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                                                                                                                                20010117

                                                                                                                                 T-910-99

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2001

En présence de M. le juge Muldoon

ENTRE :

                                                         MARIANNA GEE

                                                                                                                           demanderesse

                                                                       et

                                      LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                 défendeur

                                                      O R D O N N A N C E

IL EST ORDONNÉ QUE

[1]         Les plaintes de Marianna Gee soient renvoyées à une formation différente de la Commission canadienne des droits de la personne, ou à un tribunal, pour nouvel examen au vu du droit exposé dans ce jugement, et de la preuve qui lui est présentée, sans tenir compte du mémoire d'entente entre les parties; la décision de la CCDP ou du tribunal peut inclure une compensation financière pour les torts qu'on lui a causés et pour préjudice moral; et


[2]         La demanderesse n'est pas tenue d'exercer les droits que je lui accorde au paragraphe précédent, si c'est son choix; elle ne sera pas de ce fait placée dans son tort ou tournée en ridicule par la CCDP, à qui j'ordonne de toute façon d'envoyer une lettre à Mme Gee, approuvée par son avocat et signée par son président, attestant qu'elle n'est pas en faute dans toute cette question jusqu'à ce jour; et

[3]         La demanderesse a droit aux dépens de cette demande de contrôle judiciaire et des procédures qui y ont mené, soit de la première plainte jusqu'à ce jour, sur la base avocat-client, dépens qui seront payés immédiatement après la taxation, ou après entente quant à la somme en cause entre les parties et leurs avocats respectifs.

                                                                                                                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                                                                                                20010117

                                                                                                                                 T-910-99

ENTRE :

                                                         MARIANNA GEE

                                                                                                                           demanderesse

                                                                       et

                                      LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                                 défendeur

                                              MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge Muldoon

[1]         La présente demande de contrôle judiciaire, déposée comme il est normal en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, porte sur une décision de la Commission canadienne des droits de la personne au sujet d'une plainte de la demanderesse à l'encontre du ministère du Revenu national. Cette plainte avait été déposée en vertu de l'alinéa 41c) et du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, tel que modifié (la Loi).


L'ORDONNANCE RECHERCHÉE

[2]         La demanderesse réclame la délivrance d'une ordonnance portant que :

1)         la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) prenne des mesures additionnelles au sujet de sa plainte, soit par voie d'enquête, de conciliation ou de constitution d'un tribunal; et

2)         la décision déjà prise par la CCDP est invalide et illégale, et qu'elle est donc annulée et renvoyée pour nouvel examen au vu des directives données par la Cour.

LES MOTIFS

[3]         La demanderesse appuie sa demande de contrôle judiciaire sur le fait que la CCDP aurait :

1)         commis une erreur quant à sa compétence;

2)         commis une erreur de droit;

3)         négligé de respecter les principes de justice naturelle ou d'équité procédurale; et

4)         tiré une conclusion de fait erronée.

LES FAITS


[4]         Marianna Gee (la demanderesse) est entrée à l'emploi du ministère du Revenu national (le défendeur) en novembre 1989, comme PM-2 à la Division des douanes et de l'accise. À partir de cette date et jusqu'à la fin de l'été 1991, son surveillant immédiat était Douglas McLean. Au cours de cette période, Mme Gee a consigné 24 incidents où, selon elle, son surveillant avait eu un comportement discriminatoire et harcelant à son égard. Ces incidents allaient d'une évaluation de rendement négative, jusqu'à un appui accordé à une plainte de discrimination d'un client. Bien qu'elle ait demandé réparation dans le cadre des procédures internes, y compris en logeant un appel de son évaluation de rendement de 1991 et en déposant un grief avec l'appui de son syndicat en 1992, elle s'est aussi adressée à la CCDP à Winnipeg le 25 février 1993. La CCDP a refusé de donner suite à sa plainte, au motif qu'elle était hors délai.

