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Date : 20030613

Dossier : T-204-02

Référence : 2003 CFPI 747

ENTRE :

                                                                    ÉRIC LÉONARD

                                                                                                                                               demandeur

                                                                                  et

                                             PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                                    défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION ET FAITS

[1]                 Le demandeur, un détenu à l'Établissement Leclerc, attaque, par moyen de contrôle judiciaire, la décision du 25 janvier 2002 de la Section d'appel ( « Section d'appel » ) de la Commission nationale des libérations conditionnelles ( « CNLC » ) qui maintenait une décision de la CNLC rendue le 31 octobre 2001 lui refusant la libération conditionnelle totale ainsi que la semi-liberté.

[2]                 Selon le demandeur, une seule question est soulevée par sa demande et c'est celle-ci:

Est-ce que l'article 141(1) de la Loi sur le Système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi) accorde une discrétion à la CNLC de faire parvenir au détenu avant la date fixée pour l'examen de son cas soit les documents contenant l'information pertinente ou un résumé de celle-ci.

[3]                 Le demandeur prétend, qu'avant l'examen de son cas par la CNLC, il avait droit à la divulgation du texte intégral de la transcription de l'écoute électronique de ses conversations téléphoniques avec sa parenté ou amis enregistrées entre le 18 juillet 2001 et le 6 août 2001 et non simplement un résumé de celles-ci.

[4]                 Le demandeur fut placé le 18 juillet 2001 sous écoute téléphonique par le département de la Sécurité préventive (le « département » ) en établissement, en l'occurrence, le Centre fédéral de formation ( « CFF » ). Le département avait reçu des renseignements à l'effet que le demandeur aurait entré trois onces de hasch à son retour d'une permission de sortir sans escorte ( « PSSE » ) le 12 juillet 2001. Le demandeur, selon ces renseignements, aurait acheté quatorze grammes de hasch pour 150$.

[5]                 Suite aux écoutes, à son retour d'une PSSE le 6 août 2001, le demandeur fut soumis à une fouille corporelle et à une radiographie étant soupçonné d'avoir en sa possession des stupéfiants. Les résultats sont négatifs.

[6]                 M. Léonard prétend que les deux commissaires de la CNLC chargés d'étudier son cas lui ont posé plusieurs questions précises sur les circonstances qui ont mené le Service correctionnel du Canada ( « SCC » ) d'augmenter sa cote de sécurité de minimum à moyenne et de recommander son transfert non-sollicité du CFF à l'Établissement Leclerc suite à son isolement le 6 août 2001, décisions que M. Léonard n'a pas contestées par l'entremise de griefs.

[7]                 Selon lui, cet interrogatoire se déroule à partir d'un document qui semblait contenir plusieurs pages d'une transcription de ses conversations téléphoniques dont l'écoute avait été autorisée par les autorités du CFF.

[8]                 De son côté le défendeur élargirait le débat qui, selon lui, porte sur la question suivante en litige:

Y a-t-il eu violation du principe audi alteram partem parce que l'intégralité de l'écoute électronique des conversations téléphoniques du demandeur ne lui a pas été communiquée avant l'audition devant la CNLC.

[9]                 D'après le défendeur, l'essentiel des conversations téléphoniques, sous forme de résumés, a été partagé avec le demandeur lorsque le SCC lui a remis deux documents: un document intitulé Évaluation en vue d'une décision (ÉVD) en date du 4 septembre 2001 et une ÉVD en date du 13 septembre 2001.

[10]            Qui plus est, le défendeur affirme que M. Léonard avait été confronté verbalement à l'ensemble de ses conversations téléphoniques sous écoute par l'agent Pierre Nabelsi et ensuite par le Comité de révision du statut de son placement en isolement. Par surcroît, M. Léonard, durant son audience, n'aurait eu aucune difficulté à répondre aux questions précises des commissaires et ne se sentait pas pris par surprise du fait que l'intégralité de la transcription de l'écoute électronique ne lui avait pas été communiquée.

[11]            Afin de bien comprendre l'importance des conversations téléphoniques sur la décision de la CNLC de lui refuser sa liberté conditionnelle totale ou une semi-liberté, je note que son équipe de gestion de cas ( « l'équipe de gestion » ) dans une ÉVD du 27 juin 2001, avait recommandé l'octroi de sa semi-liberté, recommandation qui fut modifiée par l'ÉVD du 13 septembre 2001, suite à son isolement, l'augmentation de sa cote sécuritaire et son transfert non-sollicité à l'Établissement Leclerc.


