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                                                                                                                              Date : 20010725

                                                                                                                          Dossier : T-705-97

                                                                                              Référence neutre : 2001 CFPI 820

ENTRE :

LE CHEF LISA WOLF, en son propre nom et au nom des

membres de la PREMIÈRE NATION DENE TSAA,

également connue sous le nom de

BANDE INDIENNE DE PROPHET RIVER

                                                                                                                                      demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                  défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

(rendus à l'audience à Calgary (Alberta),

le 19 juillet 2001)

LE JUGE HUGESSEN

[1]                 Il s'agit d'une requête par laquelle la Couronne sollicite la radiation d'un grand nombre de paragraphes de la déclaration.


[2]                 Étant donné l'avis que j'exprime sur le plan juridique, je crois qu'il est important de mentionner que la requête a été signifiée il y a un mois seulement et qu'elle a été entendue aujourd'hui, le 19 juillet 2001. Or, l'action elle-même a été intentée au printemps 1997; à la fin du mois de juillet de cette année-là, les plaidoiries étaient closes. Depuis lors, des précisions ont été demandées et données et les parties ont effectué une communication préalable passablement importante, tant documentaire qu'orale.

[3]                 À mon avis, la jurisprudence de la présente cour indique fortement qu'une requête qui est fondée sur les dispositions de la règle 221, à part l'alinéa a), doit être présentée avant que le défendeur ait terminé ses plaidoiries, ou si elle est présentée par la suite, la plaidoirie elle-même doit renfermer une réserve au sujet des paragraphes contestés. Je me contenterai de mentionner une décision à l'appui de cette thèse; il s'agit de la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Proctor & Gamble Co. c. Nabisco Brands Ltd.[1].


[4]                 Il existe une raison justifiant la règle en question, à savoir que lorsqu'une requête en radiation est fondée sur l'alinéa a), c'est-à-dire que la déclaration ou les paragraphes contestés ne révèlent aucune cause d'action valable, la requête porte sur le noeud même du litige; il convient que la Cour puisse examiner des questions de ce genre à n'importe quel stade, ce qui entraînera peut-être des conséquences à l'égard des dépens seulement, si la personne qui présente la requête le fait tardivement. Toutefois, lorsque la requête est fondée sur les alinéas b) à f) de la Règle, il s'agit essentiellement d'une plaidoirie technique; or, selon la pratique de la Cour, qui existe depuis bien des années, les parties devraient être encouragées à régler ces questions à un stade peu avancé de l'affaire. Si une partie veut contester pour une raison technique l'acte de procédure d'une autre partie, elle doit le faire le plus tôt possible dans l'instance, à défaut de quoi la partie doit en rester là[2].

[5]                 En l'espèce, la Couronne défenderesse invoque des motifs qui sont censément fondés sur l'alinéa a), et je reviendrai bientôt sur la question, mais elle invoque aussi un certain nombre d'autres motifs, en particulier que certaines allégations sont frivoles, vexatoires ou redondantes, ou encore qu'elles sont superflues ou incohérentes. Ces motifs ne portent pas sur le noeud du litige lui-même, mais ils portent simplement sur les aspects techniques d'un acte de procédure. Étant donné qu'elle a été présentée environ quatre ans après la clôture des plaidoiries, j'estime que la requête n'a pas été présentée en temps opportun, lorsqu'il s'agit de soulever ces questions.


[6]                 Toutefois, comme je l'ai dit, la requête soulève certaines questions qui constituent le noeud de l'affaire. Je les examinerai sous deux aspects. En premier lieu, les demandeurs allèguent dans plusieurs paragraphes qu'aux dates pertinentes, ils étaient frappés d'incapacité. Cette allégation est clairement faite dans le contexte de l'article 7 de la Limitation Act de la Colombie-Britannique, en vue de contester ou de réfuter toute allégation selon laquelle il y a prescription en vertu de cette loi. (Je mentionne en passant que je ne crois pas que les demandeurs puissent abandonner l'allégation selon laquelle ils sont frappés d'une incapacité en disant qu'il s'agit simplement d'une allégation accessoire à l'allégation selon laquelle il y a eu manquement à l'obligation fiduciaire. Lorsqu'ils allèguent le manquement à l'obligation fiduciaire, il peut être utile de dire qu'ils étaient frappés d'une incapacité, mais ces allégations visent d'une façon passablement claire à réfuter, comme je le dis, une plaidoirie fondée sur la prescription).


