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Date : 20020319

Dossier : T-609-99

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 298

ENTRE :

                                      BUDISUKMA PUNCAK SENDIRIAN BERHAD,

                 MARITIME CONSORTIUM MANAGEMENT SENDIRIAN BERHAD,

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                             DU CHEF DU CANADA,

                                                         B.S. WARNA ET D.A. HALL,

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

        Les présents motifs découlent d'une partie de la requête des défendeurs sollicitant la modification de la défense, en vue de plaider que la déclaration est vexatoire et abusive, et le dépôt d'une argumentation écrite de 146 pages dans le cadre d'une requête en radiation de la déclaration qui sera présentée notamment au motif que cette déclaration est vexatoire et abusive. Ces deux parties de la requête sont liées puisque les défendeurs ont répondu à la déclaration il y a environ deux ans; hormis la question du délai, ils ne peuvent pas maintenant présenter une requête demandant sa radiation au motif qu'elle est vexatoire et abusive à moins que la défense ne la qualifie expressément ainsi, d'où la requête visant la correction de cette lacune procédurale dans la défense.


        Pour justifier les documents à l'appui de la requête en radiation, soit environ 80 décisions et autres sources de droit, 319 pages d'affidavits et de documents liés ainsi que, comme je l'ai dit, 146 pages d'argumentation écrite, les défendeurs affirment, premièrement, que l'avocat fera référence à tous ces documents dans sa plaidoirie de toute manière et, deuxièmement, que la question en jeu, à savoir l'article 310 de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui porte sur la détention de navires par les inspecteurs de navires à vapeur, n'a jamais été examinée par les tribunaux, de sorte qu'elle doit recevoir tout l'attention qu'elle mérite dans le cadre d'une requête en radiation en raison de son importance.

        J'ai examiné la modification, en majeure partie à la lumière des décisions fondamentales en la matière. Il est tentant de disposer brièvement de la demande d'autorisation de déposer une argumentation volumineuse en disant que s'il faut une bonne partie de l'argumentation de 146 pages pour démontrer que la déclaration est vexatoire et abusive, elle ne l'est pas. Ces deux point soulèvent cependant deux questions intéressantes : Premièrement, les défendeurs peuvent-ils, à ce stade-ci et pour les fins procédurales de la requête en radiation de la déclaration, modifier la défense pour plaider que la déclaration est vexatoire et abusive? Deuxièmement, peut-il exister une justification pour le dépôt d'observations écrites de 146 pages dans le cadre d'une requête interlocutoire en radiation d'une déclaration? Il est utile de situer ces questions dans leur contexte avant d'aborder l'analyse.


LES FAITS

        Pour situer cette requête dans son contexte, je me suis fondé sur les faits énoncés dans la déclaration et dans la défense de même que sur les avis que les avocats ont donnés pendant leur plaidoirie.

        Il semblerait que les inspecteurs de navires à vapeur du ministère des Transports aient détenu le « Lantau Peak » à Vancouver au début d'avril 1997, principalement en raison de la présumée freinte de route des couples du navire, exigeant des travaux de réparation majeurs comme condition de mainlevée. Cette détention s'est produite malgré l'opinion contraire des experts de la société de classification du navire, selon laquelle la freinte de route se situait dans des limites acceptables, et malgré l'existence d'un certificat de navigabilité récent et valide. Le navire a été détenu pendant environ quatre mois à Vancouver. Les demandeurs affirment que le ministère des Transports a agi de façon négligente ou, subsidiairement, en faisant preuve de négligence grossière et en contrevenant à son obligation d'équité envers eux. Les demandeurs poursuivent donc maintenant en vue d'obtenir le remboursement des frais des réparations, qui - selon ma compréhension - si elles avaient été nécessaires, auraient pu être faites plus efficacement à l'étranger, et en vue d'obtenir une indemnité pour la perte de loyer et les autres dépenses connexes.


        Dans leur défense déposée le 14 mai 1999, la Couronne et les deux inspecteurs de navires à vapeur défendeurs disent que les exigences sous-jacentes à la détention étaient raisonnables, que les demandeurs n'ont pas pris les mesures nécessaires pour mitiger les dommages subis et que les actes des défendeurs étaient non seulement autorisés par la loi, mais qu'ils ont aussi été exécutés de bonne foi et sans négligence, malice ou intention de causer un préjudice.