[12]            Le dossier du défendeur contient l'historique des informations qui ont été partagées avec le demandeur en vue de son audience devant la CNCL. On les retrouve dans deux mises à jour de la liste de vérification de renseignements à communiquer ( « la liste » ). C'est la deuxième liste qui est importante puisqu'elle révèle que M. Léonard a intégralement reçu: deux ÉVDs recommandant son admissibilité au programme de PSSE, deux suivis de son plan correctionnel en date du 14 juillet 2001 et du 9 septembre 2001, l'ÉVD du 4 septembre 2001 sur son transfert non-sollicité et l'ÉVD du 13 septembre 2001 sur sa semi-liberté ou liberté totale.

[13]            La déclaration sur les garanties procédurales démontre aussi que quatre rapports n'ont pas été communiqués au demandeur et cela aux motifs du paragraphe 141(4) de la Loi: deux rapports de renseignements sécuritaires ( « RRS » ) et deux rapports de renseignements protégés ( « RRP » ). La déclaration affirme que l'essentiel de ces rapports non partagés a été communiqué au demandeur par l'entremise des ÉVDs du 4 septembre 2001 et du 13 septembre 2001.

[14]            L'ÉVD du 4 septembre, selon le défendeur, contient un résumé des conversations téléphoniques du demandeur écoutées par le SCC. Le résumé est souligné dans le texte suivant:

Le 6 août dernier, le sujet fut placé en isolement préventif suite à l'accumulation d'informations par le département de la sécurité préventive le reliant à des activités illicites. À son retour de PSSE cette journée-là, il fut soumis à une fouille corporelle et à une radiographie étant soupçonné d'avoir en sa possession des stupéfiants. L'examen n'a pas permis de déceler la présence de drogues. Toutefois, les informations furent considérées suffisamment crédibles pour décider de placer le sujet en isolement préventif. En effet, le sujet fut placé sous écoute téléphonique au cours du mois de juillet, soit le 18, car des informations le reliaient au trafic de stupéfiants institutionnel. Lors des conversations enregistrées, il fut notamment question d'argent et de dépôt bancaire. Des déplacements étaient prévus hors du territoire autorisé pour sa PSSE et le sujet a même utilisé le NIP de son complice incarcéré à l'EMSF pour rejoindre une ressource qui devait ouvrir le compte bancaire. Lors du comité de cinq jours, le sujet nie toute implication dans le trafic de stupéfiants. Il admet avoir prêté 200$ à un pair puis vendu pour 300$ en cantine et ce afin de pallier à ses dépenses lors de permission de sortie. Il mentionne qu'en raison de son placement en isolement, il se trouve en dette ayant besoin de sa cantine mais il ne vivrait aucune pression. Face aux informations dont nous disposons, sa version apparaît peu crédible aux yeux du comité pavillonnaire.


Nous estimons que le sujet fut associé de près ou de loin à des activités illicites. Un tel comportement peut avoir des conséquences sur la sécurité de l'établissement ce qui nous conduit à réviser à la hausse sa cote de sécurité. La présente démarche en vue d'un transfert non sollicité se veut en réponse à une demande de modification des mesures de sécurité.

[15]            Je remarque que cette ÉVD du 4 septembre 2001 mentionne que l'équipe de gestion a consulté M. Pierre Nabelsi, agent de sécurité préventive, et fait référence au RRP du 8 septembre 2001 qui « fait un compte rendu des conversations téléphoniques enregistrées » et à un RRS rédigé le 9 août 2001, qui se lit:

Finalement, le RRS rédigé le 9/08/01 suite au placement du sujet en isolement préventif et de d'autres individus associés au trafic de stupéfiants institutionnel détaille les étapes permettant de démanteler celui-ci. Une source codée avise que le sujet assiste un gros trafiquant et son rôle consiste à entrer des stupéfiants à son retour de PSSE.

