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     Date: 20000609

     Dossier : IMM-6251-98

Ottawa, Ontario, ce 9 e jour de juin 2000

En présence de M. le juge Pelletier

ENTRE :

     LUIS FRANCISCO ESTRADA DE LEON

     Demandeur

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Défendeur



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]      M. De Leon est un ressortissant du Guatemala qui réclame le statut de réfugié. La Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ("C.I.S.R.") lui a refusé sa revendication. Elle a conclu qu'il y avait des contradictions dans son témoignage et entre son témoignage et son Formulaire de Renseignements Personnels ("FRP"). M. De Leon a obtenu l'autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire du refus de sa réclamation pour des motifs qui mettaient en question plusieurs politiques et pratiques de la Section du statut de réfugié de la C.I.S.R. de Montréal . Lors de l"audition de la demande de contrôle judiciaire, cette Cour a précisé qu"elle ne pourrait pas traiter les allégations au sujet de la Section du statut en raison du fait que la preuve déposée, soit deux affidavits cousus de ouï-dire, n'était pas adéquate. Par contre, la lecture de la transcription de l"audience dont a joui M. De Leon expose certains faits dont la Section du statut devrait prendre connaissance.

[2]      M. de Leon raconte qu"il était actif dans la vie politique de son village et qu"en conséquence, il est devenu le président du conseil électoral municipal en 1985. Ses adversaires politiques lui ont offert des pots-de-vin en échange de sa collaboration. Le demandeur a refusé de collaborer et ceci a entraîné certains ennuis politiques. Malgré ces ennuis, le demandeur a accepté d'être nommé encore une fois, président du conseil électoral pour les élections de novembre 1995. En raison de son refus de collaborer, le demandeur a reçu des menaces et s"est fait battre par quatre inconnus. Il a aussi été kidnappé et retenu prisonnier pour une durée de 16 jours au cours desquels il a été torturé et menacé. Lorsque le demandeur a été mis en liberté, il a quitté le Guatemala en destination des États-Unis. Il est demeuré aux États-Unis pour une durée d'un mois. Par la suite, il s'est dirigé au Canada afin de réclamer le statut de réfugié.

[3]      La Section du statut a reproché à M. De Leon de s"être contredit à plusieurs reprises. Voici ce qu'elle a dit :

         Le tribunal conclut que le témoignage du demandeur est truffé de contradictions et de ce fait non crédible. Sans faire une nomenclature de toutes les contradictions, en voici quelques-unes :
         En réponse à la question 37 de son FRP, le demandeur a déclaré à la ligne 71, et le tribunal cite : "Le 3 mai 1995, mon fils a quitté la maison et nous n'avons plus des nouvelles de lui [...]."
         De plus à la question 15 du même FRP, il indique que son fils est disparu depuis le 3 mai 1995.
         À la pièce A-11, en liasse, documents du point d'entrée, le demandeur y déclare que son fils est allé au Mexique. Une autre contradiction.
         Le demandeur a déclaré dans son témoignage, avoir vu sa femme deux jours après son arrivée à Trenton, New Jersey, à la fin de juin 1995. Ce témoignage est contredit par la pièce A-11 qui informe le tribunal que celle-ci a accompagné son époux au Consulat canadien à New York, le 21 août 1995. Une autre contradiction.
         À la ligne 48 de son FRP, le demandeur a témoigné ce qui suit, et le tribunal cite : "Le 16 décembre 1994, mon voisin m'a dit qu'on m'appelait dans son téléphone; je suis allé chez lui." Lors de l'audience, le demandeur a témoigné être allé dans un bureau répartiteur d'appels téléphoniques à quelques rues de sa maison. Une autre contradiction.
         Le 28 janvier 1995, le demandeur déclare, à la ligne 53 de son FRP, le tribunal cite : "le 28 janvier 1995, je suis allé à mon travail; je travaillais dans une école rurale [...]". Le demandeur a témoigné à l'audience que ce jour-là, le jour de son agression, les quatre individus non identifiés, il serait retourné à l'école avec les étudiants et qu'il y aurait vu les professeurs et les étudiants et que ce jour-là l'école aurait fonctionné normalement.
         Or, le 28 janvier 1995 était un samedi et que selon son témoignage antérieur, l'école aurait opéré du lundi au vendredi inclusivement.
         Le demandeur n'a pu réconcilier aucune de ces contradictions. En l'espèce, les propos de l'honorable juge MacGuigan dans l'arrêt Sheikh1, sont directement applicables. Le tribunal cite :
         "[...] Une conclusion générale quant au manque de crédibilité du revendicateur peut fort bien s'étendre à tous les éléments pertinents de son témoignage."
         Le tribunal ne croit à aucune partie de votre témoignage.

