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Date : 20040514

Dossier : T-1675-03

Référence : 2004 CF 703

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                            

ENTRE :

                                                                 STUART KIDD

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                            AUTORITÉ AÉROPORTUAIRE DU GRAND TORONTO

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Stuart Kidd, le demandeur, sollicite le contrôle judiciaire d'une décision en date du 6 mars 2003 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a jugé la plainte de M. Kidd irrecevable en vertu de l'alinéa 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la Loi), au motif que la plainte avait été déposée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle était fondée. Comme j'ai conclu que les motifs invoqués par la Commission pour déclarer la plainte irrecevable sont insuffisants, la décision est annulée et l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'elle la réexamine en conformité avec les motifs qui suivent.


Faits à l'origine du litige

[2]                L'Autorité aéroportuaire du Grand Toronto (la défenderesse) a licencié M. Kidd le 30 mars 2000. M. Kidd travaillait pour cette société depuis un peu plus de 22 ans en tant qu'aide-mécanicien d'entretien. Au cours des dernières années, son alcoolisme avait nui à son rendement.

[3]                Le demandeur a suivi une thérapie pour traiter son alcoolisme en décembre 1995, décembre 1997 et février et mars 1999. Après qu'il eut terminé cette dernière thérapie au début de 1999, la défenderesse a informé le demandeur qu'il devait respecter certaines conditions s'il voulait garder son emploi, sous peine de congédiement. Parmi les conditions imposées au demandeur, il y a lieu de mentionner un suivi thérapeutique, l'assiduité au travail et des contrôles de dépistage d'alcool et de drogue effectués au hasard sur une période de douze mois commençant en avril 1999. Le demandeur ne s'est pas opposé à ces conditions et il a repris le travail le 22 mars 1999.

[4]                Environ un an plus tard, le 16 mars 2000, la défenderesse a rencontré M. Kidd pour le féliciter de son assiduité et de son rendement au travail. À l'époque, le demandeur venait de terminer un programme de suivi thérapeutique et avait obtenu des résultats négatifs lors de six contrôles aléatoires visant à détecter la présence d'alcool ou de drogues dans son sang.

[5]                Le lendemain de cette rencontre, le 17 mars 2000, le demandeur a subi un septième contrôle de dépistage d'alcool et de drogues. Il a obtenu un résultat négatif pour l'alcool mais positif pour la marijuana. Confronté par son employeur, M. Kidd a admis avoir consommé de la marijuana quelques jours auparavant. Comme il avait violé une des conditions qui lui avaient été imposées l'année précédente, la défenderesse a congédié M. Kidd le 24 mars 2000. Le demandeur a reçu un avis écrit de son licenciement le 30 mars 2000.

[6]                L'emploi du demandeur est régi par une convention collective signée entre la défenderesse et le syndicat du demandeur, l'Alliance de la Fonction publique du Canada (l'Alliance). M. Kidd a contesté son congédiement en déposant un grief et l'affaire a été renvoyée à l'arbitrage. Un arbitre a instruit le grief pendant deux jours en mai 2001 et a rendu sa décision le 15 mai 2001. Il a rejeté le grief du demandeur et a confirmé son congédiement.

[7]                Estimant que l'arbitre avait mal appliqué les critères et les normes juridiques régissant les mesures d'adaptation destinées à tenir compte de la déficience sans créer de contraintes excessives au sens de la Loi, le demandeur et l'Alliance en ont appelé de la sentence arbitrale en introduisant une instance en contrôle judiciaire devant la Cour divisionnaire de l'Ontario. Le 12 mars 2002, la Cour divisionnaire a rejeté la demande de contrôle judiciaire. L'Alliance a aussi présenté une demande d'autorisation d'appel à la Cour d'appel de l'Ontario. Cette dernière demande a été rejetée le 24 mai 2002.

[8]                M. Kidd a communiqué pour la première fois avec la Commission en février 2002. Dans sa plainte, il reprochait à la défenderesse d'avoir agi de façon discriminatoire envers lui en cours d'emploi en raison d'une déficience et de pas avoir pris les mesures d'adaptation nécessaires pour tenir compte de ses besoins sans aller jusqu'à créer des contraintes excessives, le tout en violation des articles 7 et 10 et du paragraphe 15(2) de la Loi. Sa plainte, signée le 29 avril 2002, a été déposée en mai 2002.

