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     Date : 19991129

     T-38-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 29 NOVEMBRE 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

E n t r e :

     BARZELEX INC.,

     demanderesse,

     et

     NAVIRE EBN AL WALEED et autres,

     défendeurs.

     J U G E M E N T

     1.      L"unité de limite applicable est la tonne métrique.
     2.      La limite de responsabilité applicable est de 100 000 livres turques l"unité, ainsi que le prévoit l"article 1114 du Code commercial turc.
     3.      La date de conversion de la limite est celle de l"arrivée du navire au Canada, date à laquelle la limite applicable était de 2,30 $ l"unité.
     4.      Il n"y a aucun principe de droit qui permettrait à la Cour de ne pas appliquer la limite applicable des Règles de la Haye qui était en vigueur en Turquie.
     5.      L"adjudication des dépens est reportée à plus tard.



     " James K. Hugessen "

     Juge



Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


     Date : 19991129

     T-38-96

E n t r e :

     BARZELEX INC.,

     demanderesse,

     et

     NAVIRE EBN AL WALEED et autres,

     défendeurs.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HUGESSEN

INTRODUCTION

[1]      Il s"agit de l"instruction distincte de certaines questions dont la Cour a ordonné l"examen en vertu des dispositions de l"article 107 des Règles de la Cour fédérale (1998)1. Le débat porte essentiellement sur la bonne façon de calculer la limite de responsabilité qu"un transporteur est autorisé à invoquer en vertu d"une clause paramount ayant pour effet d"intégrer les dispositions des Règles de La Haye aux stipulations d"un connaissement portant sur le transport maritime de certaines marchandises entre la Turquie et le Canada.

[2]      Voici les dispositions pertinentes de la clause paramount générale :

     Les Règles de La Haye contenues dans la Convention internationale pour l"unification de certaines règles en matière de connaissement, signée à Bruxelles le 25 août 1924 et édictée par le pays expéditeur, s"appliquent au présent contrat.

[3]      Les parties ont déposé un " exposé conjoint des faits et des questions en litige " dont voici le texte :

