacunes (surtout qu'elle ne renfermait aucun renseignement sur la modernisation de l'immeuble ni sur les coûts ni sur les autres détails) qui serait une exigence pour nos locataires, et pour d'autres raisons liées aux stratégies concernant le traitement d'autres baux venant à expiration dans la RCN.                

     [...]

     Toutefois, pour faire preuve de souplesse, nous avons informé M. Volker que s'il recevait, d'ici 15 h 30 le 30 octobre, les détails concernant la modernisation et qu'il en était satisfait, nous serions encore prêts à réexaminer l'offre. Ces détails n'ont jamais été reçus jusqu'à maintenant. La confirmation de ces détails entraînerait sans doute des négociations prolongées avec ce propriétaire, ce que nous ne voulons pas faire, car maintenant nous n'avons plus de souplesse pour la mise en oeuvre d'un relogement rentable à moins que nous ne fassions un appel d'offres. [...]                

     L'offre n'était pas de 229 $ mais de 219 $. L'incidence exacte des besoins d'un locataire autre que la CCÉA sur l'offre n'est pas claire - l'annonce invitant les déclarations d'intérêt visait les locaux de la CCÉA seulement. Les stratégies pour traiter les autres baux venant à expiration et leurs liens avec le bail dans l'immeuble Martel n'ont jamais été révélés. Du point de vue de M. McMurray, la demande subite de détails concernant la réfection n'était pas raisonnable. Il avait fourni des plans et des rapports préliminaires à Travaux publics en mars 1991. Depuis ce moment là, on ne lui avait jamais demandé de fournir des détails complémentaires. On lui demandait toutefois maintenant de fournir ces renseignements dans un après-midi - dans un délai de trois heures. Selon les termes de l'avocat, c'est l'impossibilité de fournir ces renseignements qui a entraîné la [TRADUCTION] " rupture du marché ".

     M. Séguin a insisté pour que l'offre de M. McMurray soit réexaminée. Étant donné que les seuls autres immeubles qui avaient assez de locaux pour répondre aux besoins de la CCÉA étaient des immeubles de catégorie A, il craignait que cela n'entraîne une soumission plus élevée que ce qu'il estimait approprié pour les locaux de l'immeuble Martel et que cette soumission soit la soumission retenue. Le 18 novembre, M. Mahar a informé M. McMurray que [TRADUCTION] " la procédure d'appel d'offres se poursuit, mais nous faisons un ultime effort pour faire [...] réexaminer [votre] offre ". Le 26 novembre, une lettre de rejet de l'offre présentée les 29 et 30 octobre a été envoyée à la demanderesse. Le même jour, les documents d'appel d'offres ont été délivrés. Les soumissions devaient être présentées au plus tard le 3 décembre 1992.

     Le 3 décembre, à l'ouverture des soumissions, la demanderesse avait présenté la soumission gagnante. Le calcul en valeur actuelle des tarifs réels nets des diverses soumissions a permis de déterminer que la soumission de la demanderesse était la plus basse. Standard Life était le second soumissionnaire le plus bas. L'immeuble de la Standard Life était un immeuble de catégorie A. Il y avait un déclin du marché et les immeubles de catégorie A étaient offerts aux tarifs des immeubles de catégorie B.

     Une fois que les soumissions sont ouvertes et que les renseignements qu'elles contiennent sont divulgués au public, Travaux publics effectue une analyse financière des soumissions. Dans cette analyse sont ajoutés les coûts d'aménagement et les autres frais que la défenderesse devrait engager si elle acceptait la soumission. Le 4 décembre, M. McMurray a reçu de M. Séguin une lettre dans laquelle il lui indiquait que Travaux publics évaluait les soumissions et lui demandait de fournir avant le 9 décembre des renseignements complémentaires concernant la réfection prévue. Le devis descriptif de l'appel d'offres ne mentionnait aucunement la nécessité d'une réfection ou d'une catégorie particulière d'immeuble. Le 9 décembre, M. McMurray a écrit à M. Séguin pour lui communiquer les détails de la réfection prévue; d'autres détails ont été fournis le 11 décembre. La CCÉA a pris connaissance de l'exigence relative aux locaux adjacents contenue dans l'appel d'offres et s'est plainte auprès de M. McMurray qu'elle serait obligée de quitter les étages qu'elle occupait et de se réinstaller sur d'autres étages. M. McMurray a indiqué à la CCÉA qu'en ce qui le concernait, elle pouvait continuer d'occuper les locaux qu'elle occupait actuellement. Mme MacKillop a écrit en ce sens à la CCÉA tandis que M. McMurray a écrit à M. Séguin.