[9]                Le 19 septembre 2002, un enquêteur désigné par la Commission pour enquêter sur la plainte en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi a publié son rapport. L'enquêteur recommandait que la Commission statue sur la plainte du demandeur en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 41(1)e) de la Loi. L'arbitre a estimé que l'allégation de discrimination formulée par le demandeur n'avait pas été examinée comme il se devait au cours de la procédure d'arbitrage, que le temps écoulé avant que M. Kidd ne signe sa plainte était imputable aux démarches entreprises par M. Kidd pour exercer ses autres recours et, finalement, que sa plainte n'était ni frivole, ni vexatoire ni entachée de mauvaise foi.

La décision à l'examen


[10]            Le demandeur a été avisé de la décision de la Commission par une lettre datée du 6 mars 2003 qui se contentait de reprendre essentiellement le libellé de l'article 41(1)e) de la Loi, pour expliquer pourquoi la Commission avait jugé la plainte irrecevable : [traduction] « la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée » .

[11]            Question en litige

1. La Commission a-t-elle violé le paragraphe 42(1) de la Loi ou manqué aux principes d'équité procédurale en ne motivant pas suffisamment sa décision?

Analyse

[12]            La question déterminante en l'espèce est celle de savoir si, d'une part, la décision est insuffisamment motivée et si elle viole les principes d'équité procédurale ou, d'autre part, si elle ne respecte pas le critère prévu au paragraphe 42(1) de la Loi ou les deux. Je conclus que la décision est insuffisamment motivée pour les deux raisons susmentionnées et je vais faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire. Comme il est impossible de savoir, à la lecture de ses motifs, pourquoi la Commission a estimé qu'il ne fallait pas suivre les recommandations de l'enquêteur et pourquoi elle a refusé d'exercer le pouvoir discrétionnaire limité que lui confère l'alinéa 41(1)e), je ne vais pas formuler de commentaires sur le fond de la cause du demandeur, car il s'agit là de l'une des principales fonctions pour lesquelles la Commission a été constituée en vertu de la Loi.

[13]            Voici le libellé du paragraphe 41(1) de la Loi :



41. (1) Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;

c) la plainte n'est pas de sa compétence;

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

e) la plainte a été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

(a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;

(b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.


[14]            Le demandeur affirme que la Commission a manqué à l'obligation d'équité que lui impose la common law de même qu'à l'obligation que lui impose le paragraphe 42(1) de motiver sa décision parce que, dans sa décision, la Commission ne fait aucune mention des facteurs ou considérations ayant motivé sa conclusion. La défenderesse fait valoir que la Commission n'a pas manqué aux principes d'équité procédurale en ne motivant pas suffisamment sa décision, compte tenu du paragraphe 42(1) de la Loi.

[15]            Le paragraphe 42(1) de la Loi dispose :



42. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission motive par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas où elle décide que la plainte est irrecevable.

42. (1) Subject to subsection (2), when the Commission decides not to deal with a complaint, it shall send a written notice of its décision to the complainant setting out the reason for its decision.


[16]            J'estime que la décision contenue dans la lettre envoyée en l'espèce au demandeur ne respecte pas la norme établie par les tribunaux au sujet du paragraphe 42(1) et j'estime également que la décision à l'examen n'est pas suffisamment motivée pour respecter les principes d'équité procédurale. Pour ces deux raisons, je suis d'avis que la Commission a commis une erreur en ne motivant pas suffisamment sa décision.

[17]            Dans l'arrêt Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), la Cour d'appel fédérale déclare ce qui suit, aux paragraphes 17, 18 et 19, au sujet de l'obligation faite aux tribunaux administratifs de motiver leurs décisions :

L'obligation de produire des motifs est salutaire. Les motifs visent plusieurs fins utiles, dont celle de concentrer l'attention du décideur sur les facteurs et les éléments de preuve pertinents. Pour reprendre les termes de la Cour suprême du Canada :

On a soutenu que la rédaction de motifs favorise une meilleure prise de décision en ce qu'elle exige une bonne formulation des questions et du raisonnement et, en conséquence, une analyse plus rigoureuse. Le processus de rédaction des motifs d'une décision peut en lui-même garantir une meilleure décision (Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, à la page 845).

Les motifs garantissent aussi aux parties que leurs observations ont été prises en considération.

De plus, les motifs permettent aux parties de faire valoir tout droit d'appel ou de contrôle judiciaire à leur disposition. Ils servent de point de départ à une évaluation des moyens d'appel ou de contrôle possibles. Ils permettent à l'organisme d'appel ou de révision d'établir si le décideur a commis une erreur et si cette erreur le rend justiciable devant cet organisme. Cet aspect est particulièrement important lorsque la décision est assujettie à une norme d'examen fondée sur la retenue.

