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     Date : 19981029

     Dossier : IMM-5208-97

ENTRE :

     LAM CHUN,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Le demandeur, Lam Chun, demande le contrôle judiciaire de la décision en date du 10 novembre 1997 par laquelle une agente des visas a rejeté sa demande de résidence permanente parce que sa fille a été jugée non admissible pour des raisons d'ordre médical. Par la présente demande déposée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, le demandeur sollicite une ordonnance portant annulation de la décision en date du 10 novembre 1997 de l'agente des visas Susanna Ching et une ordonnance portant renvoi de l'affaire à d'autres médecins agréés en vue d'une nouvelle évaluation de la fille du demandeur comme personne à charge puis d'un réexamen de la demande.

LES FAITS

[2]      Le 20 septembre 1996, le demandeur, Lam Chun, ainsi que sa femme et ses deux enfants, ont présenté une demande de résidence permanente au Commissariat du Canada à Hong Kong (ci-après appelé le Commissariat) dans la catégorie des entrepreneurs. Une demande antérieure de résidence permanente avait été rejetée parce que la fille du demandeur, Wai Huen Vida (ci-après Vida), avait été jugée non admissible pour des raisons d'ordre médical. Le 25 février 1997, M. Chun a été interrogé par l'agente des visas Susanna Ching. Le même jour, un médecin agréé, le Dr Hutchings, a examiné le rapport d'examen en date du 19 juin 1996 du Dr Andrius Balnionis et a ordonné la tenue d'une évaluation psychométrique complète. En conséquence, par voie de lettre en date du 26 février 1997, le Commissariat a demandé que Vida subisse d'autres examens médicaux, qui ont été effectués par Susan Fung le 12 mars 1997. Le 17 avril 1997, le médecin agréé, le Dr Hutchings, a évalué et préparé le profil médical qui a été transmis au médecin vérificateur, le Dr Axler. Sur la base des documents médicaux énumérés au paragraphe 9 de son affidavit, le Dr Axler a souscrit à l'avis du Dr Hutchings et posé un diagnostic de déficience mentale.

[3]      Par lettre en date du 29 mai 1997, le Commissariat a avisé M. Chun que, compte tenu des résultats des examens médicaux, sa fille était non admissible au Canada pour des raisons d'ordre médical en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration. Le demandeur s'est donc vu accorder soixante jours pour présenter au Commissariat les éléments de preuve supplémentaires qu'il jugeait nécessaires. Le 28 juillet 1997, le demandeur a soumis des documents supplémentaires fournis par le Dr F. M. Otremba, par Susan Fung, une psychologue clinicienne, et par M. Clement Lin. Le 10 novembre 1997, M. Chun a reçu une lettre de refus du consulat général du Canada précisant que sa fille était non admissible au Canada parce que son admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada.

LES PRÉTENTIONS

[4]      Le demandeur soutient que la procédure était entachée d'irrégularités procédurales; que l'agente des visas a restreint indûment l'exercice de son pouvoir discrétionnaire (ce point n'a pas été plaidé à l'audience); que l'agente des visas a tiré des conclusions de fait abusives, n'a tenu aucun compte d'éléments de preuve et a mal interprété des éléments de preuve; et que l'agente des visas a commis une erreur en interprétant la Loi sur l'immigration et en décidant que l'éducation spéciale est un service social ou de santé au sens du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.

[5]      Premièrement, il est allégué que les médecins agréés n'ont pas fourni suffisamment de détails sur les services précis dont aurait besoin Vida, étant donné qu'elle peut travailler et est atteinte d'une déficience mentale légère seulement. Deuxièmement, il est allégué que Vida a été évaluée du point de vue de ce dont elle aurait besoin pour devenir indépendante, d'où la conclusion des médecins agréés que son admission entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada. En s'appuyant sur cette évaluation, l'agente des visas aurait commis une erreur et la décision serait abusive. Troisièmement, il est allégué que l'éducation spéciale dont a besoin Vida ne constitue pas un service social ou de santé au sens du paragraphe 9(1) du Règlement sur l'immigration de 1978.

[6]      Le demandeur soutient également que la [traduction] " lettre d'équité " qui se trouve à la page 44 du volume 1 du dossier du demandeur est injuste dans des cas comme celui qui nous occupe étant donné que les craintes particulières des médecins n'y sont pas exposées, de sorte que le demandeur ne peut pas donner d'explications à cet égard.