[16]            Le résumé contient d'autres détails:

Dans le cadre de l'écoute électronique, le sujet contacte une amie afin que celle-ci ouvre un compte bancaire et ce avant sa PSSE prévue pour le 03/08/01. Il devient insistant à au moins une reprise. De plus, il ne veut pas que sa ressource vienne le chercher au pénitencier car il doit se rendre à Longueuil et à Montréal et possiblement à St-Jean. Précisons que c'était une direction diamétralement opposée puisque sa soeur réside à Ste-Agathe. De plus, un autre RRP est rédigé le 06/08/01 suite à l'information obtenue à l'effet qu'un codétenu demandait à sa mère de déposer 500$ dans le compte bancaire du sujet. [je souligne]

[17]            L'ÉVD du 13 septembre 2001 est une mise à jour des ÉVDs rédigées le 17 juin et le 27 juillet, 2001 en vue de la décision à être prise par la CNLC. L'évaluation globale du détenu répète pourquoi il a été mis en isolement préventif le 6 août 2002, suite à « plusieurs informations accumulées à la sécurité préventive reliant le sujet à un réseau de trafic institutionnel » .


[18]            Cette ÉVD se poursuit ainsi:

Le sujet nie toute implication dans ce trafic de stupéfiants. Il admet avoir prêté 200$ à un codétenu et par la suite, il aurait avancé 300$ de sa cantine et ce pour avoir plus d'argent lors de ses PSSE et offrir un cadeau d'anniversaire à son neveu. Le sujet reconnaît que ce genre de comportement enfreint les règlements mais il nie toute activité criminelle. De plus, il indique qu'il choisissait ses fréquentations selon leur réputation pour sauvegarder son image. Nous constatons son besoin de valorisation et d'acceptation auprès des pairs. Cette attitude indique finalement que cet aspect (interaction sociale/associé) demeure problématique. De plus, nous pouvons douter fortement de sa version même si la fouille s'est avérée négative (absence de stupéfiants) à son retour de PSSE le 06/08/01. Le sujet aurait eu facilement accès à 200$ pour prêter à un autre selon ses dires et par la suite, il a avancé ses cantines pour ses dépenses. L'information à l'effet qu'il aurait gardé pour lui une quantité de stupéfiants pourra venir expliquer son investissement afin d'obtenir un bon pourcentage... . Un nouveau RRS a été rédigé récemment soit le 10/09/01, suite à l'information selon laquelle le sujet et un autre individu avaient 28 grammes de hasch cachés à l'intérieur du pénitencier. Une attention fut portée à leur cantine qui leur était destinée et 15 grammes de hasch fut saisies dans une boîte de céréales ... qui était destinée à son comparse. En ce qui concerne le sujet, il y avait un écart entre la commande et la marchandise reçue.

Ainsi, la crédibilité du sujet est fortement ébranlée. Sans remettre totalement en question ses efforts fournis lors des thérapies..., le sujet a opté pour des moyens illicites afin d'obtenir des gains monétaires. Par ailleurs, le sujet demeure perméable aux influences néfastes. [je souligne]

LA DÉCISION DU CNLC

[19]            À la fin de l'audience le 31 octobre 2001, Mme la Commissaire qui présidait celle-ci rend un jugement oral comme suit:

. . . Alors, M. Léonard, comme vous avez vu, on avait bien étudié votre dossier avant de vous rencontrer, on vous a écouté attentivement à l'audience ainsi que votre agente et votre assistante et on vous refuse toute forme de libération.


On est d'avis que le risque demeure inacceptable pour la société. C'est malheureux parce que vous faisiez l'effet d'une recommandation positive et vous-même, quand on regarde le dossier jusqu'à il y a tout récemment, ça allait bien.

Ça ne veut pas dire que ces ... changements-là ne sont pas faits, là, puis que vos efforts, on ne les prend pas en considération.

On constate que vous êtes demeuré abstinent depuis quatre-vingt-dix-sept ('97), ce qui n'est quand même pas évident dans un milieu pénitentiaire parce qu'on sait qu'il y en a de la drogue.

Vous êtes capable de réussir ça, donc, le restant aussi, il va falloir finir par le travailler, toute votre crédibilité, tout par rapport à votre image.

Faut prendre aussi en considération que les délits sont violents, il y a eu beaucoup de violence. Vous avez travaillé ça, mais là, il faut continuer à mettre les acquis en pratique.

Donc, toute l'histoire de la crédibilité aussi qui est à refaire, tout le monde vous faisait confiance, puis, là on s'est aperçu que tout semblait bien aller malgré ça, alors, là, vous vous êtes rendu compte, vous l'avez dit d'ailleurs durant l'audience que vous n'étiez peut-être pas au point ... rendu au point de pouvoir faire des cadeaux puis de prendre les moyens, de pas ... vos agents vous avaient averti, vous l'avaient dit, vous le saviez, c'étaient des choses qu'on ne pouvait pas faire quand on est en établissement.

