Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision





     Date : 20001220

     Dossier : T-2407-96





ENTRE :

     GEORGE WILLIAM HARRIS

     demandeur

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE et

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     défendeurs



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

[1]      La présente requête de Sa Majesté la Reine et du ministre du Revenu national (les défendeurs) vise l'obtention de directives en vertu de l'article 54 des Règles de la Cour fédérale de 1988, DORS/98-106 (les Règles), sur la procédure à suivre dans cette action. Les défendeurs recherchent plus particulièrement des directives au sujet des questions suivantes :

     1.      Des directives portant que les documents compris dans la liste à l'annexe 2 de l'affidavit de Mike Hiltz (les documents) sont couverts par le privilège législatif prévu aux paragraphes 241(1) et (2) de la Loi sur l'impôt, L.R.C. (1985), ch. I (5e suppl.) (la Loi).
     2.      Des directives portant que ces procédures ne sont pas des procédures judiciaires ayant trait à l'application ou à l'exécution de la Loi, au sens de l'alinéa 241(3)b) de la Loi.
     3.      Des directives portant que les documents ne devraient pas être divulgués pour des raisons d'ordre d'intérêt public déterminées, en vertu de l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, telle que modifiée.
     4.      Des directives portant que les documents sont couverts par le privilège fondé sur les circonstances.
     5.      À défaut d'un privilège, des directives portant que les documents, les renseignements qu'ils contiennent et les témoignages à leur sujet, soient traités de façon confidentielle, conformément aux articles 29, 151 et 152 des Règles.

LES FAITS

[2]      Aux fins du traitement de cet avis de requête, les faits peuvent être énoncés brièvement. George William Harris (le défendeur) est membre de Choices, un organisme d'intérêt public ne jouissant pas de la personnalité juridique. Choices est un organisme qui s'intéresse à la justice sociale et aux questions fiscales. L'intérêt des membres de cet organisme dans une décision anticipée en matière d'impôt prise par le ministre du Revenu en 1991 a déclenché le litige en l'espèce. La décision anticipée aurait semble-t-il accordé un traitement fiscal préférentiel à une fiducie résidente au Canada lors de son déménagement à l'étranger.

[3]      La décision favorable au contribuable non identifié faisait que le changement de résidence de la fiducie n'aurait pas comme résultat de la soumettre à l'impôt. La décision de Revenu Canada, maintenant connu sous le nom d'Agence des douanes et du revenu du Canada, était soumise à une période de renonciation de dix ans, au cours de laquelle Revenu Canada pouvait revenir sur sa décision.

[4]      La décision en cause n'a été rendue publique qu'en 1996, lors de la publication du rapport du vérificateur général. En 1996, le vérificateur général a publié un rapport critiquant en « termes sévères » la décision elle-même et le secret dont elle semblait être entourée. Le rapport critiquait aussi l'absence de documents concernant le processus ayant mené à la décision de 1991, et le fait que le contribuable l'ayant obtenue avait été mis en confiance par la décision non publiée de 1985, qui lui était aussi favorable.

[5]      Par suite du dépôt du rapport du vérificateur général, Choices a demandé au procureur général de déférer la décision de 1991 à un tribunal. Le procureur général n'a pas réagi à cette demande. M. Harris, un des membres de Choices, a déposé une déclaration fondée sur les critiques formulées par le vérificateur général et sollicitant un jugement déclaratoire portant sur la légalité de la décision de 1991.

[6]      La question a déjà été traitée par les tribunaux, le procureur général ayant présenté une requête en radiation de la déclaration, invoquant comme motifs que celle-ci ne révélait aucune cause d'action raisonnable et que M. Harris n'avait pas qualité pour intenter son action.

[7]      Le P.A. Giles a accueilli la requête et radié la déclaration. Son ordonnance a été portée en appel devant la Section de première instance, avec succès, le juge Muldoon en venant à la conclusion que le critère permettant de déterminer la qualité pour agir était satisfait1. La Cour d'appel fédérale2 a confirmé la décision en première instance et la Cour suprême du Canada a refusé une demande d'autorisation d'en appeler devant elle le 26 octobre 2000, sans motifs.