     Le 15 janvier 1993, la demanderesse a été informée que le bail ne lui serait pas adjugé. Le 31 mars 1993, le Conseil du Trésor a approuvé l'offre présentée par la Standard Life. Le 18 janvier 1993, avant que l'approbation du Conseil du Trésor ne soit donnée, Travaux publics a commencé des travaux de conception de l'aménagement en anticipation de cette approbation. Deux entrepreneurs, plutôt qu'un, ont été chargés de l'aménagement, et la CCÉA a déménagé dans l'immeuble de la Standard Life le 1er septembre 1993.

     Lorsque la demanderesse a pris connaissance des détails de l'analyse des soumissions, elle s'est rendue compte que sa soumission avait été évaluée comme étant plus chère que celle de la Standard Life parce qu'environ un million de dollars avaient été attribués au titre des coûts d'aménagement et d'autres coûts que devrait engager la CCÉA si elle restait dans l'immeuble Martel. Certains de ces coûts étaient attribuables à l'exigence dans l'appel d'offres de locaux adjacents, qui obligeait la CCÉA à quitter les étages qu'elle occupait dans l'immeuble Martel et à se réinstaller sur d'autres étages. Toutefois, ce sont les coûts d'aménagement en sus qui faisaient en sorte que la demanderesse était le second soumissionnaire le plus bas plutôt que le soumissionnaire dont la soumission était la plus basse.

     C'était la première fois qu'il était question des coûts liés à l'aménagement qui seraient requis si la CCÉA restait dans l'immeuble Martel. M. McMurray savait qu'une somme de 1,4 million de dollars avaient été dépensée en 1990 pour faire des aménagements pour la CCÉA. En tant que locateur, il savait que s'il était nécessaire d'effectuer un aménagement complémentaire il en aurait été au courant. Aucun des documents internes portant sur le calcul des coûts des différentes options, notamment les RAI de septembre et d'octobre 1992, ne mentionnait qu'un aménagement serait nécessaire si la CCÉA restait dans l'immeuble Martel. Ni M. Mahar ni M. Séguin n'ont su avant la mi-décembre 1992 qu'un tel aménagement était requis.

     M. Séguin a déclaré qu'il avait expliqué à M. McMurray, au cours de leurs discussions, que l'aménagement actuel pourrait ne pas avoir nécessairement de valeur résiduelle. Même si cette explication avait été donnée, ce n'était rien de plus qu'un commentaire général qui ne voulait certainement pas dire que l'aménagement réalisé aussi récemment qu'en 1990 n'était pas pertinent. De plus, dans son témoignage, M. Mahar a indiqué que les coûts de l'aménagement inclus dans l'analyse financière d'une soumission ne font pas l'objet d'un calcul en valeur actuelle parce que ce sont des frais qui ont été engagés au début du bail. Ces propos ne sont pas compatibles avec la position de M. Séguin voulant que les coûts d'aménagement inclus sont des coûts estimés pour la durée de dix ans du bail. Les détails de l'aménagement requis n'ont jamais été fournis, même si la méthode de calcul a été expliquée.

