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Date : 20040113

Dossier : IMM-1496-03

Référence : 2004 CF 48

Calgary (Alberta), le mardi 13 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                    ROMAN MOJZISIK, JANKA MOJZISIKOVA, LIVA MOJZISIKOVA et

                                                             JESSICA MOJZISIKOVA

                                                                                                                                                     demandeurs

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                   

[1]                 Le demandeur principal (le demandeur) a 32 ans. Les demandeurs à charge sont son épouse et ses deux filles.


[2]                 En 1998, le demandeur est devenu impliqué contre son gré dans une organisation mafieuse. Il déclare que cette organisation lui a fait des menaces de mort. Il soutient que la police slovaque ne pouvait pas, ou ne voulait pas, le protéger. En conséquence, il s'est enfui au Canada avec sa famille en août 1999.

[3]                 Le demandeur a présenté une revendication de statut de réfugié qui a été rejetée en juin 2001. Il a présenté une demande pour être évalué dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC), demande qui a été convertie en examen des risques avant renvoi (ERAR) à l'entrée en vigueur de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi). Cette demande a été rejetée le 20 décembre 2002. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur ce dernier rejet.

LA DÉCISION

[4]                 Dans sa décision, datée du 20 décembre 2002, l'agent ERAR a conclu que rien dans le dossier ne démontrait que le demandeur n'aurait pas droit à la protection de l'État s'il retournait en Slovaquie, et que de plus il n'avait présenté aucune nouvelle preuve à cet effet.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[5]                 Le demandeur soulève deux questions :

1. L'alinéa 113a) de la Loi est-il contraire à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)?


2. Si non, y a-t-il eu violation des principes de justice naturelle et de l'obligation d'équité privant le demandeur d'une occasion véritable d'être entendu?

Question no 1: L'alinéa 113a) de la Loi est-il contraire à l'article 7 de la Charte?

Le contexte

[6]                 En vertu de l'ancienne Loi sur l'immigration, la Section du statut de réfugié (SSR) devait décider si un demandeur était un réfugié au sens de la Convention. Par la suite, le demandeur pouvait solliciter une évaluation du risque en vertu des procédures de la catégorie DNRSRC, et à cette occasion tous les renseignements relatifs à l'affaire étaient évalués. La nouvelle loi est venue changer cette situation. La Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est maintenant chargée de déterminer si une personne a qualité de réfugié au sens de la Convention ou si elle est une personne à protéger. L'ERAR n'est fondé que sur un ensemble plus limité de renseignements, savoir les événements de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient pas normalement accessibles avant l'audition par la SPR ou durant celle-ci.


[7]                 Comme je l'ai fait remarquer, en l'espèce la revendication de statut de réfugié du demandeur a été examinée en vertu de l'ancienne Loi. Sa demande dans la catégorie des DNRSRC a été convertie en ERAR à l'entrée en vigueur de la nouvelle Loi. En conséquence, la SSR et la SPR n'ont pas examiné la question de savoir s'il était une personne à protéger. Ce n'est que l'agent ERAR qui a abordé cette question.

Les arguments

[8]                 Le demandeur soutient qu'en conséquence on a violé ses droits garantis en vertu de l'article 7, puisque l'agent ERAR ne pouvait examiner que la preuve survenue après la prise de décision par la Section du statut de réfugié. Il soutient qu'on ne lui a pas accordé l'occasion de présenter une preuve antérieure démontrant qu'il est une personne à protéger. Il déclare que ce résultat lui cause un grave préjudice, puisque la preuve datant d'avant la décision démontre qu'il serait soumis à une persécution non liée à un motif prévu dans la Convention et donc qu'il est une personne visée par l'article 97 de la Loi.

Analyse

[9]                 Il n'est pas nécessaire de faire une analyse en vertu de la Charte en l'espèce, puisqu'on peut traiter de l'argument du demandeur en interprétant tout simplement la loi. L'alinéa 113a) porte que :

Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d'asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce qu'il les ait présentés au moment du rejet [...]

                                                                                                       (Non souligné dans l'original.)


[10]            Lorsqu'on interprète un texte législatif, « [i]l faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. » (Rizzo et Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, à la page 41).

[11]            L'ERAR est une innovation introduite dans la nouvelle Loi, dont l'objectif est d'assurer que la plupart des personnes visées par une mesure de renvoi du Canada ont l'occasion, expéditive mais complète, d'établir qu'elles font face à un risque de torture ou de mauvais traitements graves si elles sont renvoyées dans leur pays d'origine. Dans la plupart des cas aujourd'hui, la SPR a déjà examiné la question de savoir si un demandeur a qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. Par conséquent, l'agent ERAR est mandaté par la première partie de l'alinéa 113a) pour n'examiner que les éléments de preuve survenus depuis l'audience de la SPR.

[12]            Toutefois, il semble clair que la deuxième partie de l'alinéa 113a) vise exactement la situation à laquelle le demandeur fait face, savoir celle où la SSR n'a pas examiné la question de savoir s'il était une personne à protéger. Dans de tels cas, le texte de la Loi est clair en ce qu'il autorise l'agent à examiner des éléments de preuve « qu'il n'était pas raisonnable [...] de s'attendre à ce qu'il [le demandeur] les ait présentés au moment du rejet » par la SSR. Ceci comprend aussi les éléments portant sur une demande en vertu de l'article 97 que le demandeur n'a pas présentés à l'audience.


[13]            Comme l'alinéa 113a) de la Loi ne prive pas le demandeur de son occasion de présenter tous les éléments de preuve pertinents, il n'est pas nécessaire de procéder à une analyse en vertu de l'article 7.