[5]         En octobre 1991, Mme Gee a présenté sa candidature à un concours pour un poste de AU-O3. Nonobstant les commentaires négatifs de Douglas McLean, elle s'est placée cinquième sur la liste d'admissibilité. Bien qu'elle n'ait pas été nommée en permanence à ce poste, comme l'ont été les quatre candidats la précédant sur la liste, elle a reçu une nomination « intérimaire » .

[6]         En décembre 1993, la demanderesse a déposé à l'interne une plainte de harcèlement à l'encontre de Douglas McLean. Suite à une enquête interne, on a jugé que sur les 24 allégations présentées il y en avait six de fondées au titre du harcèlement, une au titre de la discrimination fondée sur la race, et une autre au titre d'un exercice abusif de pouvoir.

[7]         En janvier 1995, Mme Gee a à nouveau présenté sa plainte à la CCDP en fournissant les renseignements mis à jour dans les résultats de l'enquête interne. Toutefois, le 7 février 1995, la CCDP lui a à nouveau signifié son refus d'examiner sa plainte.


[8]         Se fondant sur les conclusions précitées, Mme Gee a préparé une [traduction] « réfutation du rapport d'enquête » , qu'elle a envoyée au directeur général régional du demandeur, M. M. Jordan, le 23 juin 1994. Comme elle n'était pas satisfaite de la réponse reçue de M. Jordan le 7 juillet 1995, la demanderesse a assisté à une réunion en octobre 1995, avec M. George Smith, son représentant syndical. Assistaient aussi à cette réunion : le nouveau sous-ministre adjoint, Rod Monette, ainsi que l'administrateur régional des relations de travail, Larry Nicolay. Au cours de cette réunion il a été décidé que Mme Gee serait nommée à un poste de AU-O3 sans concours, sous réserve d'appel. On l'a assurée que le défendeur appuierait sa nomination en cas d'appel.

[9]         Le 9 novembre 1995, ou vers cette date, la demanderesse a reçu une copie d'un mémoire d'entente (l'entente), qui portait déjà la signature de M. Rod Monette. La demanderesse l'a signé et renvoyé à M. Monette le 11 novembre 1995. Aucun représentant syndical de la demanderesse n'a signé le mémoire d'entente. Suite à l'entente, Mme Gee a été nommée au poste de AU-O3 sans concours. Toutefois, aucune des parties en cause n'avait prévu qu'il y aurait 33 appels de déposés. Le 29 décembre 1995, ou vers cette date, la demanderesse a reçu une offre formelle (du gestionnaire de la vérification, Division de la vérification, Winnipeg), pour un poste de AU-O3, conditionnelle au règlement de tout appel. Elle a accepté cette offre le 9 janvier 1996.


[10]       Au cours du mois de janvier 1996, la demanderesse a été avisée par M. George Smith, au nom de son syndicat, que celui-ci ne l'appuierait pas dans son intervention au cours des appels, étant donné que la politique du syndicat portait qu'il devait appuyer les personnes qui avaient logé un appel. De plus, le 13 février 1996, le défendeur a avisé le syndicat et, par la suite, la demanderesse, qu'il « concédait » au vu du très grand nombre d'appels (33) présentés et que, par conséquent, il ne défendrait pas la nomination de la demanderesse. Le 30 avril 1996, la demanderesse a comparu en son nom à l'audition des appels au sujet de sa nomination. Elle n'a toutefois pas eu gain de cause, étant donné que le défendeur a concédé au tout début de l'audience. En conséquence, la demanderesse a perdu son statut de AU-O3 « intérimaire » le 13 mai 1996, statut qu'elle détenait depuis plus de trois ans. Elle est retournée à son poste de AU-O2, avec la perte de salaire conséquente.

[11]       Suite à ces événements, la demanderesse a été en congé de maladie du 14 mai 1996 jusqu'au mois de septembre 1996. À ce moment-là, elle a réussi à obtenir une mutation latérale à Conseils et Vérification Canada. Elle a été promue vérificateur principal en avril 1998, poste qu'elle occupe toujours.