     Le seul coût connu et ajouté à la soumission de la demanderesse, même si ce n'est pas un coût d'aménagement, est celui du système de cartes d'accès sécuritaire aux ascenseurs. Un tel système n'existait pas dans l'immeuble Martel. Une somme de 60 000 $ a été ajoutée à la soumission de la demanderesse au titre des coûts que devrait engager la défenderesse pour installer un tel système si elle restait dans l'immeuble Martel. Aucune somme n'a été ajoutée à ce titre à la soumission de la Standard Life. On a présumé que l'immeuble de la Standard Life disposait d'un tel système de cartes d'accès sécuritaire. Cela n'était pas entièrement exact. La défenderesse a dû, plus tard, installer de tels systèmes dans deux des ascenseurs de l'immeuble de la Standard Life. Le coût d'installation des deux ascenseurs a été de 15 000 $. Dans l'analyse financière, une somme de 60 000 $ a été ajoutée à la soumission de la demanderesse pour les quatre ascenseurs de l'immeuble Martel, bien qu'un système de cartes d'accès sécuritaire, au coût de 30 000 $, eut été prévu comme option dans les plans de réfection présentés par M. McMurray. On peut comprendre que M. McMurray ait pensé qu'un parti pris caché a joué un rôle dans l'ajout dans l'analyse financière de sa soumission de coûts d'aménagement jusqu'alors non mentionnés. Évidemment, l'appel d'offres renfermait la clause habituelle selon laquelle la défenderesse n'était pas obligée d'accepter la soumission la plus basse ni une autre soumission.

     Avant le 15 septembre 1992, la location de locaux était régie par le Règlement sur les marchés de l'État, DORS/87-402, pris en application de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11. Suivant l'article 5 du Règlement, il était obligatoire de lancer un appel d'offres avant de conclure un bail. L'article 6 prévoyait que, par dérogation à cette exigence générale, il n'était pas nécessaire de lancer un appel d'offres si cette procédure ne servait pas l'intérêt public. En fait, des négociations exclusives étaient menées pour les baux, comme le montre clairement la preuve. En effet, au cours de l'été 1992, parallèlement à la renégociation du bail pour les tours nord et sud de l'immeuble Journal, lequel bail prenait fin le 13 août 1992, des principes applicables aux négociations exclusives en vue de la conclusion de baux ont été élaborés5 par Travaux publics.

     Le 15 septembre 1992, le Règlement sur les marchés de l'État a été modifié afin de supprimer l'obligation de lancer un appel d'offres avant de conclure un bail6. En même temps, la Loi sur les immeubles fédéraux, L.C. 1991, ch. 50, est entrée en vigueur7. Aux termes de l'alinéa 16(2)b) de cette Loi, le pouvoir de prendre des règlements pour régir la location d'immeubles a été attribué au gouverneur en conseil. Le paragraphe 16(4) a conféré au Conseil du Trésor le pouvoir de fixer des conditions ou restrictions, financières ou autres, générales ou à l'endroit d'un ministre en particulier, à toute opération ou catégorie d'opérations autorisées par règlement pris en vertu du paragraphe 16(2). Voici le texte de la partie pertinente du Manuel du Conseil du Trésor, en date du 15 septembre 1992 :

     3.1      [TRADUCTION] Tout ministère doit :                
         lorsqu'il acquiert des biens immeubles, accepter l'offre la plus basse ou si, selon le ministre, les circonstances le justifient, accepter l'offre représentant la meilleure valeur, ou

     [...]

         Les critères pour déterminer la meilleure valeur doivent être précisés avant de conclure l'acquisition ou la disposition. Ces critères peuvent être basés sur la prépondérance des avantages pour les programmes d'un ministère.

     La soumission de la demanderesse n'a pas fait l'objet d'une analyse de la meilleure valeur. M. Séguin a déclaré dans son témoignage que cette analyse n'était pas nécessaire parce que l'analyse financière indiquait que la soumission de la demanderesse n'était pas la plus avantageuse financièrement pour l'État.

     Il est évident que les rapports de la demanderesse avec Travaux publics se sont très mal déroulés. La difficulté réside toutefois dans l'établissement des faits comme cause légitime d'action.