[7]      Le défendeur est d'accord avec le demandeur pour dire que Vida est une " fille à charge " au sens de l'article 2 du Règlement sur l'immigration de 1978 , mais soutient que l'avis médical était suffisamment détaillé et que l'agente des visas a examiné la preuve soumise par le demandeur et l'évaluation médicale qui appuie la conclusion que Vida imposerait un fardeau excessif aux services sociaux ou de santé du Canada.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[8]      Le demandeur soulève les questions suivantes :

     1.      L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en évaluant la fille du demandeur non pas comme une " personne à charge " mais comme une personne " indépendante "?         
     2.      La conclusion des médecins agréés selon laquelle la fille du demandeur imposerait un fardeau excessif aux services sociaux ou de santé était-elle fondée à tort sur la prémisse qu'elle n'était pas une " personne à charge "?         
     3.      Subsidiairement, les motifs du refus étaient-ils obscurs pour ce qui est de savoir si oui ou non la fille du demandeur était une personne à charge?         
     4.      Les médecins agréés ont-ils commis une erreur de droit en ne donnant pas suffisamment de précisions sur les services sociaux ou de santé dont aurait besoin la fille du demandeur?         
     5.      L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la totalité ou une partie des services d'éducation spéciale ou des ateliers de travail adapté dont la fille du demandeur pourrait avoir besoin, selon le médecin agréé, constituaient des services sociaux ou de santé?         

ANALYSE

[9]      Le refus de l'agente des visas est fondé sur le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration et sur l'alinéa 9(1)a) du Règlement sur l'immigration de 1978.

     19. (1) Inadmissible Persons - No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:         
     (a) persons who are suffering from any disease, disorder, disability or other health impairment as a result of the nature, severity or probable duration of which, in the opinion of a medical officer concurred in by at least one other medical officer,         
         (...)         
         (ii) their admission would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services;         
     9. (1) Subject to subsection (1.01) and section 11, where an immigrant, other than a member of the family class, an assisted relative or a Convention refugee seeking resettlement makes an application for a visa, a visa officer may issue an immigrant visa to him and his accompanying dependants if         
     (a) he and his dependents, whether accompanying dependents or not, are not members of any inadmissible class and otherwise meet the requirements of the Act and these Regulations;         
     19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible_:         
     a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut:         

         (...)

         (ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;         
     9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.01) et de l'article 11, lorsqu'un immigrant, autre qu'une personne appartenant à la catégorie de la famille, qu'un parent aidé ou qu'un réfugié au sens de la Convention cherchant à se réétablir, présente une demande de visa d'immigrant, l'agent des visas peut lui en délivrer un ainsi qu'à toute personne à charge qui l'accompagne si :         
     a) l'immigrant et les personnes à sa charge, qu'elles l'accompagnent ou non, ne font pas partie d'une catégorie de personnes non admissibles et satisfont aux exigences de la Loi et du présent règlement;         

[10]      En vertu de ces dispositions, la fille du demandeur a été jugée non admissible pour des raisons d'ordre médical sur la foi des résultats des examens médicaux qu'elle a subis. Les documents examinés par le médecin agréé, le Dr Hutchings, et par le médecin vérificateur, le Dr Axler, sont énumérés au paragraphe 9 de l'affidavit du Dr Axler. Le déclaration médicale jointe à la lettre en date du 29 mai 1997 du Commissariat (qui se trouve à la page 44, volume 1, du dossier du demandeur) expose la nature de la déficience médicale (voir la page 47, volume 1, du dossier du demandeur) :

     [traduction]         
     DIAGNOSIS/DIAGNOSTIC         
     317 DÉFICIENCE MENTALE -LÉGÈRE         
     NARRATIVEE/COMMENTAIRE         
     La requérante à charge, qui est âgée de 21 ans, est atteinte d'une déficience mentale puisque les tests officiels révèlent un âge mental de 51 mois.         
     Elle exerce des activités de la vie quotidienne de façon indépendante et elle est en mesure d'accomplir des tâches simples, mais elle ne serait pas capable de subvenir à ses propres besoins ou de parvenir à l'indépendance. Vu son degré de déficience cognitive, elle aurait besoin de certains soins et d'une certaine surveillance. Elle aurait besoin d'une formation professionnelle spéciale et fort probablement d'un milieu de travail adapté. Si elle devenait une personne ayant obtenu le droit d'établissement, elle serait admissible à d'autres services sociaux pour les personnes ayant une déficience mentale. Ce sont des modalités coûteuses qui font souvent défaut à d'autres Canadiens.         
     Elle pourrait vraisemblablement imposer un fardeau excessif aux services sociaux et de santé et est donc non admissible en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.         