[4]      Afin de jauger la justesse de ces reproches, il est nécessaire de consulter la transcription de l"audience.

[5]      La Section du statut a d'abord reproché au demandeur d'avoir déclaré que son fils avait disparu lors de sa fuite au Mexique. Voici la transcription du témoignage du demandeur :

     PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
     Q.      On a compris, Monsieur, que dans votre déclaration que vous avez faite à St-Bernard-de-Lacolle, le point d'entrée, le 31 août '95 que vous avez un fils qui a fui vers le Mexique. Il s'agit de qui?
     R.      Mon fils aîné qui s'appelle Luis Alfonso (phonétique).
     Q.      Luis Alfonso qui a quel âge?
     R.      Je pense qu'aujourd'hui ... qu'actuellement il doit avoir 21 ans.
     Q.      D'accord. Et vous disiez là-dedans qu'il s'est enfui vers le Mexique. C'est exact?

     PAR LE PRÉSIDENT (s'adressant à l'acr)
     Q.      Pardon?

                        

     PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Vous disiez dans votre déclaration au point d'entrée qu'il s'est enfui vers le Mexique. C'est exact?
     PAR LE PRÉSIDENT (s'adressant au revendicateur)
     -      Je pense qu'il faudrait répondre oui ou non. Est-ce que vous avez ...
     PAR LE COMMISSAIRE (s'adressant au président)
     -      C'est ça, là.
     PAR LE REVENDICATEUR (s'adressant au président)
     -      Oui, il ... il s'est enfui.
     PAR LE PRÉSIDENT (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Vers le Mexique?
     R.      Oui.
     -      O.K.
     PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Dans votre réponse à la question 15 de votre formulaire, vous indiquez : "Disparu depuis le 3 mai '95". Pourquoi avoir indiqué disparu et non ... et non parti au Mexique par exemple?
     R.      C'est que quand je suis arrivé à la frontière, j'étais très nerveux, j'allais très mal.
     Q.      Oui?
     R.      Alors, quand j'ai pu réviser mon histoire une fois rendu ici, j'étais plus calme. Alors là, j'ai pu mettre mes dates et c'était mieux.
     Q.      Mais qu'est-ce qui est vrai, qu'il est parti vers le Mexique ou qu'il est disparu?
     PAR L'INTERPRÈTE (s'adressant à l'acr)
     Q.      Excusez-moi, vous parlez en même temps et ...
     R.      O.K.
     PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Oui, qu'est-ce qui est vrai, qu'il est parti vers le Mexique ou qu'il est disparu?
     R.      C'est qu'il a disparu pour s'en aller au Mexique.
     Q.      Bon, O.K. Et l'énervement ... l'énervement de la frontière, je comprends Monsieur, mais ce formulaire vous l'avez rempli le 6 novembre '95, soit trois mois après la frontière ... ça fait deux mois et demi après le ... votre séjour à la frontière?
     R.      Non, je ne l'ai ... à partir de ... du 3 mai, date à laquelle il a ... il est parti, je ne l'ai plus revu ... je n'ai pas de ses nouvelles.
     PAR LE PRÉSIDENT (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Monsieur, la question est très simple. Vous saviez que votre fils est parti, est allé au Mexique. Pourquoi aviez-vous déclaré dans votre formulaire personnel de renseignements qu'il est disparu? C'est ça la question.
     R.      C'est parce qu'il n'est pas parti au Mexique, il s'est enfui vers le Mexique.
     PAR LE COMMISSAIRE (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Monsieur, je ... écoutez, là, je regarde, là, votre réponse à la question 37 et je me réfère à la ligne 71 et je vous lis exactement ce que vous avez écrit ici, là : "Le 3 mai 1995, mon fils a quitté la maison et nous n'avons plus de nouvelles de lui. J'ai fait plusieurs ... pour lui trouver ... - pour le trouver, là, je présume - ... mais sans succès." Là, là, dans la déclaration au point d'entrée, Monsieur, vous nous dites qu'il est au Mexique. Alors, quelle déclaration est la vraie, Monsieur, s'il vous plaît? Quelle déclaration est la vérité, Monsieur?
     R.      Il a quitté la maison et c'était le 3 mai. Quand j'ai ... je me suis enquis sur lui parce que je l'ai plus revu, on m'a dit qu'il était au Mexique. Celle qui m'a dit cela, c'est mon épouse.

