Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision




Date : 20000104


Dossier : IMM-907-99

OTTAWA (Ontario), le 4 janvier 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE ROULEAU



ENTRE :

     MA'YA KVELASHVILI,

     ARETA KAVALASHVILI,

     demanderesses,


ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     défendeur.


ORDONNANCE

[1]      Comme je suis convaincu qu"il y a eu manquement à la justice naturelle à l"audience tenue devant la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, l"affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal différemment constitué.

" P. Rouleau "

Juge

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL.L.




Date : 20000104


Dossier : IMM-907-99



ENTRE :

     MA'YA KVELASHVILI,

     ARETA KAVALASHVILI,

     demanderesses,


ET :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     défendeur.




     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE ROULEAU


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la Commission) a statué, le 13 février 1999, que les demanderesses n"étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]      Les présents motifs ont été rédigés en anglais, bien que les deux avocats qui ont comparu devant moi aient plaidé l"affaire en français. J"ai choisi de procéder ainsi parce que la décision de la Commission a été rendue en anglais et que les deux revendicatrices avaient manifestement demandé que l"audience se déroule en anglais. C"est à leur intention que j"ai rédigé les motifs de l"ordonnance en anglais.

[3]      Je n"ai pas l"intention de me prononcer sur le bien-fondé de la revendication du statut de réfugié. Ma décision s"appuie entièrement sur le fait que la procédure s"est déroulée de façon inéquitable en ne tenant aucun compte des principes de justice naturelle.

[4]      Avant l"audience, les revendicatrices avaient retenu les services de Me Jean Gobeil au moyen d"un certificat d"aide juridique. En mai 1998, Me Gobeil a écrit à la Commission pour confirmer qu"il représentait les revendicatrices et qu"il présenterait d"autres documents.

[5]      Le 7 octobre 1998, la Commission a écrit à Me Gobeil et joint à son envoi des éléments de preuve que la représentante du ministre avait l"intention de produire à l"audience.

[6]      Le dossier du tribunal indique qu"un avis a été envoyé aux deux revendicatrices et à Me Gobeil le 11 septembre 1998 pour les informer que l"audience aurait lieu le 9 novembre 1998, à Montréal.

[7]      Les revendicatrices ont sans doute rencontré leur avocat à plusieurs reprises. Malheureusement, le 23 octobre 1998, l"assistant de Me Gobeil a écrit à la Commission pour l"informer que, sur ordre du médecin, Me Gobeil s"absenterait de son travail pour une période indéterminée. Cette lettre contenait une demande d"ajournement que l"agente d"audience a rejetée.

[8]      Le 5 novembre 1998, une autre lettre a été envoyée par l"assistant de Me Gobeil, indiquant que Me Gobeil ne représentait plus les revendicatrices. Cette correspondance a été envoyée à la suite d"une conversation téléphonique entre la secrétaire de Me Gobeil et Mme Dominique Leclercq, l"agente d"audience; elle expliquait que Me Gobeil était toujours malade et réclamait à nouveau un ajournement, qui a été refusé une fois encore.

[9]      L"affidavit des revendicatrices révèle qu"elles n"ont pas réussi à retenir les services d"un autre avocat à peine quatre jours avant l"audience.

[10]      Comme elles avaient retenu les services de Me Gobeil au moyen d"un mandat approuvé par l"aide juridique, je soupçonne que les revendicatrices ne pouvaient pas, dans un délai aussi court, obtenir une autre autorisation de l"aide juridique pour embaucher un autre avocat.

[11]      Le jour de l"audience, Mme Dominique Leclercq, qui l"a présidée, a révélé que son collègue, Me Yves Boiron, qui devait former le tribunal avec elle, ne participerait pas à l"audience. Aucune preuve directe n"établit pour quelle raison, mais j"ai l"impression que c"est parce qu"il ne se sentait pas à l"aise de participer à une audience qui se déroulerait en anglais.

[12]      L"audience a eu lieu comme prévu le 9 novembre 1998, sans avocat.

[13]      Pour que le lecteur comprenne bien ce qui s"est passé, j"estime essentiel de reproduire ici les sept premières pages de la transcription.

