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Date : 20020911

Dossier : IMM-310-02

Référence neutre : 2002 CFPI 956

Ottawa (Ontario), le mercredi 11 septembre 2002

En présence de :         MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :                                                                                                   

                                                                          ELSA LIM

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 Par son rejet de la demande de Mme Lim fondée sur des considérations humanitaires ( « CH » ) aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 ( « la Loi » ), l'agente d'immigration aurait commis une erreur en :

1.          énonçant une règle rigide selon laquelle les demandeurs CH doivent convaincre le décideur que, vu leur situation personnelle, l'obligation d'obtenir un visa d'immigrant hors du Canada leur causerait des difficultés « (i) inhabituelles et injustifiées ou (ii) excessives » , comme le prévoit le chapitre 5 du Guide sur le traitement des demandes au Canada ( « IP-5 » ), ce qui constitue une entrave à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire;

2.          affirmant qu'il n'y avait aucune possibilité future pour elle de s'établir au pays, ce qui constitue une entrave à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire;

3.          rendant une décision déraisonnable.


[2]                 L'avocat de Mme Lim a renoncé à l'argument exposé dans les observations écrites selon lequel l'agente d'immigration avait également commis une erreur de droit en entreprenant un processus de pondération après avoir conclu à l'existence de CH.

[3]                 Je suis convaincue que l'agente n'a commis aucune erreur qui appelle l'intervention de notre Cour.

[4]                 Il est bien établi en droit que les lignes directrices sont appropriées dans la mesure où elles n'entravent pas l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent. Il en est ainsi car l'exercice du pouvoir discrétionnaire sous-entend qu'aucune règle ne doit dicter le résultat dans chaque cas. Chaque cas doit être examiné comme un cas d'espèce quant à son bien-fondé. Les lignes directrices ne doivent pas être considérées comme exhaustives ou définitives. Elles constituent tout au plus un énoncé de politique générale ou une règle empirique grossière. Voir : Yhap c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 1 C.F. 722 (1re inst.).

[5]                 Dans l'affaire Vidal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 41 F.T.R. 118, le juge Strayer, qui à l'époque siégeait en première instance de notre Cour, a conclu que les lignes directrices étaient hautement souhaitables, surtout en ce qui concerne les demandes CH. Ce faisant, le juge Strayer s'est exprimé en ces termes, à la page 125 :


Je suis convaincu que ces lignes directrices exposent de façon adéquate aux agents d'immigration qu'en particulier, en ce qui concerne les raisons d'ordre humanitaire, elles ne peuvent pas être considérées comme exhaustives et définitives. Elles répètent, maintes et maintes fois, que les agents doivent utiliser leur jugement. J'estime qu'elle constitue un « principe général » ou des « règles empiriques grossières » , ce que le juge en chef adjoint Jérome a reconnu comme valable dans la décision Yhap. J'irais même plus loin que le juge en chef adjoint Jérome en disant que ces lignes directrices ne sont pas seulement admissibles, mais qu'elles sont aussi hautement souhaitables dans les circonstances. Il ne fait pas doute que lorsque le Parlement a conféréle pouvoir en vertu du paragraphe 114(2) au gouverneur en conseil de faire des exceptions aux exigences de la Loi et du règlement, il s'attendait àce que le gouverneur en conseil exerce ce pouvoir discrétionnaire avec une certaine cohérence dans tout le pays, et non pas de façon purement arbitraire ou d'après son caprice. Plus particulièrement selon les principes du régime parlementaire, le gouverneur en conseil doit être responsable devant le Parlement de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Comme le gouverneur en conseil dépend dans la grande majoritédes cas des recommandations des agents de l'immigration, selon l'approbation donnée par le ministre, pour exercer son pouvoir discrétionnaire, il est tout àfait souhaitable que les agents d'immigration aient un guide, en quelque sorte, sur ce qui concerne les facteurs que le ministre juge importants dans la formulation des recommandations au Gouverneur en conseil àcet égard. Si cela aboutit, en fin de compte, àdonner plus d'importance àcertains facteurs sans nécessairement en exclure d'autres, il me semble que cela constitue une manière raisonnable pour le ministre et le gouverneur en conseil de ménager une certaine cohérence dans l'exercice des pouvoirs prévus au paragraphe 114(2) et de s'acquitter de leurs responsabilités politiques devant le Parlement. [non souligné dans l'original]

[6]                 Je fais mien ce point de vue.

