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Date : 20020628

Dossier : T-2095-01

                                                                                                           Référence neutre : 2002 CFPI 732

ENTRE :

                                                    ALLAN ARTHUR CRAWSHAW

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

                                                         LE PROCUREUR GÉNÉRAL

                                                                       DU CANADA

                                                                                                                                                     Défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

        Le demandeur a demandé, au moyen d'une requête écrite, que sa demande de contrôle judiciaire soit, pour sa part, jugée sur dossier. Le défendeur n'a pas pris position.


[2]         M. Crawshaw n'invoque aucune jurisprudence, mais il indique, dans un affidavit succinct de trois paragraphes, que, en tant que détenu à l'établissement à sécurité minimum de Ferndale, il n'a pas les fonds pour retenir les services d'un avocat, ni pour payer un accompagnateur pour aller et revenir du tribunal pour une audience. Il craint également qu'il soit désavantagé en faisant son argumentation en audience publique, contrairement à une argumentation au moyen d'observations écrites. En fin de compte, il a fait remarquer que si la Cour rendait une ordonnance selon la Règle 45, enjoignant à la Couronne de l'amener devant la Cour, cela représenterait des frais additionnels inutiles pour les contribuables. Intégralement :

[TRADUCTION]

2.              Que je suis un détenu de l'établissement à sécurité minimale de Ferndale et que je n'ai pas les fonds pour retenir les services d'un avocat pour me représenter dans la présente affaire, ni pour payer des accompagnateurs pour aller et revenir des tribunaux fédéraux.

3.              Que je n'ai pas l'expérience juridique afin de poursuivre la présente affaire en audience publique et que je serais désavantagé si l'affaire n'était pas jugée sur dossiers.

4.              Que je n'ai pas les moyens ou la capacité pour présenter l'affaire en audience publique, ce qui signifierait que la Cour devrait rendre une ordonnance afin que le demandeur soit amené devant la Cour en vertu de la Règle 45, ce qui représenterait des frais additionnels inutiles pour les contribuables.

Il s'agit d'un affidavit concis et pertinent.

[3]         En l'absence de circonstances pertinentes, le contrôle judiciaire est presque toujours jugé au moyen d'une audience. Deux causes décidant que le contrôle judiciaire se faisait sur dossier me viennent à l'esprit.


        Dans la décision MacDonald c. Commission nationale des libérations conditionnelles, [1986] 3 C.F. 157, le juge Muldoon traitait d'une demande visant, entre autres choses, à casser une décision rendue par la défenderesse qui avait refusé la libération conditionnelle de jour. Le juge Muldoon a soulevé une hypothèse en faveur d'une requête en écrivant, dans les circonstances de l'espèce, la question de pure forme suivante : « Il faudrait manifestement des circonstances très spéciales pour que l'on empêche un détenu d'avoir facilement accès à la Cour comme le lui permet la Règle 324, et de s'adresser à un juge en tout temps, peu importe le lieu de détention du requérant. » (page 162). Il a ensuite examiné un autre facteur. Il a reconnu que la Cour ne pouvait obliger une personne à se faire représenter par avocat, qu'un profane peut être plus à l'aise en faisant des observations écrites et que, par conséquent, un détenu non représenté devait avoir accès à la Cour par l'entremise d'une argumentation écrite :

   Il faut cependant tenir compte d'un autre élément. La Cour ne peut obliger un requérant à se faire représenter par un avocat, si judicieux cela puisse-t-il être, parce que quiconque respecte les règles de procédure possède incontestablement le droit de s'adresser à la Cour et de s'y faire entendre, sous réserve toujours des exigences normales du décorum. Ce n'est pas tout le monde, ni en fait tous les avocats, qui peuvent efficacement et de vive voix exposer des arguments devant un tribunal. C'est pourquoi refuser aux détenus qui ne sont pas représentés par avocat la possibilité de se prévaloir de la Règle 324 pourrait avoir pour effet d'obliger une personne, qui a peut-être beaucoup de mal à s'exprimer et qui a peu d'instruction (ce qui n'est pas le cas du requérant en l'espèce), à exposer ses arguments oralement d'une manière tout à fait impropre et inefficace, si cette personne est déterminée à soumettre ses plaintes à la Cour. Il est plus approprié de permettre à un détenu de réfléchir sur les termes à utiliser lorsqu'il rédige ses arguments écrits à un moment de son choix et de demander l'aide, peut-être, de quelqu'un de plus instruit que lui, au risque tout à fait sans importance qu'il révèle ses mauvaises connaissances de l'orthographe et de la grammaire. (page 163)

Dans la décision MacDonald, le juge Muldoon considérait l'accès à la Cour, à l'occasion la demande d'un contrôle judiciaire, par des observations écrites, comme un droit si elles étaient requises dans le but d'obtenir de se faire entendre à la Cour, sous réserve, bien entendu, des exigences habituelles du décorum.