         [traduction]
         LA PRÉSIDENTE :
         -      Bon. Alors, c"est aujourd"hui le 9 novembre 199 ... 1998. Nous sommes à Montréal, au Complexe Guy-Favreau, salle 10. Mon collègue, Me Yves Boiron, et moi-même, Dominique Leclercq, avons été désignés pour entendre la revendication de Mme Ma'ya Kvelashvili, dossier numéro M98-02719, et de sa soeur Areta Kavalashvili, M98-02720.
             Les deux revendicatrices sont présentes. Leur avocat n"est pas ici et je reparlerai de son absence plus tard. L"agent d"audience est M. Lawrence Lesarge, et aucun interprète n"est présent et la langue demandée est ... le Yiddish.
             Alors ce qui s"est passé, c"est que nous avons fixé l"audience de cette revendication, de ces deux revendications au 9 novembre 1998, c"est-à-dire aujourd"hui, en après-midi, en français, et l"avocat était Me Gobeil. Il y a quelques jours, en fait le ... en date du 23 octobre, nous avons reçu une lettre de Me Gobeil nous informant qu"il serait absent pour une période indéterminée sur ordre de son médecin.
         LA PRÉSIDENTE (s"adressant aux revendicatrices) :
         Q.      Vous comprenez jusqu"à maintenant?
         R.      Oui.
         R.      Oui, évidemment.
         -      Donc, j"ai refusé de reporter l"audience le 27 octobre 1998 et dans le dossier de mon collègue, mais pas dans le mien, se trouve, en date du 5 novembre, une lettre de Me Jean Gobeil précisant qu"il n"occupe plus dans le dossier, qu"il ne représente plus la revendicatrice, Mme Areta Kavalashvili, seulement ... c"est étrange, ce n"est écrit que pour vous, Mme Areta. De toute façon ...
             Donc, nous sommes ici aujourd"hui et nous parlons anglais parce que vous dites que vous connaissez mieux l"anglais que le français.
         R.      Oui.
         -      Même si la langue demandée était le Yiddish, mais vous dites que vous ne parlez même pas le Yiddish. Bon.
         Q.      Vous êtes donc prêtes à être entendues aujourd"hui ... en anglais, devant moi comme seule commissaire, sans avocat? Eh bien, plusieurs questions se posent, avec moi comme seule commissaire parce que mon collègue n"entend pas de revendications en anglais ... et en plus, sans avocat?
         R.      Oui.
         R.      Oui.
         Q.      Vous êtes donc prêtes à être entendues aujourd"hui?
         R.      Oui.
         A.      Oui.
         -      Ça va devant moi seulement.
         A.      Exactement.
         -      Bien. Dans ce cas, je demanderai à M. Lesarge de vous expliquer la procédure et ce que cela signifie, vous savez, qu"elle se déroule devant un seul commissaire.
         LA PRÉSIDENTE (s"adressant à l"agent d"audience) :
         -      Peut-être pouvez-vous seulement le leur expliquer, et aussi la procédure pour que nous puissions procéder aujourd"hui.
         R.      C"est bien.
         -      Bien. Je vous laisserai un certain temps pour ...
         R.      C"est bien. Oui, cinq minutes suffiront.
         -      Bien. Je vous remercie.
         LA PRÉSIDENTE (s"adressant au commissaire) :
         Q.      Vous vous retirez, Me Boiron? Ça va?
         R.      Ça va.
         -      Très bien.
         LA PRÉSIDENTE (s"adressant aux revendicatrices) :
         -      M. Lesarge va vous expliquer la procédure.
                     (SUSPENSION DE L"AUDIENCE)
         LA PRÉSIDENTE :
         -      Bien, nous voilà de retour. Nous avons maintenant un interprète pour traduire de ...
         LA PRÉSIDENTE (s"adressant à l"interprète) :
         Q.      Êtes-vous ... traduisez vous aussi vers l"anglais?
         R.      Non.
         -      C"est ça, parce que l"audience devait se dérouler en français, alors ... maintenant elle va se dérouler en ... en anglais et peut-être en géorgien, mais vous ne traduisez pas vers l"anglais.
         R.      (inaudible) non.
         -      C"est bien.
         LA PRÉSIDENTE (s"adressant à la revendicatrice) :
         Q.      Et en ce qui vous concerne, votre soeur a dit que c"est plus facile pour vous de parler anglais, est-ce exact?
         R.      Oui, oui absolument.
         Q.      Alors rappelez-moi votre prénom pour ...
         R.      Ma'ya.
         -      Ma'ya, vous êtes Ma'ya. Bien.
         Q.      Donc, vous préférez de toute façon parler anglais plutôt que géorgien?
