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Date : 20011105

Dossier : T-587-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1202

ENTRE :

                                                       SIEMENS CANADA LIMITÉE

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                 -et-

                         LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES

             GOUVERNEMENTAUX DU CANADA et ANITA LLOYD, en sa qualité de

             coordinatrice de l'accès à l'information et de la protection des renseignements

                    personnels pour Travaux publics et Services gouvernementaux Canada

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision du ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada (TPSGC), en date du 23 février 2000, de communiquer des documents présentés par la demanderesse et concernant l'invitation à soumissionner de TPSGC no 10 MC W8483-6-EFAA/A, Soutien en service pour les navires de la classe du Halifax et de l'Iroquois, conformément à la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), A-1 (LAI).

[2]                 L'affaire porte uniquement sur les effets de l'article 30 de la Loi sur la production de défense, L.R.C. (1985) ch. D-1 (LPD). La question de la norme de révision avait initialement été en litige, mais elle ne l'est plus maintenant compte tenu de l'arrêt Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de l'Industrie), [2001] ACF no 1327 (C.A.F.), également connu comme l'affaire Telezone. Les deux parties sont d'accord pour dire que la décision correcte est la norme de révision.

LES FAITS

[3]                 Le 4 novembre 1998, TPSGC a distribué une demande de propositions (DP) en rapport avec l'invitation à soumissionner no 10 MC W8483-6-EFAA/A pour la fourniture de soutien en service sur les navires de la classe du Halifax et de l'Iroquois pour le ministère de la Défense nationale.

[4]                 L'article 16 de la LPD autorise le ministre à obtenir des services et, ainsi qu'il est mentionné à l'alinéa g), à :


prendre toute autre mesure qu'il juge accessoire, nécessaire ou utile aux matières visées au présent article ou que le gouverneur en conseil peut autoriser en ce qui a trait à la fourniture, la construction ou l'aliénation de matériel de défense ou d'ouvrages de défense.

do all such things as appear to the Minister to be incidental to or necessary or expedient for the matters referred to in the foregoing provisions of this section or as may be authorized by the Governor in Council with respect to the procurement, construction or disposal of defence supplies or defence projects.


[5]                 Le paragraphe C5.0 de la DP dit que :


Le contrat est un contrat de défense au sens de la Loi sur la production de défense et doit être interprété en conséquence.

Selon le défendeur, le paragraphe C5.0 de la DP est inclus dans les contrats que TPSGC négocie pour le compte du ministère de la Défense nationale afin de s'assurer que le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada, qui exerce un large éventail de pouvoirs en vertu de la LPD en ce qui a trait à la fourniture, la production et l'aliénation de matériel ou d'ouvrages de défense, dispose de la latitude nécessaire pour exécuter les obligations que lui impose la LPD.

[6]                 L'une des conditions requises pour qu'une compagnie soit admissible à l'adjudication du contrat, comme il est signalé au paragraphe 1.5 de la section B de la DP, était que la compagnie obtienne, avant l'adjudication du contrat, des attestations valides de sécurité. La demanderesse a présenté une proposition en réponse à la DP et le contrat lui a été adjugé le 8 octobre 1999.

[7]                 Après l'adjudication du contrat à la demanderesse, l'un des soumissionnaires non choisis a présenté une demande en vertu de la Loi sur l'accès à l'information en rapport avec les dossiers en possession de TPSGC relativement à la participation de la demanderesse au processus d'invitation à soumissionner.


[8]                 Le 26 novembre 1999, la coordinatrice de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP), dont la fonction consiste à étudier de telles demandes, a informé la demanderesse qu'une demande de renseignements avait été reçue et qu'elle avait le droit de présenter des observations à TPSGC relativement à la question de savoir pourquoi ses documents ne devraient pas être communiqués.

[9]                 Le 5 janvier 2000, la demanderesse a répondu à la demande d'observations prévue par la LAI en fournissant à la coordinatrice de l'AIPRP une liste des documents à la communication desquels elle s'opposait effectivement et de ceux à la communication desquels elle ne s'opposait pas, ainsi que les motifs visés à l'article 20 de la LAI sur lesquels elle se fondait.

