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     Date : 19971216

     Dossier : T-151-97

Entre :

     PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE RESSOURCES LIMITÉE,

     requérante,

     - et -

     RONALD A. IRWIN, en sa qualité de MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

     ET DU NORD CANADIEN et SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

     représentée par LE DIRECTEUR EXÉCUTIF,

     PÉTROLE ET GAZ DES INDIENS DU CANADA,

     MINISTÈRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROTHSTEIN

     LA QUESTION EN LITIGE

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre), en date du 25 novembre 1996, prise aux termes du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, DORS/94-753. Le ministre a pris cette décision après qu'une demande lui eut été adressée par la requérante, Pétrolière Impériale Ressources Ltée (PIRL), en vue de réviser les décisions antérieures du directeur exécutif, Pétrole et Gaz des Indiens du Canada (PGIC)1.

[2]      La question en litige porte sur des redevances relatives aux dérivés du gaz naturel extrait de certaines terres à Bonnie Glen (Alberta), ou à proximité, sur la réserve indienne de Pigeon Lake nE 138A et que la requérante doit payer à Sa Majesté du chef du Canada en tant que fiduciaire des bandes indiennes Sampson, Ermineskin, Louis Bull et Montana. La période pertinente s'échelonne du 1er août 1979 au 31 décembre 1985. Au cours de cette période, Texaco Canada Resources Limited (TCRL), prédécesseur en titre de la requérante, louait et exploitait l'usine de production de gaz de Bonnie Glen. TCRL vendait à la sortie de l'usine de Bonnie Glen des dérivés du gaz à une de ses sociétés affiliées, Texaco Canada Incorporated (TCI). En vertu d'une entente entre TCRL et TCI, TCI s'engageait à faire la mise en marché des dérivés du gaz qu'elle achetait de TCRL et à lui payer quatre-vingt-quinze pour cent du prix de vente en aval, net à la sortie de l'usine de Bonnie Glen (c'est-à-dire après déduction des frais de transport et autres engagés au-delà de ce point)2. Le paiement de quatre-vingt-quinze pour cent du prix de vente net de TCI tenait compte d'une déduction de cinq pour cent faite par TCI, au titre des frais de commercialisation, sur le prix de vente final. Les redevances étaient calculées sur le prix à la sortie de l'usine, c'est-à-dire sur quatre-vingt-quinze pour cent du prix de vente de TCI, net à la sortie de l'usine.

[3]      De l'avis du directeur exécutif de PGIC, les frais de commercialisation de cinq pour cent n'auraient pas dû être déduits avant le calcul des redevances. Par conséquent, il a décidé d'effectuer une vérification officielle des prix des dérivés du gaz avant le 1er janvier 1986. C'est cette décision qui est à l'origine de l'appel interjeté par la requérante auprès du ministre.

[4]      Le ministre a conclu que le directeur exécutif du PGIC avait le droit d'examiner, y compris celui de vérifier, les dossiers de TCRL et de TCI antérieurs à 1986. Le ministre a également statué que les frais de commercialisation de cinq pour cent avaient été déduits à tort et que la déduction devait être totalement éliminée. Les parties pertinentes de la décision du ministre sont les suivantes :

         [TRADUCTION]                 
         La deuxième révision demandée concernait la décision prise par le directeur exécutif en 1994 de vérifier les prix des dérivés avant 1986. Je conclus que PGIC avait le droit d'examiner, y compris de vérifier, les dossiers de la Pétrolière Impériale et de ses sociétés affiliées, y compris les dossiers de marketing et des ventes, antérieurs à 1986. La demande de la Pétrolière Impériale à cet égard est donc refusée. Dans la suite qu'il donnera à cette affaire, le directeur exécutif pourra en venir à la conclusion que, si la Pétrolière Impériale a communiqué des documents suffisants au cours de l'examen, il n'est plus nécessaire que PGIC fasse la vérification. Le directeur exécutif peut prendre toutes les autres mesures qu'il juge nécessaires pour régler cette affaire.                 
         Dans le cadre de ma révision, j'ai également examiné la question de la déduction des frais de commercialisation. Malgré l'écoulement du temps, le dossier indique clairement que le prédécesseur de la Pétrolière Impériale a déduit à tort des frais de commercialisation de cinq pour cent sur les prix des dérivés du gaz naturel, à l'exception de l'éthane et du pentane plus, pour la période d'août 1979 à décembre 1985. La nature de mes responsabilités à l'égard des premières nations m'oblige à demander à la Pétrolière Impériale de faire un redressement qui aura pour effet d'éliminer totalement cette déduction.                 

     LE RÈGLEMENT SUR LE PÉTROLE ET LE GAZ DES TERRES INDIENNES

[5]      Le ministre a effectué sa révision en vertu du paragraphe 57(2) du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes. L'article 57 dispose comme suit :

         57.(1) Quiconque n'est pas satisfait d'une décision ou d'un ordre du directeur exécutif ou de toute mesure prise ou omise par lui selon le présent règlement, peut, dans les 60 jours suivant la décision, l'ordre ou la mesure ou, dans le cas d'une omission, dans les 60 jours suivant le jour où l'omission a été ou aurait dû être découverte, demander par écrit au ministre de réviser la décision, l'ordre, la mesure ou l'omission en cause.                 
             (2) Le ministre doit réviser la demande visée au paragraphe (1) et aviser le demandeur de sa décision finale.                 

Il faut aussi consulter le Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, C.R.C. 1978, ch. 963, modifié par DORS/81-340, pour savoir quels étaient les droits et obligations fondamentaux de la requérante et l'étendue du pouvoir de PGIC3. Les dispositions auxquelles il sera fait référence dans les présents motifs sont les suivantes :

         2.(1) Dans le présent règlement,                 

         [...]