Donc, c'est la décision de la Commission. Vous êtes jeune, vous avez encore le temps de vous reprendre en main. Ça va? [je souligne]

LA DÉCISION DE LA SECTION D'APPEL

[20]            L'avocate du demandeur avait soumis à la Section d'appel, dans ses prétentions écrites, que la CNLC avait violé un principe de justice fondamentale en ce qu'elle a contrevenu aux paragraphes 141(1) et (4) de la Loi en refusant de partager l'information nécessaire à sa décision, à savoir la transcription des conversations téléphoniques.


[21]            Elle affirme que la préoccupation principale de la CNLC visait les soupçons ayant entraîné son transfert vers l'Établissement Leclerc, que les commissaires ont posé beaucoup de questions à ce sujet, que le point de départ de leurs questions « se faisait à partir d'un document qui semblait contenir plusieurs pages d'une transcription de conversations téléphoniques retenues contre l'appelant et considérées comme incriminantes par le Service correctionnel » , et que les commissaires se référaient « sans arrêt à cette transcription et en sortaient des bouts de phrases hors contexte » .

[22]            Le demandeur s'est objecté devant la CNLC « que nous n'avions pas ce document et qu'il était impossible pour l'appelant de répondre correctement à ces questions sans qu'il nous soit communiqué et partagé » . L'avocate du demandeur devant la Section d'appel soumet que la CNLC a refusé la demande « prétextant que le résumé de cette information se retrouvait dans les documents soumis par le Service correctionnel » mais qu'il « était évidant, que le résumé ne faisait pas état des propos que contenait la transcription des conversations téléphoniques » et que « l'un des Commissaires l'avouait lui-même, en quelque sorte, lorsqu'il tente de justifier l'utilisation de brides de conversations pour "donner un cadre" aux questions et réponses » .

[23]            La Section d'appel rejette l'appel de M. Léonard. L'essentiel de sa décision se lit comme suit:

L'étude attentive des documents formant votre dossier nous révèle que les rapports de la Sécurité préventive contenant la transcription de vos conversations téléphoniques avaient tous été partagés avec vous, le 13 septembre 2001, tant à l'intérieur d'une Évaluation en vue d'une décision, en vue d'un transfèrement non sollicité daté du 4 septembre 2001 que d'une mise à jour d'une Évaluation en vue d'une décision datée du 13 septembre 2001.


De plus, l'écoute de l'enregistrement de votre audience nous démontre que, lors de l'interrogatoire des commissaires, relativement aux rapports de renseignements protégés, vous n'avez personnellement aucunement été surpris et vous aviez réponses et justifications à toutes les questions, ajoutant même que lesdites informations avaient déjà été discutées avec votre agent de cas, bien qu'à un certain moment, votre assistante-avocate ait questionné et douté du partage complet de ladite information protégée.

LÉGISLATION

[24]            L'article 141 de la Loi sur le Système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la « Loi » ) se lit:

141. (1) Au moins quinze jours avant la date fixée pour l'examen de son cas, la Commission fait parvenir au délinquant, dans la langue officielle de son choix, les documents contenant l'information pertinente, ou un résumé de celle-ci.

141(2) Idem

(2) La Commission fait parvenir le plus rapidement possible au délinquant l'information visée au paragraphe (1) qu'elle obtient dans les quinze jours qui précèdent l'examen, ou un résumé de celle-ci.

141(3) Renonciation

(3) Le délinquant peut renoncer à son droit à l'information ou à un résumé de celle-ci ou renoncer au délai de transmission; toutefois, le délinquant qui a renoncé au délai a le droit de demander le report de l'examen à une date ultérieure, que fixe la Commission, s'il reçoit des renseignements à un moment tellement proche de la date de l'examen qu'il lui serait impossible de s'y préparer; la Commission peut aussi décider de reporter l'examen lorsque des renseignements lui sont communiqués en pareil cas.

141(4) Exceptions

(4) La Commission peut, dans la mesure jugée strictement nécessaire toutefois, refuser la communication de renseignements au délinquant si elle a des motifs raisonnables de croire que cette communication irait à l'encontre de l'intérêt public, mettrait en danger la sécurité d'une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d'une enquête licite. [je souligne]



141. (1) At least fifteen days before the day set for the review of the case of an offender, the Board shall provide or cause to be provided to the offender, in writing, in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, the information that is to be considered in the review of the case or a summary of that information.