        Le 15 février 2002, les défendeurs ont déposé un dossier de requête de deux volumes contenant l'argumentation de 146 pages dans lequel ils sollicitaient la radiation de la déclaration au motif que celle-ci ne révélait aucune cause d'action valable selon la règle 221(1)a) et qu'elle était vexatoire et constituait un abus de procédure selon les règles 221(1)c) et f). La requête en radiation soulève un certain nombres de questions, notamment celles de savoir si la Loi sur la marine marchande du Canada prévoit une protection contre toute négligence de la part des défendeurs, si le ministère des Transports a une obligation d'équité, si la violation d'une obligation légale et l'enquête négligente constituent des délits civils nommés, si la Cour a compétence pour entendre la réclamation contre les personnes défenderesses, si la Couronne est responsable de la négligence des défendeurs en raison du principe du pouvoir discrétionnaire indépendant, si les demandeurs ont épuisé les procédures d'appel que la loi met à leur disposition, le fait que la validité de l'ordonnance de détention n'a pas été contestée par voie de contrôle judiciaire, la question de savoir si la décision de détenir le « Lantau Peak » peut être examinée sur le fond dans le cadre de la présente action et celle de savoir si la déclaration soulève des questions litigieuses.


        Les défendeurs se sont ensuite aperçu qu'étant donné qu'ils ont répondu à la déclaration sans prévoir de réserve, ils ne pouvaient pratiquement pas présenter une requête contestant cette déclaration au motif qu'elle était abusive et vexatoire, d'où la présente requête, déposée le 7 mars 2002, visant la modification de la défense par l'ajout de l'allégation que la déclaration est vexatoire et abusive :

22.            [Traduction] En réponse additionnelle à la déclaration dans son ensemble, il dit que celle-ci ne révèle aucune cause d'action valable contre les défendeurs, qu'elle est vexatoire et qu'elle constitue un abus de la procédure de cette honorable Cour. Il ajoute que cette honorable Cour n'a pas compétence pour statuer sur une action contre les personnes défenderesses.

Même s'ils ont répondu à la déclaration, les défendeurs soutiennent que cette modification leur permettrait de la contester en invoquant le motif qu'elle est vexatoire et qu'elle constitue un abus de procédure. Je ne vois pas pourquoi les défendeurs auraient besoin de se réserver, par modification, le droit de contester la compétence, et ce, pour deux raisons. Premièrement, la compétence touche le coeur de l'action elle-même, de sorte qu'il ne s'agit pas d'une question de forme et qu'elle peut être contestée à tout stade de la procédure. Deuxièmement, le défaut de compétence est souvent, voire même généralement, examiné dans le cadre d'une requête en radiation présentée en vertu de la règle 221(1)a) en tant que question relative à l'absence de cause d'action valable, de sorte qu'encore une fois, il peut faire l'objet d'une requête en radiation à tout moment. La seule partie pertinente de la modification envisagée, soit la partie en cause, est l'allégation de caractère vexatoire et abusif.


ANALYSE

La modification

        Dans l'arrêt Nabisco Brands Ltd. c. Proctor & Gamble Co. (1985) 5 C.P.R. (3d) 417, la Cour d'appel fédérale a souligné qu'un acte de procédure pouvait être radié à tout moment pour absence de cause valable d'action ou de défense, mais que la pondération des motifs de radiation prévus aux alinéas b) à f) de la version antérieure de la règle 221 (une règle identique) ne pouvait pas avoir lieu lorsque le demandeur avait déjà répondu à la partie contestée d'un acte de procédure :

Bien qu'il ne fasse aucun doute que la Cour a le pouvoir, en vertu du paragraphe 419(1) des Règles, de radier tout élément d'une plaidoirie à tout stade d'une procédure, il semble clair, à tout le moins en ce qui a trait aux alinéas b) à f) du paragraphe 419(1) des Règles, qu'elle ne le fera pas dans les cas où, comme en l'espèce, la partie sollicitant la radiation a déjà plaidé à l'encontre des allégations que renferme le paragraphe attaqué (Montreuil c. La Reine, [1976] 1 C.F. 528, à la p. 529).

La Cour d'appel a ensuite souligné que, comme je l'ai dit, la réponse n'empêchait pas la radiation en matière d'absence de cause valable d'action ou de défense.

      Dans Nabisco, la Cour d'appel a fait remarquer que la défenderesse avait plaidé comme moyen de défense que la cause d'action ne relevait pas de la compétence de la Cour, sans élaborer. Par conséquent, madame le juge Reed, juge des requêtes, a été incapable de déterminer si le présumé défaut de compétence écartait en fait la cause d'action. Elle a donc rejeté la demande de radiation. La Cour d'appel a confirmé sa décision.