     [TRADUCTION]
     Pour déterminer la limite de responsabilité par colis ou par unité des Règles de La Haye contenues dans la Convention internationale pour l"unification de certaines règles en matière de connaissement, signée à Bruxelles le 25 août 1924 et en vigueur en Turquie en ce qui concerne une expédition de la Turquie au Canada, et à nulle autre fin, les parties conviennent de ce qui suit :
     1.      Le 31 octobre 1995 ou vers cette date, Elkinciler Dis Ticaret A.S., une société turque, a expédié 5 244 42868 [sic] tonnes métriques de barres d"acier d"armature crénelées laminées à chaud dans 2 626 paquets à bord de l"Ebn Al Waleed à Iskenderun, en Turquie, en vue de leur transport, de leur déchargement et de leur livraison à Sorel.
     2.      Le transport des marchandises était constaté par le connaissement n" 1 qui avait été signé pour le compte des affréteurs de l"Ebn Al Waleed à Istanbul le 31 octobre 1995 et qui est joint aux présentes à titre d"annexe A. La valeur de la cargaison n"a pas été précisée dans le connaissement.
     3.      À l"époque en cause, l"Ebn Al Waleed appartenait à l"Egyptian Navigation Co. d"Alexandrie, en Égypte.
     4.      Le connaissement a été négocié à la demanderesse Barzelex Inc.
     5.      Une partie de la cargaison livrée à Barzelex Inc. avait subie des avaries que Barzelex Inc. estime à 570 000 $ CAN, sans compter les intérêts et les frais.
     6.      La défenderesse Egyptian Navigation Co. a interrogé au préalable un représentant de la demanderesse avant de déposer sa défense. Certains engagements pris lors de cet interrogatoire préalable n"ont pas encore été remplis et la défenderesse Egyptian Navigation Co. n"a pas encore déposé de défense.
     7.      La défenderesse Egyptian Navigation Co. soutient que, même si elle était responsable envers la demanderesse, ce qu"elle nie, sa responsabilité se limite à 100 000 livres turques par paquet ou unité, ce qui correspond environ à 2,30 $ CAN.
     8.      Le 10 juillet 1997, la défenderesse Egyptian Navigation Co. a fait une offre formelle en vue de régler l"affaire pour la somme de 5 000 $ CAN en capital, intérêts et frais, en se réservant le droit de porter cette offre à l"attention de la Cour.
     9.      La demanderesse Barzelez Inc. a rejeté l"offre, mais reconnaît que, si la responsabilité du transporteur est limitée à 100 000 livres turques par colis ou unité, l"offre de la défenderesse Egyptian Navigation Co. peut être suffisante pour libérer celle-ci de sa dette en capital et intérêts, sous réserve de l"obtention de la confirmation du taux de change exact applicable en l"espèce.
     Le paragraphe 4(5) et l"article 9 de la Convention de Bruxelles de 1924 disposent :
         4(5) Le transporteur comme le navire ne seront tenus en aucun cas des pertes ou dommages causés aux marchandises ou les concernant, pour une somme dépassant 100 livres sterling par colis ou unité, ou l"équivalent de cette somme en une autre monnaie, à moins que la nature et la valeur de ces marchandises n"aient été déclarées par le chargeur avant leur embarquement et que cette déclaration ait été insérée au connaissement.
         Cette déclaration ainsi insérée dans le connaissement constituera une présomption, sauf preuve contraire, mais elle ne liera pas le transporteur qui pourra la contester.
         Par convention entre le transporteur, capitaine ou agent du transporteur et le chargeur, une somme maximum différente de celle inscrite dans ce paragraphe peut être déterminée, pourvu que ce maximum conventionnel ne soit pas inférieur au chiffre ci-dessus fixé.
         Ni le transporteur ni le navire ne seront en aucun cas responsables pour perte ou dommage causé aux marchandises ou les concernant, si dans le connaissement, le chargeur a fait sciemment une déclaration fausse de leur nature ou de leur valeur.

         [...]

         9. Les unités monétaires dont il s"agit dans la présente convention s"entendent valeur or.
         Ceux des États contractants où la livre sterling n"est pas employée comme unité monétaire se réservent le droit de convertir en chiffres ronds, d"après leur système monétaire, les sommes indiquées en livres sterling dans la présente convention.
         Les lois nationales peuvent réserver au débiteur la faculté de se libérer dans la monnaie nationale, d"après le cours du change au jour de l"arrivée du navire au port de déchargement de la marchandise dont il s"agit.