[6]      À la lecture de ces passages, on remarque que l"agent chargé de la revendication et le tribunal ne semblaient accepter que le fils du demandeur soit disparu étant donné que le demandeur savait qu"il était au Mexique. Si le fils du demandeur s"est enfui au Mexique il y a quatre ans et si celui-ci n'en a pas eu de ses nouvelles pendant toute cette période, le demandeur avait raison de déclarer que son fils avait disparu. La Section du statut a reproché au demandeur une contradiction qui n"existe pas.

[7]      La Section du statut a par la suite conclu qu'elle retrouvait une contradiction entre le témoignage du demandeur précisant qu'il avait vu sa femme deux jours suivant son arrivée à Trenton, soit à la fin du mois de juin 1995, et la pièce A-11 indiquant que son épouse l'avait accompagné au consulat canadien de New York le 21 août 1995. Cependant, pour conclure une telle chose, la Section du statut n"a pas été fidèle au témoignage du demandeur. Voici ce que le demandeur a mentionné à ce sujet :

     PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Donc, votre femme serait partie vers le 9 juin. C'est ça?
     R.      Mais moi je n'étais pas là, je ne l'ai pas vue partir.
     Q.      Mais ça, je le sais, Monsieur, là.
     R.      Et moi, je n'étais même pas au courant de son départ.
     Q.      Oui, mais vous l'avez revue votre femme depuis? Et il me semble que ça se demande quand on voit ... tu est partie quand?
     R.      Oui, elle est partie une semaine plus tard ... une semaine après ma détention.
     Q.      Après le début ... le début de votre détention. C'est ça?
     R.      Oui.
     Q.      Bon. Vous avez revu votre femme quand, Monsieur?
     R.      Bon. Vous savez que mon voyage, mon itinéraire a été normal. Je suis entré par New York.
     PAR LE PRÉSIDENT (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Monsieur, Monsieur ...
     R.      ... et de là je suis allé ...
     Q.      S'il vous plaît, écoutez la question. Vous avez revu votre épouse quand?
     R.      Je l'ai vue après mon arrivée. Je suis arrivé le 27 juin et j'ai vu mon épouse quatre jours plus tard.
     PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
     Q.      À quel endroit?
     R.      J'ai rencontré un membre de ma parenté qui habite Lorenceville (phonétique).
     Q.      C'est où ça?
     R.      Dans la ville de Trenton.
     Q.      Au New Jersey?
     R.      Oui, au New Jersey.
     Q.      Bon. Et la dernière fois que vous aviez vu votre femme, c'était quand?
     R.      Quand nous sommes allés à New York demander le visa à l'ambassade du Canada.
     Q.      Et ça, c'était quand, ça?
     R.      Et nous sommes retournés ensemble. Excusez-moi, est-ce que vous me permettez de ... Monsieur aimerait consulter un document parce que la date exacte à laquelle je suis arrivé ... la date de mon arrivée est là.
     Q.      Mais si vous avez pas la date exacte, Monsieur, c'est pas important. C'est à peu près quand la dernière fois que vous avez vu votre femme? C'était la semaine dernière? Il y a deux mois? Il y a trois ans? C'est quand, Monsieur?
     R.      Nous sommes retournés ensemble de New York à Lorenceville. On a passé juste deux jours ensemble.
     Q.      En '95?
     R.      Alors, elle est allée à la ville de New Jersey.
     Q.      Bon. Ça, c'est en '95 quand vous êtes arrivé aux États-Unis?
     R.      Oui.
     Q.      Bon. Depuis ce temps-là, est-ce que vous avez revu votre épouse?
     R.      Non. Je ne l'ai pas vue, je ne lui ai pas parlé au téléphone et je ne lui ai pas écrit et elle non plus.