     La requérante souffre également :

     1) d'épilepsie

     2) de tuberculose pulmonaire inactive (traitée en 1988).

[11]      Il convient de noter que dans le Commentaire, les médecins désignent Vida comme " La requérante à charge , qui est âgée de 21 ans [...] ".

[12]      Outre cette déclaration, M. Chun a soumis trois documents : une lettre du Dr Otremba concernant l'état de santé de Vida, une évaluation psychologique effectuée par Susan Fung et une lettre de référence personnelle de M. Clement Lin. L'évaluation effectuée par le Dr Otremba révèle que Vida souffre d'épilepsie depuis l'âge de deux ans, mais n'a pas fait de crises depuis de nombreuses années, qu'elle est atteinte d'une déficience mentale légère et qu'elle souffre de neurofibromatose, qui ne requiert aucun traitement particulier. Il ressort de l'évaluation psychologique effectuée par Mme Fung que Vida a atteint l'âge de maturité sociale de 9 ans et demi selon l'Échelle de comportement adaptatif Vineland, qu'elle possède des compétences limitées au chapitre de l'autonomie, de la vie en société et de la socialisation, et qu'elle aura besoin d'une formation professionnelle pour l'aider à acquérir des aptitudes professionnelles, de programmes sociaux axés sur l'établissement de relations interpersonnelles ainsi que de cours d'anglais.

[13]      Par lettre datée du 10 novembre 1997, M. Chun a été avisé que sa demande avait été rejetée après examen des renseignements concernant l'état de santé de sa fille à cause de la non-admissibilité de celle-ci en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration.

[14]      Le demandeur soutient que l'agente des visas a commis une erreur de droit en s'appuyant sur l'évaluation médicale dans laquelle on a considéré la fille du demandeur comme une personne " indépendante " par opposition à une " personne à charge ". Le demandeur fait valoir que la lettre de refus décrit Vida comme une " personne à charge " suivant la définition de cette expression au paragraphe 2(1) du Règlement, ce que reconnaît également le défendeur, mais que l'état médical de Vida a été évalué en fonction du fait qu'elle deviendrait indépendante, comme aux alinéas a ) et b), et non en fonction du fait qu'elle demeurerait une personne à charge au sens de l'alinéa c) de la définition.

     "Dependent daughter" means a daughter who         
     (a) is less than 19 years of age and unmarried,         
     (b) is enrolled and in attendance as a full-time student in an academic, professional or vocational program at a university, college or other educational institution and         
         (i) has been continuously enrolled and in attendance in such a program since attaining 19 years of age or, if married before 19 years of age, the time of her marriage, and         
         (ii) is determined by an immigration officer, on the basis of information received by the immigration officer, to be wholly or substantially financially supported by her parents since attaining 19 years of age or, if married before 19 years of age, the time of her marriage, or         
     (c) is wholly or substantially financially supported by her parents and         
         (i) is determined by a medical officer to be suffering from a physical or mental disability, and         
         (ii) is determined by a medical officer, on the basis of information received by the immigration officer, including information from the medical officer referred to in subparagraph (i), to be incapable of supporting herself by reason of such disability;         
     "fille à charge" Fille :         
     a) soit qui est âgée de moins de 19 ans et n'est pas mariée;         
     b) soit qui est inscrite à une université, un collège ou un autre établissement d'enseignement et y suit à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle, et qui :         
         (i) d'une part, y a été inscrite et y a suivi sans interruption ce genre de cours depuis la date de ses 19 ans ou, si elle était déjà mariée à cette date, depuis la date de son mariage,         
         (ii) d'autre part, selon l'agent d'immigration qui fonde son opinion sur les renseignements qu'il a reçus, a été entièrement ou en grande partie à la charge financière de ses parents depuis la date de ses 19 ans ou, si elle était déjà mariée à cette date, depuis la date de son mariage;         
     c) soit qui est entièrement ou en grande partie à la charge financière de ses parents et qui :         
         (i) d'une part, selon un médecin agréé, souffre d'une incapacité de nature physique ou mentale,         
         (ii) d'autre part, selon l'agent d'immigration qui fonde son opinion sur les renseignements qu'il a reçus, y compris les renseignements reçus du médecin agréé visé au sous-alinéa (i), est incapable de subvenir à ses besoins en raison de cette incapacité.         