[8]      Suite au rejet de la demande d'autorisation d'en appeler à la Cour suprême du Canada, l'action doit maintenant faire l'objet d'un procès. Ceci veut dire que les parties doivent maintenant conduire les procédures préparatoires, y compris la communication de documents et les interrogatoires préalables. Les défendeurs ont préparé un affidavit de documents comprenant diverses annexes, qui font état des documents pertinents en l'espèce. Ils soutiennent que les documents décrits à l'annexe 2 sont couverts par un privilège en interdisant la divulgation.

LA QUESTION EN LITIGE

[9]      La question principale en litige dans le présent avis de requête demandant des directives porte sur l'application de l'article 241 de la Loi. Cette requête fait suite à une récente demande de l'avocat du demandeur portant sur la divulgation de l'identité du contribuable qui a bénéficié de la décision d'impôt de 1991, ainsi que de toutes les communications entre le contribuable et le ministre, y compris la demande d'une décision anticipée. Cette demande a été présentée à l'avocat des défendeurs dans une lettre de l'avocat du demandeur datée du 28 novembre 20003.

LES ARGUMENTS

Le point de vue des défendeurs

[10]      Les défendeurs s'opposent à la transmission de ces renseignements pour plusieurs motifs. Tout d'abord, ils déclarent que cette requête de l'avocat du demandeur constitue un renversement complet de la position adoptée jusqu'ici dans la déclaration déposée par le demandeur, ainsi que dans les diverses procédures devant la Section de première instance, lors de l'appel de l'ordonnance du protonotaire, ainsi que devant la Cour d'appel fédérale et la Cour suprême du Canada.

[11]      Les défendeurs s'opposent à la divulgation de ces renseignements. Les défendeurs déclarent que le demandeur a l'intention d'utiliser ces renseignements dans l'objectif précis rejeté par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Kastner c. Painblanc [1994] J.C.F. no 1671, DRS 95-01978, A-39-94, où le juge Hugessen, J.C.A., déclare au nom de la Cour, au paragraphe 4 :

     . . . Une action en justice n'est pas une enquête à l'aveuglette et une partie demanderesse qui intente des poursuites en se fondant sur le simple espoir qu'elles lui fourniront des preuves justifiant ses prétentions utilise les procédures de la Cour de façon abusive.4

[12]      Deuxièmement, les défendeurs soutiennent qu'on demande la divulgation de renseignements confidentiels, divulgation qui est interdite.

[13]      Les défendeurs présentent trois arguments à l'encontre de la divulgation de ces renseignements. Premièrement, ils déclarent que l'article 241 de la Loi, précité, constitue une interdiction législative totale de divulguer ce type de renseignements. Deuxièmement, les défendeurs soutiennent que les renseignements ne peuvent être divulgués en vertu de l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, précité. Les défendeurs s'appuient sur le certificat déposé par M. Roy Shultis, directeur général, Direction des décisions et de l'interprétation - Impôt, Direction générale de la politique et de la législation, pour étayer leur prétention à la non-divulgation sur des raisons d'intérêt public. Finalement, les défendeurs soutiennent que les renseignements demandés sont couverts par le privilège fondé sur les circonstances reconnu en common law.

[14]      Les défendeurs soutiennent que les renseignements en cause sont des renseignements confidentiels, qui ont été transmis au ministre sous le sceau de la confidentialité et dans l'expectative qu'ils demeureraient confidentiels. Les défendeurs soutiennent que le contribuable non identifié a droit, comme tout autre contribuable, à l'expectative que ces renseignements resteront confidentiels, comme le prévoit la Loi. Les défendeurs soutiennent que la divulgation de renseignements confidentiels irait à l'encontre de l'application efficace du régime canadien de l'impôt sur le revenu, qui est fondée sur la déclaration par le contribuable de son revenu. Les défendeurs soutiennent de plus que l'alinéa 241(3)b) de la Loi doit être interprété de façon très étroite, se limitant aux situations où les procédures intentées par ou contre un contribuable en particulier portent sur son assujettissement à l'impôt. Pour ce faire, les défendeurs s'appuient sur la dissidence à la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Slattery (Syndic de) c. Slattery5.