         "bail" désigne un bail consenti selon le présent règlement sur des droits de pétrole et de gaz et sur des droits de superficie et, qui, selon l'article 6 de la Loi, est assujetti au présent règlement, sauf si le contexte du présent règlement indique autrement; [...]                 
         "contrat" comprend un permis, un bail, une licence ou tout autre acte d'aliénation consenti selon le présent règlement et comprend une concession, un permis, un bail, une licence ou tout autre acte d'aliénation qui, selon l'article 6 de la Loi, est assujetti au présent règlement, sauf si le contexte du présent règlement indique autrement; [...]                 
         "exploitant" désigne une personne effectuant des travaux ou entreprenant des activités relatives à l'exploitation de pétrole et de gaz sur des terres indiennes, notamment l'entrepreneur sous contrat, ses employés, serviteurs et agents; [...]                 
         "personne" désigne un individu majeur ou une société légalement constituée, enregistrée ou licenciée au Canada ou dans toute province afin de mener le genre d'activité qu'elle entreprend ou se propose d'entreprendre;                 

     [...]

         21.(1) Sauf indication contraire dans un accord spécial visé au paragraphe 5(2) de la Loi, la redevance sur le pétrole et le gaz obtenu d'une zone sous bail ou attribuable à cette zone est celle calculée selon l'annexe I, telle que modifiée au besoin, et est payable à Sa Majesté du chef du Canada, en fiducie, à l'intention de la bande d'Indiens concernée.                 
             (2) Lorsque le titulaire obtient du pétrole ou du gaz de la zone sous bail ou attribuable à cette zone,                 
             a) au plus tard le 25e jour de chaque mois, ou                 
             b) aux intervalles précisés dans le bail régissant la zone, il présente au gestionnaire un rapport et une déclaration financière, sur des formules prescrites ou approuvées par ce dernier, se rapportant au pétrole ou au gaz ainsi obtenu ou attribué, au cours du mois ou de l'intervalle précédent, ainsi que le paiement des redevances exigibles pour ce mois et cet intervalle.                 
             (3) Chaque vente, à moins d'autorisation contraire écrite du gestionnaire, inclut la redevance payable visée au présent article.                 
             (4) Le gestionnaire peut toujours, après avoir donné un avis écrit raisonnable au titulaire et après avoir étudié les obligations de ce dernier quant à la vente du pétrole et du gaz et de tout autre produit de ces derniers, prendre l'équivalent en nature de toutes ou partie des redevances payables.                 
             (5) Sur demande d'un titulaire et avec l'approbation du conseil de la bande concerné, il peut consentir par écrit à ne pas prendre en nature, pour une période donnée, toutes ou partie des redevances payables.                 
             (6) Aucune redevance n'est payable pour le pétrole et le gaz utilisés pour le forage, la production ou le traitement dans une zone sous contrat ou attribuable à cette zone.                 
             (7) Lorsque le pétrole ou le gaz constitue la redevance payable selon le présent règlement et ses modifications, est vendu ou doit l'être et, de l'avis du gestionnaire, le prix de vente est ou sera inférieur à leur juste valeur marchande, il détermine par avis écrit adressé au titulaire, leur valeur monétaire réalisable si la vente s'effectuait de façon sérieuse, au moment et à l'endroit de la production au cours d'une transaction n'ayant aucun lien de dépendance; le titulaire doit alors, dans son prochain paiement de redevance, calculer et payer au gestionnaire la différence entre la valeur monétaire visée à l'avis et le prix de vente.                 

     [...]

         42.      (1) Le gestionnaire peut, en tout temps raisonnable                 
             a) inspecter les puits, les installations, l'équipement et tous les autres travaux d'un exploitant;                 
             b) examiner les dossiers d'un exploitant, soit au chantier ou au bureau de ce dernier; et                 
             c) assister au forage, à l'essai et à l'achèvement de tout puits.                 
             (2) Les renseignements recueillis selon le paragraphe (1) doivent être tenus confidentiels selon l'article 43, sauf lorsque le dévoilement de ces renseignements est nécessaire afin d'assurer la conformité aux modalités d'un contrat ou du présent règlement.                 

     ANNEXE I

             2.(2) La redevance calculée, imposée et perçue pour le gaz produit dans une zone sous contrat ou attribuable à cette zone comprend la redevance de base de 25 pour cent de la production de gaz dans une zone sous contrat ou attribuable à cette zone et la redevance supplémentaire applicable déterminée selon le paragraphe (3); toutes les quantités sont calculées à la date et au lieu de la production, sans aucune déduction, sauf pour ce qui figure au paragraphe (4).                 

     [...]

             (4) Lorsque le gaz est traité par une méthode autre que la gravité, la redevance pour le gaz produit de cette façon est calculée d'après le prix de vente réel de ce gaz, mais doivent être déduits les frais de traitement, que le gestionnaire peut juger justes et équitables de temps à autre, calculés sur le total de la partie de la redevance de base et de la redevance supplémentaire de la production.                 
             (5) "Prix de vente réel" désigne le plus élevé du prix auquel le gaz est vendu et du prix prescrit par le paragraphe 21(7) du présent règlement.                 

     LES FRAIS DE COMMERCIALISATION DE CINQ POUR CENT

[6]      L'entente conclue le 1er août 1979 entre TCRL et TCI servait de base au calcul du prix touché par TCRL à titre d'exploitant de l'usine de Bonnie Glen et de vendeur des dérivés du gaz visés en l'espèce. Les dispositions pertinentes de l'entente sont les suivantes :

         [TRADUCTION]                 
         1.      Définitions                 
                 Dans la présente entente, y compris dans le préambule et le présent article :                 

     [...]

             c)      "Point de livraison" désigne l'installation où les produits sont fabriqués.                 

     [...]

         4.      Prix                 
             a)      [...]                 
                 (ii)      Autres produits de l'usine (à l'exception des pentanes plus) - Le vendeur recevra quatre-vingt-quinze pour cent (95 %) du prix de vente net au point de livraison qu'a réalisé l'acheteur en vendant les produits à leur juste valeur marchande, après rajustement au prix du volume total aux termes de l'article 5.                 
             b)      L'acheteur s'engage à vendre les produits de l'usine du vendeur à des prix concurrentiels, en tenant compte du prix fixé par le gouvernement et/ou des restrictions de volume imposées aux exportations de l'Alberta ou du Canada. Le prix de tous les produits utilisés par l'acheteur ou une de ses sociétés affiliées sera fixé ou les ventes se feront à la juste valeur marchande.                 
             c)      Pour déterminer le prix net, l'acheteur déduit toutes les taxes (à l'exception de l'impôt sur le revenu) qui peuvent être imposées sur les produits de l'usine en aval du point de livraison.                 

