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Date : 20010810

Dossier :IMM-435-00

Référence neutre : 2001 CFPI 871

ENTRE :

         WILLIS IRVINE ARCHER

   demandeur

             - et -

                      

      ROXANA POLLYDORE ET

                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

   défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION

[1]                 Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) présente une requête écrite visant à obtenir l'inscription d'un jugement sommaire contre Willis Irvine Archer (le demandeur) en application des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 (les Règles).


LES FAITS

[2]                 Dans la présente action, le demandeur réclame des dommages-intérêts spéciaux, des dommages-intérêts généraux, des dommages-intérêts punitifs, des intérêts et des dépens contre Roxana Pollydore (la première défenderesse) et le ministre. Cette réclamation découle de l'engagement de parrainage du demandeur à l'égard de la première défenderesse et de son fils, Avery Babb, en mai 1987.

[3]                 L'engagement de parrainage devait demeurer en vigueur pendant dix ans et comportait une clause selon laquelle, pour obtenir le droit d'établissement, la première défenderesse devait épouser le demandeur dans les quatre-vingt-dix jours.

[4]                 La première défenderesse est arrivée au Canada le 29 décembre 1987, mais sa relation avec le demandeur ne s'est pas épanouie et leurs projets de mariage n'ont pas mûri. Trois mois après son arrivée, la première défenderesse et le demandeur se sont séparés. Selon le demandeur, la première défenderesse n'a jamais eu l'intention de l'épouser et elle s'est servie du mariage comme prétexte pour l'amener à parrainer son admission au Canada.


[5]                 Vers le 3 mars 1988, le demandeur a écrit au bureau du ministre, l'informant de la détérioration de sa relation avec la première défenderesse et de sa décision de ne pas l'épouser. Il l'a également informé de son intention d'annuler ou de rétracter son engagement de parrainage à l'égard de la première défenderesse et du fils de celle-ci.

[6]                 Dans la déclaration, le demandeur affirme qu'il a par la suite contacté des représentants du bureau du ministre. On lui a dit qu'une enquête serait entreprise et qu'il serait dûment contacté à ce sujet. Le demandeur n'a eu aucune autre nouvelle.

[7]                 Le demandeur a sollicité d'autres renseignements vers le 12 juillet 1993. À ce moment, on l'a informé que la première défenderesse avait obtenu le droit d'établissement au motif qu'elle était mariée avec lui.

[8]                 Le demandeur a informé les autorités que cela était faux et qu'il s'agissait d'une fausse déclaration de la part de la première défenderesse. Le demandeur a encore une fois demandé la correction des dossiers. Ensuite, après avoir été de nouveau en contact avec le bureau du ministre, le demandeur a appris que les dossiers avaient été modifiés de façon à ce qu'ils indiquent que la première défenderesse a obtenu le droit d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire. En même temps, le demandeur a également été informé que son engagement de parrainage demeurerait en vigueur pendant dix ans, malgré le changement dans sa relation avec la première défenderesse.


[9]                 Selon le demandeur, le refus du ministre de le libérer de son engagement de parrainage lui a fait subir un stress émotionnel et une tension mentale qui ont contribué à la perte de son emploi et à la perte de revenu qui s'est ensuivie, et que les défendeurs sont responsables en droit pour ces pertes.

[10]            Le demandeur soutient qu'il a été licencié au mois d'août 1992, apparemment en raison de son incapacité à satisfaire aux exigences de son travail. Il n'a pas réussi à trouver un autre emploi après son licenciement et il vit maintenant de ses prestations de retraite.

[11]            Le ministre a contesté l'action du demandeur et, dans sa défense, il nie avoir commis une faute en n'annulant pas l'engagement et il plaide expressément qu'il n'a pas le pouvoir nécessaire pour permettre la rétractation de l'engagement une fois qu'un visa a été délivré.

[12]            En outre, le ministre soutient qu'il a le pouvoir d'accorder le droit d'établissement à la première défenderesse pour des raisons d'ordre humanitaire.