Le point de vue du demandeur

[15]      À l'allégation voulant qu'il aurait changé sa position au sujet de la divulgation de renseignements confidentiels, le demandeur répond qu'il ne cherche pas à obtenir ces renseignements confidentiels pour lui-même. En fait, les renseignements sont requis par son avocat afin de l'aider à prouver les allégations faites dans la déclaration du demandeur.

[16]      Le demandeur s'appuie sur la description de sa réclamation que l'on trouve dans la décision de la Cour d'appel fédérale. Cette description se trouve au paragraphe 60 et elle est rédigée comme suit :

[60]      Je suis d'avis que la déclaration déposée par M. Harris soulève une question contentieuse. Ce dernier affirme en effet que Revenu Canada a agi illégalement, irrégulièrement ou pour un motif inavoué, savoir le favoritisme et le traitement préférentiel par entente secrète, en interprétant la Loi de l'impôt sur le revenu en faveur d'une fiducie particulière. Cette affirmation soulève la question d'une contravention possible à la Loi qu'un tribunal peut examiner à la lumière de l'obligation du ministre d'obéir « de façon absolue » à la Loi, reconnue par notre Cour dans l'arrêt Ludmer.6

[17]      Le demandeur soutient qu'il a le droit de faire la preuve de la cause d'action identifiée par la Cour d'appel fédérale et qu'à cette fin, son avocat a besoin de connaître l'identité du contribuable. Dans sa plaidoirie, l'avocat du demandeur a fourni des détails additionnels quant aux raisons qui font qu'il a besoin de connaître l'identité du contribuable.

[18]      Selon les mots utilisés par l'avocat, la Cour d'appel fédérale a déclaré que la cause d'action du demandeur alléguait l'existence d'une opération secrète. L'avocat du demandeur déclare que l'identité du contribuable est pertinente dans le cadre de cette partie de la réclamation du demandeur, et que ces renseignements sont donc nécessaires. En même temps, le demandeur et son avocat s'engagent à respecter toute ordonnance de confidentialité qui pourrait être délivrée par la Cour relativement à la divulgation des renseignements demandés, précisant que ceci comprendrait le fait qu'on ne divulguerait pas au demandeur lui-même l'identité du contribuable.

[19]      Quant aux arguments contre la divulgation qui s'appuient sur le paragraphe 241(3) de la Loi, le demandeur soutient que son action se situe directement dans le cadre de l'exception prévue à l'alinéa 241(3)b), puisqu'il s'agit d'une procédure ayant trait à l'application ou à l'exécution de la Loi. Le demandeur soutient que sa réclamation porte sur la mauvaise administration de la Loi qui ressort du traitement préférentiel accordé au bénéfice d'un contribuable, dans un contexte dont ne peuvent pas généralement se prévaloir tous les contribuables. Il déclare que le ministre a agi de façon erronée et illégale en n'appliquant pas les dispositions de la Loi.

[20]      Le demandeur admet que les renseignements en question sont confidentiels, mais il soutient que ni l'interdiction prévue au paragraphe 241(3), ni la disposition portant sur l'intérêt public de l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, précité, ne s'appliquent en l'instance pour empêcher la divulgation des renseignements en cause. Finalement, le demandeur soutient que les arguments des défendeurs portant sur le privilège fondé sur les circonstances ne diffèrent pas des arguments présentés en vertu de la Loi sur la preuve au Canada. Le demandeur déclare que les dispositions de la Loi régissent la question en cause ici et donc que si les documents sont admissibles en vertu de l'exception prévue à l'alinéa 241(3)b), alors on ne peut réclamer aucune autre forme de privilège.

ANALYSE

[21]      Quant au premier argument soulevé par les défendeurs pour s'opposer à la divulgation des renseignements confidentiels, savoir que le demandeur aurait changé de position, on peut dire qu'il s'agit plus d'une forme de plainte que d'un argument. Le demandeur s'appuie avec raison sur la décision de la Cour d'appel fédérale pour décrire sa cause d'action comme portant sur la mauvaise administration de la Loi. Selon moi, la Cour d'appel savait très bien que le maintien de cette action exigerait un accès aux renseignements confidentiels, ainsi qu'aux notes de service du ministère et aux documents de cette nature.

