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Date : 20040607

Dossier : T-1622-03

Référence : 2004 CF 812

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2004

Présente :      Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

ENTRE :

                                                 BROUILLETTE KOSIE PRINCE

                                                                                                                               Demanderesse

                                                                            et

                                                          ANDRÉS WINES LTD.

                                                                                                                                  Défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'un appel d'une décision du registraire des marques de commerce ( « le registraire » ) dans laquelle il confirmait l'enregistrement de la marque de commerce « IN VINO VERITAS » portant le numéro d'enregistrement TMA 202,357.

[2]                Le 16 novembre 2000, suite à une demande de la demanderesse, le registraire émettait un avis selon l'article 45 de la Loi sur les marques de commerce, R.S.C. 1985, c. T-13 (la « LMC » ), contre la défenderesse concernant l'enregistrement de la marque de commerce « IN VINO VERITAS » .


[3]                Le 4 juillet 2003, le registraire décidait de maintenir l'enregistrement de la marque. Bien qu'il convenait que les mots « IN VINO VERITAS » seraient perçus comme faisant partie des armoiries figurant sur les étiquettes de la titulaire, le registraire était d'avis que, sur le plan de la première impression, les mots « IN VINO VERITAS » seraient probablement perçus comme une marque de commerce distincte. À cet égard, comme les mots « IN VINO VERITAS » figurent sur le listel des armoiries du titulaire, il estimait qu'ils attireraient l'attention du public et qu'ils seraient vraisemblablement considérés par celui-ci comme un slogan ou une devise que la titulaire emploie en liaison avec ses vins et qui sert de marque de commerce.

[4]                La demanderesse soumet que le registraire a erré en fait et en droit en concluant que la défenderesse avait prouvé l'emploi de la marque en instance et qu'il a erré en fait et en droit dans l'application du test élaboré dans la décision Nightingale Interloc Ltd. v. Prodesign (1984), 2 C.P.R. (3d) 535 (Agent d'audience).

ANALYSE

[5]                Une décision du registraire doit être révisée selon le critère de la décision raisonnable simpliciter lorsque aucune preuve additionnelle n'est présentée en appel (Molson Breweries, A Partnership c. John Labatt Ltd. (2000), 5 C.P.R. (4th) 180 (C.A.F.)).


[6]                Dans la décision de Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, la Cour suprême du Canada décrit ce que constitue une décision déraisonnable de la façon suivante :

55 La décision n'est déraisonnable que si aucun mode d'analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l'a fait. Si l'un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n'est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56). Cela signifie qu'une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79).

[7]                Le recours créé par l'article 45 de la LMC prévoit une procédure sommaire et expéditive qui permet de modifier ou radier une marque de commerce enregistrée lorsque le titulaire de l'enregistrement ne l'emploi pas.

[8]                L'article 45 de la LMC n'est pas un substitut aux procédures en vertu de l'article 57 de la LMC. Il sert plutôt d'outil pour débarrasser le registre des inscriptions de marques qui ne sont plus en usage. Les questions complexes de droit relatives à la confusion, au caractère distinctif, à la propriété ou à l'abandon d'une marque excèdent la portée de l'article 45 de la LMC.


[9]                Une partie qui cherche la radiation d'une marque de commerce par le recours prévu à l'article 45 de la LMC est donc limitée à des arguments de non-usage de la marque. Des arguments plus techniques ne sont pas appropriés étant donné le caractère sommaire de ce recours.

[10]            La demanderesse soumet que la défenderesse n'a pas démontré qu'elle faisait usage de la marque. La marque en question est toujours présentée en combinaison avec des éléments supplémentaires et le public ne peut percevoir à la première impression que la marque est utilisée comme marque de commerce distincte. Je suis de cet avis.

[11]            En effet, il ressort clairement de l'affidavit de monsieur Patchet que la marque en question est toujours utilisée en combinaison avec les armoiries de la demanderesse. En tel cas, l'usage d'une marque en combinaison avec des éléments additionnels peut constituer l'usage de la marque si le public, à la première impression, peut percevoir que la marque était utilisée comme marque de commerce (Nightingale Interloc Ltd., précitée).

