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         Date : 20020819

                                                                                                                Dossier : IMM-1417-01

                                                                                              Référence neutre : 2002 CFPI 886

Vancouver (Colombie-Britannique), le lundi 19 août 2002

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Dawson

ENTRE :

                                                                            

                                                FERENC LEVENTE SIMONFI

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                    ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

        M. Simonfi est un citoyen roumain qui est membre de la minorité ethnique hongroise en Roumanie. Il présente cette demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 5 mars 2001, qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


        La SSR a décrit avec exactitude comme suit le fondement de la revendication de M. Simonfi :

Le revendicateur est Hongrois catholique. Il détient un certificat d'études secondaires et un certificat de technicien dentaire. Le revendicateur a été témoin d'un tabassage en mars 1990, lorsque des Roumains ont attaqué des Hongrois lors d'une manifestation pacifique. En juin 1999, le revendicateur a été agressé par des Roumains lors d'une partie de soccer. Le revendicateur s'est soustrait au service militaire obligatoire en fréquentant le collège et en présentant de faux certificats médicaux afin d'éviter la conscription. En raison de son origine hongroise, le revendicateur craint la discrimination, le harcèlement et la persécution de l'armée roumaine. S'il refuse de s'enrôler, il craint d'être emprisonné pendant trois à sept ans. Le revendicateur a allégué qu'il n'obtiendra jamais d'emploi décent en Roumanie, qu'il craint la violence publique et l'absence de protection contre les nationalistes roumains. Le revendicateur craint que la situation n'empire en Roumanie, car le Parti de la grande Roumanie occupe actuellement le second rang en importance au parlement roumain.

LA DÉCISION DE LA SSR

        La SSR a défini le principal point litigieux comme se rapportant à la question de savoir si M. Simonfi fait face à de la discrimination ou à de la persécution.

        La SSR a conclu que le fait que M. Simonfi n'avait pas pu étudier la médecine parce qu'il était d'origine hongroise et parce qu'il maîtrisait mal le roumain ne constituait pas de la persécution puisqu'il avait pu achever avec succès un autre programme à l'intention des techniciens dentaires.


        Quant à la question de la possibilité de gagner sa vie, la SSR a conclu que M. Simonfi avait fait des efforts considérables pour obtenir un emploi, mais que les efforts qu'il avait faits en vue de trouver du travail n'étaient pas exhaustifs et, en outre, que son expérience en tant que récent diplômé cherchant du travail ne différait pas de celle des diplômés de nombreux pays, qui peuvent avoir de la difficulté à obtenir un emploi dans la discipline de leur choix.

        La SSR a ensuite examiné la situation de M. Simonfi en sa qualité de personne d'origine hongroise en Roumanie; elle a conclu que la preuve documentaire n'indiquait pas que les personnes d'origine hongroise font face à de la discrimination systématique constituant de la persécution.

        Quant au service militaire, la SSR a conclu que M. Simonfi ne s'oppose pas en principe au service militaire et que, même s'il est possible qu'il soit victime de discrimination dans le militaire s'il retournait dans son pays, il n'existe pas suffisamment d'éléments de preuve montrant que cette discrimination constituerait de la persécution.

        La SSR a également noté que M. Simonfi s'était de nouveau réclamé de la protection de la Roumanie après être revenu des États-Unis en 1998, et ce, malgré les préoccupations qu'il avait au sujet du service militaire, et elle a conclu que la chose n'était pas conforme à une crainte subjective de persécution et à une crainte fondée de persécution.


        Enfin, la SSR a noté que si M. Simonfi évitait le service militaire obligatoire, les poursuites auxquelles il serait assujetti par suite de cette omission seraient fondées sur une loi d'application générale. Il n'existait pas suffisamment d'éléments de preuve permettant de conclure que M. Simonfi ferait face à une punition disproportionnée pour l'un des motifs énumérés dans la définition du « réfugié au sens de la Convention » s'il refusait d'accomplir son service militaire.

LES POINTS LITIGIEUX

      M. Simonfi soulève deux points à l'égard de la décision de la SSR :

1.          La SSR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve relative à l'incapacité de M. Simonfi de trouver du travail en Roumanie?

2.          La SSR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve relative à la crainte qu'éprouve M. Simonfi d'être persécuté dans l'armée roumaine?

ANALYSE

(i) La SSR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve relative à l'incapacité de M. Simonfi de trouver du travail en Roumanie?

