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     Date : 19980609

     Dossier : T-1132-98

OTTAWA (Ontario), le 9 juin 1998.

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE MacKAY

ENTRE

     LAKE PETITCODIAC PRESERVATION ASSOCIATION INC.,

     demanderesse,

     et

     LE MINISTRE D'ENVIRONNEMENT CANADA et

     LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS CANADA,

     défendeurs,

     et

     FRIENDS OF THE PETITCODIAC,

     partie intervenante.

     VU l'avis de requête en redressement provisoire déposé par la demanderesse en application de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 et modifications, et en particulier pour :

     1.      une ordonnance de suspension interlocutoire d'une décision prise par les ministres intimés ou en leur nom, figurant dans un rapport d'examen préalable daté du 19 mai 1998, établi conformément à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, portant sur le projet dénommé Petitcodiac River Trial Gate Opening pour 1998, (la décision), et
     2.      une ordonnance d'injonction interlocutoire interdisant aux intimés de prendre une décision ou mesure quelconque, d'accorder des approbations réglementaires, d'octroyer des fonds ou d'en autoriser l'octroi pour les besoins du projet, et
     3.      des ordonnances d'injonctions interlocutoires interdisant aux intimés d'autoriser ou de permettre que soit altéré, perturbé ou détruit l'habitat halieutique du lac Petitcodiac et (ou) des baies Shepody et Chignecton, de permettre que des substances nocives pour les oiseaux migrateurs soient déposées dans le lac Petitcodiac par suite, dans l'un et l'autre cas, du fonctionnement des portes de la chaussée sur la rivière Petitcodiac,
     toute ordonnance de cet ordre ayant effet jusqu'à ce qu'il soit statué par la Cour sur la demande de contrôle judiciaire de la décision, déposée par la demanderesse le 3 juin 1998;

     APRÈS audition des avocats occupant pour la demanderesse, les ministres intimés, la partie intervenante ainsi que l'avocat de la province du Nouveau-Brunswick présent en qualité d'observateur, et ce par voie de conférence téléphonique le 5 juin 1998, date à laquelle il a été sursis à la décision;

     ET après examen des observations et des exposés écrits présentés par les avocats et des affidavits déposés au nom des parties et de la partie intervenante ainsi que du rapport d'examen préalable daté du 19 mai 1998;

     O R D O N N A N C E

     LA COUR ORDONNE :

     1.      La demande de redressement provisoire est rejetée.
     2.      Advenant que la demanderesse souhaite une audition accélérée de sa demande de contrôle judiciaire, ses avocats, ceux des ministres intimés et de la partie intervenante se concerteront en vue de s'entendre sur un calendrier accéléré pour mettre au point la demande, et la Cour, à l'initiative des avocats, chercherait à établir et fixerait au plus tôt la date d'audience la plus appropriée pour instruire la demande.

                             W. Andrew MacKay

                             Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19980609

     Dossier : T-1132-98

ENTRE

     LAKE PETITCODIAC PRESERVATION ASSOCIATION INC.,

     demanderesse,

     et

     LE MINISTRE D'ENVIRONNEMENT CANADA et

     LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS CANADA,

     intimés,

     et

     FRIENDS OF THE PETITCODIAC,

     partie intervenante.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]      Voici les motifs au soutien d'une ordonnance rejetant la demande de redressement provisoire déposée par la Lake Petitcodiac Preservation Association Inc., ci-après l'Association, en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 et modifications, en attendant qu'il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire (no 2) de l'Association, déposée le 3 juin 1998. La demande de redressement provisoire a été présentée le même jour conformément à un calendrier établi par ordonnance antérieure portant sur le dépôt par toutes les parties et sur l'audition de la cause par voie de conférence téléphonique le 5 juin 1998. Toutes les parties ont respecté les dispositions de l'ordonnance et l'affaire a été entendue, de consentement, le 5 juin 1998.

Exposé des faits

[2]      La demanderesse s'inquiète au sujet de la décision et des mesures prises en vue de procéder à l'exécution d'un programme d'essai, quelquefois dénommé Petitcodiac River Trial Gate Opening Project pour 1998 (le programme d'essai) dont l'objectif consiste à gérer une modification assez appréciable du niveau d'eau du lac Petitcodiac pour une durée de six ou sept mois allant du printemps à la fin de l'automne 1998, et pour étudier plus à fond l'idée de restaurer en partie l'écosystème naturel de la rivière, ce qui permettrait, entre autres, de faciliter le plus possible le passage du poisson de la mer vers la rivière Petitcodiac et vice versa.