     ...

     PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Et vous êtes allé avec votre épouse au consul canadien à New York?
     R.      Oui.
     Q.      Et ça, c'était une dizaine de jours avant que vous arriviez ici au Canada, vous?
     R.      Avant que? Pardon?
     Q.      Que vous n'arriviez au Canada?
     R.      Oui.
     Q.      Donc, le 21 août '95?
     R.      Oui.
     Q.      Alors, ce qui fait qu'à ce moment-là ça faisait à peu près deux mois que vous étiez aux États-Unis?
     R.      Si.
     Q.      Et vous avez dit tout à l'heure que vous avez vu votre femme les deux premiers jours de votre arrivée aux États-Unis, vous ne l'avez pas revue par la suite?
     R.      Non. On s'est vu avec elle, mais elle vivait avec une autre famille et j'ai rencontré ou j'ai contacté un membre de ma parenté à cet endroit, à Lorenceville.
     Q.      Oui, mais ce que je vous parle, Monsieur, c'est les dates, là. Ce que j'ai compris tout à l'heure - Monsieur attendez un peu - ...
     R.      Et là, on a passé quelques temps ensemble.
     Q.      D'accord, mais j'ai ... j'ai compris tout à l'heure de votre témoignage que peu de temps, là, la journée ou ... un ou deux jours après votre arrivée aux États-Unis, vous avez rencontré votre femme, vous avez été ensemble pendant deux jours et par la suite vous ne l'avez plus revue?
     R.      Non. Elle était chez quelqu'un et moi je suis allé chez quelqu'un d'autre. Et là, nous avons parlé et on a passé, bon, un mois et demi à peu près où nous nous voyions presque tous les jours.

    

[8]      Le témoignage du demandeur est simple et clair. Son épouse est d'abord arrivée aux États-Unis. Ensuite, quatre jours après son arrivée aux États-Unis, le demandeur a retrouvé son épouse à Lorenceville, une ville se retrouvant près de Trenton, New Jersey. Le demandeur et son épouse vivaient séparément, mais ils se voyaient presque tous les jours. Le 21 août 1995, ils se sont rendus à New York ensemble et ils sont retournés à Lorenceville ensemble. Par la suite, ils ont passé deux jours ensemble avant que l'épouse du demandeur retourne au Guatemala et que celui-ci se dirige au Canada. Le demandeur a clairement expliqué le déroulement des événements. Pour conclure à l'existence d'une contradiction, la Section du statut a dû ignorer le témoignage du demandeur.

[9]      La Section du statut a conclu à l'existence d'une autre contradiction lorsque le demandeur a récité dans son FRP qu'il avait reçu un appel chez son voisin, alors qu'il a témoigné, lors de l'audience, qu'il avait reçu l'appel en question dans un bureau répartiteur à quelques rues de sa maison.

[10]      Le demandeur a témoigné ce qui suit :