     11.      Bien qu"il soit acquis aux débats que la Turquie a donné effet à la Convention de Bruxelles, les parties interprètent différemment les règles de droit en vigueur en Turquie qui s"appliquent à une cargaison expédiée par connaissement d"un port de la Turquie à un port situé à l"extérieur de la Turquie.
         a)      La demanderesse affirme que la Turquie n"a pris connaissance de la Convention de Bruxelles que le 22 février 1995 et qu"elle ne s"est jamais réservée le droit de convertir la limite par colis ou par unité exprimée en livres sterling en son propre système monétaire. En conséquence, la limite de responsabilité applicable selon les lois en vigueur en Turquie est de 100 ", valeur or, par colis ou unité.
         b)      Le défendeur affirme que, bien que la Convention de Bruxelles (les Règles de La Haye) ait été ratifiée par la Turquie en 1955, elle n"a acquis force de loi en droit interne turc que le 4 janvier 1956, date à laquelle elle a été incorporée au Code commercial turc. La limite par colis ou par unité a alors été fixée à 1 500 livres turques. En 1993, le Code commercial a été modifié et, aux termes de l"article 1114, la limite par colis ou par unité a été portée à 100 000 livres tuques. Le défendeur soutient que la limite par colis ou par unité en vigueur selon les lois en vigueur en Turquie pour une cargaison expédiée au moyen d"un connaissement à partir d"un port de Turquie à un port situé à l"extérieur de Turquie est de 100 000 livres turques.
         c)      La demanderesse soutient que la limite par colis ou par unité prévue à l"article 1114 du Code commercial turc ne s"applique qu"aux cargaisons expédiées à l"intérieur de la Turquie et non aux faits de la présente affaire.
     12.      Pour le cas où la Cour déciderait que l"unité monétaire mentionnée dans les Règles de La Haye comme étant en vigueur en Turquie est la valeur or, les parties conviennent que la teneur-or de 100 " sterling au moment où la Convention de Bruxelles a été signée en 1924 équivaut à 732,238 grammes d"or fin.
     13.      La demanderesse soutient que la teneur-or de 100 " sterling à la date de la livraison de la cargaison, le 3 janvier 1996, est d"environ 12 498,28 $, calculée selon la valeur marchande de l"or.
     14.      Le défendeur affirme que, si la limite turque par colis ou par unité doit être calculée en fonction de la valeur de l"or, celle-ci doit être déterminée en conformité avec le Règlement sur la conversion des francs-or (responsabilité maritime) (DORS/78-73).
     15.      Est annexée aux présentes à titre d"annexe B une lettre de la Banque du Canada précisant le taux de conversion de la livre turque et du dollar américain, ainsi que les droits de tirage spéciaux au moment de la livraison de la cargaison.
     QUESTIONS À TRANCHER PAR LE TRIBUNAL
     1.      Quelle est la limite par colis ou par unité applicable selon les lois en vigueur en Turquie ?
     2.      Si la cargaison est assujettie aux dispositions du Code commercial turc, quelle est, en droit turc, la limite de responsabilité que le défendeur peut invoquer ?
     3.      Comment cette limite par colis ou par lot devrait-elle être convertie en devises canadiennes ?
     4.      Si, en droit turc, l"article 1114 du Code commercial turc est réputé s"appliquer et recevoir son plein effet de manière à limiter la responsabilité de la défenderesse à environ 2,30 " le lot, existe-t-il un principe de droit ou d"équité qui empêche un tribunal canadien d"appliquer cette disposition législative d"un État étranger ?

[4]      En plus de déposer l"exposé conjoint qui précède, les parties ont chacune fait entendre un avocat expert en droit maritime turc, en l"occurrence Me Aybay pour la demanderesse et Me Kavak pour la défenderesse. Comme le pays à partir duquel les marchandises ont été expédiées est la Turquie, le rôle de la Cour consiste donc à préciser la nature des Règles de La Haye qui ont été " édictées " dans ce pays.

LES RÈGLES DE LA HAYE

[5]      Les dispositions du paragraphe 4(5) et de l"article 9 des Règles de La Haye sont pertinentes et sont reproduites dans l"exposé conjoint des faits et des questions en litige précité.

[6]      Le paragraphe suivant du protocole de signature est également important :

     Les Hautes Parties contractantes pourront donner effet à cette Convention soit en lui donnant force de loi, soit en introduisant dans leur législation nationale les règles adoptées par la Convention sous une forme appropriée à cette législation.


[7]      Comme le connaissement renferme les mots " édictée par " la Turquie que l"on retrouve dans les Règles de La Haye et que celles-ci prévoient elles-mêmes diverses façons d"en incorporer les dispositions dans la législation nationale des États signataires, il importe de savoir de quelle manière les Règles de La Haye ont été édictées et mises en vigueur en Turquie. Pour ce faire, il y a évidemment lieu d"examiner les lois turques car, bien qu"il soit acquis que la clause paramount générale ne comporte pas un choix de la législation applicable qui aurait pour effet d"assujettir de façon générale le contrat aux lois de la Turquie, il ne fait par ailleurs aucun doute que les Règles de La Haye qui ont été édictées par la Turquie et qui sont incorporées dans le contrat s"entendent des Règles de La Haye dont les tribunaux turcs reconnaîtraient la validité.