      Le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (1992) énonce ce qui suit, au paragraphe 54 :


Dans de nombreuses sociétés humaines, les divers groupes qui les composent font l'objet de différences de traitement plus ou moins marquées. Les personnes qui, de ce fait, jouissent d'un traitement moins favorable ne sont pas nécessairement victimes de persécutions. Ce n'est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions. Il en sera ainsi lorsque les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions du droit d'exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d'avoir accès aux établissements d'enseignement normalement ouverts à tous.

      M. Simonfi n'a pu signaler aucun élément de preuve documentaire provenant d'une personne non intéressée qui aurait été mis à la disposition de la SSR et qui indiquerait que la discrimination dont sont victimes les personnes d'origine hongroise à la recherche d'un emploi est telle que cela constitue de la persécution. À mon avis, la SSR pouvait à bon droit accorder peu d'importance à la lettre de la Fédération démocratique hongroise-roumaine pour le motif énoncé, à savoir que si la situation des personnes d'origine hongroise en matière d'emploi était aussi désastreuse que ce qu'indique cette preuve et d'autres éléments de preuve, on s'attendrait avec raison à ce que la preuve documentaire relative à la situation dans le pays le montre.


      La SSR a examiné la preuve de M. Simonfi selon laquelle il lui avait été difficile de trouver du travail pendant environ un an entre la date à laquelle il avait terminé ses études secondaires et la date à laquelle il avait commencé ses études postsecondaires. M. Simonfi n'avait pas pu obtenir un emploi en vue d'enseigner la natation dans une piscine intérieure parce que c'était un membre du Parti de l'Unité nationale roumaine qui était responsable de la piscine. M. Simonfi n'a pas indiqué qu'il avait travaillé ou qu'il avait essayé de trouver du travail pendant qu'il effectuait ses études secondaires, ou pendant les trois années où il a effectué des études postsecondaires, bien qu'il ait fait mention des efforts qu'il avait faits à un moment donné, sans préciser à quel moment, pendant qu'il effectuait ses études afin d'obtenir un emploi à temps partiel pour un service de taxis, l'employeur lui ayant fait savoir qu'il embauchait uniquement des Roumains. Après avoir obtenu son diplôme de technicien dentaire en 1998, M. Simonfi a trouvé un emploi d'été aux États-Unis et, lorsqu'il est retourné en Roumanie, il a trouvé du travail dans un centre de conditionnement physique où son salaire lui était versé en cachette. À cause de cet arrangement illégal, M. Simonfi touchait moins que le salaire minimum et il n'accumulait pas de crédits pour sa pension. M. Simonfi a également affirmé que sa soeur, qui était titulaire d'un diplôme de dentiste, n'avait pas pu trouver de travail et que la plupart de ses jeunes amis hongrois étaient en chômage.


      À mon avis, la SSR pouvait à bon droit, en se fondant sur la preuve dont elle disposait, conclure qu'il n'existait pas suffisamment d'éléments de preuve à l'appui de l'allégation de M. Simonfi selon laquelle les difficultés auxquelles il avait fait face sur le plan professionnel en Roumanie constituent de la persécution. Compte tenu de la preuve, il était loisible à la SSR de conclure que l'expérience du demandeur en matière d'emploi ne diffère pas de celle des étudiants qui viennent d'obtenir leur diplôme d'études secondaires ou d'études postsecondaires, en particulier ceux qui vivent dans un pays qui est en train de passer d'une économie à planification centrale à une économie de marché. La preuve n'établissait pas que la liberté d'une personne à la recherche d'un emploi était restreinte au point de constituer de la persécution, comme c'était le cas dans l'affaire Xie c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. 286 (1re inst.).

      Il est souvent difficile de tracer la ligne de démarcation entre ce qui constitue de la discrimination et ce qui constitue de la persécution. Lorsque la SSR tire une conclusion au sujet de la question de savoir si un acte discriminatoire constitue de la persécution, la Cour peut uniquement intervenir lorsque la conclusion semble arbitraire ou déraisonnable. Voir : Sagharichi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.).

      L'avocate du ministre reconnaît que la SSR a commis une erreur lorsqu'elle a dit que M. Simonfi avait décidé d'abandonner les études qu'il avait entreprises en vue d'obtenir un deuxième diplôme postsecondaire. M. Simonfi avait étudié en vue d'obtenir un seul diplôme d'études postsecondaires et il n'a pas cherché à obtenir un deuxième diplôme. Toutefois, la SSR n'a pas fondé sa décision sur cette conclusion erronée et je conclus que la chose n'est pas pertinente aux fins de la conclusion que la SSR a tirée sur ce point.