                             [souligné dans l'original]

[7]      En vertu d'une entente modifiée en date du 1er avril 1981, l'alinéa 1d) a été ajouté à l'entente, et le sous-alinéa 4a)(ii) et l'alinéa 4b) ont été remplacés par ce qui suit :

         1.      d)      "Prix de gros réalisable", relativement à une opération concernant un produit visé au sous-alinéa 4a )(ii) et à l'alinéa 4b), désigne le prix que le service d'approvisionnement et de distribution de l'acheteur obtient ou pourrait obtenir au cours d'une vente sans lien de dépendance avec un distributeur ou un courtier.                 
         4.      a)      [...]                 
                 (ii)      Autres produits de l'usine (à l'exclusion des pentanes plus) - Le vendeur recevra quatre-vingt-quinze pour cent (95 %) de la moyenne mensuelle pondérée des prix de gros réalisables, nets au point de livraison et rajustés aux prix du volume total aux termes de l'article 5.                 
             b)      L'acheteur s'engage à vendre tous les produits de l'usine du vendeur à des prix de gros réalisables, en tenant compte du prix fixé par le gouvernement et/ou des restrictions de volume imposées aux exportations de l'Alberta ou du Canada.                 

[8]      Les parties ont informé la Cour que les modifications de 1981 n'ont aucun effet sur la question en litige.

[9]      Il semble donc que TCI devait vendre les produits "en aval" à un "prix concurrentiel" ou à des prix qui pouvaient être obtenus "dans une vente sans lien de dépendance". Les déductions devaient être faites sur ces prix correspondant à la juste valeur marchande pour établir le prix que devait toucher TCRL au "point de livraison" (à la sortie de l'usine). Ces déductions comprenaient les frais de transport engagés par TCI et les taxes (autres que l'impôt sur le revenu) qui étaient imposées sur les produits après la sortie de l'usine. Le prix de vente réel de TCRL devait donc correspondre à quatre-vingt-quinze pour cent du prix de vente réalisé par TCI, net au point de livraison, afin de permettre à TCI de couvrir ses frais de commercialisation de cinq pour cent, ainsi que les frais de transport, les taxes et autres dépenses engagées après la sortie de l'usine4.

[10]      Le directeur exécutif de PGIC et le ministre ont traité TCRL et TCI comme une seule entité. S'appuyant sur les paragraphes 2(2) et 2(4) de l'annexe I du Règlement, ils ont donc traité le prix de vente en aval de TCI comme s'il s'agissait du prix de vente réel de TCRL et les frais de commercialisation de cinq pour cent comme s'il s'agissait d'une dépense de TCRL. Comme il ne s'agissait manifestement pas de frais de traitement, ces frais de commercialisation ne pouvaient être déduits aux fins du calcul des redevances en vertu du paragraphe 2(4). D'après leur interprétation des mots "sans aucune déduction, sauf pour ce qui figure au paragraphe (4)", se trouvant au paragraphe 2(2), ils ont conclu que les frais de commercialisation ne pouvaient être déduits aux fins du calcul des redevances.

[11]      Pour les fins de sa révision, le ministre a retenu les services de G.J. DeSorcy, ingénieur de renom, jouissant d'un grand respect dans l'industrie du pétrole et du gaz. Dans son rapport au ministre, M. DeSorcy semble accepter l'argument selon lequel, si les frais de commercialisation étaient reflétés dans le prix payé à TCRL par des tiers acheteurs n'ayant aucun lien avec elle, le prix de vente réel n'inclurait pas les frais de commercialisation. (La preuve indique que, pendant quelques mois avant août 1979, TCRL a vendu à la sortie de l'usine des dérivés du gaz à des acheteurs sans lien de dépendance avec elle pour un prix correspondant à quatre-vingt-quinze pour cent du prix de vente final, net à la sortie de l'usine, payé par l'acheteur.) Toutefois, dans le cas de ventes avec des parties liées (comme ce fut le cas après le 1er août 1979), M. DeSorcy s'est dit d'avis que cela [TRADUCTION] "équivaut presque à dire que c'est le producteur qui applique les frais". Dans ces circonstances, M. DeSorcy a conclu que le Règlement ne permettait pas de déduire les frais de commercialisation. Il déclare ceci :

         [TRADUCTION]                 
         Dans cette situation particulière, les frais de commercialisation représentaient une charge imposée sur le produit par un tiers, au lieu d'une charge appliquée par le producteur. Dans une vente entre parties non liées et lorsque ces frais de commercialisation se reflètent dans le prix payé par l'acheteur au producteur, on peut soutenir assez justement que les frais de commercialisation ont été déduits du prix de vente réel. Dans une telle situation, l'instance chargée de la révision estime que le percepteur des redevances doit prouver que le prix de vente, incluant les frais de commercialisation, ne correspond pas à la juste valeur marchande.                 
         À compter du 1er août 1979, les frais de commercialisation des LGN à Bonnie Glen n'était appliqués que dans une vente sans lien de dépendance. Cela équivaut presque à dire que c'est le producteur qui applique les frais. Dans une telle situation, l'instance chargée de la révision croit que le producteur, en calculant les redevances, ne devrait tenir compte que des charges autorisées par le Règlement, ce qui exclut les frais de commercialisation.                 

                                     [dossier, p. 551]

Le ministre n'a pas donné d'autres raisons de fond qui l'ont amené à conclure que les frais de commercialisation de cinq pour cent devaient être éliminés, à l'exception de son affirmation selon laquelle [TRADUCTION] "le dossier indique clairement que le prédécesseur de la Pétrolière Impériale a déduit à tort des frais de commercialisation de cinq pour cent".