[22]      Je ne suis pas convaincue que le demandeur a introduit cette action simplement comme une recherche à l'aveuglette. Il a déjà fait déterminer sa qualité pour agir dans l'intérêt public par la Section de première instance de la Cour fédérale, par la Cour d'appel fédérale, et dans le cadre de la demande d'autorisation d'en appeler des défendeurs rejetée par la Cour suprême du Canada. De toute façon, il est possible de s'assurer que l'identité du contribuable soit dévoilée à l'avocat du demandeur, mais non à celui-ci personnellement. C'est la situation qui est envisagée par l'article 152 des Règles.

[23]      L'argument des défendeurs portant sur un changement supposé de position par le demandeur est donc rejeté.

[24]      Quant au deuxième motif d'opposition, savoir l'interdiction législative et de common law de divulguer les renseignements confidentiels, c'est un argument qui peut être réglé en déterminant si cette action a trait à « l'application ou à l'exécution de la présente Loi » , selon le sens à donner à ces mots dans l'alinéa 241(3)b) de la Loi.

[25]      L'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu est rédigé comme suit :

241. (1) Except as authorized by this section, no official shall

(a) knowingly provide, or knowingly allow to be provided, to any person any taxpayer information;


(b) knowingly allow any person to have access to any taxpayer information; or

(c) knowingly use any taxpayer information otherwise than in the course of the administration or enforcement of this Act, the Canada Pension Plan, the Unemployment Insurance Act or the Employment Insurance Act or for the purpose for which it was provided under this section.


(2) Notwithstanding any other Act of Parliament or other law, no official shall be required, in connection with any legal proceedings, to give or produce evidence relating to any taxpayer information.

(3) Subsections 241(1) and 241(2) do not apply in respect of

(a)      criminal proceedings, either by indictment or on summary conviction, that have been commenced by the laying of an information or the preferring of an indictment, under an Act of Parliament; or

(b)      any legal proceedings relating to the administration or enforcement of this Act, the Canada Pension Plan, the Unemployment Insurance Act or the Employment Insurance Act or any other Act of Parliament or law of a province that provides for the imposition or collection of a tax or duty.

241. (1) Sauf autorisation prévue au présent article, il est interdit à un fonctionnaire :

a) de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d'en permettre sciemment la prestation;

b) de permettre sciemment à quiconque d'avoir accès à un renseignement confidentiel;

c) d'utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l'application ou de l'exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l'assurance-chômage ou de la Loi sur l'assurance-emploi, ou à une autre fin que celle pour laquelle il a été fourni en application du présent article.

(2) Malgré toute autre loi ou règle de droit, nul fonctionnaire ne peut être requis, dans le cadre d'une procédure judiciaire, de témoigner, ou de produire quoi que ce soit, relativement à un renseignement confidentiel.

(3) Les paragraphes (1) et (2) ne s'appliquent:


a) ni aux poursuites criminelles, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou sur acte d'accusation, engagées par le dépôt d'une dénonciation ou d'un acte d'accusation, en vertu d'une loi fédérale;

b) ni aux procédures judiciaires ayant trait à l'application ou à l'exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l'assurance-chômage ou de la Loi sur l'assurance-emploi ou de toute autre loi fédérale ou provinciale qui prévoit l'imposition ou la perception d'un impôt, d'une taxe ou d'un droit.

[26]      Aux fins de l'instance actuelle, c'est l'alinéa 241(3)b) qui est déterminant. Si l'alinéa 241(3)b) recouvre les renseignements demandés, alors ils peuvent être divulgués.

[27]      Il est clair que les renseignements en cause sont des renseignements confidentiels. Le demandeur a déjà admis ceci et, de toute façon, il n'existe aucune autre description applicable aux renseignements en cause. Cela va de soi, puisque ce sont des renseignements que le contribuable a fournis au ministre et à ses fonctionnaires afin d'obtenir la décision d'impôt anticipée.