Question no 2. Y a-t-il eu violation des principes de justice naturelle et de l'obligation d'équité privant le demandeur d'une occasion véritable d'être entendu?

Les arguments

[14]            Quelles que soient les exigences de la Loi, le demandeur soutient que les instructions reçues de l'agente d'immigration Tammy McKnight et que l'on trouve dans le guide de demande font qu'il ne pouvait présenter que de nouveaux éléments de preuve à l'appui de sa demande ERAR.

[15]            Le défendeur répond pour sa part que le formulaire contient deux questions, les numéros 52 et 53, qui portent justement sur les renseignements pertinents. Il fait remarquer que les demandeurs n'ont pas répondu à ces questions et qu'ils n'ont pas indiqué quels renseignements ils auraient soumis s'ils s'étaient rendus compte qu'ils en avaient l'occasion.


Analyse

[16]            Les faits en l'espèce indiquent clairement que la situation résulte de la transition entre la Loi sur l'immigration et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. La revendication de statut de réfugié des demandeurs a été entendue et rejetée en vertu de l'ancienne Loi. La demande dans la catégorie DNRSRC a été transformée en demande ERAR à l'entrée en vigueur de la LIPR, ce qui fait qu'elle a été examinée en vertu de cette Loi.

[17]            Les demandes ERAR sont régies par l'alinéa 113a) de la Loi. Le « kit » pour la préparation de ces demandes définit la nouvelle preuve en citant presque directement la Loi :

Les nouveaux éléments de preuve sont ceux survenus depuis le rejet de votre demande à la Commission sur (sic) l'Immigration et le statut de réfugié ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce que vous les ayez présentés au moment au (sic) rejet.

[18]            La lettre envoyée au demandeur (page 35 du dossier du demandeur) pour l'informer que sa demande dans la catégorie DNRSRC avait été convertie en une demande ERAR renvoie à cette définition. Selon l'affidavit que le demandeur a souscrit, il a préparé sa demande ERAR avec un ami qui lui a servi de traducteur. Il n'avait toutefois pas l'aide d'un avocat. Il est difficile de voir comment un profane pourrait comprendre la définition de « nouveaux éléments de preuve » telle qu'elle se trouve dans le kit, ainsi que dans la Loi, et réaliser que tout nouvel élément de preuve était admissible dans la mesure où il se rapportait aux personnes à protéger.


[19]            Cette définition est peut-être adéquate dans le cadre d'une demande ERAR normale, mais elle ne l'est pas du tout lorsqu'il s'agit d'une demande dans la catégorie DNRSRC qui a été convertie. À tout le moins, la lettre informant le demandeur que sa demande était convertie aurait dû l'informer que l'agent ERAR avait une compétence additionnelle pour examiner la question de savoir si le demandeur était une personne à protéger (ce que la Section du statut de réfugié ne pouvait faire), ainsi que du fait que toute preuve présentée à ce sujet était une nouvelle preuve.

[20]            Rien de tel ne se trouve dans la lettre et le demandeur n'a reçu aucun avis verbal à ce sujet lors de ses rencontres avec les agents de l'immigration. À défaut de ces renseignements, le demandeur n'a rien inscrit en réponse aux questions 52 et 53 en vue de l'ERAR, croyant que ces renseignements seraient considérés comme de « nouveaux éléments de preuve » . Comme il n'y avait pas de réponse aux questions, l'agent ERAR n'avait rien à examiner. C'est justement cette situation que le juge Gibson a prévue dans O.N. c. Canada (M.C.I.), 2003 CFPI 246, lorsqu'il déclare, au paragraphe 53 :

Dans le cadre de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, l'alinéa 113a) s'applique logiquement, puisque le comité de la section du statut de réfugié qui examine une revendication du statut de réfugié doit aussi déterminer si une personne a besoin de protection. Ce ne fut pas le cas lorsque la revendication du statut de réfugié de la présente demanderesse a été examinée. Ainsi, la SSR n'a pas tenu compte du besoin de protection de la demanderesse, alors qu'elle en avait la preuve, besoin dont l'évaluation a été déterminé par l'ARRR et dont la décision fait présentement l'objet du présent examen, décision que j'ai jugé erronée. Je suis pleinement conscient que ce n'est pas mon rôle de conseiller au défendeur d'ignorer l'alinéa 113a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, mais je ne peux m'empêcher de commenter que si ce paragraphe est appliqué à la lettre à l'évaluation du risque avant le renvoi de la demanderesse, celle-ci n'aura en fait reçu aucune décision valide et utile quant à son besoin de protection lié à un retour en Ukraine.


[21]       Je partage l'avis du juge Gibson qu'il faut éviter une telle situation. L'équité procédurale exige que le demandeur comprenne ce qui va être examiné et tranché et qu'il reçoive une occasion valable de présenter son point de vue. Ce n'est pas ce qui s'est produit ici.

[22]       Par conséquent, je suis disposé à accueillir cette demande. La question est renvoyée à un autre agent ERAR pour nouvel examen. Le demandeur a 15 jours pour déposer une nouvelle demande ERAR.

                                           ORDONNANCE

1.          La demande est accueillie.

2.         Le demandeur a 15 jours pour déposer une nouvelle demande ERAR.

3.         La nouvelle demande sera examinée par un autre agent ERAR.

                                                                             « K. von Finckenstein »        

                                                                                                             Juge                    

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                       IMM-1496-03

INTITULÉ :                      ROMAN MOJZISIK, JANKA MOJZISIKOVA,

LIVA MOJZISIKOVA ET JESSICA MOJZISIKOVA

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                  CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 13 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :           LE 13 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Peter W. Wong                    POUR LE DEMANDEUR

Carrie Sharpe                       POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Caron & Partners, LLP            POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)             

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR


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