     Comme il a été signalé, l'avocat de la demanderesse a présenté trois arguments. Premièrement, la défenderesse a violé une condition implicite du bail existant entre les parties et l'entente de renouvellement du bail qui a été conclue aux environ du 30 octobre 1992. En ce qui concerne la violation d'une condition implicite du bail existant, même si ce bail prévoyait la possibilité de renouvellement, il n'y avait aucune obligation de renégocier. Je ne crois pas que les décisions suivantes s'appliquent : Gibson v. Parkes District Hospital (1991), 26 N.S.W.L.R. 9; Houle c. Banque canadienne nationale, [1990] 3 R.C.S. 122; Gateway Realty Ltd v. Arton Holdings Ltd. (No.3), (1991), 106 N.S.R. (2d) 180 (C.S. N.-É.) et Empress Towers Ltd. v. Bank of Nova Scotia, 73 D.L.R. (4th) 400 (C.A. C.-B.). Les trois premières décisions portent sur l'obligation d'agir de bonne foi dans l'exécution d'obligations contractuelles. La quatrième porte sur cette obligation, mais en ce qui concerne une modalité contractuelle spécifique qui obligeait les parties à renouveler à la valeur du marché, comme elles l'avaient convenu.

     En ce qui concerne l'argument voulant qu'il y ait eu violation de l'entente de renouvellement du bail qui a été conclue le 29 ou le 30 octobre 1992, je suis d'avis que M. Séguin était un employé de la défenderesse, ayant en apparence le pouvoir de négocier, et que la défenderesse est responsable du fait d'autrui pour les actes de ses employés ou mandataires, voir J.E. Verrault & Fils Ltée c. Québec (P.G.), [1977] 1 R.C.S. 41, et P.W. Hogg, Liability of the Crown, (2e éd.) 1989, p. 168. Toutefois, M. Séguin n'avait pas le pouvoir de conclure un marché avec la demanderesse. MM. McMurray et Browning savaient que les négociations ne mèneraient qu'à une recommandation devant être approuvée par le Conseil du Trésor. Je reconnais que si la recommandation avait été faite, il est plus que probable qu'elle aurait été acceptée. Je remarque, par exemple, que Travaux publics Canada a entrepris des travaux de conception de l'aménagement et, en conséquence, a engagé des coûts avant d'obtenir l'approbation du Conseil du Trésor en ce qui concerne le contrat de la Standard Life. Ceci indique le degré de certitude qu'une recommandation sera acceptée lorsqu'une telle recommandation est faite. En même temps, je ne pense pas que le lien de causalité avec le préjudice allégué, c'est-à-dire la perte d'un contrat de location de dix ans, soit assez certain pour me permettre de conclure que la demanderesse s'est acquittée du fardeau de la preuve à cet égard (voir ci-dessous, p. 31). Dans des décisions comme Hoffman v. Red Owl Stores Inc., (1965) 133 N.W. (2d) 267 (C.S. Wisc.) et Brewer v. Chrysler Canada Ltd., [1979] 3 W.W.R. 69 (C.S. Alb.), non seulement les demandeurs s'étaient-ils fiés à l'entente de recommander la conclusion d'un arrangement contractuel, mais ils avaient aussi engagé des fonds ou modifié leurs positions en s'y fiant. Par exemple, des stocks avaient été achetés ou des biens vendus en raison de la confiance accordée et les dommages-intérêts adjugés étaient liés à ces dépenses et non, par exemple, aux profits prévus pendant la durée de la franchise ou de la concession si l'entente relative à la franchise ou à la concession avait réellement été signée.

     Le deuxième argument invoqué par l'avocat de la demanderesse est qu'il y a eu violation de l'obligation de négocier de bonne foi. Il s'agit d'une sous-catégorie du troisième argument selon lequel il y a eu violation de l'obligation de diligence envers la demanderesse. En ce qui concerne la violation de l'obligation de négocier de bonne foi, l'avocat a présenté une analyse très intéressante fondée principalement sur les décisions suivantes : Canada Steamship Lines v. Canadian Pacific Ltd., (1979) 7 B.L.R. 1 (C.S. Ont.), et Lac Minerals Ltd c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574. L'avocat a mentionné l'article de R.E. Hawkings intitulé LAC and the Emerging Obligation to Bargain in Good Faith, (1990) 15 Queen's L.J. 65, et les décisions qu'il renferme. Selon cet article, il existe une obligation de négocier de bonne foi et la violation de celle-ci constitue un délit qui donne ouverture à une poursuite en justice. Le contenu de cette obligation est régie par les attentes raisonnables liées au contexte particulier de la négociation. Il varie en fonction des circonstances, notamment le degré de dépendance qui existe entre les parties. Il pourrait, par exemple, comprendre les exigences suivantes : les négociateurs ne doivent pas donner l'impression qu'ils ont un pouvoir alors qu'ils ne l'ont pas; une partie ne doit pas faire des demandes qu'elle n'avait pas faites initialement (p. ex., en ajouter ou faire valoir un aspect caché de la soumission initiale); une partie ne doit pas revenir sur des concessions déjà faites (négocier des normes ne se prête pas à des tentatives d'ajouter à la dernière minute des annexes à une entente quasiment conclue).