[7]                 En faisant valoir que IP-5 constituait une entrave illicite au pouvoir discrétionnaire des agents, l'avocat de Mme Lim a relevé deux extraits tirés du volumineux chapitre. Tout d'abord, la directive 1.2 énonce ce qui suit :

1.2            Intention du L9(1)

L'alinéa 9(1) de la Loi sur l'immigration stipule que, sauf dans les cas prévus par règlement, tout immigrant doit demander et obtenir un visa d'immigrant avant de se présenter à un point d'entrée. Cette disposition fondamentale de la Loi prévoit donc que la personne qui veut immigrer au Canada doit, avant de venir au Canada,

×                 présenter sa demande à l'étranger


×                 répondre aux critères, et

×                 obtenir un visa d'immigrant.

Puis, la directive 6.1 ajoute notamment qu'il :

[I]ncombe au demandeur de convaincre l'agent que, vu sa situation, l'obligation, dont il demande d'être dispensé, d'obtenir un visa hors du Canada lui causerait des difficultés (i) inhabituelles et injustifiées ou (ii) excessives. Le demandeur peut présenter tout fait qu'il juge pertinent pour l'obtention de cette dispense.

[8]                 Je suis d'avis que, dans son ensemble, IP-5 indique de façon suffisamment claire aux agents d'immigration que le chapitre fournit des lignes directrices qui ne sauraient être considérées exhaustives et définitives. Par exemple, le chapitre contient les lignes directrices suivantes :

1.4            Raison d'être des exceptions au L9(1)

La Loi et le Règlement énoncent les conditions à remplir pour obtenir la résidence permanente. Ces conditions découlent des objectifs de la Loi; cependant, elles ne règlent pas toutes les situations. Le pouvoir discrétionnaire pour les demandes CH donne aux agents la latitude nécessaire pour approuver, dans les cas dignes d'intérêt, les demandes qui ne répondent pas àtoutes les exigences de la Loi. Il ne faut donc pas voir ce pouvoir comme étant contraire àd'autres dispositions de la Loi ou du Règlement, mais plutôt comme une disposition complémentaire contribuant àla réalisation des objectifs de la Loi.

[...]

1.6            Pouvoir discrétionnaire et uniformité des décisions

Nous faisons face à une difficulté. La législation ne fournit ni explication ni orientation sur ce qui constitue des CH. Les personnes délégué es ont le plein pouvoir pour prendre ce genre de décision.Parallèlement, pour traiter les clients équitablement et pour éviter des critiques méritées, il faut utiliser ces pouvoirs de la façon la plus cohérente et uniforme possible.


Ce chapitre tente d'établir un équilibre entre ces deux éléments contradictoires en apparence. Mais, bien qu'il fournisse une certaine orientation, la décision finale appartient entièrement àl'agent.

[...]

6.1            Qu'entend-on par « considérations humanitaires »

En présentant une demande R2.1, le demandeur cherche àfaciliter son admission au Canada en raison de l'existence de CH. Les dispositions CH permettent d'autoriser des personnes, dont le cas est digne d'intérêt et n'est pas prévu par la Loi, àprésenter leur demande au Canada.

[...]

Les définitions suivantes ne constituent pas des règles strictes. Plutôt, elles ont pour but d'aider àexercer le pouvoir discrétionnaire de déterminer s'il existe des CH justifiant la dispense demandée du L9(1).

[...]