[13]            Le ministre nie toute intention de causer une tension mentale au demandeur dans les déclarations faites pour son compte et affirme qu'il ne pouvait pas avoir prévu qu'un préjudice découlerait de ces déclarations, qui en tout état de cause ont été faites dans l'exercice de son pouvoir.


[14]            Enfin, le ministre maintient que l'action du demandeur est prescrite puisque les paroles qui auraient constitué la fausse déclaration ou donné lieu au stress mental ont été prononcées en 1988 et en 1993. Le ministre invoque la Loi sur la prescription des actions de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. L.15, à l'appui de la proposition selon laquelle une action pour atteinte indirecte découlant de paroles ne peut être intentée que dans les deux ans de la date où les paroles ont été prononcées. Les dispositions des lois provinciales en matière de prescription s'appliquent aux instances contre la Couronne fédérale en application de l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50.

LES OBSERVATIONS

[15]            La présente requête en jugement sommaire du ministre est fondée sur l'argument de prescription. Dans l'avis de requête déposé en l'espèce, le ministre s'appuie sur la Loi sur l'immunité de personnes publiques exerçant des attributions d'ordre          public, L.R.C. 1990, ch. P-38, et ses modifications, qui s'applique aux actions nées en Ontario contre la Couronne fédérale et qui prévoit une prescription de six mois pour l'introduction de telles actions. Le ministre invoque ces dispositions législatives à l'appui de l'argument selon lequel l'action du demandeur, qui a été introduite par la déclaration délivrée le 1er février 2000, est prescrite.


[16]            Le ministre cite Olympia Interiors Ltd c. Canada (Ministre du Revenu national) (1993), 66 F.T.R. 81; Collie Woolen Mills Limited c. Canada (1996), 107 F.T.R. 93 et Bourque, Pierre et Fils Ltée. c.Canada (1999), 162 F.T.R. 98, à l'appui de ces observations.

[17]            En réponse à cette requête, le demandeur prétend que le ministre continue de contrevenir à la loi et qu'en conséquence, les dispositions sur la prescription ne s'appliquent pas en raison de leur permissivité. À cet égard, le demandeur invoque Ihnat et al. v. Jenkins et al. [1972] 3 O.R. 629 à 633, Lapoint v. Saskatchewan, [1988] S.J. No. 113, McNabb v. Ontario (Attorney General) 50 O.R. (3d) 402.

[18]            Le ministre a répondu aux observations du demandeur et prétend que, comme l'action du demandeur ne découle pas d'une allégation d'omission continue de mener une enquête, l'argument du demandeur à cet égard est sans fondement. Le ministre soutient que l'action du demandeur, énoncée dans la déclaration, est fondée sur de fausses déclarations découlant de paroles. Le ministre affirme que la cause d'action du demandeur à cet égard, si tant est qu'elle existe, est prescrite. Le ministre prétend que c'est la seule cause d'action alléguée et que l'action ne peut donc suivre son cours.

LA QUESTION LITIGIEUSE

[19]            Y a-t-il lieu en l'espèce d'inscrire un jugement sommaire?


L'ANALYSE

[20]            La présente requête en jugement sommaire est régie par les règles 213 et s. des Règles. La règle 216(1) est pertinente et prévoit ce qui suit :


216. (1) Lorsque, par suite d'une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu'il n'existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.


216. (1) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary

judgment accordingly.


[21]            Pour faire droit à une requête en jugement sommaire, il faut se demander s'il existe une véritable question litigieuse; voir Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853, 111 F.T.R. 189 (1re inst.). Selon l'arrêt Riva Stahl GmbH c. Combined Atlantic Carriers GmbH (1999), 243 N.R. 183 (C.A.F.), une action prescrite sera rejetée de façon sommaire.

[22]            Dans ce contexte, il semble que je dois me demander si les actes de procédure révèlent l'existence d'une véritable question litigieuse. Il faut préalablement dégager la cause d'action que soulève la déclaration.