[8]      Fait assez inusité, il semble que la Turquie ait introduit les Règles de La Haye à deux reprises dans sa législation. Ainsi, le 14 février 1955, le Parlement turc a, une première fois, ratifié et édicté les Règles de La Haye telles qu"elles avaient été adoptées aux termes de la Convention de Bruxelles de 1925. Les deux experts s"entendent pour dire que cette ratification et cette édiction étaient pleinement valables et que les Règles de La Haye, dans leur version initiale, ont été intégrées au droit interne de la Turquie à ce moment-là. Toutefois, l"année suivante, en 1956, le Parlement turc a adopté le Code commercial turc. Les experts qualifient ce code de " traduction " du Code commercial allemand de 1937. Comme dans le cas de ce dernier, on y trouve une adaptation de l"essentiel des Règles de La Haye. Par l"adoption de ce code, la Turquie, tout comme l"Allemagne avant elle, donnait ainsi suite à l"engagement qu"elle avait pris en tant que signataire de la Convention de Bruxelles d"incorporer les Règles de La Haye dans sa législation interne. Or, la version initiale des Règles de La Haye que la Turquie a adoptée en 1955 n"a jamais été abrogée, de sorte qu"on retrouverait présentement dans la législation interne turque à la fois le texte initial intégral des Règles de La Haye, ainsi qu"une adaptation interne de ce texte permise par le protocole de signature.

[9]      L"article 1114 du Code commercial turc dispose que lorsque la nature et la valeur des marchandises n"ont pas été déclarées par le chargeur et que cette déclaration n"a pas été insérée au connaissement, la responsabilité maximale du transporteur est de 1 500 livres turques par colis ou unité. Le Code commercial a été par la suite modifié en 1983 et la limite en question a été portée à 100 000 livres turques.

ANALYSE

[10]      Ainsi qu"il ressort de l"exposé conjoint des faits et des questions en litige qui précède, les parties adoptent des points de vue diamétralement opposés en ce qui concerne l"effet des Règles de La Haye qui étaient en vigueur en Turquie et le témoignage des témoins experts convoqués par les parties reflète fidèlement cette opposition. Ainsi, l"expert de la demanderesse, Me Aybay, estime que le texte original des Règles de La Haye qui a été édicté en Turquie en 1955 n"a pas été modifié et que l"adoption du Code commercial turc qui, à son avis, ne s"applique qu"au commerce maritime interne turc. Il ajoute que le transport international comme celui qui nous occupe en l"espèce est régi par les dispositions du texte initial de la Convention de Bruxelles et que la limite de responsabilité est, par conséquent, de 100 livres sterling par colis ou unité, ce qui équivaudrait aujourd"hui à 12 500 $ par colis ou unité.

[11]      L"expert de la défenderesse, Me Kavak, estime en revanche que, bien que la loi turque initiale de 1955 n"ait jamais été abrogée, elle a effectivement été remplacée par le Code commercial turc du moins en ce qui concerne le montant en argent de la limite de responsabilité qui équivaut de nos jours à 100 000 livres turques ou environ 2,30 $ par colis ou unité, ce qui vaut tant pour le commerce interne que pour le commerce international.

[12]      Il peut sembler étonnant qu"une question d"une telle importance n"ait pas reçu plus d"attention de la part du législateur ou des tribunaux turcs, mais il semble que ce soit effectivement le cas. Les deux témoins étaient extrêmement compétents, mais aucun n"a pu invoquer d"autorité démontrant que son point de vue est indiscutablement le bon. Tous les deux ont cité des arrêts récents de la Cour d"appel, mais ceux-ci ne constituent vraisemblablement pas des précédents obligatoires en droit turc.