      L'avocat de M. Simonfi a soutenu que la preuve orale présentée par son client était crédible, plausible et non contredite, de sorte que la SSR était tenue de fournir des motifs à l'appui du rejet; or, je conclus que la SSR a retenu la preuve de M. Simonfi, mais qu'elle a conclu que cela n'établissait pas qu'il avait été victime de persécution.

(ii) La SSR a-t-elle commis une erreur dans son appréciation de la preuve relative à la crainte qu'éprouve M. Simonfi d'être persécuté dans l'armée roumaine?

      M. Simonfi craignait d'accomplir son service militaire en Roumanie à cause des histoires que ses amis et des amis de ses parents avaient racontées au sujet des difficultés auxquelles faisaient face les conscrits d'origine hongroise. M. Simonfi ne s'opposait pas en principe au service militaire.

      J'ai minutieusement examiné la transcription de la preuve dont disposait la SSR et je suis convaincue qu'il était loisible à la SSR de conclure qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve montrant qu'il existe plus qu'une simple possibilité que M. Simonfi soit victime de violence physique ou de mauvais traitements physiques ou encore d'actes de discrimination assimilables à de la persécution s'il était obligé d'accomplir son service militaire en Roumanie. Dans ses motifs, la SSR a examiné en détail le témoignage de M. Simonfi; elle pouvait à bon droit soupeser la preuve orale présentée par M. Simonfi et conclure que les événements les plus graves que celui-ci avait relatés, en ce qui concerne les mauvais traitements, s'étaient produits au début des années 1990. Une bonne partie de la preuve soumise par M. Simonfi n'était pas datée et les événements les plus récents sur lesquels M. Simonfi a témoigné n'étaient pas aussi sérieux que les événements antérieurs.


      Il est vrai qu'un tribunal différemment constitué de la SSR a conclu dans une autre affaire qu'un intéressé d'origine hongroise était un réfugié au sens de la Convention compte tenu du témoignage crédible que ce dernier avait présenté au sujet d'histoires que d'autres conscrits d'origine hongroise lui avaient racontées. Dans cette affaire-là, la SSR a retenu la preuve par ouï-dire de l'intéressé plutôt qu'une lettre de 1995 du Comité roumain Helsinki qui disait que, dans le militaire, les personnes d'origine hongroise n'étaient pas traitées différemment des personnes d'origine roumaine. Une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire relative à la décision avait été présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et avait été rejetée par la Cour.

      À mon avis, cette autre décision de la SSR que M. Simonfi a invoquée n'aide pas celui-ci, et ce, pour les raisons suivantes. Premièrement, pareille décision ne lie pas la Cour. Deuxièmement, l'examen de cette décision et de la transcription de l'audience dans ce cas-ci ne me convainc pas que la preuve orale dont disposait la SSR était en bonne partie identique dans les deux cas. Les événements les plus graves que M. Simonfi a relatés semblent s'être produits il y a quelque temps, ou la date à laquelle ils se sont produits n'est pas connue. Enfin, dans une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la SSR, la norme de contrôle est en général celle de la décision manifestement déraisonnable, ce qui veut dire qu'une décision ne pourrait pas être infirmée bien que la Cour eût apprécié les facteurs différemment.


      En l'espèce, les motifs de la SSR indiquent qu'elle a tenu compte de tous les éléments de preuve fournis par M. Simonfi au sujet des comptes rendus de mauvais traitements infligés aux personnes d'origine hongroise dans le militaire roumain et qu'elle a conclu que ces comptes rendus, tout en indiquant qu'il y avait discrimination, ne montraient pas qu'il y avait persécution. À mon avis, il était loisible à la SSR de tirer cette conclusion eu égard à la preuve et on ne saurait pas dire que cette conclusion est abusive ou arbitraire. Comme il en a ci-dessus été fait mention, la Cour n'est pas autorisée, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, à soupeser de nouveau la preuve dont disposait la SSR même si elle est convaincue qu'elle n'aurait pas tiré la même conclusion eu égard à la même preuve.

      Pour ces motifs, malgré les arguments habiles de l'avocate de M. Simonfi, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

      Les avocats n'ont pas proposé la certification d'une question et aucune question n'est certifiée.


ORDONNANCE

      LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question n'est certifiée.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                               IMM-1417-01

INTITULÉ :                                                              Ferenc Levente Simonfi

c.

le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                                    le 8 août 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                            Madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                                           le 19 août 2002      

COMPARUTIONS:

Mme D. Jean Munn                                                     POUR LE DEMANDEUR

Mme Tracy King                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Mme D. Jean Munn                                                     POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

M. Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                          

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