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                                                                                                                     Date : 20001107

                                                                                                                 Dossier : T-636-99

ENTRE :

                                                       TRADE ARBED INC.,

                                                                                                                                  intimée,

                                                                    - et -

                                                           TOLES LIMITED,

                                                                      et

                                             RONLY HOLDINGS UK LIMITED,

                                                                                                                            appelantes.

                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]         La Cour est saisie d'une requête demandant l'annulation de l'ordonnance rendue par le protonotaire le 12 juillet 2000.

LES FAITS

[2]         Le 20 octobre 1999, le protonotaire a rendu une ordonnance annulant la saisie de la cargaison de silicomanganèse (la cargaison) à bord du navire MACADO, parce que la demanderesse n'avait pas établi qu'il existait un lien suffisant entre ladite cargaison et la cause d'action.


[3]         Le protonotaire a également fondé sa décision sur la règle 221(1)a), b) et f).

[4]         Voici ce que prévoit la règle 221 :


221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

Evidence

221(2)

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

(2) Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête invoquant le motif visé à l'alinéa (1)a).


[5]         Le protonotaire a indiqué, au paragraphe 17 de la décision, que la requête était accordée avec dépens (non souligné dans l'original).

[6]         Dans la requête en annulation de saisie déposée le 28 août 1999, on pouvait lire, au paragraphe 8 :

[TRADUCTION]

Les frais et les dépenses que la saisie irrégulière des biens de Ronly ont occasionnés à cette dernière, dont la totalité des frais de représentation devant la Cour, y compris pour la présente requête.


[7]         Même si ce dernier paragraphe figurait dans la requête ayant donné lieu à la décision du 20 octobre 1999 qu'a rendue le protonotaire, il semble qu'aucun argument particulier quant aux dépens n'ait été présenté à l'audience.

[8]         Le 19 novembre 1999, les défenderesses ont soumis une requête visant la radiation de la déclaration et de la déclaration modifiée ainsi que l'obtention d'une ordonnance leur adjugeant les dépens sur la base avocat-client et enjoignant à M. K.L. Sproule, de payer lui-même les dépens adjugés.

[9]         Le 12 juillet 2000, le protonotaire a statué sur la requête en accueillant la demande de radiation de la déclaration mais en rejetant les deux autres demandes relatives aux dépens.

[10]       J'examinerai d'abord les motifs énoncés au paragraphe 8 de la décision du 12 juillet 2000.

[11] La règle 403 est ainsi conçue :



403. (1) A party may request that directions be given to the assessment officer respecting any matter referred to in rule 400,

(a) by serving and filing a notice of motion within 30 days after judgment has been pronounced; or

(b) in a motion for judgment under subsection 394(2).

Motion after judgment

403(2)

(2) A motion may be brought under paragraph (1)(a) whether or not the judgment included an order concerning costs.Same judge or prothonotary

403(3)

(3) A motion under paragraph (1)(a) shall be brought before the judge or prothonotary who signed the judgment.

403. (1) Une partie peut demander que des directives soient données à l'officier taxateur au sujet des questions visées à la règle 400 :

a) soit en signifiant et en déposant un avis de requête dans les 30 jours suivant le prononcé du jugement;

b) soit par voie de requête au moment de la présentation de la requête pour jugement selon le paragraphe 394(2).

Précisions

403(2)

(2) La requête visée à l'alinéa (1)a) peut être présentée que le jugement comporte ou non une ordonnance sur les dépens.

Présentation de la requête

403(3)

(3) La requête visée à l'alinéa (1)a) est présentée au juge ou au protonotaire qui a signé le jugement.


[12]       J'ai du mal à concilier les prémisses exposées au paragraphe 8 de la décision du protonotaire avec le libellé de la règle 403(2).

[13]       Le paragraphe 2 de cette règle énonce clairement qu'une requête peut être présentée que le jugement comporte ou non une ordonnance sur les dépens (non souligné dans l'original).

[14]       À mon avis, point n'est besoin de déterminer si la décision est un jugement ou une ordonnance puisque la règle englobe les deux mots.

[15]       Concernant les motifs exposés au paragraphe 9 de la décision du protonotaire, je ne suis pas si convaincu qu'il y ait « chose jugée » .