141(2) Idem

(2) Where information referred to in subsection (1) comes into the possession of the Board after the time prescribed in that subsection, that information or a summary of it shall be provided to the offender as soon as is practicable thereafter.

141(3) Waiver

(3) An offender may waive the right to be provided with the information or summary referred to in subsection (1) or to have it provided within the period referred to, but where an offender has waived that period and any information is received by the offender, or by the Board, so late that the offender or the Board is unable to sufficiently prepare for the review, the offender is entitled to, or the Board may order, a postponement of the review for such reasonable period as the Board determines.

141(4) Exceptions

(4) Where the Board has reasonable grounds to believe

(a) that any information should not be disclosed on the grounds of public interest, or

(b) that its disclosure would jeopardize

(i) the safety of any person,

(ii) the security of a correctional institution, or

(iii) the conduct of any lawful investigation,

the Board may withhold from the offender as much information as is strictly necessary in order to protect the interest identified in paragraph (a) or (b).

L'ANALYSE

i)          L'approche

[25]            La Cour suprême du Canada dans l'arrêt Rizzo et Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27 à la page 40 nous enseigne la méthode à suivre pour bien interpréter un texte législatif. Le juge Iacobucci, au nom de la Cour, écrit:

20 Une question d'interprétation législative est au centre du présent litige. Selon les conclusions de la Cour d'appel, le sens ordinaire des mots utilisés dans les dispositions en cause paraît limiter l'obligation de verser une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation d'emploi aux employeurs qui ont effectivement licencié leurs employés. À première vue, la faillite ne semble pas cadrer très bien avec cette interprétation. Toutefois, en toute déférence, je crois que cette analyse est incomplète.


21 Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après "Construction of Statutes"); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit:

[Traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Parmi les arrêts récents qui ont cité le passage ci-dessus en l'approuvant, mentionnons: R. c. Hydro-Québec, [1997] 1 R.C.S. 213; Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411; Verdun c. Banque Toronto-Dominion, [1996] 3 R.C.S. 550; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103.

22 Je m'appuie également sur l'art. 10 de la Loi d'interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois "sont réputées apporter une solution de droit" et doivent "s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables".

¶ 23 Bien que la Cour d'appel ait examiné le sens ordinaire des dispositions en question dans le présent pourvoi, en toute déférence, je crois que la cour n'a pas accordé suffisamment d'attention à l'économie de la LNE, à son objet ni à l'intention du législateur; le contexte des mots en cause n'a pas non plus été pris en compte adéquatement. Je passe maintenant à l'analyse de ces questions.

(ii)        Discussion

[26]            En 1992, la Loi a été profondément modifiée dans le sillage de plusieurs décisions de la Cour suprême du Canada et de la Cour d'appel fédérale statuant sur l'obligation de respecter l'équité procédurale dans les décisions prises par les autorités du milieu carcéral. Telle que modifiée, la Loi reflète les exigences des tribunaux (voir Martineau et le Comité de discipline de l'Institution Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602,Cardinal c. Le Directeur de l'Établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, Demaria c. Comité régional de classement des détenus, [1987] 1 C.F. 74 (C.A.), et Gallant c. Canada, [1989] 3 C.F. 329 (C.A.)).


[27]            Il m'apparaît utile de reproduire une partie des motifs de jugement du juge Hugessen, alors membre de la Cour d'appel fédérale, dans Demaria, précité, une espèce où cette Cour a jugé que l'avis reçu par un détenu en vue de son transfert non-sollicité à un pénitencier à sécurité maximale, était insuffisant pour lui permettre d'avancer intelligemment pourquoi il ne devrait pas être transféré.

[28]            Voici ce que le juge Hugessen écrit aux pages 77 et 78 du rapport:

Il ne fait naturellement aucun doute que les autorités étaient justifiées de ne pas divulguer des sources de renseignement confidentielles. Un pénitencier n'est pas un établissement pour enfants de choeur et, si certains renseignements provenaient d'indicateurs (le dossier en l'espèce ne permet de tirer aucune conclusion à ce sujet), il est important que ces derniers soient protégés. Mais, même si cela était le cas, il devrait toujours être possible de transmettre l'essentiel des renseignements tout en ne dévoilant pas l'identité de l'indicateur. Il incombe toujours aux autorités d'établir qu'elles n'ont refusé de transmettre que les renseignements dont la non-communication était strictement nécessaire à de telles fins. Outre son caractère invraisemblable, une affirmation générale, comme celle en l'espèce, voulant que [traduction] « tous les renseignements concernant la sécurité préventive » soient « confidentiels et (ne puissent) être communiqués » , est tout simplement trop large pour être acceptée par un tribunal chargé de protéger le droit d'une personne à un traitement équitable. En dernière analyse, il s'agit de déterminer non pas s'il existe des motifs valables pour refuser de communiquer ces renseignements mais plutôt si les renseignements communiqués suffisent à permettre à la personne concernée de réfuter la preuve présentée contre elle. Mais quelle que soit la façon dont ce critère est énoncé, on n'y a pas satisfait en l'espèce. [je souligne]