      Dans Première Nation Dene Tsaa c. Canada, motifs non publiés, dossier T-705-97, décision du 25 juillet 2001, le juge Hugessen (maintenant juge à la Section de première instance depuis sa retraite de la Cour d'appel) s'est prononcé sur la raison de la règle énoncée par la Cour d'appel dans l'arrêt Nabisco. Il a exposé ainsi la règle :

3              À mon avis, la jurisprudence de la présente cour indique fortement qu'une requête qui est fondée sur les dispositions de la règle 221, à part l'alinéa a), doit être présentée avant que le défendeur ait terminé ses plaidoiries, ou si elle est présentée par la suite, la plaidoirie elle-même doit renfermer une réserve au sujet des paragraphes contestés. Je me contenterai de mentionner une décision à l'appui de cette thèse; il s'agit de la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Proctor & Gamble Co. c. Nabisco Brands Ltd. [(1985) 62 N.R. 364, à la p. 366)].

Il a ensuite indiqué la raison de la règle :

4              Il existe une raison justifiant la règle en question, à savoir que lorsqu'une requête en radiation est fondée sur l'alinéa a), c'est-à-dire que la déclaration ou les paragraphes contestés ne révèlent aucune cause d'action valable, la requête porte sur le noeud même du litige; il convient que la Cour puisse examiner des questions de ce genre à n'importe quel stade, ce qui entraînera peut-être des conséquences à l'égard des dépens seulement, si la personne qui présente la requête le fait tardivement. Toutefois, lorsque la requête est fondée sur les alinéas b) à f) de la Règle, il s'agit essentiellement d'une plaidoirie technique; or, selon la pratique de la Cour, qui existe depuis bien des années, les parties devraient être encouragées à régler ces questions à un stade peu avancé de l'affaire. Si une partie veut contester pour une raison technique l'acte de procédure d'une autre partie, elle doit le faire le plus tôt possible dans l'instance, à défaut de quoi la partie doit en rester là. [Voir note de bas de page 2]

Dans la note de bas de page afférente à l'extrait qui précède, le juge Hugessen fait référence aux règles 56 et 58, qui prévoient que les vices de fond doivent être considérés comme de simples irrégularités et doivent donc être invoqués le plus tôt possible.


      En résumé, dans la décision Première Nation Dene Tsaa, le juge Hugessen est d'avis que la jurisprudence exige qu'une requête en radiation non fondée sur l'absence de cause valable d'action ou de défense soit présentée avant que le défendeur ait répondu ou, si elle l'est par la suite, que la défense elle-même contienne une réserve. Cette règle veut que bien que le tribunal puisse examiner à tout stade de la procédure la question de l'absence de cause d'action raisonnable car cette question se situe au coeur de l'affaire, la contestation d'un acte de procédure pour une raison de forme en vertu des alinéas b) à f) est telle qu'elle devrait être présentée rapidement sinon la partie lésée doit en rester là pour toujours.

      Dans de nombreux cas, le défendeur se réserve expressément, dans sa défense, le droit de contester la déclaration au motif qu'elle est vexatoire, frivole, abusive et ainsi de suite en invoquant les vices de forme énumérés contenus dans l'acte de procédure. Cela n'a pas été fait par les défendeurs en l'espèce. Ceux-ci cherchent maintenant à modifier leur défense de manière à faire valoir leur nouvelle opinion, selon laquelle la déclaration n'est pas seulement vexatoire, mais constitue aussi un abus de procédure.

      À l'appui de la présente modification, les défendeurs renvoient à la décision Montreuil c. La Reine, [1976] 1 C.F. 528. Dans cette décision, se fondant sur l'arrêt Dominion Sugar c. Newman (1917-18) 13 O.W.N. 38, et après avoir réitéré la règle selon laquelle lorsqu'une partie a répondu à l'acte de procédure de la partie adverse, elle ne peut pas s'y opposer, le juge Addy a ajouté un élément de son propre cru : « [...] sans retirer ou modifier sa propre plaidoirie [...] » .