[16]       Pour citer encore la règle 403(2), la requête peut être présentée que le jugement comporte ou non une ordonnance sur les dépens. Je conviens, comme on me l'a fait valoir, que la règle 403(1) vise à obtenir des directives relativement aux dépens et que la règle 400 et les tarifs confèrent un large pouvoir discrétionnaire à la Cour en matière de dépens (non souligné dans l'original).


[17]       Les parties ont indiqué que la question des dépens n'avait pas été abordée à l'audience. Par conséquent, la Cour ne peut conclure, de l'octroi de la requête « avec dépens » , qu'il y a chose jugée sous le régime de la règle 403(2).

[18]       À mon avis, ces deux motifs du protonotaire constituent une erreur de droit qui justifie l'intervention de la Cour.

[19]       Enfin, le protonotaire, évoquant la possibilité qu'on pourrait lui donner tort quant à la portée de la règle 403, a également cité, relativement au fond de sa décision, des commentaires faits par le juge Gibson dans la décision Nordholm I/S c. Canada (1996), 107 F.T.R. 317, à la p. 319 :

À l'instar de Madame le juge Reed, advenant que mon opinion soit contestée en ce qui concerne la question de la compétence, j'ai entendu l'argumentation des avocats de la demanderesse et de la défenderesse sur le bien-fondé de la requête. Pour reprendre les propos de Madame le juge Reed :

J'entends me pencher sur cette question pour ne rien laisser de côté. J'ai fait l'étude au fond de la demande de la défenderesse, et je ne suis pas persuadée que cette affaire en est une dans laquelle je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire, si j'avais un tel pouvoir, pour accueillir la requête recherchée.

Avec le recul, j'aurais peut-être pu donner des motifs plus élaborés pour mon jugement sur les dépens, mais ayant entendu l'argumentation compétente des avocats des deux parties, je ne serais pas arrivé à une autre conclusion.

[20]       Il nous faut conclure de cet extrait que si le protonotaire avait entendu l'argumentation compétente des avocats des deux parties il ne serait pas arrivé à une conclusion différente, c'est-à-dire à une conclusion différente de celle qu'il a formulée le 20 octobre 1999.

[21]       À mon avis, cette conclusion aussi devrait être réexaminée.


[22]       Je crois qu'il convient d'établir une distinction avec la décision Nordholm I/S car, dans cette affaire, le juge Gibson a rendu une décision sur le fond qui statuait également sur la question des dépens :

Au vu des conclusions auxquelles je suis arrivé et des doutes que j'ai exprimés concernant la conduite des deux parties qui a entraîné l'abordage entre le NORDPOL et le KOOTENAY, il n'y aura pas d'adjudication des dépens.

[23]       Dans l'arrêt Keramchemie GmbH c. Keramchemie (Canada) Ltd. (1998), 231 N.R. 386, à la p. 387, le juge Marceau, de la Cour d'appel, a écrit :

Nous sommes en désaccord avec la décision contestée en ce qu'elle applique la mesure exceptionnelle et punitive aux quatre ordonnances interlocutoires rendues dans le cadre de l'instance. Nous ne voyons en effet aucune raison de rompre avec le point de vue adopté par la Cour dans l'affaire Compagnie Pétrolière Impériale Ltée c. Lubrizol Corp. et al., 67 C.P.R. (3d) 1, c'est-à-dire qu'une décision subséquente selon laquelle les dépens déjà adjugés dans une ordonnance statuant sur une requête interlocutoire doivent être établis sur la base procureur-client constituerait une entorse à un élément important d'une ordonnance devenue définitive et ne pouvant donc faire l'objet d'un réexamen qu'en appel (voir la règle 344(6) et (7)).

[24]       Je suis également convaincu qu'il convient d'établir une distinction avec l'affaire Keramchemie parce que dans ce dernier cas aussi la question des dépens avait été minutieusement examinée et la Cour avait conclu, dans le cadre de sa décision, que les dépens devaient être acquittés sur la base avocat-client.

[25]       La situation, en l'espèce, est que la requête du 20 octobre 1999 a été accueillie « avec dépens » . Le protonotaire n'a pas précisé le genre de dépens qu'il accordait. Je conclus sans hésitation que les deux parties avaient le droit de présenter une requête relative aux dépens fondée sur la règle 403, ce qui a été fait.