[12]       Après que la demanderesse eut essayé à nouveau plusieurs fois d'obtenir une réparation devant la CCDP, cette dernière a finalement accepté de traiter sa plainte le 30 avril 1999. Toutefois, la Commission a ensuite décidé de ne rien faire, au vu de sa conclusion « qu'aucune autre procédure n'était justifiée en ce que les parties ont convenu d'un mémoire d'entente » .


LA QUESTION EN LITIGE

La Commission a-t-elle commis une erreur ouvrant droit au contrôle en rejetant la plainte de la demanderesse en vertu de l'alinéa 41c) et du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi?

LE POINT DE VUE DE LA DEMANDERESSE

1.         Les arguments


[13]       La position de la demanderesse est essentiellement fondée sur le fait que la CCDP ne pouvait rejeter la plainte de Mme Gee au vu de l'entente, puisqu'on ne peut renoncer par contrat aux dispositions de la Loi. En fait, la Cour suprême du Canada a déclaré dans l'arrêt Bell c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne)[1], que la législation sur les droits de la personne est d'ordre public et donc qu'on ne peut y renoncer ou lui donner une application différente par entente entre les parties. La demanderesse fonde son argument principal sur l'analogie suivante : s'il n'est pas possible de renoncer par contrat au droit de se plaindre d'un congédiement injustifié en vertu du Code canadien du travail, a fortiori on ne devrait pas pouvoir renoncer par contrat aux droits de la personne à défaut d'une disposition législative claire à cet effet. Par conséquent, la demanderesse soutient que la question à trancher dans cette demande est une question de droit et non de fait, étant donné qu'elle porte sur la nature de la législation en cause et non sur la nature de la renonciation qu'elle a signée.

[14]       La demanderesse soutient qu'en vertu de la Loi, une plaignante n'a pas le droit d'arrêter le processus uniquement en retirant son dossier à l'examen, étant donné que la Loi autorise les tiers, y compris la Commission, à prendre l'initiative d'une plainte pour une autre personne. Par conséquent, une plainte peut être examinée même à l'encontre des désirs de la « victime » . Il faut donc évaluer quel est l'impact d'un règlement privé entre les parties en cause sur la possibilité qu'un tiers puisse prendre l'initiative d'une plainte. La réponse est qu'il n'y en a pas. Par conséquent, dans une situation comme celle qui existe en l'instance, une entente privée pour retirer la plainte n'est pas pertinente.

[15]       De plus, la demanderesse soutient qu'en vertu des alinéas 44(3)a) et 44(3)b) de la Loi, la Commission n'est autorisée qu'à déterminer s'il existe une preuve suffisante qui permettrait de juger si une plainte est fondée.

44.           (3)           Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

a)            peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,

...

b)            rejette la plainte, si elle est convaincue :


(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,

...

Par conséquent, la Commission n'a pas le mandat d'examiner la pertinence d'un règlement privé, nonobstant le fait qu'il déclare libérer la partie visée d'une plainte en cours. Par conséquent, la demanderesse soutient que la Commission a outrepassé sa compétence en examinant le contenu de l'entente privée et son impact sur la plainte de Mme Gee, étant donné qu'il s'agit là d'une conclusion de droit qui dépasse l'expertise et la compétence de la Commission.

[16]       La demanderesse prend donc acte du fait que la Commission a commis une erreur de droit et qu'elle a rendu une décision manifestement déraisonnable, en concluant que la renonciation était valable et qu'elle pouvait être exécutée, pour ensuite déclarer qu'on peut renoncer par contrat à la législation sur les droits de la personne. Elle soutient que la Commission a toujours compétence sur une plainte jusqu'à ce que la renonciation ait été jugée valable et qu'elle ait été exécutée. Or, c'est le tribunal qui a compétence pour arriver à cette conclusion [Bell]. Par conséquent, elle soumet que la Commission a eu tort de présumer que la renonciation était valable, étant donné qu'il s'agit là d'une conclusion de droit qui dépasse l'expertise de la Commission.