[3]      La formation du lac est due à la construction en 1968 d'une chaussée enjambant la rivière, un projet fédéral-provincial reliant par route les villes de Moncton et de Riverview. Dans son état naturel, la rivière était soumise aux marées au-dessus de l'emplacement de la chaussée, ce qui n'est plus le cas en raison de la construction de cet ouvrage, faisant ainsi que la rivière et la région environnante située au-dessus de la chaussée ont formé le lac Petitcodiac, une masse d'eau s'étendant sur 21 kilomètres en amont de la rivière. On dit que le lac ainsi créé offre un écosystème varié en eau douce et des possibilités récréatives pour la population locale.

[4]      L'eau du lac a été maintenue, durant les 30 dernières années, au niveau moyen de six mètres au bassin d'amont. Ce niveau est réglé au moyen de portes qui s'ouvrent et se ferment dans la chaussée et on s'en est servi pour éviter que l'eau salée se déverse dans le lac par l'effet des marées. Le projet d'essai visant à réunir des données supplémentaires pour évaluer l'idée de restaurer l'écosystème naturel permettrait à l'eau de marée de s'écouler vers l'amont, au-dela de la chaussée et, à marée basse, de régler le débit sortant du lac afin de réduire l'érosion. Les portes et la chaussée sont gérées par le ministère des Transports du Nouveau-Brunswick.

[5]      Le projet d'essai est le fruit d'une entente conclue en décembre 1996 pour ou entre les ministres des Transports et de l'Environnement du Nouveau-Brunswick et les ministres fédéraux intimés en vue de promouvoir l'étude du concept de restauration de l'écosystème naturel de la rivière Petitcodiac, y compris l'amélioration des voies de passage du poisson de la mer vers le réseau fluvial et vice versa. Aux termes du protocole d'entente conclu entre les ministères, trois comités principaux ont été créés pour étudier les divers volets du concept ainsi que le projet d'essai à mesure de son évolution. Ces comités ou groupes de travail comprennent entre autres un Groupe de surveillance auquel des représentants de la demanderesse et d'autres groupes communautaires ont participé.

[6]      Le résultat des travaux entrepris par les groupes de travail a été présenté à des assemblées publiques tenues à cette fin et la mise en exécution du projet d'essai pour 1998 ayant été affermie, les organismes gouvernementaux concernés ont convenu entre eux qu'il devrait débuter en mai 1998. Malgré l'engagement des ministères fédéraux des intimés, lesquels s'occupent souvent d'évaluation environnementale à l'égard d'autres projets, aucune évaluation de cette sorte n'a été initialement prévue en application de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (LCEE). La demanderesse et d'autres encore ont demandé que cette évaluation soit faite avant le lancement du projet d'essai, mais comme cela ne semblait pas probable, l'Association a, le 3 mars 1998, demandé le contrôle judiciaire de la décision de mise en train du projet (no du greffe de la Cour T-473-98). Elle a aussi requis une mesure de redressement provisoire visant à suspendre les travaux d'exécution jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire ou qu'une évaluation du projet soit effectuée plus tôt conformément à la LCEE.

[7]      Le 6 avril 1998, j'ai entendu la demande de redressement provisoire à Fredericton. À la fin de l'audience, j'ai sursis à décider en invitant instamment les parties, par l'entremise de leurs avocats et la participation suivie de l'avocat de la province du Nouveau-Brunswick, à essayer de résoudre les questions litigieuses avant que la Cour ne délivre une ordonnance. Subséquemment, la Cour a été informée par l'avocat des ministres fédéraux intimés que ceux-ci étaient d'accord pour effectuer une évaluation environnementale aux termes de la LCEE. Elle a été amorcée le 16 avril 1998. Suite à l'audition des avocats, j'ai décidé de surseoir encore à statuer jusqu'à nouvel avis des avocats tout en confirmant l'ordonnance rendue à l'audience portant que les ministres du Nouveau-Brunswick, figurant à l'origine en qualité d'intimés, soient radiés en tant que parties à la cause et que l'intitulé de celle-ci soit modifié de façon à inclure la partie intervenante préalablement adjointe comme telle par ordonnance, au cours des procédures initiales.