     R.      Bon. Je n'ai ... je ne l'ai pas écrit dans les ... dans mon récit du point d'entrée, mais je l'ai écrit dans mon histoire. Le 16 décembre 1993 ... non, non, excusez, 1994, on m'a appelé du bureau des téléphones pour ... bon, il y avait un message pour moi.
     Q.      À quel endroit, Monsieur?
     R.      À Salcaha, le quartier d'El Carmen (phonétique).
     Q.      Mais au travail? À la maison? Chez un parent?
     R.      À la maison parce que j'étais en vacances.
     Q.      Bon, d'accord. Puis ensuite, qu'est-ce qui s'est passé?
     R.      Alors, il était 9 h 00 du matin lorsque le monsieur du bureau m'appelle pour me prévenir qu'il y a un message pour moi. Alors, je me suis présenté à son bureau ... alors, je me présente au bureau et quand j'étais dans le bureau, la ... une voix, c'était la voix d'une femme, une femme, elle a dit : "Si tu veux continuer à ... ou si tu veux garder ta vie, sauve-toi, vas-t'en."
     Q.      Qui était cette femme?
     R.      Alors, j'ai ... j'ai demandé au monsieur de ... du bureau qui était la personne qui a téléphoné. Alors, il m'a dit, bon, c'était un appel longue distance.
     Q.      Mais c'est ... c'est quoi, ça, bureau ... bureau des téléphones? Je ne comprends pas, là.
     R.      C'était comme une centrale privée.
     -      D'accord.
     R.      Une centrale de téléphone.
     Q.      C'est à quelle distance de chez vous, ça?
     R.      Cet ... ce bureau était situé à cinq coins de rue ...
     Q.      Cinq coins de rue de chez vous?
     R.      ... de ma maison.
     Q.      D'accord. Et je comprends que ce monsieur de ce bureau-là vous appelle chez vous?
     R.      Oui, il travaille de cette façon. Il a ... il a plusieurs téléphones. Alors, là, lui il reçoit tous les messages et il est payé pour transmettre ces messages.
     PAR LE COMMISSAIRE (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Ça, c'est un bureau, ça, Monsieur, où vous avez reçu l'appel? C'est ça?
     R.      Oui.
     Q.      C'est un bureau. Loin de chez vous?
     R.      Non, situé à cinq coins de rue de chez moi.
     PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Aux lignes 47 et suivantes de votre formulaire, Monsieur, vous disiez : "Le 16 décembre 1994, mon voisin m'a dit qu'on m'appelait dans son téléphone. Je suis allé chez lui. Mon interlocutrice est une femme ... - ainsi de suite." Vous parlez de votre voisin, (inaudible) d'un bureau de téléphone situé à cinq, six coins de rue de chez vous?
     R.      C'est parce que le voisin a deux téléphones chez lui. Alors, bon, il a son bureau privé chez lui. C'est monsieur Oscar Macialiego (phonétique) ...
     Q.      Mais vous avez ...
     R.      ... monsieur Oscar Macialiego.
     Q.      ... vous avez pris l'appel chez votre voisin ou au bureau des téléphones à cinq, six coins de rue plus loin?
     R.      Oui, oui, à cinq coins de rue de la maison, c'était chez le voisin. C'est parce que le voisin qui habite à cinq coins de rue de chez moi, il avait son téléphone et puis il en a demandé un deuxième. Alors, il avait deux téléphones. Alors lui, il paye la compagnie de téléphone, mais on doit lui payer pour recevoir les messages.

                        

                        

[11]      Dans son FRP, le demandeur a décrit ces faits de la façon suivante :

     ...le 16 décembre 1994 mon voisin m"a dit qu"on m"appelait dans son téléphone; je suis allé chez lui; mon interlocutrice c"était une femme...

[12]      Confronté avec cette contradiction, le demandeur a fourni une explication logique que la Section du statut n"a pas considérée.

[13]      Finalement, la Section du statut a trouvé une contradiction majeure lorsque le demandeur a déclaré avoir été victime d'une agression en se rendant à son travail à l'école le 28 janvier 1985, lorsque le 28 janvier 1985 était un samedi et que le demandeur avait déjà témoigné que l'école était fermée les samedis.

[14]      Il faut premièrement remarquer que le demandeur est un administrateur et qu"il n"y aurait rien d"étrange qu"il se rende à l"école un samedi. Le demandeur a stipulé ce qui suit à ce sujet :


     R.      Cet incident s'est produit le 28 janvier.
     Q.      '95?
     R.      Oui.
     Q.      À quel endroit?
     R.      À côté de la ... de la rivière, de la rivière Samala (phonétique).
     Q.      Um-hum. Vous faisiez quoi cette journée-là?
     R.      J'ai quitté la maison et pour me rendre à l'école, alors j'ai marché sur le bord de la rivière.
     Q.      Vous alliez faire quoi à l'école?
     R.      J'allais travailler?
     Q.      Enseigner?
     R.      J'étais directeur.
     Q.      Alliez-vous donner des cours ou quoi?
     R.      Quand j'ai commencé à travailler à cette école, oui, j'ai donné des cours parce que nous n'étions que cinq enseignants.
     Q.      Le 28 janvier '95, alliez-vous donner des cours?
     PAR LE PRÉSIDENT (s'adressant au revendicateur)
     -      S'il vous plaît, s'il vous plaît, s'il vous plaît Monsieur, s'il vous plaît ...
     R.      Si, si.
     -      ... laissez le ...
     R.      Non, j'étais directeur. Alors, mon travail était de teneur administrative.
     -      S'il vous plaît, laissez le temps à l'interprète de vous traduire dans votre langue maternelle les questions avant de vouloir répondre. C'est très important pour vous. O.K.? Merci.
     PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Est-ce que l'école était ouverte cette journée-là?
     PAR LE PRÉSIDENT (s'adressant à l'acr)
     Q.      Vous ... vous parlez du 28 janvier 1995?
     R.      28 janvier '95.
     PAR LE REVENDICATEUR (s'adressant à l'acr)
     -      C'était moi qui ouvrais l'école.