[10]            Le 18 janvier 2000, la demanderesse a écrit de nouveau à la coordinatrice de l'AIPRP pour lui dire qu'elle retirait le consentement donné antérieurement à la communication des documents en vertu de la LAI et adoptait la position selon laquelle aucun des documents ne devrait être communiqué conformément au paragraphe 24(1) de la LAI pour le motif, entre autres, qu'une telle communication contreviendrait à l'article 30 de la LPD. La demanderesse s'est opposée également à la communication des dossiers pour d'autres motifs qui ne sont pas en litige en l'espèce.

[11]            Le 23 février 2000, TPSGC a avisé la demanderesse qu'il avait examiné ses divers arguments et avait décidé que les documents étaient exemptés en partie seulement en vertu du paragraphe 19(1) et des alinéas 20(1)b) et c), et que le paragraphe 24(1) ne s'appliquait pas.


ANALYSE

[12]            Je dois maintenant étudier les articles pertinents de la LAI et de la LPD. Le paragraphe 24(1) de la LAI prévoit ce qui suit :


24. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements dont la communication est restreinte en vertu d'une disposition figurant à l'annexe II.

24. (1) The head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains information the disclosure of which is restricted by or pursuant to any provision set out in Schedule II.


L'article 30 de la LPD est incorporé par référence à l'annaxe II.

[13]            L'article 30 de la LPD est libellé ainsi :


30. Les renseignements recueillis sur une entreprise dans le cadre de la présente loi ne peuvent être communiqués sans le consentement de l'exploitant de l'entreprise, sauf_: ...

30. No information with respect to an individual business that has been obtained under or by virtue of this Act shall be disclosed without the consent of the person carrying on that business, except ...


Les deux exceptions ne sont pas pertinentes dans l'affaire dont je suis saisi.

[14]            De toute façon, lorsque la LAI est pertinente, il est important de garder à l'esprit l'objectif établi au paragraphe 2(1) :


.2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

2. (1) The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government


[15]            Dans l'arrêt Rubin c. Canada (Ministre des Transports) (C.A.), [1998] 2 C.F. 430, le juge McDonald s'est prononcé sur l'importance de limiter les exceptions en citant d'abord le juge La Forest dans l'arrêt Dagg c. Canada (Ministre des Finances), [1997] 2 R.C.S. 403, aux pages 433 et 434 :

Les droits aux renseignements détenus par l'État visent à améliorer les rouages du gouvernement, de manière à le rendre plus efficace, plus réceptif et plus responsable. En conséquence, bien que la Loi sur l'accès à l'information reconnaisse un droit d'accès général aux « documents des institutions fédérales » (par. 4(1)), il importe de tenir compte de l'objectif général de cette loi pour déterminer s'il y a lieu de reconnaître une exception à ce droit général.

Le juge McDonald a poursuivi en disant :

Selon moi, donc, toutes les exceptions doivent être interprétées à la lumière de cette disposition. C'est-à-dire que toutes les exceptions au droit d'accès doivent être précises et limitées. Cela signifie que lorsque deux interprétations sont possibles, la Cour doit, vu l'intention déclarée du législateur, choisir celle qui porte le moins atteinte au droit d'accès du public. C'est seulement de cette façon que la réalisation de l'objet de la Loi est possible. ...

Il importe de souligner que cela ne signifie pas que la Cour doit remanier les exceptions prévues par la Loi afin de créer des exceptions plus limitées. Un tribunal doit toujours travailler avec le libellé qui lui a été soumis. Si le sens est manifeste, il n'appartient pas à la Cour ou à un autre tribunal de le modifier. ...

[16]            Il importe également de noter que le juge McDonald a conclu dans cette affaire-là en disant que le législateur fédéral pouvait adopter une très large exception et je cite le passage suivant du paragraphe 35 :

Pour me prononcer comme je le fais sur l'interprétation correcte de l'alinéa 16(1)c), je tiens compte du rôle important que jouent les rapports sur l'examen de la sécurité dans le contexte global de la protection de la sécurité du public dans l'industrie aéronautique. Mais si, comme l'intimé l'indique, la divulgation de renseignements a un effet néfaste sur le consentement de particuliers à participer à ces examens, alors rien n'empêche le législateur de modifier la Loi sur l'aéronautique pour assurer la protection généralisée de la confidentialité, ou d'ajouter ces examens à la catégorie des exceptions générales prévue à l'article 24 de la Loi sur l'accès à l'information. ...