[8]      Un rapport d'examen préalable effectué, dit-on, conformément à la LCEE par Pêches et Océans Canada et Environnement Canada, concernant la proposition du ministère des Transports du Nouveau-Brunswick relative au projet Petitcodiac River Trial Gate Opening, a été complété en date du 19 mai 1998. Voici la conclusion du rapport figurant avant les signatures des fonctionnaires qui ont préparé et de ceux qui ont approuvé le document :

         [TRADUCTION]                 
         PARTIE E : DÉCISION CONCERNANT L'ÉVALUATION ET LIGNES DE CONDUITE                 
         Les autorités responsables du projet, se fondant sur le présent examen, ont conclu que ledit projet, compte tenu des mesures d'atténuation appropriées, n'aura vraisemblablement pas de conséquences nocives sur l'environnement et qu'il est possible de l'appuyer.                 
         (LCEE, alinéa 20.1a))
         PARTIE F : ATTESTATION D'EXAMEN                 
         Ce document résume les résultats obtenus suite à une évaluation environnementale du projet ci-dessus; elle a été effectuée et complétée par les autorités responsables conformément à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.                 

[9]      Les avocats des ministres intimés ont ensuite demandé de tenir une conférence téléphonique en vue d'un règlement approprié de la requête de la demanderesse datée du 6 avril, conférence qui a eu lieu le 28 mai avec la participation des avocats des parties, de la partie intervenante et en présence de l'avocat de la province du Nouveau-Brunswick en tant qu'observateur. Le lendemain, j'ai rejeté la requête en redressement provisoire de la demanderesse sans préjudice d'accélérer l'audition de toute requête similaire que la demanderesse pourrait déposer au plus tard le 3 juin 1998 au soutien d'une nouvelle demande de contrôle judiciaire concernant la décision des intéressés de procéder aux travaux en se fondant sur le rapport d'examen achevé le 19 mai 1998. La demanderesse a déposé ces requêtes le 3 juin 1998 et toutes les parties ont soumis des affidavits et des exposés d'argument conformément au calendrier établi par l'ordonnance du 29 mai 1998. En application des dispositions de cette ordonnance, la demande de redressement provisoire a été entendue le 5 juin.

[10]      Un autre événement d'une certaine importance a eu lieu depuis l'ordonnance de la Cour en date du 29 mai 1998. Le 31 mai, le ministre des Transports du Nouveau-Brunswick, qui est chargé de faire fonctionner les portes de la chaussée, a ouvert une ou plusieurs de ces portes drainant ainsi le lac Petitcodiac dont le niveau, qui se situait à environ six mètres, est tombé, au 1er juin 1998, à moins de 2,5 mètres au bassin d'amont. Le niveau était, semble-t-il, plus élevé à une certaine distance en amont, l'eau étant retenue par un bouchon vaseux, produit de la sédimentation naturelle dans le chenal de la rivière et qui serait éliminé, prévoit-on, par l'effet débourbant de l'abaissement du niveau du lac. Lorsque cette question a été entendue le 5 juin, l'avocat de la province du Nouveau-Brunswick, présent en qualité d'observateur, a informé la Cour qui l'interrogeait, qu'il avait eu vent que le bouchon vaseux se déplaçait plus rapidement qu'on ne l'escomptait. L'abaissement du niveau du lac Petitcodiac s'est fait rapidement, semble-t-il, plus rapidement que ne l'avaient prévu certains observateurs ou représentants. Cela s'est peut-être produit dans le cours normal, mais tardif, des travaux annuels de printemps afin d'utiliser la crue printanière pour dégager le bassin d'amont des sédiments accumulés. On a peut-être voulu appliquer ce procédé pour éliminer ces dépôts en amont et en aval de la chaussée afin de répondre aux exigences du projet d'essai.1

Les demandes de redressement

[11]      Par avis de demande de contrôle judiciaire (no 2) déposée le 3 juin 1998, l'Association réclame un contrôle judiciaire de la décision prise ensemble ou séparément en leur qualité d'autorités responsables, par les ministres fédéraux intimés, leurs ministères ou fonctionnaires désignés, laquelle décision figure dans le rapport d'examen du 19 mai 1998 concernant le projet d'essai et détermine que le projet, compte tenu de mesures d'atténuation appropriées, n'aura vraisemblablement pas de conséquences nocives sur l'environnement et qu'il est possible de l'appuyer aux fins du par. 20(1) de la LCEE.