     Alors que l'avocat de la demanderesse soutient que je devrais pour qualifier les faits de la présente affaire tenir compte du délit résultant du défaut de négocier de bonne foi, l'avocat de la défenderesse invoque les décisions suivantes : Courtney Ltd. v. Tolaini Bros. Ltd., [1975] 1 W.L.R. 297 (C.A.); Walford v. Miles, [1992] 2 A.C. 128 (H.L.); MacDougall v. St. Peters Bay (Community), (1992) 100 Nfld. & P.E.I.R. 45 (C.S. Î-P-É.); Cedar Group Inc. v. Stelco Inc., (13 novembre 1996), dossier C23664 de la Cour de l'Ontario, confirmant Cedar Group v. Stelco Inc., (21 décembre 1995), dossier 94-CQ-59170CM de la Cour de l'Ontario, (C.O. D.G.). Voici un extrait du sommaire de la décision Walford :

     [TRADUCTION] [...] l'entente du 17 mars ne prévoyait pas la durée de l'obligation de négocier ni que la défenderesse devait décider des négociations : [...] l'obligation de négocier de bonne foi n'était pas réalisable en pratique et était fondamentalement incompatible avec la position d'une partie aux négociations, car, même si les parties étaient en négociation, elles avaient le droit de rompre les négociations à n'importe quel moment et pour n'importe quelle raison [...]                

     Selon moi, je ne peux pas conclure qu'il y a eu délit résultant du défaut de négocier de bonne foi.

     Passons maintenant à l'analyse des principes généraux applicables en matière de négligence. J'ai encouragé l'avocat de la demanderesse à étayer la réclamation de la demanderesse dans le cadre de cette catégorie plus large en espérant qu'une telle analyse pourrait permettre de fonder un redressement pour la demanderesse.

     L'avocat de la défenderesse fait valoir que la présente affaire ne concerne que des négociations musclées, par les représentants de la défenderesse, dans un marché très fluctuant et à la baisse, afin d'obtenir le meilleur prix dans l'intérêt de l'ensemble des contribuables. Personne ne peut s'opposer à un tel objectif. Toutefois, ce n'est pas ainsi que je qualifierais les faits.

     MM. Séguin et Mahar et M. Bray avant lui, comme l'a dit M. Mahar, étaient le point de contact du locateur avec le Ministère. Le locateur n'avait pas le droit de communiquer directement avec la section Logement (GI), l'unité ministérielle à qui il appartient de recommander au premier niveau s'il y lieu de renégocier ou de faire un appel d'offres. Vu leur rôle consistant à assurer la communication entre les parties, M. Séguin et ses collègues se devaient d'être un point de contact efficace et transparent. Ils avaient la responsabilité de communiquer efficacement avec M. McMurray. Pendant plus d'un an, M. McMurray a tenté d'entreprendre des négociations sérieuses, mais ils n'ont rien fait. En même temps, la section Logement (GI) demandait à M. Séguin d'obtenir les propositions de M. McMurray en ce qui concerne le tarif de location. Non seulement M. Séguin n'a-t-il rien fait, mais il a laissé l'impression au CEPL qu'il avait pris des mesures en ce sens alors qu'il n'avait rien fait. Ultimement, ce qui a empêché M. McMurray de conclure une entente, c'est le manque de temps pour fournir à Travaux publics des détails suffisants de son plan de modernisation. Il avait pourtant fourni des documents préliminaires en mars 1991 et, depuis cette date, on ne lui avait jamais demandé de présenter des détails complémentaires. Les six principes élaborés aux cours de la renégociation du bail de l'immeuble Journal comprennent l'exigence suivante :

     [TRADUCTION] Les négociations qui peuvent avoir lieu doivent se dérouler dans le cadre d'un échéancier convenu qui permette à TPSGC [Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, successeur de Travaux publics] de mettre en oeuvre des solutions de rechange, comme la réinstallation, avec un minimum d'occupation après terme ou, préférablement, sans aucune occupation après terme, si un marché n'est pas conclu.                