[12]      Le dossier renferme quelques indices qui pourraient expliquer pourquoi le directeur exécutif de PGIC et le ministre ont contesté la déduction de ces frais de cinq pour cent. Tout d'abord, il semble que la province de l'Alberta (la Couronne de l'Alberta), dans des opérations où elle agissait comme locateur des terres utilisées pour l'extraction de gaz naturel, ne reconnaissait pas les frais de commercialisation de cinq pour cent aux fins du calcul des redevances. Il semble que le directeur exécutif et M. DeSorcy ont jugé que la méthode utilisée par la Couronne de l'Alberta était un précédent qui devait être suivi dans les cas où la Couronne fédérale louait les terres, en raison surtout de l'obligation fiduciaire de la Couronne fédérale à l'égard des premières nations. Dans ses observations adressées à M. DeSorcy le 7 juin 1996, PGIC indiquait ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         31. Les résultats des vérifications effectuées par la province de l'Alberta semblent pertinentes. PGIC estime que sa relation avec la Pétrolière Impériale ressemble davantage à celle de la Couronne de l'Alberta qu'à celle d'autres propriétaires fonciers comme Pan Canadian ou des fournisseurs privés de LGN, comme Chevron et Gulf.                 
         32. La déclaration de la Pétrolière Impériale énoncée au paragraphe 13 g. confirme que la Couronne de l'Alberta a exigé qu'elle calcule de nouveau les redevances et qu'elle en élimine la déduction pour les frais de commercialisation, que ce nouveau calcul a été fait, et que des redevances additionnelles ont été payées. L'opinion de M. Beaton selon laquelle la position de la Couronne de l'Alberta, indiquant que les frais de commercialisation n'étaient pas justifiés, n'est pas pertinente.                 
         33. Les renseignements limités qui ont été fournis à PGIC par la Pétrolière Impériale attestent que, non seulement Texaco a-t-elle déduit des frais de commercialisation avant 1986, mais qu'elle était parfaitement au courant que cette déduction était inappropriée aux fins du calcul des redevances, et que la province de l'Alberta l'a obligée à calculer de nouveau ces redevances et à en éliminer cette déduction [...]                 

                             [dossier, p. 421, renvoi omis]

[13]      Dans son rapport, M. DeSorcy déclare ceci :

         [TRADUCTION]                 
         De l'avis de l'instance chargée de la révision, la question revêt deux aspects importants : premièrement le Règlement ne prévoit pas une telle déduction, et deuxièmement la Couronne de l'Alberta refuse cette déduction depuis 1981. Les mesures prises par la Couronne de l'Alberta auraient dû signaler au producteur que cette déduction n'était pas conforme aux ententes types de paiement de redevances à la Couronne.                 

                                     [dossier, p. 552]

[14]      Cependant, cette explication fondée sur le précédent ne tient pas compte du fait que la Couronne de l'Alberta, d'après ce que je comprends, a négocié et conclu une entente contractuelle. De toute évidence, TCRL a accepté, contre valeur, d'éliminer du calcul des redevances la déduction de cinq pour cent au titre des frais de commercialisation. Dans ses observations adressées à M. DeSorcy le 30 avril 1996, la requérante indique ceci :

         [TRADUCTION]                 
         Le seul locateur qui a été traité différemment, c'est la Couronne de l'Alberta. En 1980 et 1981, celle-ci a exigé du locataire qu'il calcule de nouveau les redevances pour tenir compte d'une réduction des frais de commercialisation de cinq pour cent à trois pour cent. Par la suite, ces frais de commercialisation ont été éliminés. Selon M. Beaton, la position de la Couronne de l'Alberta était différente de celle de PGIC. Dans ses discussions avec M. Beaton, la Couronne albertaine était disposée à reporter le versement des redevances jusqu'à la dernière vente en aval. Elle a fait cette concession pour compenser l'élimination des frais de commercialisation. Contrairement à PGIC, la Couronne de l'Alberta acceptait le risque des pertes en entreposage, ainsi que des changements des prix du transport et des stocks.                 

                                     [dossier, p. 74]

La Cour n'a été saisie d'aucun élément qui contredit cette preuve.

[15]      Même si PGIC estime que sa position ressemble davantage à celle de la Couronne de l'Alberta qu'à celles des autres propriétaires fonciers, cela ne lui donne pas le droit de refuser après le fait la déduction des frais de commercialisation de cinq pour cent. Apparemment, la Couronne albertaine a accepté certains risques que PGIC n'assumait pas à cette époque. En fait, la Couronne fédérale cherche à profiter d'un avantage au niveau du prix que la Couronne albertaine a obtenu, sans toutefois accepter les risques que l'Alberta a pris, simplement parce que la Couronne albertaine a négocié ce que la Couronne fédérale juge maintenant comme étant une entente plus favorable que les arrangements prévus au Règlement. Je ne vois rien dans le Règlement qui autorise PGIC à bénéficier des avantages dont profite, à son avis, la Couronne de l'Alberta. Je ne peux donc conclure que le précédent établi par la Couronne de l'Alberta peut justifier l'élimination des frais de commercialisation de cinq pour cent.

[16]      Deuxièmement, on laisse entendre que la requérante aurait reconnu que la déduction des frais de commercialisation de cinq pour cent était inappropriée. Les intimés font référence à une lettre en date du 29 septembre 1995, que Brian Nowak de PIRL a adressé à PGIC, et qui indique ceci à la page 2 :

         [TRADUCTION]                 
         L'Impériale reconnaît que les frais de commercialisation ne sont pas déductibles et elle convient que son obligation à l'égard des redevances a été fixée à quatre-vingt-quinze pour cent du prix de vente réel utilisé pour le calcul de ces redevances.                 

                                     [dossier, p. 454]

[17]      Dans ses observations à M. DeSorcy le 7 juin 1996, PIRL fait référence à l'aveu de M. Nowak :

         [TRADUCTION]                 
         21. Il est clairement dit dans la vérification de 1986 à 1988 que la Pétrolière Impériale a déduit à tort des frais de commercialisation de cinq pour cent du prix qu'elle utilisait pour calculer les redevances payées à PGIC. Dans une lettre en date du 29 septembre 1992, l'Impériale a admis ce fait. Dans cette lettre, qui est la première réponse officielle de l'Impériale aux renseignements préjudiciables qui sont ressortis de la vérification, la déclaration suivante est faite à la page 2 :                 
             Manifestement, le règlement de PGIC n'autorise pas la déduction des frais de commercialisation en réduction du prix utilisé pour le calcul des redevances [...] L'Impériale reconnaît que les frais de commercialisation ne sont pas déductibles et elle convient que son obligation à l'égard des redevances a été fixée à quatre-vingt-quinze pour cent du prix de vente réel utilisé pour le calcul de ces redevances.                         
         22. Autrement dit, l'Impériale a admis que la déduction des frais de commercialisation était inappropriée et contraire à l'entente convenue, quoiqu'elle juge ces frais raisonnables.                 