[12]      À titre de redressement, l'Association réclame une déclaration reconnaissant que le "projet" s'inscrit dans la définition que donne de ce terme la LCEE , une ordonnance statuant que la décision est nulle, non avenue et sans effet, ainsi que des ordonnances de la nature d'un certiorari infirmant ou annulant la décision contestée et celle des intimés de ne pas permettre au public d'examiner et de commenter le rapport avant qu'une mesure soit prise en vertu de l'art. 20 de la Loi. La demanderesse réclame aussi une déclaration disant que le rapport n'est pas conforme aux prescriptions de la Loi, notamment de l'art. 16, une déclaration énonçant que l'intimé est tenu de donner avis au public et de lui fournir l'occasion d'examiner et de commenter le rapport avant de prendre une mesure en vertu de l'art. 20 de la Loi; également une déclaration suivant laquelle les craintes du public concernant le projet et (ou) le rapport d'examen justifient le renvoi de la question à un médiateur ou à une commission d'examen tel que prescrit au sous-al. 20(1)c)(iii) de la Loi. Une ordonnance de bref de prohibition ou une injonction est demandée interdisant aux intimés de prendre une décision ou une mesure quelconque, d'octroyer des fonds ou d'en autoriser l'octroi pour les besoins du projet et d'interdire à quiconque est averti de la présente ordonnance d'utiliser tout financement, toute assistance ou autorisation réglementaire obtenue de l'intimé responsable du projet jusqu'à observation de la LCEE. Enfin, la demanderesse réclame une ordonnance de bref de mandamus enjoignant aux intimés de se conformer à l'évaluation environnementale plus poussée du projet et aux exigences légales, à exercer leur pouvoir discrétionnaire de façon appropriée aux termes du par. 18(3) pour permettre au public de commenter le rapport, et de renvoyer le projet au ministre de l'Environnement en vue de le soumettre à un médiateur ou à une commission d'examen. La demanderesse réclame également des ordonnances provisoires et interlocutoires visant à préserver l'intégrité du lac Petitcodiac en attendant qu'il soit définitivement statué sur la demande.

[13]      La demande de redressement provisoire est énoncée dans l'avis de requête entendu le 5 juin 1998, par lequel la demanderesse, en attendant qu'il soit statué sur sa demande de contrôle judiciaire déposée le 3 juin 1998, cherche à obtenir les ordonnances suivantes :

     1)      une ordonnance de suspension interlocutoire de la décision prise par les ministres intimés, leurs ministères ou leurs fonctionnaires désignés en leur qualité d'autorités responsables, laquelle décision figure dans le rapport d'examen du 19 mai 1998 déterminant que le projet, compte tenu de mesures d'atténuation appropriées, n'aura vraisemblablement pas de conséquences nocives sur l'environnement et qu'il est possible de l'appuyer aux fins du par. 20(1) de la LCEE;
     2)      une ordonnance d'injonction interlocutoire interdisant aux intimés de prendre une décision ou une mesure quelconque, d'accorder des approbations réglementaires, d'octroyer des fonds ou d'en autoriser l'octroi pour les besoins du projet et d'interdire à quiconque est averti de l'ordonnance, d'utiliser tout financement, et toute assistance ou autorisation réglementaire accordés par la demanderesse;
     3)      une ordonnance interdisant aux intimés d'autoriser ou de permettre que soit altéré, perturbé ou détruit l'habitat halieutique du lac Petitcodiac ou des baies Shepody et Chignecton par le ministre des Transports du Nouveau-Brunswick par suite du fonctionnement des portes de la chaussée;
     4)      une ordonnance de redressement interlocutoire interdisant aux intimés d'autoriser le ministère des Transports du Nouveau-Brunswick à déposer ou à permettre que soient déposées des substances nocives pour les oiseaux migrateurs dans le lac Petitcodiac par suite du fonctionnement des portes de la chaussée.