[13]      Toutefois, après mûre réflexion, j"en suis arrivé à la conclusion qu"il convient de préférer le témoignage de Me Kavak. Il cite un arrêt très récent rendu par la Cour d"appel turque dans l"affaire Toprak Sigora , qui, d"après la traduction du rapport qui a été produit, semble se rapporter directement aux faits de la présente affaire. Dans cet arrêt, qui a été prononcé le 12 avril 1999 et qui concerne une cargaison internationale, le tribunal déclare que [TRADUCTION] " comme la valeur des marchandises n"a pas été inscrite sur le connaissement, la responsabilité du transporteur se limite au montant prévu à l"article 1114 du Code commercial turc ".

[14]      Par contre, l"arrêt invoqué par Me Aybay, l"arrêt Assan Demir , qui avait été rendu par le même tribunal onze mois plus tôt, ne me semble pas directement pertinent. Il ressort du rapport que la Cour de première instance avait désigné un expert qui avait recommandé que la limite de responsabilité soit fixée à 100 livres sterling par colis ou unité et que les parties avaient accepté cette recommandation. Bien que, par son arrêt, elle ait donné effet à cette entente, la Cour d"appel ne s"est en fait pas du tout penchée sur la question. Elle s"est contentée de faire ce que tout tribunal canadien ferait et elle a donné effet à un accord portant sur la liquidation des dépens. La question soumise à la Cour dans l"affaire Assan Demir était tout à fait différente : elle portait sur la responsabilité de l"agent maritime. D"ailleurs, la seule leçon utile que je puis tirer de cet arrêt est le fait plutôt évident que certains avocats turcs, dont l"expert désigné par la Cour de première instance, partagent l"opinion de Me Aybay au sujet de l"effet des Règles de La Haye en Turquie.

[15]      Il me semble aussi, pour ce qui est de l"interprétation des Règles de La Haye elles-mêmes et du Protocole de signature, que le droit des parties contractantes de convertir la somme de 100 livres en leur propre monnaie et d"adopter ou d"adapter les dispositions des Règles à leur convenance n"a rien d"" immuable ". D"ailleurs, décider le contraire nuirait beaucoup au droit de modifier l"unité monétaire. Les circonstances de la présente espèce illustrent de façon frappante de quelle manière les effets de l"inflation peuvent amener un pays à ne plus se conformer à l"esprit, sinon à la lettre, de la Convention de Bruxelles. Bien sûr, il ne s"agit pas en l"espèce de savoir si la Turquie s"est conformée ou non à la Convention, mais bien de savoir quelles dispositions des Règles de La Haye sont en vigueur en Turquie. Il n"en demeure pas moins que le droit permanent de réviser l"unité monétaire constitue une condition préalable de leur respect. Il en va de même pour les dispositions du Protocole de signature. Les régimes juridiques évoluent et se développent et les pays les plus civilisés procèdent périodiquement à la réforme de leur droit. Pour produire comme il se doit leurs effets dans un pays donné, les Règles de La Haye doivent être libellées en des termes que le système de droit peut comprendre et mettre en application. C"est vraisemblablement la raison pour laquelle la Turquie a adapté les Règles en leur donnant la forme sous laquelle elles figurent maintenant dans le Code commercial. À mon sens, cette adaptation a eu les mêmes répercussions en Turquie que celles qu"elles avaient eues en Allemagne, dont le Code a servi de modèle au code turc. Cette adaptation constituait une transposition des Règles en droit turc.

[16]      Je conclus en conséquence qu"aux termes des Règles de La Haye qui sont en vigueur en Turquie, la limite de responsabilité est de 100 000 livres turques par colis ou unité lorsqu"aucune déclaration de valeur n"a été insérée au connaissement.