[23]            La déclaration n'énonce pas expressément une cause d'action. Le demandeur réclame des dommages-intérêts pour tension mentale et affirme que cette tension résulte de l'omission du ministre de le libérer de son engagement de parrainage malgré les déclarations de ses fonctionnaires et d'experts selon lesquelles une enquête serait entreprise. L'énoncé le plus clair du fondement de l'action du demandeur se trouve au paragraphe 22 de la déclaration, qui est rédigé comme suit :

[TRADUCTION] Le demandeur affirme que la conduite du défendeur et le refus de ce dernier de le libérer de son engagement de parrainage pour ensuite accorder à sa fiancée le droit d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire et continuer de le tenir responsable quant à son engagement sont fautifs et illégaux et lui ont causé un stress émotionnel et une tension mentale pour lesquels les défendeurs sont responsables en droit.

[24]                         À mon avis, le demandeur prétend que le ministre a illégalement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, pour accorder à la première défenderesse le droit d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire. Il semble s'agir d'une contestation de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre, qui ne peut être contesté que par voie de contrôle judiciaire. Une telle demande est clairement hors délai.

[25]                         Cependant, si la question du respect du délai imparti à cet égard n'est pas prise en considération, la question demeure que le demandeur se plaint de la manière dont le ministre et ses fonctionnaires se sont conduits. Cette question semblerait relever de laLoi sur l'immunité de personnes publiques exerçant des attributions d'ordre      public de l'Ontario, précitée. Si tel est le cas, il faut se demander si les dispositions sur la prescription de cette loi s'appliquent à une cause d'action continue. Y a-t-il une cause d'action continue en l'espèce?


[26]            Le ministre ne nie pas que des déclarations ont été faites, mais prétend que celles-ci ne visaient pas à causer une tension mentale ou un préjudice au demandeur. En outre, le ministre prétend qu'il s'est fondé sur son pouvoir discrétionnaire imposé par la loi pour accorder à la première défenderesse le droit d'établissement pour des raisons d'ordre humanitaire, et que l'exercice d'une obligation imposée par la loi ou d'un pouvoir discrétionnaire prévu par la loi le met à l'abri de toute responsabilité

[27]            À mon avis, il n'y a aucune cause d'action continue en l'espèce. Une cause d'action continue correspond à une cause d'action qui découle de la répétition d'actes ou d'omissions du même type que les actes ou les omissions qui ont donné lieu à l'action en l'espèce. À cet égard, voir Hole v. Chard Union, [1894] 1 Ch. 293, à la page 296. Dans cette affaire, les défendeurs avaient pollué un ruisseau et on a conclu qu'il s'agissait d'une nuisance et d'une cause d'action continue.

[28]            Le défendeur soutient que la déclaration du demandeur fait mention du préjudice découlant des deux fausses déclarations, alors qu'elle fait référence au refus du défendeur de libérer le demandeur de son engagement de parrainage. À mon avis, la cause d'action en l'espèce découle de la décision du ministre de ne pas libérer le demandeur de ses obligations de parrainage.


[29]            Pour qualifier la présente cause d'action de continue, il faudrait qu'il y ait une part d'actes répétitifs ou continus chez le ministre. Le refus du ministre de changer d'avis quant à une décision prise ne constitue pas un acte continu. Le seul élément de continuité en l'espèce est l'action en dommages-intérêts du demandeur pour tension mentale, mais il est bien établi en droit qu'un délit civil continu ne comprend pas la poursuite de tous les effets ou répercussions des actes de la partie défenderesse. À cet égard, voir Ihnat, précité, et Freeborn v. Leeming, [1926] 1 K.B. 160 (C.A.).

ORDONNANCE

Pour ces motifs, la requête est accueillie. Par conséquent, l'action contre le ministre est rejetée.

« E. Heneghan »

J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 10 août 2001

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                   IMM-435-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :       WILLIS IRVINE ARCHER c. ROXANA POLLYDORE ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

AFFAIRE JUGÉE CONFORMÉMENT À LA RÈGLE 369 (REQUÊTE ÉCRITE)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :             LE 10 AOÛT 2001

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

HAMZA H. KISAKA                               POUR LE DEMANDEUR

TORONTO (ONTARIO)

M. Morris Rosenberg                                     POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

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