6.3            Comment déterminer l'existence de CH

Une décision CH favorable est une mesure exceptionnelle en réponse à des circonstances particulières. Elle est plus complexe et plus subjective que la plupart des autres décisions en matière d'immigration parce que les agents utilisent leurs pouvoirs discrétionnaires d'évaluer les circonstances personnelles du demandeur. Les agents sont obligés de s'assurer que leurs décisions sont faites d'une manière équitable (voir la section 14 - Droit administratif et décision discrétionnaire).

Par conséquent, pour prendre une décision CH, vous rappeler les lignes directrices suivantes :

×                 Examiner attentivement toute l'information fournie.

[...]

×                 User de discernement pour évaluer tous les faits selon leur importance.

×                 Tenir compte des objectifs de la Loi et du fait que R2.1 vise àpermettre d'accorder une dispense dans des cas qui ne sont pas prévus par la Loi.

[...]

×                 Prendre une décision après avoir examinéla situation dans son ensemble et pondérer tous les faits pertinents.

[non souligné dans l'original]


[9]                 Il ressort de ce chapitre que l'accent est mis à maintes reprises sur le devoir des agents de faire preuve de discernement. Les agents sont avisés que la décision finale leur appartient et qu'ils doivent accorder une dispense dans les cas dignes d'intérêt non prévus par la Loi.

[10]            Quant au premier extrait contesté et au renvoi à la « disposition fondamentale » portant que les personnes souhaitant immigrer au Canada doivent présenter leur demande à l'étranger, le paragraphe 9(1) de la Loi prévoit :

Demande de visa

9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un

point d'entrée.

Applications for visa

9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that

person appears at a port of entry.

[11]            L'exception CH ne déroge pas à l'application générale de la Loi et ni à l'exigence normale qui y est contenue, selon laquelle les immigrants doivent présenter leur demande de visa d'immigrant à l'étranger. Il ne s'agit pas d'une entrave illicite, puisque IP-5 consacre l'exigence générale que les demandes de visa d'immigrant doivent être présentées et obtenues à l'étranger comme une disposition fondamentale de la Loi. Il ressort clairement du chapitre que l'exception CH sert à approuver, dans les cas dignes d'intérêt, les demandes d'établissement présentées au Canada.


[12]            Quant aux expressions « inhabituelles et injustifiées » ou « excessives » , la directive 6.1 de IP-5 énonce clairement que l'exception CH ne vise que les cas dignes d'intérêt non prévus par la loi. Le libellé de ce chapitre, y compris les termes contestés, guide convenablement l'agent dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[13]            Dans l'affaire Vidal, précitée, les lignes directrices qui ont fait l'objet d'une contestation sans succès devant le juge Strayer comportaient ce libellé. L'emploi des expressions « inhabituelles et injustifiées » ou « excessives » ne constitue pas une entrave illicite.

[14]            Dans la mesure où il a été plaidé que, conformément à l'article 3 de la Loi, la Loi doit être interprétée de manière à reconnaître la nécessité de faciliter la réunion au Canada des citoyens canadiens et résidents permanents avec leurs proches parents de l'étranger, la directive 8 de IP-5 reflète fidèlement cette interprétation.

[15]            On a également fait valoir que, même si IP-5 ne constitue pas une entrave illicite, l'agente a tout de même entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Cependant, après avoir examiné attentivement les motifs de l'agente, je suis convaincue que celle-ci a tenu compte de la situation particulière de Mme Lim et de sa famille et qu'elle n'a pas entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en adhérant strictement aux lignes directrices au détriment d'un examen intégral des éléments de preuve dont elle disposait.


[16]            Dans la mesure où on a avancé l'argument que la jurisprudence issue de la Section d'appel de l'immigration guide convenablement l'agent sur ce qu'il faut entendre par CH, notamment dans les affaires Chirwa c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration) (1970), 4 IAC 338 (C.A.I.) et Jugpall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] DSAI no 600 (S.A.I.), cette jurisprudence s'est développée dans le contexte des dispositions autres que le paragraphe 114(2) de la Loi. Notre Cour n'a pas adopté cette jurisprudence en matière de demandes CH fondées sur le paragraphe 114(2). Voir par exemple Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 139 (1re inst.).