AUTRES QUESTIONS

[17]      Me Aybay a laissé entendre dans son témoignage (ce qui semble contredire quelque peu sa thèse initiale) qu"il arrive que les tribunaux turcs essaient d"atténuer la sévérité de l"application de la limite de responsabilité prévue à l"article 1114 du Code commercial en jugeant que, lorsque le connaissement renferme une déclaration au sujet de la nature et de la valeur des marchandises, cette déclaration équivaut à une déclaration de la valeur des marchandises. Me Kavak estime que cet argument est mal fondé et je suis du même avis. Il ne s"agit pas de déterminer de quelle façon la Turquie s"y est prise pour adopter ou adapter les Règles de La Haye en droit interne. Il s"agit plutôt de bien interpréter les Règles de La Haye elles-mêmes2. Ces Règles constituent un code international et l"interprétation proposée par Me Aybay n"a jamais été retenue. Une déclaration portant sur la nature et la qualité de certaines marchandises n"équivaut tout simplement pas à une déclaration de leur valeur.

[18]      Me Kavak affirme que la limite par colis ou par unité applicable en Turquie dans un cas comme celui-ci serait d"une tonne métrique. Je doute fort de la justesse de cette interprétation, mais comme elle n"a pas été contredite, qu"elle a été acceptée par le défendeur et qu"elle favorise davantage la demanderesse étant donné que les paquets de barres d"acier pesaient en l"espèce plus d"une tonne métrique chacun, je suis disposé à accepter cette interprétation pour trancher le présent litige.

[19]      Finalement, la demanderesse me demande de refuser de donner effet aux Règles de La Haye qui étaient en vigueur en Turquie, étant donné que la limite de 2,30 $ par colis ou unité est abusive. Je refuse d"acquiescer à sa demande. Toute limite de responsabilité est susceptible d"obliger une partie, ou ses assureurs, à assumer une partie de la perte qui serait autrement supportée par l"autre partie. La limite en question en l"espèce découle d"une disposition contractuelle et il était loisible à la demanderesse de déclarer la valeur des marchandises ou de se protéger d"une autre manière. Le véritable grief de la demanderesse est qu"elle ne comprend pas comment s"appliquent les Règles de La Haye en vigueur en Turquie. Il s"agit tout simplement d"une erreur de la part de la demanderesse au sujet du droit applicable en Turquie et, bien que le résultat soit malheureux pour elle, il n"a rien d"abusif3.

DISPOSITIF

[20]      Un jugement sera rendu pour répondre dans l"ordre suivant aux questions posées à la Cour :

     1.      L"unité de limite applicable est la tonne métrique.
     2.      La limite de responsabilité applicable est de 100 000 livres turques l"unité, ainsi que le prévoit l"article 1114 du Code commercial turc.
     3.      La date de conversion de la limite est celle de l"arrivée du navire au Canada, date à laquelle la limite applicable était de 2,30 $ l"unité.
     4.      Il n"y a aucun principe de droit qui permettrait à la Cour de ne pas appliquer la limite applicable des Règles de la Haye qui était en vigueur en Turquie.
     5.      L"adjudication des dépens est reportée à plus tard.

     " JAMES K. HUGESSEN "

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 29 novembre 1999.



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL. L.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


" DU GREFFE :              T-38-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      BARZELEX INC. c. Le EBN AL WALEED et autres

LIEU DE L"AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L"AUDIENCE :          Le 13 octobre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge Hugessen

                     en date du 29 novembre 1999

ONT COMPARU :

Me R. Desgagnés              pour la demanderesse
Me Harrington              pour l"Ebn Al Waleed et ses propriétaires

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogilvy, Renault              pour la demanderesse

Montréal (Québec)

McMaster Gervais              pour l"Ebn Al Waleed et ses propriétaires

Montréal (Québec)

__________________

1      DORS/98-106.

2      Stag Ligne Limited v. Foscolo, Mango and Co., [1932] A.C. 329, lord McMillan,              à la page 350.

3      London Drugs Limited c. Kuehne and Nagel International Limited,          [1992] 3 R.C.S. 299.

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