[Non souligné dans l'original.]


[18]            Le passage souligné de l'extrait précité de cet arrêt de la Cour d'appel fédérale s'applique au cas qui nous occupe. Bien que je n'ai pas procédé à une analyse de la norme de contrôle puisque je ne me prononce pas sur le bien-fondé de la décision de la Commission et que la question de savoir si la décision est suffisamment motivée relève des principes de l'équité procédurale, je tiens à rappeler qu'il est de jurisprudence constante que les décisions fondées sur l'alinéa 41(1)e) ont droit à un degré élevé de retenue judiciaire (voir, par exemple : Société canadienne des postes c. Barrette, [2000] 4 C.F. 145 (C.A.), Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, (1998), 167 D.L.R. (4th) 432 (C.A.F.) et Cape Breton Development Corp. c. Hynes, [1999] A.C.F. no 340 (C.F. 1re inst.) (Q.L.). Dans l'arrêt Via Rail, précité, la Cour d'appel fédérale a reconnu que, dans les cas où il y a lieu de faire preuve d'un degré élevé de retenue envers un tribunal administratif, il est alors encore plus important de connaître et de comprendre son raisonnement et ce, non seulement pour le demandeur, mais aussi pour le tribunal saisi de la demande de contrôle judiciaire.

[19]            Pour en arriver à la conclusion qu'eu égard aux circonstances de l'espèce la décision n'est pas suffisamment motivée, j'ai passé en revue la jurisprudence de notre Cour citée par la défenderesse. À mon avis et pour les motifs ci-après exposés, il y a lieu d'établir une distinction entre les affaires citées par la défenderesse et la situation du demandeur.

[20]            Dans l'affaire Maclean c. Marine Atlantic Inc., [2003] A.C.F. no 1854 (C.F.) (QL), le demandeur a reçu une décision qui, bien que brève, l'informait des motifs pour lesquels la Commission avait décidé de rejeter sa plainte. La Commission a expliqué en effet qu'elle rejetait les plaintes en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi parce que « [...] la distinction était justifiable compte tenu des circonstances; le fait de prévoir différentes catégories d'avantages selon que certains employés risquent plus que d'autres employés d'être touchés ne constitue pas un acte discriminatoire » .

[21]            En l'espèce, le raisonnement suivi par la Commission pour justifier sa décision était moins fouillé que celui qu'elle a exposé dans l'affaire Maclean. Ainsi que l'extrait précité du jugement Maclean le démontre, la Commission ne s'est pas contentée de reprendre le libellé du sous-alinéa 44(3)b)(i) pour affirmer que la distinction était justifiable compte tenu des circonstances. Elle a poursuivi en expliquant pourquoi elle en arrivait à cette conclusion. Le jugement Maclean illustre bien qu'il n'est pas nécessaire que la motivation d'une décision représente un fardeau pas# trop onéreux pour le tribunal administratif puisque, dans cette affaire, les motifs de sa décision sont contenus dans une seule phrase complémentaire.


[22]            Il y a lieu de signaler que, dans l'affaire Maclean, la décision de la Commission contredisait le rapport de l'enquêteur qui estimait que la plainte du demandeur méritait une enquête plus poussée. La Cour a rappelé qu'il est de jurisprudence constante que la Commission n'est pas liée par les recommandations de l'enquêteur et qu'il faut donc présumer que la Commission a tenu compte de ces recommandations pour en arriver à sa décision. Je ne conteste pas le droit de la Commission de se dissocier des recommandations de l'enquêteur et je reconnais que la Commission est présumée avoir examiné le rapport et les recommandations de l'enquêteur. Toutefois, lorsque les motifs ne permettent pas de connaître le raisonnement suivi par la Commission pour décider de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de déclarer une plainte recevable après l'expiration du délai de prescription d'un an, l'existence d'une recommandation contradictoire formulée par un enquêteur fait ressortir encore plus le fait que la décision n'est pas suffisamment motivée.