                                 [dossier, p. 417]

Bien que la lettre de M. Nowak soit quelque peu nébuleuse, je ne pense pas qu'il ait reconnu que la déduction au niveau des frais de commercialisation était inappropriée et contraire à quelqu'entente que ce soit. En fait, M. Nowak conclut ses observations sur la question des frais de commercialisation de la manière suivante :

         [TRADUCTION]                 
         Nous croyons que notre méthode permet de calculer avec exactitude un prix juste et équitable à la sortie de l'usine de Bonnie Glen et que ce prix est conforme aux exigences et au Règlement qui prévoit l'établissement du prix "[...] à la date et au lieu de production [...]".                 

                                 [dossier, p. 455]

Au mieux, je pense que M. Nowak a reconnu que l'exploitant de l'usine ne pouvait déduire les frais de commercialisation en vertu du Règlement et que les redevances étaient calculées sur quatre-vingt-quinze pour cent du prix de vente de TCI en aval, net à la sortie de l'usine. Aucun de ces aveux ne permet de croire qu'il reconnaissait que la requérante avait à tort déduit les frais de commercialisation de cinq pour cent.

[18]      Je peux facilement comprendre les préoccupations du directeur exécutif de PGIC et du ministre qui s'inquiètent de ce que des opérations entre parties liées entraînent une réduction inappropriée des redevances. Toutefois, je ne vois rien dans le Règlement qui puisse justifier l'approche qu'ils ont adoptée pour dissiper leurs préoccupations en l'espèce, c'est-à-dire traiter TCRL et TCI comme une seule entité, de façon que les frais de commercialisation de TCI soient considérés comme une dépense de TCRL.

[19]      La règle ordinaire selon laquelle une société est une entité juridique distincte de ses actionnaires a été approuvée par le juge Wilson dans l'arrêt Kosmopoulos c. Constitution Insurance Co., [1987] 1 R.C.S. 2, à la page 10 :

         En règle générale, une société est une entité juridique distincte de ses actionnaires : Salomon v. Salomon & Co., [1897] A.C. 22 (H.L.). Aucune règle uniforme n'a été appliquée à la question de savoir dans quelles circonstances un tribunal peut déroger à ce principe en "faisant abstraction de la personnalité morale" et en considérant la société comme un simple "mandataire" ou "instrument" de son actionnaire majoritaire ou de sa société mère. En mettant les choses au mieux, tout ce qu'on peut dire est que le principe des "entités distinctes" n'est pas appliqué lorsqu'il entraînerait un résultat [TRADUCTION] "trop nettement en conflit avec la justice, la commodité ou les intérêts du fisc" : L.C.B. Gower, Modern Company Law (4th ed. 1979), à la p. 112.                 

Cette règle a été reconfirmée dans La Reine c. MerBan Corporation (1989), 89 D.T.C. 5404 (C.A.F.), page 5410, par le juge en chef Iacobucci (tel était alors son titre), et a été citée avec approbation dans l'arrêt La Reine c. Jennings, D.T.C. 6507 (C.A.F.), au paragraphe 2 par le juge Robertson. Dans l'arrêt Jennings, le juge Robertson a fait observer, à la page 6508, que ce n'est que dans les cas les plus patents, dans des circonstances convaincantes et après avoir procédé à une analyse juridique approfondie que la "règle ordinaire" peut être écartée.

[20]      Dans l'arrêt Kinookimaw Beach Association v. R. in Right of Saskatchewan, [1979] 6 W.W.R. 84 (C.A. Sask.) (autorisation de pourvoi refusée à 30 N.R. 267n), le juge en chef Culliton déclare ceci aux pages 88 et 89 :

         [TRADUCTION]                 
         Je pense que le principe qui se dégage de l'affaire Nedco [Nedco Ltd. v. Clark, [1973] 6 W.W.R. 425, 43 D.L.R. (3e) 741 (C.A. Sask.)], est celui-ci : l'existence autonome et indépendante d'une personne morale doit être acceptée à moins qu'il ne soit établi qu'une telle structure a été délibérément utilisée pour échapper à l'intention et au but d'une loi particulière ou pour projeter une fausse image d'indépendance entre une ou plusieurs personnes morales qui, si elle était acceptée, ferait échec à un droit juste et équitable.                 

En l'espèce, il n'y a pas de preuve qu'on a utilisé deux entités juridiques distinctes, soit TCRL et TCI, pour échapper à l'intention et au but du Règlement ou pour projeter une fausse image d'indépendance entre TCRL et TCI. En fait, dans son mémoire (paragraphe 33), l'avocat des intimés reconnaît que ces clients n'ont pas tenté [TRADUCTION] "de faire abstraction de l'intégrité d'entités distinctes ou de la personnalité morale". Il ajoute que les intimés n'allèguent pas que TCI, qui en vertu de l'entente avec TCRL était l'acquéreur, était une façade. Par conséquent, il ne s'agit pas d'un cas où les circonstances sont si convaincantes qu'elles justifient d'écarter la règle ordinaire.

[21]      Quand le législateur a l'intention de traiter des sociétés affiliées comme une seule entité, il le dit expressément. Les dispositions législatives à cet effet sont légion, l'exemple le plus évident étant la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. I-4. Par contraste, il n'y a rien dans le Règlement qui autorise le ministre ou PGIC à traiter des entités juridiques distinctes comme s'il s'agissait d'une seule personne morale. Les définitions de "bail", d'"exploitant" et de "personne" indiquent clairement qu'aux fins du Règlement un exploitant est une personne qui est titulaire d'un bail relatif à des terres indiennes et qui fait l'exploitation du gaz. Le terme "personne" désigne une société légalement constituée, enregistrée et licenciée afin de mener le genre d'activité qu'elle entreprend, notamment l'exploitation du gaz sur les terres indiennes. Il n'y a pas de référence implicite aux sociétés affiliées ou à des parties liées qui, à une étape ultérieure, interviennent dans la commercialisation des dérivés du gaz qu'elles achètent d'un exploitant. Bien que la définition d'exploitant englobe les employés de la société, ses préposés et ses agents, aucun de ces termes ne s'applique à la personne qui achète le gaz de l'exploitant. Il n'y a certainement pas d'indice qui laisse entendre que l'entente entre TCRL et TCI est de la nature du mandat.