[12]            En application de ce principe, le registraire s'est référé à bon droit à la décision de la Cour d'appel fédérale Registraire des marques de commerce c. Compagnie internationale pour l'informatique CII Honeywell Bull, société anonyme et al. (1985), 4 C.P.R. (3d) 523.

[13]            Dans cette affaire, la Cour a décidé que l'usage de la marque composée "CII HONEYWELL BULL" ne constituait pas un emploi de la marque enregistrée "BULL". À ce sujet, le juge Pratte énonce à la page 4 :

Il ne s'agit pas de déterminer si CII a trompé le public quant à l'origine de ses marchandises. Elle ne l'a manifestement pas fait. La seule et véritable question qui se pose consiste à se demander si, en identifiant ses marchandises comme elle l'a fait, CII a employé sa marque de commerce « Bull » . Il faut répondre non à cette question sauf si la marque a été employée d'une façon telle qu'elle n'a pas perdu son identité et qu'elle est demeurée reconnaissable malgré les distinctions existant entre la forme sous laquelle elle a été enregistrée et celle sous laquelle elle a été employée. Le critère pratique qu'il faut appliquer pour résoudre un cas de cette nature consiste à comparer la marque de commerce enregistrée et la marque de commerce employée et à déterminer si les distinctions existant entre ces deux marques sont à ce point minimes qu'un acheteur non averti concluerait [sic], selon toute probabilité, qu'elles identifient toutes deux, malgré leurs différences, des marchandises ayant la même origine.

[14]            Cependant, le registraire a erré à mon avis dans l'application du test dans Honeywell Bull, précitée. Le test requiert que le registraire compare la marque telle qu'enregistrée avec la marque telle qu'employée. Or, le registraire n'a pas effectué cette analyse.

[15]            La marque enregistrée n'est constituée que des mots "IN VINO VERITAS". Elle n'est accompagnée d'aucun élément décoratif.


[16]            L'emploi de la marque est fort différent. Celle-ci apparaît toujours sur le listel des armoiries de la défenderesse et est indissociable des armoiries. D'ailleurs, il n'est pas possible de visu de détacher les mots des armoiries. La marque apparaît en caractères minuscules au milieu d'un dessin, qui est décoratif, non descriptif et beaucoup plus gros que celle-ci.

[17]            Je reproduis ici un exemple typique de la marque telle qu'elle figure sur les étiquettes :

                                                  dessin

[18]            Force m'est de conclure que les différences entre la marque telle qu'enregistrée et la marque telle qu'employée sont si importantes qu'il n'était pas raisonnable pour le registraire d'inférer qu'un consommateur sur le plan de la première impression reconnaîtrait la marque comme une marque distincte.

[19]            Je considère donc que la défenderesse n'a pas démontré qu'elle avait fait l'emploi de la marque enregistrée. Les erreurs de droit et de fait commises par le registraire donnent ouverture à la révision de sa décision. L'appel est accueilli.

[20]            La décision du registraire datée du 4 juillet 2003 est renversée. Il est ordonné au registraire de radier l'enregistrement de la marque de commerce « IN VINO VERITAS » portant le numéro d'enregistrement TMA 202, 357. Le tout avec dépens.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la décision du registraire datée du 4 juillet 2003 soit renversée. Il est ordonné au registraire de radier l'enregistrement de la marque de commerce « IN VINO VERITAS » portant le numéro d'enregistrement TMA 202, 357. Le tout avec dépens.

                                                               « Danièle Tremblay-Lamer »

J.C.F.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                T-1622-03

INTITULÉ :               Brouillette Kosie Prince

c.

Andrés Wines Ltd.

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 26 mai 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

   ET ORDONNANCE :                                 Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer

DATE DES MOTIFS :                                   Le 7 juin 2004

COMPARUTIONS :

Bruno Barette                                                    pour le demandeur

Mitchell B. Charness                                          pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brouillette Charpentier Fortin

1100 boul. René-Lévesque o.

Montréal, Québec                                             pour le demandeur

Ridout & Maybee LLP

150 Metcalfe St.

Ottawa, Ontario                                                pour le défendeur


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