[23]            La Cour d'appel fédérale a rendu l'arrêt Lever c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1988] A.C.F. no 1062 (C.A.) (QL) en se fondant sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada qui, à l'époque, avait jugé que les principes d'équité procédurale n'obligaient pas en principe les organismes administratifs à motiver ou à expliquer leurs décisions. Cette position a été modifiée, sinon infirmée, par le raisonnement que la Cour suprême a tenu dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[24]            Ensuite, dans le jugement Allen c. Canada (Commission des droits de la personne), (1992), 59 F.T.R. 155, la juge McGillis a expliqué que, dès lors qu'elle « informe pleinement » le plaignant du « motif réel » de sa décision, la Commission respecte le paragraphe 42(1) de la Loi. À la page 159, elle dit ce qui suit :


Le paragraphe 42(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) impose à la Commission l'obligation de motiver par écrit sa décision auprès du plaignant. En l'espèce, les requérants ont reçu de la Commission deux lettres leur expliquant chaque fois que leur plainte n'était pas fondée sur un motif de distinction illicite prévu dans la Loi et que, par conséquent, elle n'était pas de la compétence de la Commission. Dans la deuxième lettre qu'elle a envoyée aux requérants, la Commission déclarait que la condition d'étudiant ne constituait pas un motif de distinction prévu dans la Loi.

En informant par écrit les requérants que leur plainte était irrecevable parce que la condition d'étudiant ne constituait pas un motif de distinction prévu dans la Loi, la Commission s'est conformée au paragraphe 42(1) de la Loi. Même si elle ne leur a pas exposé en détail le raisonnement qui l'avait amenée à cette conclusion, elle les a cependant informés pleinement du motif réel de sa décision. Il n'y a donc pas eu violation du paragraphe 42(1) de la Loi. [Voir Tsai c. Commission canadienne des droits de la personne, (1988), 91 N.R. 374 (C.A.F.) et Lever c. Commission canadienne des droits de la personne, (1988), 10 C.H.R.R. D-6488 (C.A.F.)]

[Non souligné dans l'original.]

[25]            Dans l'affaire Allen, précitée, l'avis écrit de décision rédigé par la Commission permettait de suivre le fil de son raisonnement et, malgré sa brièveté, il exposait néanmoins le motif réel de sa décision. Ce n'est pas le cas en l'espèce, étant donné que la Commission s'est contentée de reprendre le libellé de la disposition sur laquelle elle se fondait, à savoir l'alinéa 41(1)e), sans expliquer pourquoi elle n'était pas d'accord avec la recommandation de l'enquêteur ou pourquoi elle estimait que l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de statuer sur la plainte « après l'expiration [...] de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances » n'était pas justifié dans le cas du demandeur.


[26]            Je reprends les propos suivants qu'a tenus la juge Heneghan dans le jugement Price c. Concord Transportation Inc., [2003] A.C.F. no 1202 (C.F.) (QL) : « [...] à l'alinéa 41(1)e), le législateur a reconnu qu'il n'y avait pas lieu de fixer un délai absolu. La compétence spécialisée qu'exerce la Commission en tant qu'arbitre des faits est mise à contribution de manière juste et appropriée par le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré et qui lui permet d'accorder le délai supérieur qu'elle "estime indiqué dans les circonstances" » . Dans le jugement Price, l'auteur de la décision a expliqué brièvement pourquoi la plainte était jugée irrecevable au sens de l'alinéa 41(1)e) et personne n'a prétendu que la décision n'était pas suffisamment motivée.

[27]            Dans le jugement Hardman c. Énergie atomique du Canada Ltée, [1997] A.C.F. no 477 (C.F. 1re inst) (QL), le juge Richard, alors juge à la Section de première instance, a formulé des commentaires au sujet du degré de motivation exigé de la part de la Commission pour respecter le paragraphe 42(1) de la Loi. Voici ce qu'il déclare aux paragraphes 13 et 14 de ce jugement :

Dans des circonstances comme celles de l'espèce, où la Commission a accepté la recommandation de son agent, il est approprié que l'analyse et la recommandation de celui-ci, qui ont toutes deux été communiquées au requérant, soient examinées pour déterminer si la Commission a respecté le paragraphe 42(1) de la Loi. Comme il est dit dans Allen et al. c. Commission canadienne des droits de la personne et al., (1992), 59 F.T.R. 155, à la page 159, même si la Commission n'a pas exposé en détail son raisonnement pour en arriver à cette conclusion, le requérant a néanmoins été pleinement informé du motif réel sur lequel se fonde la décision prise par la Commission.       

Dans ces conditions, je suis convaincu que la Commission a respecté le paragraphe 42(1).

[28]            À mon avis, compte tenu du fait qu'en l'espèce la Commission a décidé de ne pas accepter le rapport de l'enquêteur sans motiver, même brièvement, sa décision, se contentant de paraphraser la Loi, il y a lieu d'établir une distinction entre la décision dont il était question dans le jugement Hardman, précité, et la situation du demandeur. Qui plus est, dans l'affaire Hardman, la Cour s'est fondée sur le jugement Allen, précité, et j'ai déjà expliqué pourquoi la norme posée dans le jugement Allen n'a pas été respectée.