[22]      En outre, la tentative de considérer TCRL et TCI comme une seule entité entraîne une incohérence dans le traitement des charges engagées après la sortie de l'usine. Pour refuser les frais de commercialisation, on allègue qu'il ne s'agit pas de frais de traitement, qui sont les frais pouvant être déduits en vertu du paragraphe 2(4) de l'annexe I du Règlement. Toutefois, les intimés n'adoptent pas la même position pour ce qui a trait aux frais de transport ou aux taxes payés après la sortie de l'usine. Essentiellement, les intimés traitent TCRL et TCI comme une entité pour ce qui est des frais de commercialisation, mais ils les considèrent comme des entités distinctes pour d'autres frais. Si, en fait, les intimés avaient le pouvoir en vertu du Règlement de faire abstraction de la personnalité morale comme ils l'ont fait, ils seraient obligés de refuser tous les frais qui ne se rapportent pas au traitement. Ils n'ont pas le pouvoir d'accepter ou de refuser les frais à leur discrétion. Je pense que cette anomalie fait clairement ressortir que le Règlement n'autorise pas les intimés à traiter différentes entités juridiques, même celles qui sont liées entre elles, comme une seule et même entité.

[23]      Dans le même ordre d'idées, il est intéressant de noter que, dans la modification apportée en 1994 au Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, la définition de "prix de vente réel" inclut, pour la première fois, la question des frais après la sortie de l'usine. L'article 4 dispose comme suit :

             4. Pour l'application des articles 1 et 2, "prix de vente réel" désigne la plus élevée des valeurs suivantes :                 
             a) dans le cas :                 
                 (i) du pétrole, le prix de vente du pétrole,                 
                 (ii) du gaz, le prix ou la contrepartie payable stipulé dans le contrat de vente du gaz ou de l'élément composant, exempt de toute taxe, perception ou déduction, à l'exception des droits de transmission après sa sortie de l'installation;                 
             b) la juste valeur marchande établie selon le paragraphe 33(6) du présent règlement.                 

Par cette modification, il semble que le Règlement utilise maintenant le prix de vente "en aval" (bien que cela ne soit pas expressément indiqué) et exige que le prix à la sortie de l'usine ne tienne compte que des droits de transmission "après la sortie de l'installation", et d'aucune autre charge. Bien entendu, la modification de 1994 ne porte aucunement atteinte à l'interprétation du Règlement tel qu'il existait entre 1979 et 1985.

[24]      Dans sa plaidoirie, l'avocat des intimés a invité la Cour à interpréter largement le Règlement, en raison surtout de l'obligation fiduciaire non contestée qui incombe à la Couronne fédérale à l'égard des premières nations, au nom desquelles elle perçoit les redevances. Toutefois, l'existence d'une obligation fiduciaire entre la Couronne fédérale et les premières nations ne donne pas à PGIC, au ministre ou à la Cour le pouvoir d'inclure des mots dans le Règlement, ce que demandent effectivement les intimés.

[25]      L'absence, dans le Règlement, de pouvoirs qui autoriseraient le directeur exécutif de PGIC et le ministre à traiter TCRL et TCI comme une seule entité ne crée pas une échappatoire par laquelle il serait possible de réduire de façon inappropriée les redevances à payer dans le cas d'opérations entre parties liées. Le paragraphe 21(7) du Règlement traite expressément des opérations entre parties liées et y apporte une solution. Si le directeur exécutif est d'avis que le prix de vente sera inférieur à la juste valeur marchande, il est autorisé à préciser la valeur monétaire réalisable si la vente s'effectuait de façon sérieuse au moment et à l'endroit de la production au cours d'une opération sans lien de dépendance, et le locataire devrait alors payer la différence entre la juste valeur marchande et le prix de vente. Si le directeur exécutif était d'avis que la déduction des frais de commercialisation de cinq pour cent du prix de vente en aval réduisait le prix de vente à la sortie de l'usine à un niveau inférieur à la juste valeur marchande, il devait avoir recours au paragraphe 21(7).

[26]      Pour une raison qui n'a pas été expliquée dans les pièces déposées et par les avocats, le directeur exécutif et le ministre n'ont pas choisi cette solution5. Le directeur exécutif était peut-être dans l'incapacité, à une date aussi tardive, de préciser la valeur monétaire réalisable entre le 1er août 1979 et le 31 décembre 1985. C'est peut-être parce que les redevances auraient dû être calculées d'après "le prix de vente réel", qui était défini, aux termes des paragraphes 2(4) et 2(5) de l'annexe I du Règlement, comme le plus élevé de la juste valeur marchande ou du prix de vente, que le directeur exécutif cherche maintenant à percevoir des redevances en s'appuyant sur un prix qui excède la juste valeur marchande, prix qu'il ne pourrait pas obtenir s'il invoquait le paragraphe 21(7). Il n'y a pas de preuve que le prix de vente réel de TCRL à la sortie de l'usine était inférieur à la juste valeur marchande. En fait, la preuve révèle que M. DeSorcy a demandé si PGIC prétendait que le prix réel était inférieur à la juste valeur marchande, et PGIC, évitant de répondre, a simplement réaffirmé que la déduction des frais de commercialisation était inappropriée6. Il n'est pas déraisonnable de supposer que, compte tenu du paragraphe 21(7) du Règlement, si le ministre soupçonnait que le prix de vente de TCRL était inférieur à la juste valeur marchande, il s'en serait aperçu à peu près au moment où les ventes ont eu lieu. Quelle qu'en soit la raison, le directeur exécutif et le ministre ont délibérément évité d'invoquer le recours dont ils pouvaient se prévaloir pour traiter des opérations entre parties liées, en optant plutôt pour une stratégie qui n'est pas autorisée par le Règlement.