[17]       Elle soutient de plus que seul un règlement convenu entre les parties « à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, mais avant le début de l'audience d'un tribunal » peut être accepté par la Commission comme règlement d'une plainte [article 48, Loi canadienne sur les droits de la personne]. Par conséquent, il est tout à fait logique que la Commission ne puisse tenir compte d'une entente conclue à l'extérieur de ce contexte.

[18]       De plus, la demanderesse soutient que comme la Commission a fondé sa décision sur le règlement et non sur le fond de la preuve qui lui était présentée, elle n'a pas exercé sa compétence. Comme M. le juge La Forest l'indique dans l'arrêt Bell, « l'aspect principal de ce rôle est ... de vérifier s'il existe une preuve suffisante » (p. 891). La demanderesse soutient que la CCDP a commis une erreur ouvrant droit au contrôle en ne se déchargeant pas de ce mandat.

[19]       Dans l'arrêt Bell, la Cour suprême du Canada a aussi conclu que la Cour n'appliquera aucune retenue judiciaire à un tribunal qui examine ou tranche des questions de droit, la norme de contrôle applicable étant alors celle de la décision correcte. Il s'ensuit que comme un tribunal n'a pas droit à la retenue judiciaire lorsqu'il s'agit de questions de droit, les commissions ne devraient pas du tout les aborder. Toutefois, si elles les abordent, leurs conclusions devront satisfaire à la même norme de contrôle.

[20]       La dernière prétention de la demanderesse porte que le critère permettant à la Commission de transmettre une plainte à l'étape suivante est peu exigeant. On trouve cette déclaration très claire dans l'arrêt S.E.P.Q.A. c. Canada (C.C.D.P.), [1989] 2 R.C.S. 879 :


Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. (899)

                                                                       

[21]       Quant à la question de savoir si notre Cour a compétence pour accorder les réparations recherchées, la demanderesse fait remarquer que la législation pertinente (Loi sur la Cour fédérale, alinéa 18.1(3)a)) porte que la Cour fédérale peut ordonner à la Commission ou à tout autre office fédéral d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable. Par conséquent, elle a soutenu que la Cour fédérale avait compétence pour prononcer l'invalidité de toute décision de la Commission et pour l'écarter.

2.         La jurisprudence

[22]       Le fondement majeur de la proposition voulant qu'on ne puisse renoncer par contrat à la législation sur les droits de la personne se trouve dans l'arrêt La Commission ontarienne des droits de la personne c. La municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, où M. le juge McIntyre déclare, pour la Cour suprême du Canada :

Il ressort clairement de la doctrine, tant canadienne qu'anglaise, que les parties n'ont pas la faculté de renoncer par contrat aux dispositions de telles lois et que les contrats à cet effet sont nuls parce que contraires à l'ordre public.

[23]       Dans Keewatin Regional Health Board c. Peterkin, [1997] N.W.T.J. no 6 (C.S.), M. le juge Vertes a conclu que :


[traduction]

...une renonciation n'exclut pas l'exercice de la compétence prévue par la Loi pour faire une enquête sur la plainte; un règlement constitue un fait pertinent dont on peut tenir compte en examinant si la plainte est fondée et quelle réparation, s'il en est, on peut accorder en vertu de la Loi, mais on ne peut renoncer par contrat à la législation sur les droits de la personne qui a été adoptée en vue du bien public.

La Cour a ensuite cité l'arrêt Etobicoke, précité, pour dire que si la reconnaissance d'une renonciation met en péril les droits d'autres citoyens, elle serait contraire à l'ordre public. En discutant plus à fond cet arrêt, le juge Vertes a conclu que :

[traduction]

Étant donné que cette législation a été adoptée pour le plus grand bien de la communauté et de ses membres, au titre de l'ordre public, on ne peut y renoncer ou consentir à sa modification par contrat.