      L'arrêt Dominion Sugar, invoqué par le juge Addy dans Montreuil, n'aide pas particulièrement les défendeurs en l'espèce. Dans Dominion Sugar, le juge Middleton (tel était alors son titre) s'est penché sur une demande de radiation de la partie d'une déclaration. La requête, un appel de l'ordonnance d'un Master, avait été présentée après le dépôt de la défense, ce dépôt ayant été effectué par erreur. Le juge Middleton s'est exprimé ainsi :

[Traduction] On ne peut généralement pas viser par requête la radiation d'un acte de procédure auquel on a déjà répondu; mais la Cour peut remédier à ce vice et devrait le faire lorsque la chose dont on se plaint est importante et pourrait, à moins d'être autrement corrigée, semer de la confusion et provoquer la nullité du procès.

La défense pourrait être retirée et produite de nouveau si les interrogatoires n'avaient pas déjà eu lieu et qu'aucun inconvénient ne pouvait être causé.

Dans Dominion Sugar, comme dans la présente affaire, le défendeur avait non seulement répondu, mais il avait également tenu des interrogatoires. Même si dans Dominion Sugar, le juge Middleton a permis la radiation, il a pu le faire en raison du fait que la défense avait été déposée après l'ordonnance du Master radiant les parties de la déclaration et avant l'appel. Par conséquent, au moment de l'ordonnance initiale, il n'y avait eu aucune réponse. L'octroi de cette radiation ne s'écarte donc pas de la règle générale voulant que le défendeur doit présenter sa requête en radiation, fondée en l'espèce sur le motif que l'action est vexatoire ou constitue un abus de procédure, avant d'avoir répondu à l'action.


      Tout cela nous ramène à la question fondamentale de savoir s'il faudrait autoriser une modification ajoutant à la défense la réserve que la déclaration est vexatoire et abusive, ce qui permettrait aux défendeurs d'invoquer la modification pour présenter une requête en radiation fondée sur le caractère vexatoire et abusif de la déclaration.

      Dans l'arrêt Ministre du Revenu national c. Canderel Ltd. (1994) 157 N.R. 380, [1994] 1 C.F. 3, la Cour d'appel a énoncé la règle générale selon laquelle une modification devrait être autorisée à tout stade aux fins de déterminer la véritable question ou le véritable litige entre les parties dans la mesure où elle ne cause pas d'injustice à l'autre partie que les dépens ne pourraient réparer :

[M]ême s'il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s'il est juste, dans une situation donnée, d'autoriser une modification, la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que les dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice. (page 10)

De plus, mon pouvoir discrétionnaire ne me permet pas de déterminer si la modification a des chances de succès, mais simplement si elle devrait être accordée, règle qu'a énoncée le juge en chef adjoint Jerome dans Gleason Works c. Excalibar Tool Inc. (1996) 66 C.P.R. (3d) 139, à la page 140.


      Il y a trois autres principes auxquels je dois également faire référence. Premièrement, comme le juge Lemieux l'a souligné dans Hoechst Marion Roussel Deutchland GmbH c. Adir et Cie (2001) 190 F.T.R 233; en ce qui a trait au critère applicable en matière d'autorisation de modification, « [i]l s'agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l'intérêt qu'ont les tribunaux à ce que justice soit faite » (page 238).

      Deuxièmement, le juge O'Keefe a dit dans Yeager c. Service correctionnel du Canada (2001) 189 F.T.R. 196, que même s'il n'était pas possible d'énumérer tous les facteurs dont il faut tenir compte dans l'examen d'une modification, « une modification devrait être autorisée aux fins de la détermination des véritables questions litigieuses » , faisant là référence à la règle 3 des Règles de la Cour fédérale, qui prescrit que les Règles « sont interprétées et appliquées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » . Je devrais donc déterminer également si la modification touche le fond de l'instance.

      Enfin, dans Munich Reinsurance Company c. La Reine (1995) 96 DTC 6100, le juge Richard (tel était alors son titre) a d'abord cité la règle applicable aux modifications, soit la règle 420, et l'a résumé en disant à la page 6101 que :

En vertu de cette Règle, la Cour autorise les modifications aux conditions qu'elle estime justes et nécessaires pour déterminer la ou les véritables questions en litige entre les parties. Une modification qui soulève une question de droit défendable devrait être autorisée afin d'être tranchée à l'instruction. Par conséquent, le critère applicable consiste à savoir si la modification est nécessaire pour déterminer la véritable question en litige.

La nécessité de la modification pour la détermination de la véritable question en litige constituait un facteur important, d'après le juge Richard. Il a ensuite donné une indication révélatrice :


Une modification de nature purement procédurale ne respecte pas ce critère (loc cit).