[27]      L'avocat des intimés fait valoir que le paragraphe 21(7) ne doit pas être considéré comme un code complet pour traiter des situations mettant en cause des parties liées. Il signale que l'article 47 du Règlement donne au ministre le pouvoir d'annuler un bail si le locataire ne respecte pas le Règlement. Toutefois, l'article 47 en soi n'explique pas pourquoi le paragraphe 21(7) n'est pas le seul mécanisme prévu au Règlement dont peut se prévaloir le directeur exécutif pour les opérations entre parties liées. Les intimés semblent faire valoir que le pouvoir qui est conféré au directeur exécutif en vertu de l'article 47 l'autorise à prendre la décision qu'il juge appropriée. Cela équivaut presque à dire que le directeur exécutif a un pouvoir discrétionnaire illimité pour prendre toutes les mesures de redressement qu'il juge souhaitables. Si telle était l'intention du législateur, les règlements détaillés adoptés par le gouverneur en conseil pour expliquer en détail les pouvoirs expressément conférés seraient redondants. Cela ne peut être une interprétation correcte du Règlement.



     LA VÉRIFICATION

[28]      En raison de la conclusion à laquelle j'en arrive concernant les frais de commercialisation de cinq pour cent, il est inutile de traiter de la question de la vérification. Toutefois, par souci d'exhaustivité, j'aborde cette partie de la décision du ministre qui traite du droit du directeur exécutif de PGIC d'effectuer une vérification des dossiers de TCRL et de TCI antérieurs à 1986. Il y a deux questions à trancher. La première consiste à savoir si PGIC avait le droit de faire cette vérification. La deuxième, si la réponse à la première question est affirmative, est de savoir si la vérification effectuée en mai englobe les sociétés affiliées d'un exploitant.

[29]      On peut répondre sommairement à la deuxième question. Pour les mêmes raisons qui empêchent de considérer les sociétés affiliées et les exploitants comme une seule entité dans le but de traiter le prix de vente d'une société affiliée comme le prix de vente de l'exploitant et les charges de la société affiliée comme des dépenses de l'exploitant, le directeur exécutif de PGIC ne peut vérifier les dossiers des sociétés affiliées d'un exploitant. Le Règlement ne contient aucune disposition expresse lui permettant d'agir ainsi et dispose plutôt à l'effet contraire. L'alinéa 42(1)b) autorise l'examen des "dossiers d'un exploitant , soit au chantier ou au bureau de ce dernier [non souligné dans l'original]". L'avocat du ministre prétend que le pouvoir de vérification devrait s'étendre à d'autres sociétés dont les documents "relèvent de l'autorité" de la requérante. À l'exception du fait que TCRL et TCI sont des parties liées, je ne dispose d'aucune preuve qui me permette de conclure que les dossiers de TCI relèvent de l'autorité de TCRL. Quoi qu'il en soit, il s'agit là tout simplement d'un autre aspect de la tentative de traiter TCRL et TCI comme une seule entité, argument que j'ai déjà rejeté. Le paragraphe 21(7) est la disposition qu'aurait dû invoquer le directeur exécutif.

[30]      L'avocat des intimés fait valoir que, même pour les fins du paragraphe 21(7), il faudrait que le directeur exécutif puisse avoir accès aux dossiers des sociétés affiliées ayant un lien de dépendance. Toutefois, le pouvoir conféré au directeur exécutif en vertu du paragraphe 21(7) a pour but d'établir ce qui, à son avis, constitue la juste valeur marchande au regard du prix de vente réel de l'exploitant. La juste valeur marchande est une donnée que l'on obtient en consultant les prix du marché. Le prix de vente réel de l'exploitant peut être obtenu de l'exploitant lui-même. Aucune de ces opérations n'exige la consultation des dossiers d'une partie liée. L'absence, au paragraphe 27(1), d'une référence à l'accès aux dossiers de personnes autres que l'exploitant appuie cette opinion.

[31]      Cela nous amène à la question de savoir si le directeur exécutif peut vérifier les dossiers d'un exploitant. De nombreux arguments ont porté sur les différentes définitions des verbes "examiner" et "vérifier". Les intimés prétendent que le verbe examiner englobe le verbe vérifier. La requérante prétend que la vérification est une opération beaucoup plus formelle qu'un simple examen, qu'elle implique l'obligation de tenir des dossiers pour des périodes précises et suppose la vérification ou l'authentification des dossiers, et qu'aucune de ces conditions n'est prévue au Règlement. L'avocat des intimés n'a pas été en mesure d'expliquer de façon précise pourquoi le ministre juge qu'une vérification, par opposition à un examen des dossiers de l'exploitant, est nécessaire.

[32]      Une lecture du Règlement dans son ensemble fait ressortir qu'il existe un plan détaillé de tenue de dossiers, en vertu duquel le directeur exécutif a notamment le pouvoir de préciser le type de dossiers qui doivent être soumis à des fins différentes. Le gouverneur en conseil a été explicite en déléguant au directeur exécutif le pouvoir d'exiger et d'examiner les dossiers. Cela m'amène à conclure que si le législateur avait eu l'intention d'autoriser une vérification, il l'aurait dit expressément. Je ne peux souscrire à l'opinion selon laquelle le terme "examiner" inclut le terme "vérifier". Manifestement, la vérification est une formalité plus officielle qui, comme le signale l'avocat de la requérante, impose à l'exploitant comme au directeur exécutif des obligations précises qui ne figurent pas dans le Règlement.

[33]      Il est également d'une certaine importance de noter que la période pertinente en l'espèce remonte à quelque douze à dix-huit ans. Rien dans le Règlement ne semble empêcher un examen des dossiers de l'exploitant, peu importe leur ancienneté. Par ailleurs, il me semble difficile de penser que le Règlement envisage une vérification officielle d'anciens dossiers et d'anciennes opérations et qu'il oblige l'exploitant à maintenir de tels dossiers indéfiniment au cas où, à une date indéterminée dans l'avenir, il faudrait procéder à une vérification. La requérante prétend que bon nombre des dossiers de cette période n'existent plus et que les personnes qui auraient pu fournir des renseignements à leur égard sont décédées ou ont pris leur retraite. Personne ne prétend que les dossiers ont été sciemment ou négligemment détruits; il n'y a pas non plus d'indication de fraude qui pourrait entraîner l'application de lois criminelles ou autres en vertu desquelles des vérifications ou des recherches plus élaborées pourraient être autorisées.