[17]            Qui plus est, je ne suis pas sûre qu'il existe une différence importante entre les consignes tirées de IP-5 et celles issues de la jurisprudence de la Section d'appel de l'immigration. Dans des décisions telles que Chirwa, la Section d'appel a défini les considérations humanitaires comme s'entendant de « faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable d'une société civilisée à soulager les malheurs d'une autre personne - dans la mesure où ses malheurs "justifient l'octroi d'un redressement spécial" aux fins des dispositions de la Loi sur l'immigration » . Les circonstances donnant lieu à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives me semblent généralement correspondre à celles qui inciteraient une personne à soulager les malheurs d'une autre, conformément à la définition énoncée dans l'affaire Chirwa.

[18]            En ce qui a trait au refus de l'agente de prendre en compte les chances de Mme Lim de réussir son installation au Canada, cela reflète à juste titre à mon avis le fait que la demande CH constitue essentiellement un processus en deux étapes. Il faut d'abord se demander si le demandeur devrait être soustrait à l'exigence relative à l'obtention d'un visa d'immigrant avant de venir au Canada, puis, dans l'affirmative, procéder à l'examen de la demande de résidence permanente.


[19]            Je suis d'avis que l'agente n'a pas fait fi des facteurs pertinents quant à la demande CH et qui l'étaient également quant à la demande d'établissement. À titre d'exemple, l'agente a pris en considération les connaissances linguistiques de Mme    Lim, lesquelles sont pertinentes autant en matière de CH que d'exigences relatives à l'établissement.

[20]            Enfin, quant au caractère raisonnable de la décision, l'arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, comme la Cour l'a elle-même expliqué dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CSC 1, ne permet pas au tribunal de révision d'entreprendre un nouveau processus de réexamen des éléments de preuve. C'est à mon sens ce que recherche Mme Lim. L'appréciation par l'agente des éléments de preuve résiste à un examen poussé et on ne peut dire qu'elle soit manifestement erronée.

[21]            Enfin, j'estime que le refus de dispenser un demandeur de l'exigence selon laquelle la demande d'établissement doit être présentée à l'étranger ne déroge pas au principe de la réunification familiale, ainsi que le prétend Mme Lim.

[22]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[23]            L'avocat de Mme Lim a demandé que soit certifiée la question de savoir si l'énoncé dans IP-5, qui requiert l'existence de difficultés « inhabituelles et injustifiées » ou « excessives » , constitue une entrave illicite à l'exercice du pouvoir discrétionnaire des agents d'immigration.

[24]            L'avocat du ministre s'est opposé à la certification de la question.

[25]            J'ai conclu que la question proposée ne soulevait aucune question grave. Les lignes directrices que notre Cour a examinées et jugées acceptables en 1991 dans l'affaire Vidal, précitée, présentaient le même libellé. Ce libellé a depuis fait l'objet d'une interprétation constante par notre Cour. Les arguments avancés par la demanderesse ne soulèvent pas de question grave susceptible de remettre en cause cette jurisprudence.

                                           ORDONNANCE

[26]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question n'est certifiée.

« Eleanor R. Dawson »

                                               ________________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.          

               


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                 IMM-310-02

INTITULÉ :              Elsa Lim c. MCI

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

  

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 27 août 2002

  

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE DAWSON

  

DATE DES MOTIFS :                                     Le 11 septembre 2002

   

COMPARUTIONS :

Peter Stockholder                                                 POUR LA DEMANDERESSE

Peter Bell                                                              POUR LE DÉFENDEUR

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Larson Boulton Sohn Stockholder                                    POUR LA DEMANDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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