[26]       Il me faut maintenant examiner s'il convient en l'espèce de rendre une ordonnance adjugeant les dépens aux défenderesses sur la base avocat-client.

[27]       Comme je l'ai déjà mentionné, le protonotaire a rendu sa décision en se fondant sur la preuve qui lui a été présentée, laquelle l'a amené à conclure ce qui suit :

... je ne peux pas en arriver à la conclusion que la déclaration et les affidavits déposés à l'appui de la saisie établissent un « lien » au sens où ce terme est employé dans la jurisprudence applicable citée par les deux parties. En conséquence, on ne saurait de toute évidence considérer que la cargaison est en cause dans l'action.

[28]       Plus loin, le protonotaire a mentionné qu'il avait fondé sa décision sur la règle 221(1)a), b) et f).

[29]       Aux termes de cette règle, il me faut conclure que la décision a été rendue parce qu'à l'époque en cause l'action ne révélait « aucune cause d'action ou de défense valable » , n'était « pas pertinente » ou était « redondant[e] » et, enfin, « constitu[ait] autrement un abus de procédure » .

[30]       L'avocat des défenderesses a clairement démontré que même si la saisie de cargaison est fréquente en amirauté, elle n'en demeure pas moins une mesure exceptionnelle faisant obstacle à la jouissance des biens d'une personne avant qu'il n'ait été statué sur un droit fondamental. L'avocat soutient que lorsqu'il est déterminé que la mesure exceptionnelle est manifestement mal fondée, non pertinente ou redondante et qu'elle constitue un abus de procédure, cette conclusion serait suffisante pour justifier l'adjudication des dépens sur la base avocat-client.


[31]       La règle 400(1) prévoit ce qui suit :


400.(1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

400.(1) La Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer.


[32]       Pour l'adjudication de dépens, la Cour peut notamment prendre en considération les facteurs mentionnés aux alinéas i) et k) de la règle 400(3) :


(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

(k) whether any step in the proceeding was

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

i) la conduite d'une partie qui a eu pour effet d'abréger ou de prolonger inutilement la durée de l'instance;

(k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance, selon le cas :

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;


et l'alinéa 400(6)c), lequel énonce ce qui suit :


(c) award all or part of costs on a solicitor-and-client basis;

c) adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat-client;


[33]       Je suis convaincu qu'il est justifié en l'espèce d'appliquer la règle 400(6)c).


[34]       Lorsqu'une partie est étrangère et que la procédure applicable est de nature technique, il est exact de dire que cette partie ignore les limites ou les prescriptions procédurales en jeu. Il est également exact de dire qu'il incombe à l'avocat d'ici d'informer son client que la procédure envisagée n'est pas appropriée. Si le client a été ainsi avisé mais souhaite néanmoins que l'avocat poursuive la démarche, il se pourrait que l'avocat se pliant à cette instruction soit considéré comme un complice dans l'abus de procédure qui en résulterait.

[35]       Même si le protonotaire a déterminé qu'il y a eu abus de procédure, je ne suis pas convaincu qu'il convient d'appliquer la règle 404 en l'espèce, c'est pourquoi je rejette la demande d'ordonnance enjoignant à l'avocat intimé J.K. Sproule de payer lui-même les dépens en application de la règle 404(1)a).

[36]       Pour ces motifs, LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

La décision rendue par le protonotaire le 12 juillet 2000 est annulée.

Relativement à la requête du 12 juillet 2000, les appelantes ont droit aux dépens sur la base avocat-client conformément à la règle 400.

Relativement à la présente requête, les appelantes ont droit à des dépens de 400 $.

(Signé) « Pierre Blais »

Juge

7 novembre 2000

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme

                             

Ghislaine Poitras, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N ° DU GREFFE :                                              T-636-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                Trade Arbed Inc.

c.

Toles Limited et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                   Le 23 octobre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE BLAIS EN DATE DU 7 NOVEMBRE 2000

ONT COMPARU :

M. George Pollack                                            pour les appelantes

M. Filko Prugo                         

M. André Braën                                                pour l'intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sproule Castonguay Pollack

Montréal (Québec)

pour les appelantes

Marler & Associés

Montréal (Québec)                                           pour l'intimée

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