[15]      Ce n"est pas le demandeur qui a souligné la présence d"écoliers et de professeurs à l"école le jour où il a été agressé. D'abord, l"agent chargé de la revendication a amené le demandeur à déclarer que l"école n"était pas ouverte les samedis et les dimanches. Ensuite, il a changé de sujet pour y revenir plus tard :

     Q.      Bon, d'accord. Vous étiez enseignant au Guatemala?
     R.      Oui.

     ...

     PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Est-ce que l'école était ouverte cette journée-là?
     PAR LE PRÉSIDENT (s'adressant à l'acr)
     Q.      Vous ... vous parlez du 28 janvier 1995?
     R.      28 janvier '95.
     PAR LE REVENDICATEUR (s'adressant à l'acr)
     -      C'était moi qui ouvrais l'école.
     PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Il y avait des cours à l'école cette journée-là?
     R.      Oui.
     Q.      Les professeurs, les élèves étaient là?
     R.      Les professeurs, ils se rendaient à l'école pour une autre route parce qu'ils arrivaient en auto.
     Q.      Cette journée-là, le 28 janvier '95, les professeurs arrivaient à l'école. C'est ça?
     R.      Oui.
     Q.      Bon. Puis les élèves aussi? Les élèves?
     R.      Oui.
     Q.      Bon. Il y avait combien d'élèves dans cette école-là?
     R.      Il y en avait 322.
     Q.      322. C'était à quel niveau déjà, ça?
     R.      C'était une école primaire.
     Q.      D'accord, pour les enfants de quoi ...
     R.      De première ...
     Q.      ... cinq ou six ans à douze, treize ans?
     R.      Peut-être, bon, à ... de six ans à quinze parce qu'il y en avait quelques-uns qui étaient déjà ... qui étaient plus âgés que les autres ...
     -      D'accord.
     R.      ... mais ils étaient toujours là.
     -      D'accord.
     PAR LE PRÉSIDENT (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Six à quinze ans?
     R.      Oui.
     PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Vous les avez vus les élèves, les professeurs cette journée-là?
     R.      Les élèves qui empruntaient la même ... le même chemin que moi, ils marchaient en arrière de moi.
     PAR LE COMMISSAIRE (s'adressant au revendicateur)
     -      Non, mais c'est pas ça la réponse, Monsieur.
     PAR LE PRÉSIDENT (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Le 28 janvier 1995, quand vous avez personnellement ouvert la porte ou bien les portes de l'école, aviez-vous vu des élèves ce jour-là? Aviez-vous vu vos professeurs ce jour-là?
     PAR LE COMMISSAIRE (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Oui Monsieur ou non?
     R.      Non. Non, je ne les ai pas vus parce que j'ai été battu en cours de route.


[16]      Après avoir écouté le récit concernant l'agression dont le demandeur a été victime, l"agent a tendu un piège à celui-ci.

     R.      Alors, moi j'étais là. Alors, les enfants qui venaient, qui faisaient déjà l'école, alors là, ils m'ont aidé, ils ont ramassé mon ... ma valise et tout et là je me suis levé et je suis allé chez ... je suis allé à pied parce qu'il n'y avait pas de maison là, c'était ... j'ai longé la rivière.
     PAR L'ACR (s'adressant au revendicateur)
     Q.      Um-hum. Donc, les élèves vous ont aidé?
     R.      Si.
     Q.      Vous vous êtes rendu à l'école?
     R.      Oui, parce que l'école était située à quelque 500 mètres.
     Q.      Bon. Une fois rendu à l'école, est-ce que l'école a ... vous avez ouvert l'école? Est-ce que l'école a fonctionné normalement ou quoi?
     R.      Oui, l'école a fonctionné, mais moi j'ai ... j'ai quitté l'école.
     Q.      Bon. Vous avez vu vos professeurs à ce moment-là à l'école?
     R.      Oui, oui.
     -      Bon.
     R.      Ils sont tous arrivés.
     Q.      Vous êtes sûr du 28 janvier '95 la date de l'accident?
     R.      Oui, oui.
     Q.      C'est quel jour de la semaine?
     R.      Je pense c'était jeudi.
     -      Um-hum. Le 28 janvier '95, Monsieur, était un samedi.
     Q.      Le 28 janvier?
     -      '95 était un samedi. J'ai cru comprendre de votre témoignage tout à l'heure que l'école était fermée les samedis et dimanches.
     R.      Oui, oui, oui, l'école était ... est fermée le samedi. J'avais ... moi, j'avais des activités supplémentaires et des fois j'allais à l'école à la communauté le soir ou le dimanche.
     -      Oui, mais vos élèves étaient là.