        Dans la décision Il c. Canada (Service correctionnel) (1997), 119 F.T.R. 285, le juge Gibson, bien que permettant un contrôle judiciaire sur documents, a adopté un point de vue différent. Il a indiqué qu'il fallait des circonstances spéciales, parce qu'il avait le sentiment que le contrôle judiciaire sur documents était une procédure exceptionnelle :

Cette question, sur demande du requérant, a été traitée conformément à la Règle 324 des Règles de la Cour fédérale, c'est-à-dire sans audience verbale. J'ai été informé par le greffe de la Cour que l'avocat de l'intimé a indiqué verbalement qu'il ne s'opposerait pas à ce que cette question soit réglée sans la tenue d'une audience. Il s'agit d'une procédure exceptionnelle. Le requérant n'était pas représenté, il purge une longue peine d'emprisonnement, et il a indiqué à la Cour qu'il n'avait pas les moyens de payer les services d'accompagnement de son lieu d'incarcération jusqu'à la salle d'audience de la Cour. N'eut été de ces circonstances spéciales, je n'aurais pas été disposé à traiter de cette affaire sans tenir une audience verbale. (page 287)

        Les motifs des juges dans les décisions MacDonald et Il, bien que reconnaissant tous les deux que les demandes de contrôle judiciaire peuvent être jugées sur documents, représentent deux extrémités d'un spectre. Dans le premier, le juge Muldoon considérait l'utilisation des observations écrites, pour décider d'une question de contrôle judiciaire, comme équivalant à un droit, lorsque l'autre option pourrait consister à empêcher un détenu d'avoir un accès pratique à la Cour ou de gêner cette personne lorsqu'il fait des observations. À l'autre extrémité du spectre, le juge Gibson considérait le fait de juger un contrôle judiciaire sur documents comme une procédure exceptionnelle admise seulement lorsqu'il y a des circonstances spéciales.


        Bien que le critère approprié doit être décidé, selon la jurisprudence, par les juges qui, en fait, traitent du contrôle judiciaire, je favorise l'approche du juge Muldoon, étant donné particulièrement que les deux décisions dans MacDonald et Il ont été rendues en vertu des Règles en vigueur avant 1998, lesquelles ne permettaient une requête écrite que lorsque la Cour la considérait opportune. Une partie de l'historique de la requête écrite, à la Cour fédérale, précédant le critère de l'opportunité ainsi que la Règle 324, est présentée par le juge en chef Jackett dans l'arrêt Smith c. Canada (Procureur général) (1977), 19 N.R. 239 (C.A.F.), aux pages 249 et 250. En vertu des Règles en vigueur avant 1998, la Cour avait un pouvoir discrétionnaire évident afin de déterminer si la nature de la demande était telle qu'il était opportun d'en disposer sur documents. À l'opposé, l'actuelle Règle 369 est beaucoup plus directe. Elle accorde un droit, sous réserve de la possibilité implicite pour la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire, d'exiger une audience :

369.(1) Procédure de requête écrite - Le requérant peut, dans l'avis de requête, demander que la décision à l'égard de la requête soit prise uniquement sur la base de ses prétentions écrites.

Continuant avec l'idée d'exiger une audience, le paragraphe (2) de la Règle 369 permet à la Cour d'exercer son pouvoir discrétionnaire afin de changer une requête écrite en une requête verbale, à la demande d'un intimé, accompagnée des documents habituels, y compris un mémoire des faits et du droit indiquant les motifs pour lesquels la requête ne devrait pas être tranchée par écrit. Un tel argument, en faveur de l'audition d'une requête présentée par écrit, exige une preuve substantielle à l'effet que l'on ne peut trancher l'affaire de manière adéquate sur documents : voir par exemple la décision Sterritt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 98 F.T.R. 68, à la page 70, confirmée par la Section de première instance à (1996), 98 F.T.R. 72.


        Étant donné l'approche beaucoup plus permissive retenue dans les Règles de 1998, l'approche retenue par le juge Muldoon dans MacDonald, qu'il devait y avoir des circonstances spéciales pour empêcher un plaideur d'avoir un accès pratique au moyen d'une demande écrite, en particulier lorsque le coût et l'emprisonnement représentent des facteurs évidents et lorsqu'un profane mal à l'aise peut ne pas être en mesure de faire une observation verbale appropriée et efficace, est préférable. Bien sûr, comme l'a fait remarquer le juge Muldoon, les règles de procédure doivent être respectées, de même que les exigences normales du décorum. De plus, la Cour peut toujours exiger une audience lorsque, comme je l'ai indiqué, il y a une preuve substantielle que l'affaire ne peut être présentée de manière adéquate par écrit.

        En l'espèce, je ne vois pas de motif pour lequel la présente instance de contrôle judiciaire ainsi que les deux demandes avec lesquelles elle a été jointe, les dossiers T-1705-01 et T-180-02, ne devrait pas être jugée sur documents en tant que demandes. Refuser à M. Crawshaw la procédure de requête écrite ne l'empêcherait pas seulement d'avoir un accès pratique et significatif à la Cour, mais pourrait également lui refuser tout accès.

(Signé) « John A. Hargrave »

                                                                                              Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 28 juin 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-2095-01

INTITULÉ :                                           Allan Arthur Crawshaw c. PGC

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Requête écrite

DATE DE L'AUDIENCE :                 -

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                        Le 28 juin 2002

COMPARUTIONS :

-                                                                                                         POUR LE DEMANDEUR

-                                                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

SOLICITORS OF RECORD:

Allan Arthur Crawshaw                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

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