[29]            Gallant, précité, ressemble à Demaria, précité, mais là il était clair que l'information donnée par le Directeur de l'institution au détenu justifiant son transfert non-sollicité était restreinte par la nécessité de protéger les informateurs. Je note aussi le jugement du juge Marceau qui distingue, dans les faits, Demaria, précité, au motif que « beaucoup plus de renseignements ont été divulgués, y compris le rapport intégral sur l'évolution du cas du détenu, la portée des préoccupations du directeur et les raisons qui justifient le refus de communiquer d'autres détails » .

[30]            L'argument principal du demandeur devant moi est à l'effet que la non-divulgation intégrale de la transcription des écoutes des conversations téléphoniques du demandeur viole un principe de justice fondamentale parce que la Commission a contrevenu aux paragraphes 141(1) et (4) de la Loi.

[31]            Le demandeur prétend que le paragraphe 141(1) de la Loi doit être lu conjointement avec le paragraphe 141(4) pour signifier que le détenu a droit à toute l'information sauf celle spécifiée au paragraphe (4).

[32]            Le demandeur allègue, qu'en l'espèce, il ne fait aucun doute que la transcription de l'écoute électronique constituait non seulement de l'information pertinente, mais l'information principale sur laquelle se basait les commissaires pour interroger le demandeur et remettre en question sa réhabilitation.

[33]            Il admet qu'un bref résumé de ses conversations a été partagé avec le demandeur mais allègue que les échanges lors de l'audience dépassaient largement ce résumé, ce qui empêchait le demandeur de bien situer les propos et de se rafraîchir la mémoire sur le contexte dans lequel il aurait pu prononcer ces paroles.


[34]            Selon le demandeur, le débat n'est pas à savoir si le résumé des informations était suffisant mais bien si la CNLC avait des motifs raisonnables pour priver le demandeur de ces informations, tel que prévu au paragraphe 141(4) de la Loi.

[35]            En résumé, pour le demandeur, si le paragraphe 141(4) ne peut être invoqué (et il ne le pouvait pas en l'espèce n'étant pas un cas d'informateur puisque c'est le demandeur lui-même qu'on écoutait), celui-ci avait droit à la transcription complète et non simplement d'un résumé. Dans les circonstances, selon lui, la CNLC n'avait aucune discrétion de lui fournir un résumé.

[36]            La thèse du demandeur va à l'encontre de la décision du juge Blais dans Hudon c. Canada (procureur général), [2001] CFPI 1313, une cause visant à vérifier la légalité d'une décision de la Section d'appel de la CNLC. Le détenu Hudon avait reçu une copie d'un rapport du SCC intitulé « Évaluation en vue d'une décision » . Voici ce qu'en dit le juge Blais:

D'après la législation, l'information pertinente ne doit pas être communiquée intégralement, un résumé étant suffisant. Le rapport du SCC intitulé Évaluation en vue d'une décision en date du 8 décembre, 1999 qui a été complété par Mme N. Desrosiers est un résumé au sens de la Loi.


[37]            Avant de passer aux conclusions en l'espèce, dans l'arrêt Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 R.C.S. 75, la Cour suprême du Canada nous enseigne au sujet de la nature des fonctions de la CNLC dans le cadre de son jugement que celle-ci n'était pas un tribunal compétent au sens de l'article 24 de la Charte.

[38]            Le juge Sopinka, écrivant au nom de la majorité, au paragraphe 25 indique que la Commission n'agit pas de manière judiciaire ou quasi-judiciaire et que les audiences de la Commission diffèrent sur plusieurs points de celles qui se déroulent devant les tribunaux classiques notant, par exemple, que le rôle de l'avocat qui comparaît devant la Commission est extrêmement limité, que la Commission n'a pas le pouvoir de délivrer des assignations à comparaître, la preuve n'est pas présentée sous serment et qu'il se peut que les membres de la formation saisis d'une affaire n'aient aucune formation juridique.