[29]            Finalement, sur cette question, la défenderesse a fait valoir que, pour le cas où elle estimerait que la décision de la Commission était trop peu motivée pour satisfaire aux exigences de l'obligation d'équité, la Cour ne devrait pas accueillir la demande de contrôle judiciaire étant donné que le demandeur n'a pas exigé de motifs plus détaillés de la part de la Commission. Suivant la défenderesse, le demandeur aurait dû réclamer des explications plus complètes pour savoir pourquoi la Commission n'avait pas estimé indiqué, dans les circonstances, de statuer sur sa plainte et, faute de demande en ce sens, il ne faut pas encourager l'introduction d'instances en contrôle judiciaire coûteuses en accueillant la demande de contrôle judiciaire sur ce seul moyen.

[30]            La jurisprudence invoquée par la défenderesse à l'appui de cet argument, Marine Atlantic Inc. c. Guilde de la marine marchande du Canada, [2000] A.C.F. no 1217 (C.A.) (QL) et Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1301 (C.F. 1re inst.) (QL), n'appuie pas sa thèse à cet égard. Dans l'affaire Marine Atlantic, précitée, la personne visée par une décision non motivée n'avait pas demandé à son auteur de lui expliquer les raisons de sa décision. Dans cette affaire, la Cour a estimé qu'obliger la personne visée par la décision de réclamer de tels motifs ne constituerait un fardeau pas trop onéreux. De plus, la Cour a reconnu qu'il pouvait se présenter des situations dans lesquelles l'obligation imposée à un organisme administratif de motiver ses décisions est évidente. À mon avis, le paragraphe 42(1) de la Loi précise dans les termes les plus nets que la Commission doit motiver sa décision et c'est bien ce qu'elle a fait. Il n'incombait pas au demandeur de réclamer de meilleures explications.


[31]            L'affaire Liang, précitée, se distingue de la présente espèce par le fait que, dans cette affaire, la Cour avait l'avantage d'avoir en mains les notes prises par l'agent d'immigration qui avaient été versées au dossier du tribunal et qui contenaient des éclaircissements sur les très brefs motifs exposés par l'auteur de la décision. En l'espèce, le dossier de l'office fédéral qui a été certifié conformément à l'article 317 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 ne fournit aucun autre indice au sujet des motifs de la Commission.

[32]            Je suis convaincu que la Commission a commis une erreur de droit qui justifie l'intervention de notre Cour car les motifs qu'elle a fournis ne satisfont ni au critère minimal de suffisance établi par les principes de common law de l'équité procédurale, ni au critère minimal établi par le paragraphe 42(1) de la Loi. Cette erreur justifie l'intervention de notre Cour.


[33]            La défenderesse soutient par ailleurs que la Commission avait le pouvoir discrétionnaire de décider, en vertu de l'alinéa 41(1)d) de la Loi, de ne pas enquêter sur la plainte du demandeur parce que sa plainte était frivole ou vexatoire compte tenu de la sentence de l'arbitre et de la décision de la Cour divisionnaire de l'Ontario. À mon avis, la question de savoir s'il était loisible à la Commission d'invoquer ce motif pour justifier son refus de statuer sur la plainte ne se pose pas dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, étant donné que la Commission n'a pas déclaré que l'alinéa 41(1)d) de la Loi était une disposition sur laquelle elle s'était fondée pour déclarer la plainte irrecevable. Dans ses brefs motifs, la Commission s'est contentée de déclarer qu'elle avait estimé la plainte de M. Kidd irrecevable en vertu de l'alinéa 41(1)e) de la Loi parce qu'elle avait été déposée après l'expiration d'un délai d'un an après les faits sur lesquels elle était fondée. Aucun autre motif n'a été fourni et la Cour ne tiendra donc pas compte des motifs complémentaires de la décision de la Commission que le défendeur a communiqués ultérieurement.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, que la décision de la Commission soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à la Commission pour qu'elle la réexamine en conformité avec les présents motifs. Les dépens sont adjugés au demandeur.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1675-03

INTITULÉ :               STUART KIDD

c.

AUTORITÉ AÉROPORTUAIRE DU GRAND TORONTO

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 3 mai 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                                   Le 14 mai 2004

COMPARUTIONS :

Andrew Raven                                                  POUR LE DEMANDEUR

Mark D. Contini                                                POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ANDREW RAVEN                                          POUR LE DEMANDEUR

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne

Ottawa (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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