[34]      Il semble que, par le passé, des vérifications aient pu avoir lieu. Toutefois, la pratique antérieure n'aide pas à interpréter la portée du Règlement. On laisse également entendre que le Règlement, qui concerne les terres indiennes et, par implication, l'obligation fiduciaire de la Couronne fédérale à l'égard des premières nations, doit recevoir une interprétation libérale et inclure, notamment, le droit de procéder à une vérification (voir Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29, page 36, le juge Dickson (tel était alors son titre)). Toutefois, l'obligation fiduciaire ne peut justifier la modification du sens d'un texte législatif relativement clair, particulièrement quand une telle modification introduirait un élément d'incertitude dans les ententes commerciales mettant en cause les Indiens ou les terres indiennes. À cet égard, je pense que l'observation du juge La Forest dans Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, page 147, s'applique en l'espèce :

         Je ne pense pas me tromper en affirmant que les gens d'affaires accordent beaucoup d'importance à l'élément de certitude dans leurs opérations commerciales et que, par conséquent, ce qui les inciterait le plus à faire affaires avec les Indiens serait de savoir que les affaires peuvent se dérouler avec eux de la même façon qu'avec toute autre personne. Toutes considérations spéciales, protections ou exemptions extraordinaires que les Indiens apportent avec eux sur le marché suscitent des complications et sembleraient à coup sûr éloigner des partenaires commerciaux éventuels.                 

[35]      Finalement, il est important de noter que nous ne traitons pas en l'espèce d'un contrat à l'égard duquel le consentement des parties doit être obtenu. Le Règlement est de la législation par délégation et le gouverneur en conseil a le pouvoir, s'il juge que cela est dans l'intérêt public, de modifier à n'importe quel moment ce Règlement pour conférer un pouvoir de vérification au directeur exécutif et imposer à l'exploitant l'obligation de tenir des dossiers pour une période précise.

[36]      Pour ces motifs, je pense que le Règlement confère au directeur exécutif le droit d'inspecter les dossiers existants, mais non pas le droit d'effectuer une vérification. Le droit d'inspection suppose qu'un exploitant doit tenir des dossiers pendant une période raisonnable. Le fait que des dossiers établis il y a douze ou dix-huit ans n'existent plus ne permet pas à la Cour de conclure que la requérante a agi de manière déraisonnable.

[37]      Cela dit, la Cour ne peut préciser avec exactitude ce que le directeur peut accomplir de moins en effectuant un examen, par opposition à une vérification. À mon avis, il aurait été plus pratique pour le directeur exécutif d'effectuer d'abord un examen et ensuite, si cet examen ne l'avait pas satisfait, de demander d'autres renseignements. Pour une raison ou pour une autre, il n'a pas suivi cette méthode.

     CONCLUSION

[38]      La requérante a soulevé plusieurs autres arguments, comme un manquement au principes de justice naturelle, l'acquiescement et l'irrecevabilité. Compte tenu de ma décision fondée sur le texte du Règlement, il n'est pas nécessaire de traiter de ces arguments. La décision du ministre est annulée. Afin d'assurer que l'ordonnance rendue donne à la requérante un redressement efficace, l'avocat de la requérante devra prendre les mesures pour qu'une conférence téléphonique ait lieu entre les avocats de toutes les parties et la Cour au début de janvier 1998.

[39]      La requérante a demandé que les dépens lui soient adjugés, mais les parties n'ont pas débattu de cette question et, plus particulièrement, de la question de savoir si des circonstances spéciales justifient l'adjudication des dépens en l'espèce aux termes de la Règle 1618 des Règles de la Cour fédérale. Si la requérante souhaite recouvrer ses frais, l'avocat devra en informer la Cour et la question sera discutée au cours de la conférence téléphonique ayant pour but d'énoncer les conditions de l'ordonnance.

                                 Marshall Rothstein

                        

                                     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

LE 16 DÉCEMBRE 1997

Traduction certifiée conforme         
                                 François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              T-151-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Pétrolière Impériale Ressources Limitée

                     c. Ronald A. Irwin et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :          Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 29 octobre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR LE JUGE ROTHSTEIN

DATE :                  le 16 décembre 1997

ONT COMPARU :

David Tavender, c.r. et                      POUR LA REQUÉRANTE

Heather Treacy

James Shaw                              POUR LES INTIMÉS

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER ;

Milner Fenerty                          POUR LA REQUÉRANTE

Calgary (Alberta)

George Thomson                          POUR LES INTIMÉS

Sous-procureur général du Canada

__________________

     1      Lettres en date du 14 novembre 1994 et du 16 décembre 1994 adressées par le directeur exécutif à la requérante.

     2      En 1989, Pétrolière Impériale Ressources Limitée, en vertu d'une entente d'achat d'actions, a succédé à TCRL. La Compagnie pétrolière impériale Limitée a succédé à TCI (dossier, p. 71).

     3      Les dispositions procédurales applicables sont celles qui étaient en vigueur au moment où l'appel a été interjeté auprès du ministre. Il s'agit de l'article 57 du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes. Les dispositions de fond sont celles qui étaient applicables au cours de la période pertinente pour laquelle le ministre exige que les redevances soient calculées de nouveau, c.-à-d. le Règlement sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, C.R.C. 1978, ch. 963, modifié par DORS/81-340. Cette façon d'appliquer les modifications législatives est autorisée par les articles 43 et 44 de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21.

     4      Apparemment, il y avait un autre ajustement dans le prix pour tenir compte du "prix du volume total", mais cela n'est pas pertinent pour les fins de l'espèce.

     5      Le dossier (pages 420 à 422) indique que les raisons fournies pour justifier la vérification étaient de déterminer exactement à l'égard de quel produit étaient imposés les frais de commercialisation de cinq pour cent et d'établir que le calcul des redevances était erroné. Toutefois, ces raisons n'expliquent pas pourquoi le directeur exécutif n'a pas invoqué le paragraphe 21(7) du Règlement.

     6      Dossier de la demande, pages 423 et 424.

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