[15]      Dans l'affaire Sabater c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1375, la Cour a été invitée à examiner la décision par laquelle une agente des visas avait rejeté une demande de résidence permanente à cause de la non-admissibilité d'une personne à charge pour des raisons d'ordre médical. Le juge McKeown a statué que la Cour avait compétence pour examiner la preuve médicale et s'est référé à l'arrêt Doel c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 18 Imm. L.R. (2d) 1, dans lequel le juge MacGuigan a déclaré, à la page 5, que pour être valable une évaluation médicale doit mesurer et indiquer le degré de déficience et les conséquences probables en découlant :

     L'arrêt Jiwanpuri devrait montrer d'une façon évidente que le simple fait d'invoquer la déficience mentale ne mène à aucune conclusion particulière. La déficience mentale est un état englobant une vaste gamme de possibilités, depuis l'incapacité totale de fonctionner indépendamment jusqu'à un état presque normal. Cette notion ne peut pas servir de stéréotype, parce qu'elle est loin d'être univoque. Ce n'est pas le seul fait de la déficience mentale qui est pertinent, mais le degré, et les conséquences probables en découlant lorsqu'il s'agit d'imposer un fardeau excessif aux services gouvernementaux. Or, en l'espèce, la Commission n'a pas fait cette évaluation.         

[16]      En l'espèce, la déclaration médicale confirme le poids de la preuve produite par le demandeur et le défendeur quant au fait que Vida est atteinte d'une déficience mentale légère. Le demandeur soutient que la déclaration médicale ne fournit pas de précisions au sujet des conséquences qui imposeraient un fardeau excessif aux services gouvernementaux.

[17]      Dans l'affaire Sabater, précitée, la Cour a statué qu'il était raisonnable, dans un cas de déficience légère, d'imposer un fardeau de preuve plus rigoureux aux médecins afin qu'ils démontrent en quoi consisterait le fardeau excessif qui serait imposé aux services sociaux. Le juge McKeown a déclaré :

     Toutefois, comme il n'a pas clairement indiqué dans son rapport quelle était la nature ou la gravité de la déficience mentale, il est difficile d'évaluer le caractère raisonnable de sa conclusion indiquant que l'admission de la requérante entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux. Bien entendu, il ne s'agit pas d'insinuer qu'il n'est jamais possible de conclure qu'une personne qui souffre d'une légère déficience mentale ne puisse imposer un fardeau excessif aux services sociaux, puisque cette décision doit faire intervenir de nombreux facteurs. Toutefois, à mon avis, il serait raisonnable d'imposer un fardeau de preuve plus rigoureux aux médecins afin qu'ils démontrent ce que serait ce fardeau excessif dans un cas de déficience légère. C'est-à-dire que, si un médecin conclut qu'une personne souffre d'une légère déficience mentale, il doit énoncer clairement pourquoi son admission entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux. Comme il n'y a pas d'indication claire du degré de déficience mentale en l'espèce, il est difficile d'établir le niveau de preuve nécessaire pour juger qu'un fardeau excessif serait imposé aux services sociaux.         

[18]      Le juge McKeown s'est ensuite référé aux éléments de preuve documentaire concernant les coûts d'une déficience grave et modérée sur lesquels se sont fondés les médecins agréés pour parvenir à cette conclusion, et a déclaré qu'il semblait y avoir une différence reconnue dans les coûts imposés aux services sociaux selon le degré ou le niveau de déficience mentale d'une personne. Compte tenu de cette distinction, le juge McKeown a statué que le médecin agréé avait commis une erreur en ne précisant pas le degré de déficience mentale dont souffrait la fille du requérant.

[19]      En l'espèce, la déclaration fait état des conséquences probables d'une déficience légère. Elle précise le degré de déficience et fait référence à la formation professionnelle spéciale, au milieu de travail adapté ainsi qu'aux services sociaux pour les personnes ayant une déficience mentale qui pourraient imposer un fardeau excessif au système social et de santé du Canada. Je ne suis pas convaincu qu'il faille assujettir un médecin agréé à une norme plus élevée que celle-ci, de manière à l'obliger à préciser les services sociaux ou de santé précis dont un enfant bénéficierait vraisemblablement une fois rendu au Canada. Par conséquent, je suis d'avis que les médecins agréés n'ont pas commis d'erreur en fournissant ces raisons.