Le critère

[14]      Les parties sont convenues que la norme régissant le redressement provisoire que réclame, en l'espèce, l'Association demanderesse est celle qui est énoncée dans l'arrêt R. J. R. Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général)2, qui développe le critère établi par le juge Beetz dans l'arrêt Metropolitan Stores (M.T.S.) Limited c. Manitoba Food & Chemical Workers, section locale 8323. Bien que dans ces deux cas il soit question de suspension dans un contexte de validité législative sur le plan constitutionnel, le même critère fondé sur l'arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Limited4, a été accepté par la Cour d'appel fédérale au regard généralement des demandes d'injonctions interlocutoires instruites par cette Cour5. Il a été appliqué en tant que norme appropriée dans l'examen des demandes de redressement provisoire en application de l'art. 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale6, concernant des évaluations environnementales.

[15]      Ce critère exige, pour le redressement provisoire, que la demanderesse établisse ce qui suit :

     1)      qu'une question sérieuse existe que la Cour doit trancher et qui découle de la question principale soulevée ici par la demanderesse, dans sa demande de contrôle judiciaire,
     2)      que la demanderesse subirait un préjudice irréparable si sa demande de redressement provisoire est rejetée et si la question sérieuse est plus tard tranchée en sa faveur;
     3)      que la prépondérance des avantages favorise la demanderesse, en ce sens que le préjudice irréparable découlant du rejet de la demande de redressement provisoire sera vraisemblablement plus important que le préjudice causé aux intimés si la demande est accueillie, en attendant que la question sérieuse soit tranchée quant au fond.

La demanderesse a-t-elle soulevé une question sérieuse?

[16]      On a instamment fait valoir, au nom des ministres intimés et de la partie intervenante, qu'aucune question sérieuse n'est soulevée dans la demande de contrôle judiciaire, d'une part à cause de la nature même du redressement réclamé et, de l'autre, du fait que le rapport d'examen lui-même tient adéquatement compte, dit-on, des craintes exprimées par la demanderesse au sujet des lacunes qu'il présente.

[17]      Les ministres intimés allèguent que n'ayant pas le pouvoir d'enjoindre aux ministres concernés du Nouveau-Brunswick de faire quoi que ce soit, et vu que le fonctionnement des portes de la jetée relève du ministre des Transports provincial, la Cour n'a essentiellement aucune compétence pour ordonner un redressement qui freinerait le processus aujourd'hui enclenché. Cet argument ne tient pas compte, me semble-t-il, de certaines formes de redressement précises que la demanderesse cherche à obtenir en l'espèce tant dans sa requête de redressement provisoire que dans sa demande de contrôle judiciaire. Il passe en outre sous silence le rôle joué par les représentants des ministres intimés au chapitre de la planification, du financement, de l'examen et de la surveillance du projet d'essai et, également, celui que les autorités du Nouveau-Brunswick paraissent avoir assumé à l'égard dudit projet alors que la demande initiale, portant le numéro de greffe T-473-98, était pendante à la Cour.

[18]      Bien sûr, la Cour ne rendra pas de vaines ordonnances, mais elle peut en adresser aux ministres intimés de façon à influer sur leur engagement en tant que parties au projet d'essai, ce qui pourrait se faire sans porter atteinte à leurs attributions légales suivies consistant à surveiller et à évaluer les activités des ministères provinciaux qui se reflètent sur les champs de compétence législative fédérale. En bref, je n'accepte pas l'observation disant que la Cour devrait rejeter la demande de redressement provisoire parce qu'elle ne peut directement émettre une ordonnance visant à arrêter ou à contrôler l'ouverture des portes.

[19]      On insiste pour dire également que la déclaration que réclame la demanderesse affirmant que le projet d'essai constitue un "projet" au sens de la LCEE est sans objet et qu'aucune question sérieuse ne se pose, vu que le rapport d'examen a été effectué conformément à la Loi. On pourrait le penser, n'étaient-ce les observations écrites des ministres intimés disant tout d'abord que la question est théorique, puisque le rapport d'examen a eu lieu sous l'égide de la LCEE, mais alléguant néanmoins que l'essai n'est pas un "projet" au sens de la Loi et, partant, qu'une évaluation environnementale n'est pas nécessaire.