Dans le présent cas, la Couronne a initialement qualifié de procédurale la modification, mais elle s'est ravisée lorsqu'on lui a mentionné la décision Munich Reinsurance.

      La modification sollicitée, soit le paragraphe 22, que j'ai déjà cité, ne soulève pas un moyen de défense. Elle fait valoir une contestation de forme de l'acte de procédure. À mon avis, une telle contestation de forme est le même genre de plaidoyer que celui qui a retenu l'attention du juge Richard dans Munich Reinsurance, soit une modification de nature purement procédurale visant à tirer profit, avec du recul et après des mesures ultérieures, de la nécessité de se réserver le droit de contester la déclaration en raison de son caractère vexatoire et abusif. Il s‘agit du même genre d'ordonnance de forme que celle que la demanderesse a sollicitée dans Munich Reinsurance, soit une ordonnance d'interruption de la prescription de manière à ce qu'une action intentée ultérieurement ne soit pas prescrite dans l'hypothèse où la Couronne rendrait, dans une adjudication distincte, une décision que la demanderesse n'aime pas.

      En l'espèce, l'avocat du demandeur a soutenu que la modification sollicitée constituait une modification de forme qui frisait l'abus et que si la Cour permettait de telles modifications, cela minerait l'ensemble de la règle selon laquelle pour qu'il y ait radiation pour un motif autre que l'absence de cause d'action ou de défense, la requête en radiation doit être présentée rapidement et, à coup sûr, avant la réponse à l'acte de procédure.


      En l'instance, l'équité et le bon sens m'indiquent que je ne devrais pas permettre la modification car elle ne contribuera pas à la détermination d'un droit revendiqué dans l'action sur le fond. La modification est simplement de nature procédurale ou de forme, comme ce qu'ont indiqué le juge Richard dans Munich Reinsurance (précité) et le juge Hugessen dans Première Nation Dena Tsaa (précité), de sorte qu'à ce stade-ci, elle ne devrait pas être autorisée, d'autant plus que la réserve aurait pu et aurait dû être faite dans l'acte de procédure initial. Subsidiairement, si je fais erreur et que les défendeurs pourraient avoir le droit dans certains cas de remédier à ce que je considère comme une omission irrémédiable et de priver en fait de tout sens un courant jurisprudentiel important interdisant la radiation pour des raisons de forme après la réponse à l'acte de procédure, il n'en demeure pas moins que les défendeurs auraient dû solliciter bien avant une telle modification procédurale ou de forme. J'aborde maintenant la demande par laquelle les défendeurs sollicitent l'autorisation de déposer une argumentation écrite de 146 pages.

La longueur des observations écrites


      L'avocat des défendeurs convient que la limite habituelle de la longueur des observations écrites à l'appui d'une requête est de 30 pages, mais il prétend qu'il n'existe aucune règle en ce sens puisqu'il n'existe aucune limite quant à la longueur de l'argumentation contenue dans un dossier de requête. L'avocat des défendeurs soutient que l'argumentation ne constitue pas une entreprise de grande envergure et ajoute que l'avocat des demandeurs n'a pas besoin de toute la lire s'il ne le désire pas. Une argumentation écrite de 146 pages et une table des matières peuvent être abrutissants, mais un avocat adverse compétent doit lire les arguments en entier et être prêt à en traiter.

      La règle 70 des Règles de la Cour fédérale, qui s'applique à toutes les procédures, prévoit que le mémoire ne doit pas contenir plus de 30 pages. La règle 366 énonce qu'il faut un mémoire des faits et du droit dans le cas d'une requête pour jugement sommaire, d'une requête pour obtenir une injonction interlocutoire ou d'une requête soulevant un point de droit, ou lorsque la Cour l'ordonne. La règle 364 expose les exigences applicables aux dossiers de requête, l'alinéa 2e) prescrivant que, sous réserve de la règle 366, le dossier de requête contient les prétentions écrites. Si je comprends bien, les défendeurs prétendent en l'espèce que lorsqu'il s'agit d'affaires touchant le fond, comme des injonctions, des jugements sommaires ou des questions de droit, il existe une limite de 30 pages pour les mémoires des faits et du droit tandis que pour les requêtes ordinaires, il n'y a aucune limite quant à la longueur des observations écrites à moins que la Cour en impose une en exigeant la production d'un mémoire au lieu d'observations écrites dans un dossier de requête en vertu de la règle 366.