[7]                 La Couronne affirme que ces allégations sont mauvaises parce que l'incapacité, telle que les demandeurs l'ont alléguée, n'est pas une incapacité physique ou mentale normale à laquelle on s'attendrait. Il s'agit en fait d'une allégation d'incapacité tout à fait unique en son genre, à savoir que les demandeurs sont frappés d'une incapacité culturelle et linguistique attribuable au fait qu'ils sont de simples gens et que, pendant la période pertinente, ils étaient de simples gens sans instruction qui ne parlaient pas l'anglais et que, dans leur propre langue, il n'existe aucun mot approprié pour décrire les diverses opérations qu'ils affirment avoir été amenés à conclure. Je ne veux absolument pas dire qu'il s'agit d'une thèse probablement facile à établir. Il s'agit certes d'une thèse nouvelle, mais il va sans dire que l'on ne radie pas une allégation simplement parce qu'elle est difficile ou nouvelle. Je crois que les demandeurs feront probablement face à des difficultés considérables en établissant leur présumée incapacité. Il leur incombera certes d'établir pareille incapacité. Cependant, je ne suis pas prêt à radier cette allégation à ce stade[3].

[8]                 J'ajouterais que parmi les difficultés auxquelles les demandeurs font selon moi face, il y en a une que l'avocate de la Couronne a mentionnée dans ses plaidoiries, à savoir que les demandeurs constituent une collectivité; or, il est probablement difficile, mais pas nécessairement impossible, pour une collectivité d'établir qu'elle était frappée d'une incapacité. Je ne radierai donc pas les paragraphes dans lesquels il est affirmé que les demandeurs étaient frappés d'une incapacité.


[9]                 Le deuxième aspect général de la requête à l'égard duquel la Couronne invoque l'alinéa a) de la règle se rapporte à un certain nombre d'allégations dans lesquelles les demandeurs invoquent certains droits issus de traités, affirment que la Couronne a manqué à l'obligation fiduciaire qu'elle a envers eux et déclarent avoir été victimes de fausses déclarations frauduleuses. La position prise par la Couronne dans sa requête est que ces allégations comportent tellement de lacunes et que les allégations essentielles sont si insuffisantes qu'elles ne révèlent aucune cause d'action valable. J'ai récemment relu les allégations et je ne suis pas convaincu que la contestation puisse être maintenue. La déclaration, lorsqu'elle est considérée dans son ensemble et avec les précisions qui ont été fournies à son sujet, n'est peut-être pas un modèle de rédaction, mais à mon avis, elle renferme certainement une allégation qui est connue en droit sous tous ces chefs et elle l'énonce avec suffisamment de précisions pour que la Couronne puisse connaître la preuve qu'elle doit réfuter.

[10]            Par conséquent, je suis convaincu que, sur cette base également, la requête en radiation de la Couronne doit être rejetée. La requête sera donc rejetée. Je ne crois pas qu'une ordonnance particulière doive être rendue au sujet des dépens, si ce n'est l'ordonnance habituelle portant que les dépens suivront l'issue de la cause et seront adjugés aux demandeurs dans la requête.

« James K. Hugessen »

Juge

Ottawa (Ontario),

le 25 juillet 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER :                                                         T-705-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       LE CHEF LIZA WOLF ET AUTRES

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 19 JUILLET 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                  MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

DATE DES MOTIFS :                                                  LE 25 JUILLET 2001

ONT COMPARU

M. JEFFREY RATH/Mme ALLISUN RANA                 POUR LA DEMANDERESSE

MMES KATHY RING/JULIE RUPERT                          POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

RATH & COMPANY                                                     POUR LA DEMANDERESSE

PRIDDIS (ALBERTA)

M. MORRIS ROSENBERG                                            POUR LA DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA      



[1]            (1985) 62 N.R. 364 à la p. 366.

[2]            Le même principe est énoncé dans les règles 56 et 58, selon lesquelles les vices de forme doivent uniquement être considérés comme des irrégularités et doivent être invoqués le plus tôt possible.

56. L'inobservance d'une disposition des présentes règles n'entache pas de nullité l'instance, une mesure prise dans l'instance ou l'ordonnance en cause. Elle constitue une irrégularité régie par les règles 58 à 60.

58. (1) Une partie peut, par requête, contester toute mesure prise par une autre partie en invoquant l'inobservation d'une disposition des présentes règles.

       (2) La partie doit présenter sa requête aux termes du paragraphe (1) le plus tôt possible après avoir pris connaissance de l'irrégularité.

56. Non-compliance with any of these Rules does not render a proceeding, a step in a proceeding or an order void, but instead constitutes an irregularity, which may be addressed under rules 58 to 60.

58. (1) A party may by motion challenge any step taken by another party for non-compliance with these Rules.

      (2) A motion under subsection (1) shall be brought as soon as practicable after the moving party obtains knowledge of the irregularity.

[3]              Aux termes de l'alinéa 7(1)a) de la Limitations Act de la Colombie-Britannique, l'incapacité est une question de fait :

7. (1) Pour l'application du présent article,

a) une personne est frappée d'incapacité dans les cas suivants:

(i)     elle est mineure,

(ii) elle est effectivement incapable de gérer ses affaires personnelles ou soumise à des contraintes graves à cet égard [...]

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