     Le défaut de communiquer efficacement et dès la première phase avec M. McMurray a eu pour effet que non seulement M. McMurray n'a pu fournir les détails de la modernisation envisagée, mais également que le CRGI a pris des décisions hâtives en se fondant sur des renseignements incorrects. De plus, faute de temps, la procédure interne habituelle n'a pu être suivie, à savoir l'examen de la proposition par le CGI. M. McMurray a perdu l'occasion de négocier le renouvellement du bail. Il a aussi été amené à penser à tort, peut-être par inadvertance, que M. Séguin avait le pouvoir d'engager le Ministère.

     Dans une action fondée sur la négligence, la première étape consiste à déterminer si le défendeur avait une obligation de diligence envers le demandeur. Cette question a été abordée par le juge Iacobucci dans l'arrêt London Drugs Limited c. Kuehne & Nagel International, [1992] 3 R.C.S. 299, à la page 408 :

     Il est désormais bien établi que la question de savoir s'il existe une obligation de diligence dépend des circonstances de chaque cas et non de catégories préétablies et de règles générales applicables à la question de savoir qui a et qui n'a pas l'obligation de faire preuve de diligence raisonnable.                

     Il a été établi, avec certaines restrictions, que la question qu'il faut poser pour décider si une obligation de diligence existait consiste à se demander s'il y a des relations suffisamment étroites entre les parties pour que la défenderesse ait pu raisonnablement prévoir que son manque de diligence pourrait causer des dommages à la demanderesse8. En l'espèce, les relations entre les parties permettent de conclure que l'obligation de diligence existait. Les parties maintenaient depuis longtemps des relations de locateur et de locataire. Le bail prévoyait la possibilité de renouvellement, même s'il n'y avait aucune obligation de renégocier. La défenderesse était essentiellement la seule locataire dans l'immeuble et il en était ainsi depuis la construction de l'immeuble. La défenderesse était la principale intervenante dans la location de locaux dans la zone où était situé l'immeuble de la demanderesse. Les relations entre les parties permettaient raisonnablement de prévoir que si la défenderesse faisait preuve de négligence (par ses représentants) celle-ci pourrait causer un préjudice à la demanderesse.

     Dans une action fondée sur la négligence, le deuxième critère à satisfaire, pour avoir gain de cause, consiste à déterminer s'il y a eu violation de l'obligation de diligence. Le contenu de l'obligation de diligence dépend de ce qui est raisonnable dans les circonstances. En d'autres termes, la défenderesse, représentée par les divers responsables de Travaux publics, a-t-elle agi raisonnablement compte tenu des circonstances. Je ne peux pas conclure qu'elle a agi raisonnablement. Tout d'abord, un long délai s'est écoulé avant que les négociations ne soient entreprises et ce, même si les employés de la défenderesse connaissaient les restrictions liées au temps tandis que la demanderesse les ignorait. Ensuite, il y a eu négligence, car on n'a pas indiqué à M. McMurray qui avait le pouvoir d'engager le ministère et qui ne l'avait pas. On ne lui a pas indiqué clairement la position de la défenderesse en ce qui concerne les négociations. On ne lui a pas indiqué assez rapidement, pour lui permettre réalistement de les fournir, que les détails de la modernisation étaient requis avant que le Ministère ne puisse recommander le renouvellement du bail. Il y a eu défaut d'établir un échéancier réaliste et d'en informer M. McMurray afin que celui-ci puisse respecter les échéances. Il y a eu défaut de communiquer en temps opportun les renseignements pertinents de manière à éviter des contraintes de temps pour le déroulement du processus décisionnel ministériel interne et, en conséquence, des décisions ont été prises au détriment de M. McMurray sur la base de renseignements incomplets et inexacts. Je suis convaincue que l'obligation de diligence a été enfreinte. De plus, une évaluation quelque peu arbitraire des coûts d'aménagement semble avoir été ajoutée à l'analyse financière de la soumission de la demanderesse. Je sais qu'il est stipulé expressément, dans les modalités de l'appel d'offres, que la soumission la plus basse ou toute autre soumission ne sera pas nécessairement acceptée.