[20]      Plus importantes encore sont les questions que soulève la demanderesse au sujet du rapport d'examen préalable, à savoir :

     1)      la zone géographique à l'égard de laquelle les effets environnementaux sont examinés et qui est, dit-on, inférieure à la superficie totale en cause, une allégation que rejettent les intimés en se référant au rapport qui n'est pas clair, à mon sens, sur ce point;
     2)      l'absence de données de base sur certains aspects environnementaux, tel que le manque de renseignements sur les animaux à fourrure et sur l'habitat du homard et du pétoncle dans la baie haute située au-dessous de la chaussée, même si le rapport conclut que les effets du projet d'essai sur ces espèces seront insignifiants;
     3)      le fait de se fier dans certains cas sur des renseignements périmés;
     4)      l'inobservation par le rapport des exigences énoncées à l'art. 16 de la LCEE.

[21]      Les intimés et la partie intervenante contestent ces critiques et d'autres formulées contre le rapport. Les divergences entre les parties appuient, ce me semble, la conclusion, à ce stade-ci et aux fins de la requête en redressement provisoire, que des questions sérieuses se posent quant à la rationalité des conclusions du rapport et de la décision fondée là-dessus. La demanderesse allègue que ces conclusions sont manifestement déraisonnables. Ces questions peuvent seulement être tranchées après audition des arguments relatifs à la demande de contrôle judiciaire.

Allégation de préjudice irréparable

[22]      On a fait valoir, au nom de la demanderesse, que le rejet de sa demande de redressement provisoire causerait un préjudice irréparable. Ce préjudice est appréhendé en raison du remplissage du lac par sédimentation dans le lit de la rivière au-dessus de la chaussée, qui sera plus accentué que si on laissait le lac en l'état; de plus, les travaux d'essai se traduiront par l'élévation du fond du lac qui perdra en profondeur, sauf si le bassin d'amont est surélevé, avec tous les effets que cela comporte pour les espèces aquatiques et les mammifères. Ce préjudice est aussi appréhendé relativement à ce qui suit :

-      la perturbation des espèces à fourrure vivant à la lisière ou près de l'eau le long du lac,
-      le temps requis pour restaurer l'écosystème au-dessus de la chaussée une fois que le bassin d'amont est finalement rempli de nouveau,
-      les effets de la sédimentation prévue sur l'habitat du homard et du pétoncle dans le fond de la baie située au-dessous de la chaussée,
-      la prolifération éventuelle des moustiques dans les zones du lac qui seront sujettes à l'entrée des eaux de marée,
-      la prolifération éventuelle des bactéries fécales coliformes dans les eaux situées au-dessus de la chaussée en raison des déversements d'eaux usées et de produits chimiques de lixiviation peut-être toxiques provenant de décharges désaffectées, suite à l'arrivée d'eau de marée provenant d'en dessous la chaussée et pénétrant dans la zone du bassin d'amont. La dernière éventualité, celle de la prolifération des bactéries coliformes, est signalée dans le rapport d'examen préalable comme un danger éventuel qui se refléterait tout particulièrement sur l'utilisation à des fins récréatives du lac et de la rivière au-dessus de la chaussée, ce qui nécessiterait de mettre en garde le public contre l'usage de ces eaux à de telles fins.

[23]      Dans certains de ces cas, le préjudice appréhendé est une question d'opinion non corroborée par des faits, s'il en est, dans les affidavits des défenseurs de la cause de la demanderesse. Dans d'autres cas, le préjudice en question se fonde essentiellement sur l'absence de renseignements, par exemple, sur la possibilité que des produits de lixiviation toxiques se dégagent de décharges désaffectées. Tout en respectant ces opinions, la Cour doit trouver une preuve factuelle plus solide pour conclure qu'un préjudice irréparable sera causé. De plus, le préjudice appréhendé a trait presque entièrement à celui qui est prévu au cas où le projet d'essai se poursuit jusqu'en décembre 1998, tel que planifié. Le préjudice que je dois m'employer à déterminer dans une demande de redressement provisoire, avant que les droits des parties ne soient définis, est celui qui surviendra entre la date d'aujourd'hui et celle de l'audition de la demande de contrôle judiciaire.