[20]      Une autre question connexe soulevée par le demandeur consiste à savoir si l'évaluation médicale a été faite en tenant compte du fait que Vida deviendrait indépendante ou demeurerait à jamais une personne à charge. Le demandeur invoque l'affaire Wong c. M.C.I., (1996) 34 Imm. L.R. (2d) 18 (C.F. 1re inst.), au soutien de la proposition qu'un enfant à charge ne devrait pas être évalué selon les normes applicables à un requérant indépendant. Dans l'affaire Wong, précitée, la Cour a examiné la décision par laquelle un agent des visas a rejeté une demande de résidence permanente au motif que la fille du requérant, qui était atteinte du syndrome de Down, imposerait un fardeau excessif aux services sociaux ou de santé vu l'impossibilité probable que celle-ci parvienne un jour à l'indépendance économique. Avec le consentement des parties, le juge Simpson a renvoyé l'affaire en donnant des directives à cet égard. Elle a fait les remarques suivantes :

     Selon la jurisprudence actuelle, cette question pose un problème parce que, dans certains cas, l'impossibilité probable que le requérant parvienne à l'indépendance économique a été utilisée comme seul motif déterminant pour tirer une conclusion défavorable au sujet de l'état de santé d'un requérant qui "entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé", aux termes du sous-alinéa 19(1)a )(ii) de la Loi sur l'immigration.         
     Ce type d'évaluation très restreint a effectivement eu pour résultat qu'un requérant à charge a été évalué uniquement au regard d'une norme applicable à un requérant indépendant.         
     En l'espèce, afin d'éviter qu'une évaluation aussi restreinte se répète, j'inclurai la directive suivante dans mon ordonnance renvoyant l'affaire pour nouvel examen. Je ferai lentement lecture des conditions applicables pour que les avocats puissent en prendre note.         
     Les médecins doivent évaluer Hilda en tant que requérante à charge. Cette évaluation servira notamment à déterminer le fardeau probable qu'elle entraînera pour les services gouvernementaux.         
     Dans l'évaluation de ce fardeau, il faudra analyser la question de savoir si, selon la prépondérance des probabilités touchant l'ensemble de sa situation, notamment, la gravité de son état, le degré et l'efficacité du soutien promis par sa famille, et ses possibilités d'indépendance physique, personnelle et économique, les soins que requiert Hilda pourront, aujourd'hui et dans l'avenir, lui être donnés dans son foyer.         

[21]      Lecture faite de la déclaration médicale, je ne suis pas convaincu que la demande de Vida a été traitée comme celle d'un enfant à charge qui résidera avec ses parents et qui sera à la charge financière de ceux-ci. La déclaration médicale fait référence uniquement à des facteurs économiques comme l'incapacité de Vida de subvenir à ses besoins ou de parvenir à l'indépendance, et la formation professionnelle spéciale et le milieu de travail adapté dont elle aurait besoin. Dans son affidavit, le Dr Axler fournit des éléments de preuve selon lesquels l'évaluation était fondée sur des renseignements que les médecins agréés ont obtenus lorsqu'ils ont participé à des ateliers de formation médicale en immigration. Au cours de ces ateliers, les médecins agréés ont obtenu des indications sur les coûts de la déficience mentale, y compris les services sociaux et éducatifs. De plus, au paragraphe 11 de son affidavit, le Dr Axler déclare que l'évaluation a été faite avec le Guide du médecin agréé (MITS-3, 1995) concernant les données relatives à l'établissement des coûts de la déficience mentale légère des personnes âgées de 19 ans et plus.

[22]      Toutefois, on ne semble pas avoir pris en considération dans cette évaluation toutes les circonstances de l'espèce, notamment le degré de soutien accordé par la famille de Vida et l'efficacité de ce soutien, la gravité de l'état de Vida et ses chances de parvenir à l'indépendance sur les plans physique, personnel et économique, et le fait qu'elle recevra des soins dans son foyer dans l'avenir.