         R.      Oui, c"est sûr. Oui.
         R.      C"est ça.
         -      Bien.
         Q.      Et vous parlez assez couramment l"anglais?
         R.      Nous ... nous ne le parlons pas à 100 p. 100, mais nous préférons l"anglais au géorgien.
         R.      Exactement.
         -      Bien.
         R.      Parce que quand on parle géorgien, on utilise des mots anglais ici et là, on n"est pas capables de parler couramment ...
         R.      Couramment le géorgien ...
         R.      On n"est pas capables.
         -      Bien. Bien. Donc ...
         LA PRÉSIDENTE (s"adressant à l"interprète) :
         [en français dans l"original]
         -      Je vais donc vous remercier, M. ... j"ai oublié votre nom ...
         R.      Je peux me disposer ?
         Q.      Oui. Quel est ... Quel est votre nom ... j'ai oublié?
         R.      Barady Alexandre (transcription phonétique).
         -      Oui, C'est parce que là, si vous n'interprétez pas de l'anglais de toute façon, puis elles préfèrent ... que l'audience soit anglais donc ...
         A.      Oui, j'ai bien compris. O.K.
         -      O.K. Alors merci beaucoup hein.
         A.      Je vous en prie. Bonne journée.
         -      Vous pouvez aller au bureau, d'accord. Au revoir.
         [ Traduction]
         LA PRÉSIDENTE (s"adressant aux revendicatrices) :
         -      Alors ... Donc, M. Lesarge vous a expliqué la procédure et le ... fait que vous n"avez pas d"avocat, bien, et que je siégerai seule ...
         Q.      Vous comprenez bien cela?
         R.      Oui.
         R.      Oui.
         -      Ce que je voudrais mentionner c"est que c"est votre deuxième revendication au Canada ... c"est bien cela ...
         R.      Oui.
         R.      Oui.
         -      ... la première fois où vous êtes venues, vous étiez plus jeunes, évidemment.
         Q.      Quel âge aviez-vous? Je commence avec le ...
         R.      Lorsque je suis venue pour la première fois au Canada?
         Q.      Areta ... non Ma'ya, désolée, Ma'ya ... Bien.
         R.      La première fois que je suis venue au Canada, j"avais quinze ans.
         Q.      Quel âge aviez-vous? Vous aviez quinze ans?
         R.      Presque, oui.
         Q.      Et vous, Areta, quel âge aviez-vous?
         R.      Dix-sept ans.
         -      Bien.
         Q.      Donc vous vous en souvenez assez bien?
         R.      Juste du début, pas de tout.
         Q.      Pas de tout, mais vous savez déjà comment fonctionne la procédure?
         R.      Oui.
         Q.      Et vous, vous vous en souvenez?
         R.      Oui.
         -      C"est bien.
         LA PRÉSIDENTE (s"adressant à l"agent d"audience) :
         -      Maintenant, M. Lesarge, j"aimerais que vous disiez, pour que cela figure dans le dossier, que vous disiez ce que vous avez expliqué à ces dames.
         R.      Oui. J"ai expliqué la ...
         -      Pour que ce soit très clair dans le dossier ...
         R.      Oui.
         -      ... comme aucun avocat n"est présent, elles ne sont pas représentées.
         R.      Je ... Je leur ai expliqué que ... eh bien que la différence entre une audience devant un seul commissaire et devant deux commissaires, c"est que lorsqu"il y a deux commissaires, il faut qu"un des deux rende une décision positive, alors que s"il y a un seul commissaire, c"est ... il en faut un sur un plutôt que un sur deux.
             Elles m"ont demandé ce que je leur recommandais et je leur ai dit que, vous savez, ce n"est pas une question ... c"est une question ... cette décision qu"elles devaient prendre parce que c"est ... elles ont le droit d"être entendues par deux commissaires et si elles ... le fait qu"elles choisissent d"être entendues par deux commissaires ne peut jouer contre elles.
             Ensuite je leur ai expliqué la procédure qui se déroulera dans la salle d"audience concernant les questions que je poserai et celles que vous poserez. Ensuite des observations seront présentées et ensuite elles ... elles auront la possibilité, si elles veulent ajouter quelque chose à cette étape, elle pourront le faire.
         -      Hum, hum. C"est bien. Donc c"est clair pour vous? Je vais ... je vais dire vos noms ... pour que nous sachions ...