     Malheureusement, l'obstacle auquel doit faire face la demanderesse, peu importe la manière dont les faits sont qualifiés, est la preuve du lien de causalité. La demanderesse réclame des dommages-intérêts en invoquant la perte d'un bail d'une durée de dix ans. En raison des actes des employés de la défenderesse, elle n'a pas eu l'occasion de parachever les négociations en vue du renouvellement du bail. Le marché était fortement à la baisse. Cela a également contribué à la perte du bail. Dans l'arrêt Stewart c. Pettie, [1995] 1 R.C.S. 131, à la page 153, la Court a dit qu'il est nécessaire de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la violation de l'obligation de diligence a réellement causé le dommage subi. Voir aussi Farrell c. Snell, [1990] 2 R.C.S. 311, aux pages 319-320 et 328. Je ne suis pas en mesure de conclure que la demanderesse a prouvé le lien de causalité fondant les dommages-intérêts réclamés.

     Avec beaucoup de regrets, je rejette la réclamation de la demanderesse.

OTTAWA (Ontario)

22 avril 1997

                         B. Reed
                             Juge
Traduction certifiée conforme             
                         Suzanne Bolduc, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE:                  T-1273-93
INTITULÉ DE LA CAUSE:          The Martel Building Limited
                     c. Sa Majesté la Reine
LIEU DE L'AUDIENCE:          Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE:          10 au 26 mars 1997

MOTIFS DU JUGEMENT de madame le juge Reed en date du 22 avril 1997

ONT COMPARU:

     James H. Smellie
     Lynn Starchuk
                         pour la demanderesse
     Frederick Woyiwada
     Ian McCowan
                         pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

     Osler, Hoskin & Harcourt
     Ottawa (Ontario)
                         pour la demanderesse
     Sous-procureur général du Canada
     Ottawa (Ontario)
                         pour la défenderesse

__________________

1.      Voir la Loi sur les travaux publics, L.R.C. (1985), ch. P-38.

2.      [TRADUCTION] " L'intention est de faire un appel d'offres; le propriétaire veut moderniser l'immeuble. C. Séguin fera rapport sur l'état des négociations avec le propriétaire. "

3.      [TRADUCTION] " Le locateur doit informer M. Séguin la semaine prochaine du tarif de location proposé pour le renouvellement du bail. Une fois ce tarif connu, il sera possible de voir ce qu'il convient de faire (renégociation/appel d'offres) ".

4.      [TRADUCTION] " Avec ces renseignements, joints à notre analyse du marché, la section Location sera mieux informée pour poursuivre les négociations avec le locateur afin de déterminer s'il est possible de convenir d'un tarif de location acceptable pour les deux parties ". (italique ajouté)

5.      1.      [TRADUCTION] Il doit y avoir un avantage financier évident pour l'État sur toutes les solutions de rechange déterminées par TPSGC.
     2.      L'avantage financier doit être appuyé par une analyse de marché.
     3.      Les locaux répondent ou répondront, à une date précise, sans frais supplémentaires pour l'État, aux exigences habituelles requises et aux besoins du locataire.
     4.      Il existe un besoin permanent dans le cadre du programme en ce qui concerne les locaux visés.
     5.      Le locateur a satisfait à toutes les obligations aux termes du bail existant.
     6.      Les négociations qui peuvent avoir lieu doivent se dérouler dans le cadre d'un échéancier convenu qui permette à TPSGC de mettre en oeuvre des solutions de rechange, comme la réinstallation, avec un minimum d'occupation après terme ou, préférablement, sans aucune occupation après terme, si un marché n'est pas conclu.

6.      DORS/92-503.

7.      TR/92-151.

8.      Hall c. Hebert, [1993] 2 R.C.S. 159; Kamloops c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2.

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