      Cet argument mènerait à l'absurdité suivante : Les Règles exigeraient que la longueur des observations écrites soit inférieure à 30 pages pour les affaires importantes portant sur le fond, mais elles ne restreindraient pas la longueur des observations écrites jointes à une requête de nature procédurale comme la requête en cause en l'espèce.


      La règle 4 des Règles de la Cour fédérale confère à la Cour le pouvoir discrétionnaire de se prononcer sur les questions de pratique et de procédure non prévues ailleurs dans les Règles, et ce, par analogie avec la pratique ou la procédure appropriée prescrite par les règles existantes, dans la mesure où il y a clairement une lacune dans les Règles et que la pratique ou la procédure suivie n'équivaut pas à une modification des règles existantes. La règle 70(4), qui s'applique à toutes les procédures, exige que, lorsque nécessaire, le mémoire des faits et du droit ne comprenne pas plus de 30 pages. Même si, comme je l'ai dit, la règle 366 permet à la Cour d'ordonner que le dossier de requête contienne le mémoire des faits et du droit, plus exigeant, plutôt que les observations écrites visées à la règle 364, il faut avoir à l'esprit le court délai de dépôt des dossiers de requête prévu aux règles 364 et 365.

      On a clairement fait une omission en ne limitant pas la longueur des observations écrites déposées dans le cadre des requêtes ordinaires ou habituelles, alors qu'on a restreint à 30 le nombre de pages permises à l'égard des mémoires des faits et du droit dans des affaires qui sont au moins aussi complexes ou plus complexes. D'un point de vue pratique, les avocats devraient limiter à 30 le nombre de pages des observations écrites qu'ils déposent dans leurs dossiers de requête à moins qu'ils n'obtiennent au préalable l'autorisation de faire autrement. De toute manière, les avocats ne peuvent pas déposer de plein droit des observations écrites contenant plus de 30 pages mais ils peuvent solliciter l'autorisation de déposer des observations plus volumineuses.


      Bien que les longues observations écrites dans la présente affaire soient heureusement caractérisées par des citations équivalant, après vérification, à presque la moitié des 146 pages, il y a une limite à ce qu'on peut retenir d'une telle quantité de documents en l'espace de quelques heures. Il s'agit d'ailleurs de l'un des principaux avantages d'une argumentation écrite bien préparée se limitant à 30 pages : cela force son rédacteur à se concentrer sur l'essentiel et à le dire de façon concise. Cela non seulement impose une limite raisonnable à ce à quoi la partie répondante doit faire face, mais cela restreint également le travail requis de la Cour à des limites raisonnables. Cela ne signifie toutefois pas qu'aucune exception ne sera faite.

      En l'espèce, je ne suis pas enclin à faire une concession majeure quant à la longueur de l'argumentation écrite. Je ne suis pas influencé par les prétentions des défendeurs selon lesquelles ce sont des questions très importantes se posant dans le cadre de la Loi sur la marine marchande du Canada qui sont en jeu en l'espèce et que rien ne peut être plus important qu'une requête sollicitant la radiation d'une action entière, surtout lorsque six ou sept questions majeures se posent, et l'avocat m'assure à cet égard qu'il a cité l'ensemble des décisions pertinentes. Si les nombreuses questions sont si importantes, c'est peut-être parce qu'elles devraient être tranchées au procès par un juge qui dispose d'un contexte factuel complet lui permettant de les évaluer et de se prononcer à leur sujet. Subsidiairement, si les questions litigieuses en l'espèce sont telles qu'elles pourraient et devraient être tranchées sur requête, les présentes observations écrites devraient être circonscrites de manière à ce que la procédure soit d'un volume acceptable.


CONCLUSION

      Vu l'ensemble des circonstances, les défendeurs sont autorisés à modifier la défense à l'exception du paragraphe 22 envisagé, dont une partie n'est pas pertinente et l'autre constitue une modification irrégulière.

      Les observations écrites que rédigent de nouveau les défendeurs ne doivent pas excéder 45 pages.

       « John A. Hargrave »

                                                                                                                        Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 19 mars 2002

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-609-99

INTITULÉ :                                        Budisukma Puncak Sendirian Berhad et al. c. HMQ et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 18 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :Le protonotaire Hargrave

EN DATE DU :                                   19 mars 2002

ONT COMPARU

M. Peter Swanson                                                                          POUR LES DEMANDEURS

M. George Carruthers                                                                  POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Campney & Murphy                                                                       POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

M. Morris Rosenberg                                                                     POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

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