Ce point de vue est réaffirmé dans l'arrêt The Winnipeg School Division No. 1 c. Craton et autre, [1985] 2 R.C.S. 150; (1985) 21 D.L.R (4th) 1 (C.S.C.), où M. le juge McIntyre dit à nouveau, au nom de la Cour, que : « The Human Rights Act est une loi qui énonce une politique générale et à laquelle on ne saurait déroger par contrat privé. » (154)

LE POINT DE VUE DU DÉFENDEUR

1.         Les arguments


[24]       Le défendeur soutient que la Commission n'a pas commis d'erreur en tenant compte de l'existence du règlement dans sa décision, ou en fondant sa décision sur le règlement, étant donné qu'il s'agissait d'une preuve pertinente dont elle était saisie. C'est sur cette base que le défendeur conteste l'argument qui veut que la Commission aurait fait une erreur de droit, mais il admet que s'il y avait une erreur de droit ou une décision erronée, elle pourrait être soumise au contrôle judiciaire.

[25]       Le défendeur soutient que c'est mal décrire la décision de la Commission que de déclarer que c'est à cause du mémoire d'entente que la plainte n'a pas été transmise à un tribunal. Il soutient que la Commission a conclu que, dans les circonstances, une enquête n'était pas justifiée au vu de l'entente. Par conséquent, sa décision n'était pas manifestement déraisonnable. Dans Larsh c. Canada, (1999) 166 F.T.R. 101, M. le juge Evans déclare ceci, à la p. 108 : « ... les motifs du rejet de la plainte que la Commission a formulés dans la lettre par laquelle elle a communiqué sa décision ne doivent pas être disséqués et interprétés hors contexte » . Il s'ensuit que la Commission aurait eu droit de tenir compte du fait que les parties avaient conclu une entente lorsqu'elle a décidé de rejeter la plainte.

[26]       En se fondant sur cet argument, le défendeur soutient que la demanderesse n'a pas démontré l'existence d'erreurs qui justifieraient l'intervention de notre Cour. De plus, il soutient que la Commission n'était pas tenue d'examiner chacun des documents présentés par la demanderesse et qu'elle pouvait, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, se fonder sur le contenu du rapport de l'enquêteur et tout autre élément qu'elle considérait nécessaire.


2.         La jurisprudence

[27]       En ce qui concerne la norme de contrôle, le défendeur soutient que les décisions dans Patel c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1995) 101 F.T.R. 213 (1re Inst.) et dans Slattery c. Commission des droits de la personne, (1994) 2 C.F. 574, (1994) 73 F.T.R. 161 sont éclairantes.

[28]       Dans Patel, la Cour a cité plusieurs décisions de la Cour suprême du Canada afin de déterminer à quelle retenue judiciaire la Commission avait droit lorsqu'elle rejetait une plainte en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i). On y citait notamment l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada et autres, [1982] 2 R.C.S. 2, aux p. 7 et 8, où il est clairement dit que :

C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

                                                                                               

[29]       Ce point de vue est aussi exprimé dans Slattery, où la Cour a conclu que la Commission dispose d'un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de rejeter une plainte sous le régime du sous-alinéa 44(3)b)(i). De plus, la Cour a conclu que la Commission avait l'obligation d'informer les parties de la substance de la preuve, et de leur donner l'occasion de répondre et de faire toutes les observations pertinentes.


LA NORME DE CONTRÔLE

[30]       La question de la norme de contrôle est toujours controversée, étant donné que la Cour veut éviter d'intervenir dans l'exécution des mandats des commissions et tribunaux. Un certain nombre d'arrêts de la Cour suprême du Canada et de la Cour d'appel fédérale ont établi comme principe l'existence d'un degré général de retenue judiciaire face aux décisions de la Commission.

Toutefois, les deux Cours ont reconnu que le degré de retenue judiciaire devant être accordé à des décisions particulières de la Commission dépend des circonstances et, en particulier, de la nature de la décision prise et du contexte législatif. [Brine c. Canada (Procureur général) (1999), 175 F.T.R. 1 (1re Inst.)]