[39]            Il conclut au paragraphe 26 et 27 de ses motifs:

¶ 26       En l'espèce, la Section d'appel de la Commission décrit ainsi sa fonction:

           [Traduction] Lorsqu'elle procède à un examen post suspension, la Commission exerce une fonction fort différente de celle des tribunaux judiciaires. Elle doit déterminer si le fait de garder [l'intimé] en liberté conditionnelle fait courir un risque indu à la société. Pour prendre cette décision, la Commission examine tous les renseignements dont elle dispose, dont toute information indiquant que l'intimé a repris ses activités criminelles. Cela s'applique peu importe que des accusations devant les tribunaux aient été retirées, suspendues ou rejetées.

Il est donc clair que la Commission n'entend et n'évalue aucun témoignage, et qu'elle agit plutôt sur la foi de renseignements. Elle exerce des fonctions d'enquête sans la présence de parties opposées: il n'y a pas d'avocat pour défendre les intérêts de l'État, et le détenu en liberté conditionnelle n'a pas de "preuve à réfuter" comme telle. D'un point de vue pratique, ni la Commission ni les procédures qu'elle engage n'ont été conçues pour procéder à l'évaluation de facteurs requise par le par. 24(2).


¶ 27       Les facteurs prédominants que la Commission doit prendre en considération dans son évaluation du risque sont ceux qui concernent la protection de la société. L'intérêt primordial de la société l'emporte sur la protection de l'accusé visant à assurer la tenue d'un procès équitable et à préserver la considération dont jouit l'administration de la justice, laquelle protection joue un rôle si important dans l'application du par. 24(2). Dans l'évaluation du risque pour la société, l'accent est mis sur l'examen de tous les renseignements sûrs disponibles, pourvu que ceux-ci n'aient pas été obtenus irrégulièrement. Comme l'affirme le juge Dickson (plus tard Juge en chef), dans l'arrêt R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, à la p. 414, relativement aux procédures de détermination de la peine:

      Une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir est la détermination de la sentence. Les enjeux sont importants pour l'individu et la société. La détermination de la sentence constitue une étape décisive du système de justice pénale et il est manifeste qu'on ne doit pas enlever au juge la possibilité d'obtenir des renseignements pertinents en imposant toutes les restrictions des règles de preuve applicables à un procès. D'autre part, il faut que le rassemblement et l'évaluation de ces éléments de preuve soient justes. La liberté de l'accusé en dépend largement et il faut que les renseignements fournis soient exacts et sûrs.                

(iii)       Conclusions

[40]            Je ne peux souscrire à l'argument principal avancé par le procureur de M. Léonard à l'effet que le paragraphe 141(1) de la Loi n'attribue aucune discrétion à la CNLC de fournir, avant audience, soit les documents enfermant l'information pertinente (c'est-à-dire, faisant référence au texte anglais de ce paragraphe "the information that is to be considered in the review of the case ...") ou un résumé de celui-ci autre que dans le contexte du paragraphe 141(4) où un résumé est nécessaire pour protéger l'identité d'un informateur et est requis afin de satisfaire les exigences de l'équité procédurale dont doit respecter la CNLC dans l'exercice de ses fonctions administratives.

[41]            Le sens ordinaire du mot « où » au paragraphe 141(1) de la Loi importe la notion d'alternative, de choix et de discrétion. Je ne vois rien dans le contexte global ni dans l'exigence de l'harmonisation qui limiterait la portée de cette discrétion de fournir un résumé au seul cas où la CNLC serait en présence d'une situation envisagée par le paragraphe 141(4).

[42]            Il me semble que le législateur a voulu donner un choix dans les circonstances approprié à la CNLC de fournir un résumé de l'information pertinente qui sera utilisée en audience non seulement par le détenu mais par les commissaires en vue d'une décision. Dépendant des circonstances, du volume et de la nature de l'information, de la documentation contenant cette information, on peut bien envisager qu'un résumé, pourvu qu'il soit exact et sûr, serait plus utile pour cerner ce qui est important que le dépôt de plusieurs documents disparates dans lesquels l'information pertinente serait dispersée.

[43]            De plus, le paragraphe 141(1) n'impose, à mon point de vue, aucune obligation à la CNLC de justifier son choix de produire les documents contenant l'information ou un résumé de ces documents. Je souligne, cependant, que le résumé produit doit être complet et doit contenir toute l'information qui servira de toile de fond à la Commission lors de l'audience, faute de quoi, la décision résultante pourrait être infirmée.