[17]            Il n'y a pas eu d'interprétation de l'article 30 de la LPD par les tribunaux. Toutefois, il existe une interprétation de l'article qui l'a précédé et qui était l'article 19 de la Loi sur le ministère des Munitions et approvisionnements, S.C. 1940, ch. 31. Dans l'arrêt R c. Northey, [1948] R.C.S. 135, la Cour a statué :

[traduction] Il semble évident que l'interdiction figurant à l'article 19 relativement à la communication des renseignements recueillis en vertu de la Loi s'applique à tous les renseignements recueillis en vertu de tout article de la Loi, quel que soit le moment de son adoption.

[18]            Dans la lettre de décision du 23 février 2000, la coordinatrice de l'AIPRP ne fait aucunement mention de l'article 30. Le défendeur TPSGC estime que l'article 30 ne s'applique pas aux documents en question de Siemens en l'espèce, car ils font partie de l'invitation à soumissionner pour le contrat et non pas du contrat lui-même. Le défendeur soutient que c'est seulement le contrat lui-même qui est considéré comme étant un contrat de défense et auquel l'article 30 peut s'appliquer. À mon avis, toutefois, le libellé de l'article 30 est clair : « Les renseignements recueillis sur une entreprise dans le cadre de la présente loi ne peuvent être communiqués... »


[19]            Dans la présente affaire, les renseignements ont été recueillis « dans le cadre de la présente loi » , puisque le ministre est investi du pouvoir d'acquérir des fournitures et de prendre toute autre mesure qu'il juge accessoire à de telles fournitures, par l'article 16 de la Loi. Il ne me semble pas pertinent que les renseignements en question fassent partie du contrat lui-même ou aient été recueillis en tant que condition requise du contrat. Ils ont tous été recueillis par le ministre en vertu du pouvoir que lui confère la Loi. Une fois que le contrat est visé par la LPD, l'article 30 ne fait pas de distinction entre les documents qui faisaient partie du contrat et les documents qui faisaient partie de l'invitation à soumissionner. L'article 30 ne fait pas mention des renseignements recueillis dans le contrat. Par conséquent, l'article 1.5 de la DP, qui déclare en partie :

... L'habilitation de sécurité doit être en place avant l'adjudication du contrat.

ne soustrait pas à l'article 30 les affaires concernant l'habilitation de sécurité.

[20]            Donc, conformément à l'article 30 de la LPD, les documents ne devraient pas être communiqués puisque la demanderesse n'a pas donné son consentement. Le défendeur le ministre des Travaux publics ne doit communiquer aucun des dossiers de la demanderesse en rapport avec l'invitation à soumissionner de TPSGC no 10 MC W8483-6-EFAA/A, Soutien en service pour les navires de la classe du Halifax et de l'Iroquois.


[21]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du défendeur TPSGC en date du 23 février 2000 est annulée. La Cour adjuge à la demanderesse des dépens au montant de 3 000 $.

                                                                                   « W.P. McKeown »

                                                                                                           JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 5 novembre 2001

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DE DOSSIER :                                T-587-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :    Siemens Canada Limitée

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 24 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

DATE DES MOTIFS :              le 5 novembre 2001

ONT COMPARU :

Michele Ballagh                                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Liz Tinker                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson                           POUR LE DEMANDEUR

Hamilton (Ontario)

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


Date : 20011105

Dossier : T-587-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 5 NOVEMBRE 2001

En présence de MONSIEUR LE JUGE W.P. McKEOWN

ENTRE :

                             SIEMENS CANADA LIMITÉE

                                                                                          demanderesse

                                                    -et -

LE MINISTRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES

GOUVERNEMENTAUX DU CANADA et ANITA LLOYD, en sa qualité de

coordinatrice de l'accès à l'information et de la protection des renseignements

personnels pour Travaux publics et Services gouvernementaux Canada

                                                                                                 défendeurs

                                           ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du défendeur TPSGC en date du 23 février 2000 est annulée. La Cour adjuge à la demanderesse des dépens au montant de 3 000 $.

                                                                                   « W.P. McKeown »

                                                                                                        JUGE

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


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