[14]      Ces quelques pages introductives, relativement brèves, de la transcription sont absolument scandaleuses; on constate d"emblée la façon cavalière dont Dominique Leclercq a mené l"instance.

[15]      Elles laissent croire que, du fait que Me Gobeil avait écrit au tribunal en français, l"agente d"audience s"attendait que l"affaire soit entendue en français. Elle émet de plus l"hypothèse que les revendicatrices avaient demandé que l"affaire soit entendue en Yiddish. Absolument aucun élément de preuve n"appuie cette prétention. La preuve révèle, à la page 51 du dossier du tribunal, dans un rapport préparé par un agent chargé de présenter des dossiers complets au tribunal, que dès le 8 juin 1998, la mention suivante apparaissait clairement : " Audience en anglais - sans interprète ". Non seulement un des commissaires devant siéger à l"audience, Me Yves Boiron, n"était pas en mesure d"entendre l"affaire parce qu"elle devait se dérouler en anglais, mais encore le tribunal n"avait même pas accès à un interprète capable de traduire de l"anglais au français et vice versa.

[16]      Il est évident pour moi que Dominique Leclercq, qui était responsable de l"audience et l"a présidée, n"a tenu aucun compte des instructions de l"agent de la Commission même , en ne s"assurant pas de former un tribunal compétent pour tenir l"audience en anglais.

[17]      La présidente a poursuivi en indiquant que les revendicatrices devaient être autorisées à prendre cinq minutes pour recevoir des explications concernant la procédure, dans les cas où un seul commissaire siège à l"audience. Le tribunal n"a pas veillé à ce que les revendicatrices reçoivent des conseils indépendants et a demandé à l"agent d"audience de les assister en leur fournissant des conseils juridiques.

[18]      Il ressort clairement de la lecture de la transcription que les revendicatrices n"ont pas été informées qu"elles pouvaient refuser que l"audition de leur revendication ait lieu parce qu"un seul commissaire du tribunal était prêt à l"entendre. On ne trouve dans la transcription aucune indication que Dominique Leclercq a informé les revendicatrices qu"elles pouvaient choisir de refuser que l"audience ait lieu parce que seulement un commissaire était compétent ce jour-là pour entendre leur revendication.

[19]      Comme l"a écrit monsieur le juge Linden de la Cour d"appel fédérale dans l"affaire Virk c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), [1992] A.C.F. no 199 :

Si on fait pression sur un demandeur pour qu"il donne son consentement, ou s"il ne comprend pas ce qu"il fait, il y a défaut de consentement valable.

[20]      Je pourrais étoffer davantage mes motifs, mais je suis convaincu qu"il y a eu déni de justice et que l"affaire doit être renvoyée pour réexamen par un tribunal différemment constitué.




                                     JUGE

OTTAWA (Ontario)

4 janvier 2000



Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-907-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      MA`YA KVELASHVILI et autre

                         c.

                         M.C.I.

LIEU DE L"AUDIENCE :          MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L"AUDIENCE :          16 DÉCEMBRE 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :          4 JANVIER 2000

ONT COMPARU :

Me MICHELLE LANGELIER              POUR LES DEMANDERESSES
Me SYLVIANE ROY                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me ÉVELYNE FISET                  POUR LES DEMANDERESSES
Me MICHEL SYNNOTT                  POUR LE DÉFENDEUR

Me Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.