[23]      Il est peut-être vrai qu'il y a une pénurie de ces services au Canada, mais, à mon avis, une conclusion de déficience mentale ne signifie pas forcément qu'un fardeau excessif sera imposé aux services sociaux ou de santé. Dans l'affaire Choi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1068, j'ai examiné un certain nombre de décisions pour tenter de déterminer ce qui peut constituer un " fardeau excessif ". Je me suis référé à la décision rendue par Madame le juge Reed dans l'affaire Nyvlt c. Canada (1995), 26 Imm. L.R. (2d) 95. Le juge Reed déclare, à la page 98 :

     L'expression "fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé" ne semble pas être définie de façon précise. L'article 22 du Règlement sur l'immigration énonce une liste des facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si une personne est admissible sur le plan médical, notamment la question de savoir si la prestation de services médicaux dont cette personne peut avoir besoin est limitée au point où l'utilisation de ces services par cette personne pourrait empêcher ou retarder la prestation des services en question aux citoyens canadiens et la question de savoir si des soins médicaux ou l'hospitalisation s'imposent et si l'employabilité ou la productivité éventuelle de l'intéressé est compromise.         

[24]      Je me suis également référé à la décision non publiée Jim c. Solliciteur du Canada et al., T-1977-92, en date du 25 octobre 1993, dans laquelle le juge Gibson a fait les remarques suivantes, aux pages 9 et 10 :

     Reste à déterminer si le fardeau pour les services sociaux ou de santé que risquerait d'entraîner l'admission de la requérante principale serait "excessif", qui est le terme employé au sous-alinéa 19(1)a )(ii) de la Loi. L'avocat de la requérante a fait valoir que par "excessif" il faut entendre "déraisonnable", c'est-à-dire débordant des services raisonnables offerts à tout le monde. Cet argument est conciliable avec une des acceptions du mot anglais "excessive" (excessif) donnée dans The Oxford Dictionary of Current English qu'a cité l'avocat des intimés. On y trouve, en effet, la définition suivante : [TRADUCTION] "[...] en sus de ce qui est normal ou nécessaire". Or, compte tenu des critères pertinents énoncés à l'article 22 du Règlement et vu les opinions des médecins agréés qui m'ont été présentées, et notamment celle du Dr Weinerman, je conclus que l'admission de la requérante principale entraînerait ou risquerait d'entraîner pour les services sociaux ou de santé au Canada un fardeau plus lourd que la normale, c'est-à-dire excessif.         

[25]      Compte tenu des remarques qui précèdent, je suis convaincu que l'évaluation médicale a été irrégulièrement fondée sur les normes économiques applicables aux personnes qui ne vivraient pas nécessairement avec leurs parents du moins dans un avenir prévisible.

[26]      Compte tenu de ce qui précède, je renvoie la présente affaire en vue d'une nouvelle évaluation de Vida comme personne à charge qui vivra avec ses parents et qui sera à la charge de ceux-ci dans un avenir prévisible.

CONCLUSION

[27]      Je suis convaincu que les médecins agréés ont appliqué un critère qui imposait une norme trop rigoureuse pour l'évaluation de l'état de santé d'une personne à charge ayant une déficience légère. Je suis convaincu que cette évaluation n'aurait pas dû se limiter à des facteurs économiques étant donné que la fille du demandeur est une personne à charge qui ne devrait pas parvenir à l'indépendance dans un proche avenir, comme l'indique son âge mental. Pour cette raison, l'évaluation ne saurait appuyer la décision de l'agente des visas, et je renvoie l'affaire en vue d'une nouvelle évaluation médicale et d'un réexamen de la demande.

[28]      Le demandeur a demandé la certification de la question suivante :

     [traduction] Lorsqu'un agent des visas décide qu'un enfant ayant une déficience mentale est une personne à charge au sens de l'alinéa 2c) du Règlement sur l'immigration de 1978 (la définition d'une fille à charge ou d'un fils à charge), les médecins agréés commettent-ils une erreur en appliquant à l'enfant à charge la même norme que celle qui s'applique à un requérant indépendant ou à un enfant qui est censé devenir indépendant?         

[29]      Puisque j'ai fait droit à la demande de contrôle judiciaire, il ne me paraît pas nécessaire de certifier la question susmentionnée.

                                 " Max M. Teitelbaum "

                                         J.C.F.C.

OTTAWA (Ontario)

Le 29 octobre 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      IMM-5208-97

INTITULÉ :                          LAM CHUN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 21 OCTOBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU :                      29 OCTOBRE 1998

COMPARUTIONS :

ARTHUR WEINREB                      POUR LE DEMANDEUR

M. KEVIN LUNNEY                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J. NORRIS ORMSTON                      POUR LE DEMANDEUR

TORONTO (ONTARIO)

MORRIS ROSENBERG                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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