[44]            J'aborde, dans un deuxième temps, la question soulevée par le défendeur. Il ne fait aucun doute, après lecture du procès verbal de l'audience devant la CNLC, que le demandeur a été questionné intensivement sur le contenu des écoutes de ses conversations téléphoniques dont le résumé principal se trouvait dans l'ÉVD du 4 septembre, 2001.

[45]            La question est à savoir s'il y a eu violation de l'équité procédurale parce que l'intégralité de l'écoute électronique de ses conversations téléphoniques ne lui avait pas été partagée avant l'audition.

[46]            À mon avis, pour répondre à cette question, les résumés partagés avec le demandeur et utilisés par les commissaires ne peuvent pas être considérés isolément des ÉVDs dans lesquels ils se retrouvent et des autres documents qui lui ont été partagés.

[47]            Dans cette perspective, mon étude du dossier me porte à conclure que l'audience de M. Léonard avec la CNLC n'a pas été entachée d'une violation de l'équité procédurale du fait que la transcription entière n'a pas été remise à M. Léonard avant son audition et ceci pour les motifs suivants.


[48]            Premièrement, la documentation dévoilée à M. Léonard, y inclus les résumés de l'écoute de ses conversations téléphoniques, lui présentait un portrait exact des motifs qui ont porté le service correctionnel de modifier sa recommandation positive. M. Léonard connaissait très bien le pourquoi de la modification de cette recommandation fondée sur plusieurs raisons et sur différentes sources de renseignements, y inclus, mais non limitée à, l'écoute de ses conversations téléphoniques après le 18 juillet 2001. On croyait qu'il était impliqué était associé « de près ou de loin à des activités illicites » .

[49]            Deuxièmement, son équipe de gestion a conclu que le risque d'une semi-liberté était inacceptable non seulement à cause de la probabilité qu'il était associé au trafic de stupéfiants à l'intérieur du pénitencier mais à cause « de la présence de ses valeurs élastiques, de ses associations avec des pairs négatifs et de son manque de transparence » .

[50]            Troisièmement, M. Léonard a été questionné sur des sujets précis quant à ses conversations et ici, les résumés qui lui ont été fournis semblaient être complets et sûrs. Ils ont fait état de l'argent prêté par M. Léonard à un codétenu et la vente à celui-ci par lui de sa cantine, de l'ouverture par son amie d'un compte de banque, que durant sa PSSE il voulait se rendre à Longueuil et à St-Jean qui étaient dans une direction opposée de Ste-Agathe où résidait sa soeur. Dans ces résumés, il était aussi question de l'emprunt par M. Léonard du numéro d'identification personnelle d'un complice de ses crimes pour lesquels il a été trouvé coupable et que la CNLC craignait qu'il veuille renouer ou maintenir contact à travers l'épouse de celui-ci.

[51]            Confronté par les commissaires sur ces faits, je constate que M. Léonard donnait d'amples explications et exprimait très bien son point de vue.

[52]            Quatrièmement, il me semble que les questions posées par les commissaires n'étaient pas à la base d'une transcription intégrale des écoutes téléphoniques mais plutôt d'un sommaire rédigé par Diane Allard qui se retrouvait dans un rapport de renseignements protégés (voir procès-verbal, pièce R-1, pages 24, 27, 28, 29, et 30 où Diane Allard explique le contenu de son rapport, à la page 31 où elle indique que le commissaire posait des questions sur le résumé qu'elle avait fait et où le commissaire dit avoir lu le résumé, et la page 32 où il mentionne « qu'on était en train de parler, lors de la suspension, là, des rapports de renseignements protégés concernant les appels téléphoniques » .

[53]            Je conclus, prenant en considération tous ces éléments, que le demandeur a eu une audience équitable devant la CNLC.

[54]            Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

                                                                                                                                                                           

                                                                                                       J U G E                

Ottawa (Ontario)

le 13 juin 2003


-                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                 T-204-02

INTITULÉ :              ÉRIC LÉONARD c. PGC

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                              29 Janvier 2003

MOTIFS :                   le juge François Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                     le 13 juin 2003

COMPARUTIONS :

Me Daniel Royer                                                  POUR LE DEMANDEUR

Me Éric Lafrenière                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labelle, Boudrault, Côté et Ass.                                      POUR LE DEMANDEUR

Montréal, Québec

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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