[31]       La décision qui fait jurisprudence au sujet de la CCDP est l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554, où il a été décidé que les commissions des droits de la personne avaient droit à une retenue judiciaire importante dans le cadre de leurs conclusions de fait. Toutefois, comme les questions en cause ici portent sur une erreur de droit ou de compétence, la jurisprudence nous dit que « la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait est celle de la décision raisonnable ... les conclusions de droit seront examinées selon la norme de la décision correcte » [Singh c. Canada (Statistique Canada), [2000] J.C.F. no 417 (1re Inst.)]. De plus, au vu de l'arrêt Mossop, le tribunal n'a pas droit à la retenue judiciaire lorsqu'il interprète la législation sur les droits de la personne - la norme de la décision correcte s'applique alors. Par conséquent, la Commission ne pouvait tenir compte de Green c. Canada (Commission de la fonction publique), (2000) 1 C.C.E.L. (3d) 1 (1re Inst.).

[32]       Sur la question de la retenue judiciaire par rapport à la Commission, la Cour dit ceci dans Galuego c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) ( re Statistique Canada)), [1997] J.C.F. no 986 (1re Inst.) :

Il est reconnu depuis longtemps que, dans des demandes de contrôle judiciaire visant un tribunal qui n'est pas hautement spécialisé, comme la Commission canadienne des droits de la personne, la norme de contrôle est la norme de la décision correcte .... La retenue judiciaire n'est accordée qu'aux offices ou tribunaux hautement spécialisés. Dans la présente affaire, la décision de la Commission doit être correcte en fait et en droit.

[33]       Bien que cet argument ne soit pas au coeur de la contestation, il y a lieu de noter que la décision de rejeter la plainte de la demanderesse était aussi fondée sur l'alinéa 41c) de la Loi. Au sujet d'une telle décision, le juge Lemieux déclare ceci :

Une telle analyse, à mon avis, fait ressortir que l'on doit accorder une moins grande retenue à l'égard d'une décision de la Commission, prise en vertu de l'article 41 de la Loi, de ne pas faire enquête sur une plainte, contrairement au degré de retenue beaucoup plus grand qui est dû à la Commission quand celle-ci décide, après enquête et examen des observations formulées par les parties visées, de rejeter une plainte en vertu de l'article 44 de la Loi ou de demander la formation d'un tribunal des droits de la personne pour enquêter sur la plainte et accorder, au besoin, les redressements appropriés. [Brine c. Canada (Procureur général) (1999), 175 F.T.R. 1 (1re Inst.)]

ANALYSE

[34]       Dans sa lettre du 23 avril 1999 à la demanderesse, Mme Gee, la Commission déclare très clairement que :


[traduction]

De plus, la Commission a décidé, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qu'aucune autre procédure n'est justifiée au vu du mémoire d'entente entre les parties.

Au sujet de votre plainte no P48427, la Commission a décidé, en vertu de l'alinéa 41c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de ne pas l'examiner parce que la plainte n'est pas de sa compétence en ce qu'elle n'est pas fondée sur un motif de distinction illicite défini à l'article 3 de la Loi. (Dossier du défendeur, p. 73)

Rien dans cette lettre n'indique qu'on aurait examiné une autre preuve avant de prononcer le rejet, non plus qu'elle énonce une conclusion de fait sur laquelle la décision aurait été fondée. Pour rendre sa décision en vertu de l'alinéa 41c) et du sous-alinéa 44(3)b)(i), la Commission s'est appuyée sur une conclusion de droit qui n'entre pas dans le cadre de son expertise. La décision est donc soumise à la norme de contrôle de la décision correcte, qui n'implique aucune retenue judiciaire.

[35]       En arrivant à sa conclusion que l'entente était un élément pertinent, la Commission a écarté toute une jurisprudence, qui émane en grande partie de la Cour suprême du Canada, qui déclare expressément que la législation portant sur les droits de la personne est d'ordre public et qu'on ne peut y renoncer par contrat. De plus, les tribunaux sont allés jusqu'à dire que les personnes privées n'ont pas compétence pour renoncer par contrat à de telles dispositions.