[17]      Voilà un contre-interrogatoire digne d"un procès criminel. Il n"y a aucun doute que l"agent avait décidé d'avance que la date de l"agression lui offrait la possibilité de trouver une contradiction. La possibilité d"erreur au sujet de la date de l"agression ne semble pas avoir été considérée par l'agent. Il n'y a eu, ni de la part de l'agent et malheureusement ni de la part de la Section du statut, une ouverture à la possibilité que le demandeur était une personne honnête, mais en erreur.

[18]      Il est vrai que ce n"est pas la fonction du tribunal ou de l"agent de favoriser le témoignage d"un revendicateur. Le fardeau de la preuve demeure toujours sur le revendicateur. Les contradictions et les invraisemblances sont des indices importants d"un manque de vérité dans une histoire. Étant mal placé pour vérifier des contradictions et des invraisemblances, le tribunal doit se fier entièrement sur le revendicateur pour apprendre la vérité sur sa situation. Si un revendicateur ne se montre pas digne de foi dans certains détails, la Section du statut est justifiée de trouver qu'il n'est pas digne de foi dans d"autres éléments de sa revendication. Mais tout ceci présuppose que la Section du statut respecte le revendicateur et son témoignage.

[19]      Il est vrai aussi que l"agent chargé de la revendication et le tribunal ont le droit de contre-interroger le demandeur et si les circonstances l"exigent, cette contre-interrogation peut être agressive. Mais il ne faut pas confondre la poursuite de la vérité et le harcèlement du demandeur. Dans l"instance, le tribunal a trouvé des contradictions là où il n"y en avait pas, et pour arriver à ces contradictions, n"a pas tenu compte des éléments dont il disposait dans le sens de l"aliéna 18.1(4)(d ) de la Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1985 c. F-7. En conséquence, la décision doit être cassée et la cause remise pour une nouvelle audition par un tribunal différemment constitué.

[20]      Compte tenu des allégations qui font partie de la demande de contrôle judiciaire, il est fort probable que le demandeur ait quitté la salle d"audience, convaincu que sa cause était perdue d"entrée en jeu. En plus de se faire accuser de contradictions là où il n"y en avait pas, il a aussi dû supporter des remarques qui lui auraient paru insultantes. La Section du statut de réfugié occupe un rôle central dans l"administration des obligations du Canada au sujet des réfugiés. Ceux qui sont chargés de la responsabilité de commissaire ou d"agent chargé de la revendication représentent le Canada aux yeux des revendicateurs. Ils se doivent donc de se comporter de façon à écarter toute suggestion que le Canada n"est pas ouvert à la réception des réfugiés, même si elle se réserve le droit de se satisfaire de leur bonne foi. C"est une tâche qui demande une probité et une intégrité exemplaires. Le fait qu"il y ait des manquements dans la conduite d"une audition de temps à autre ne fait que souligner l"importance de l"impartialité et l"ouverture d"esprit de ceux à qui cette tâche a été confiée.



ORDONNANCE

     La décision de la Section du statut doit être annulée et la demande de statut de réfugié du demandeur doit être renvoyée devant la Section du statut pour réexamen par un tribunal différemment constituté.

     "J.D. Denis Pelletier"

     Juge

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1      Sheikh, Ali c. M.E.I. (C.A.F. A-521-89), MacGuigan, Iacobucci, Desjardins, le 4 juillet 1990.

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