[24]      Il est loisible aux parties et à la Cour de fixer cette date. Rien ne justifie, en l'espèce, que la demande de contrôle judiciaire ne puisse être entendue sans tarder, selon un calendrier comportant des dates fixes pour le dépôt des documents et l'instruction de la cause ainsi que les parties et la Cour le jugeront approprié. En raison du travail déjà effectué par les avocats, il sera peut-être possible, à mon avis, d'instruire la demande dans un délai de 30 à 60 jours.

[25]      Je ne suis pas persuadé, au vu de la preuve fournie, que la demanderesse subira un préjudice irréparable au cours du bref laps de temps qui nous sépare de la date d'audience que l'on peut raisonnablement fixer pour bientôt, si au terme de l'audition en contrôle judiciaire, la demanderesse obtenait alors gain de cause.

La prépondérance des avantages

[26]      Comme je ne suis pas persuadé que le rejet de la demande de redressement provisoire causera un préjudice irréparable à la demanderesse, il est inutile de s'étendre sur les questions concernant la prépondérance des avantages. Si je le faisais, je conclurais à cet égard en faveur de la demanderesse. Je ne suis pas convaincu que les ministres intimés et d'autres intervenants qui appuient le projet d'essai subiraient un préjudice quelconque si le redressement réclamé ici était accordé et qu'ils aient gain de cause à l'audition de la demande de contrôle judiciaire. Dans ce cas, il serait trop tard pour entreprendre le projet en 1998, mais il n'y a aucune preuve, et l'on n'a avancé aucun argument, voulant que le maintien du statu quo pour un an avant que le projet d'essai ne soit entrepris, causerait autre chose que l'inconvénient de l'avoir retardé. Nul doute que ce retard permettrait un débat et une compréhension plus poussés du projet ainsi qu'une évaluation plus complète de ses effets éventuels sur l'environnement si ces objectifs étaient poursuivis et le projet mis en train par après.

Conclusion

[27]      Je rejette la demande de redressement provisoire par voie de suspension ou d'injonction en attendant qu'il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse. Bien qu'à ce stade-ci, cette demande soulève effectivement, me semble-t-il, des questions sérieuses qu'il faut trancher, je ne suis pas persuadé, sur la foi de la preuve fournie, que l'Association demanderesse verra ou subira un préjudice irréparable si sa demande de redressement provisoire est rejetée, mais que celle portant sur le contrôle judiciaire est subséquemment accueillie, en supposant qu'elle puisse être instruite rapidement si la demanderesse le souhaite.

[28]      La Cour invite les avocats des parties à se consulter au sujet d'un calendrier hâtif en vue de mettre la dernière main à la demande de contrôle judiciaire et la Cour est disposée, si cela est utile et à l'initiative des avocats, à chercher et à fixer une date d'audience qui convienne à toutes les parties.

                             W. Andrew MacKay

                             Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 9 juin 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1132-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Lake Petitcodiac Preservation Association Inc. (demanderesse) c. Le ministre de l'Environnement et le ministre des Pêches et des Océans (intimés) et les Amis de Petitcodiac (intervenant)

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario) (par conférence téléphonique)

DATE DE L'AUDIENCE :      5 juin 1998


MOTIFS DE L'ORDONNANCE


PAR M. LE JUGE MacKAY


EN DATE DU 9 JUIN 1998

ONT COMPARU :

Michael A. McWilliam et Gregory A. MacLean,          pour la demanderesse

John J. Ashley et David A. Hansen,              pour les intimés

Juli A. Abouchar,                          pour la partie intervenante

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Anderson, McWilliam, Leblanc et MacDonald

Moncton (Nouveau-Brunswick)                  pour la demanderesse

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                          pour les intimés

Juli A. Abouchar

Fredericton (Nouveau-Brunswick)                  pour la partie intervenante



__________________

1      Déduction tirée du rapport d'examen, proposition du ministère des Transports du Nouveau-Brunswick concernant le projet Petitcodiac River Trial Gate Opening, 19 mai 1998, p. 6.

2      [1994] 1 R.C.S. 311.

3      [1987] 1 R.C.S. 110.

4      [1975] C.A. 396 (H.L.).

5      Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., (1989), 24 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.).

6      Société pour Vaincre la Pollution Inc. c. Canada (ministre de l'Environnement) (1995), 17 C.E.L.R. (N.-É.) 225 (C.F. 1re inst.)

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