[36]       On peut aussi soutenir que l'entente n'ayant pas été respectée par le défendeur, elle n'a aucune place en preuve. Non seulement a-t-on demandé à la demanderesse de signer l'entente sans qu'elle ait le bénéfice des conseils de son avocat, on ne lui a même pas indiqué que la consultation d'un avocat était une option. Elle n'a pas été pleinement informée quant aux droits auxquels elle renonçait ostensiblement, non plus que des conséquences qui pourraient éventuellement être liées aux appels de sa nomination. De plus, le défendeur n'a pas appuyé sa position comme il l'avait promis, ce qui fait que l'entente, qui devait être au bénéfice de la demanderesse, a fini par la placer dans une situation pire que celle dans laquelle elle se trouvait à l'origine. Il ne s'agit sûrement pas là de la mise en oeuvre d'une entente de règlement. En rejetant sa réclamation au vu de l'entente, la CCDP a en fait nié toute possibilité que la demanderesse avait de continuer à réclamer réparation pour sa plainte par les canaux habituels. Dans une situation comme celle-ci, une fois que la Commission a rejeté une plainte il n'existe aucun autre recours.

[37]       En tenant compte non seulement de l'existence de l'entente, mais aussi de son contenu, la Commission est arrivée à une conclusion quant à sa validité et à la possibilité qu'elle soit exécutée. L'avocat du défendeur a soutenu que, dans les circonstances, l'existence de l'entente faisait qu'il n'était pas nécessaire de faire enquête. Il n'est fait état nulle part dans les plaidoiries ou dans les prétentions écrites que la Commission se serait fondée sur une autre preuve pour prendre sa décision. Par conséquent, la Commission a tranché une question de droit qui aurait dû être laissée à la compétence du tribunal, parce qu'elle n'a pas elle-même cette compétence. En déclarant que l'entente était valable et qu'elle pouvait être exécutée, la Commission a donné une réponse erronée à la question qui lui était posée et elle a traité d'une question de droit qui excède sa compétence.


[38]       De plus, comme il n'y a rien dans la lettre de rejet de la Commission qui indiquerait que d'autres preuves ont été examinées ou prises en compte dans le processus décisionnel, la documentation nous indique qu'une fois que l'entente a été notée, le reste de la preuve n'a pas été examiné à fond au vu de toutes les circonstances. Un tel défaut par la Commission d'exercer son mandat constitue une erreur qui ouvre droit au contrôle. Comme M. le juge La Forest l'a fait remarquer dans l'arrêt Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne)[2] (p. 891) :

Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l'ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L'aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s'il existe une preuve suffisante.

Le défaut d'avoir procédé ainsi entre directement en contradiction avec le mandat exprès qui justifie l'existence de la Commission[3].


[39]       Malgré toute la jurisprudence présentée par l'avocat du défendeur au sujet de la retenue judiciaire, on doit constater que toutes les décisions citées établissent à quel moment les tribunaux ne devraient pas intervenir dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Toutefois, même l'arrêt Maple Lodge Farms Ltd. admet qu'une telle intervention doit être pratiquée lorsque, dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, on s'est fondé sur des « considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi... » . Parmi les considérations sur lesquelles on pouvait s'appuyer, il ne peut y en avoir de plus inappropriées ou étrangères que celles portant sur une entente qui n'aurait pas dû exister, et qui ne peut pas exister en droit.

CONCLUSION

[40]       La demande de contrôle judiciaire est accueillie, avec les dépens comme je l'ai précisé.

                                                                                                                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                              T-910-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Mariana Gee c. Ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 31 mai 2000

MOTIFS DE JUGEMENT DE M. LE JUGE MULDOON

EN DATE DU :                                   17 janvier 2001

ONT COMPARU

Mme Gloria Mendelson                                       POUR LA DEMANDERESSE

M. Gérard Chartier                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Mme Gloria Mendelson                                       POUR LA DEMANDERESSE

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR

Winnipeg (Manitoba)



     [1]       Répertorié : Cooper c. Canada (CDP) [1996] 3 R.C.S. 854, ci-après l'arrêt Bell.

     [2]       Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, à la p. 891.

     [3]       Note 1, précitée.

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