[28]      Il est clair aussi qu'une décision d'impôt anticipée est une procédure couverte par la portée de la Loi. Cette question a été décidée par le juge Rip, de la C.C.I., dans Owen Holdings Ltd. c. La Reine, 97 D.T.C. 380 (C.C.I.).

[29]      S'agissant de déterminer si la divulgation de ces renseignements est couverte, d'une façon ou d'une autre, par l'exception prévue à l'alinéa 241(3)b) de la Loi, je vais maintenant m'en rapporter à l'arrêt Slattery (Syndic de) c. Slattery, précité, où la Cour suprême du Canada a énoncé les objets et la politique qui sous-tendent l'article 241 :

     À mon avis, l'art. 241 comporte l'établissement d'un équilibre entre des intérêts opposés: l'intérêt du contribuable en matière de respect de sa vie privée en ce qui a trait aux renseignements relatifs à sa situation financière, et l'intérêt qu'a le Ministre à être autorisé à communiquer des renseignements relatifs au contribuable dans la mesure où cela est nécessaire pour appliquer et exécuter efficacement la Loi de l'impôt sur le revenu et d'autres lois fédérales mentionnées au par. 241(4).
     L'article 241 traduit l'importance d'assurer le respect des intérêts du contribuable en matière de vie privée, particulièrement en ce qui concerne sa situation financière. L'accès à des renseignements financiers ou connexes sur les contribuables doit donc être pris au sérieux et ces renseignements ne peuvent être communiqués que dans les situations prévues. Ce n'est que dans ces situations exceptionnelles que l'intérêt relatif à la vie privée doit céder le pas à l'intérêt de l'État.
     Comme je l'ai déjà mentionné, le Parlement a reconnu qu'en préservant le caractère confidentiel des déclarations d'impôt sur le revenu et d'autres renseignements obtenus, on encourage la production volontaire de déclarations d'impôt sur le revenu sur laquelle repose notre régime fiscal. Les contribuables sont tenus de déclarer leurs revenus et leurs dépenses et de calculer l'impôt qu'ils doivent à Revenu Canada. En insufflant chez les contribuables la confiance que les renseignements personnels qu'ils révèlent ne seront pas communiqués dans d'autres contextes, le Parlement encourage la communication volontaire de ces renseignements. Le contraire est également vrai: si les contribuables n'ont pas cette confiance, ils peuvent hésiter à communiquer volontairement tous les renseignements requis (Edwin C. Harris, Canadian Income Taxation (4e éd. 1986), aux pp. 26 et 27).7

[30]      Selon moi, la présente affaire est absolument l'une des « situations exceptionnelles » dont parle la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Slattery, précité. Elle porte sur des allégations directement liées à l'application et à l'exécution de la Loi. Ces questions, qui portent sur la mise en oeuvre générale de la Loi, sont d'une telle importance pour le public canadien que les intérêts du contribuable en matière de respect de sa vie privée doivent céder le pas aux intérêts de l'État. Selon moi, la présente affaire se situe dans le cadre de l'exception prévue à l'alinéa 241(3)b) de la Loi.

[31]      Les défendeurs demandent à la Cour d'adopter et d'appliquer l'avis exprimé par le juge McLachlin (alors juge puîné) dans l'arrêt Slattery, précité. Au nom de la minorité, elle a exprimé l'avis que l'exception énoncée à l'alinéa 241(3)b) ne devrait s'appliquer qu'aux « poursuites expressément prévues dans la Loi de l'impôt sur le revenu » 8.

[32]      Néanmoins, c'est l'opinion de la majorité, telle que rédigée par le juge Iacobucci, qui lie notre Cour. Il parle de la portée de l'alinéa 241(3)b) dans les termes suivants :

Les expressions conjonctives que le Parlement utilise dans la version anglaise du par. 241(3) sont très générales. On précise que les dispositions en matière de confidentialité ne s'appliquent pas aux (in respect of) poursuites ayant trait à (relating to) l'application ou à l'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu.
(...)
Ainsi, les deux expressions conjonctives que l'on trouve dans la version
anglaise du par. 241(3) portent à croire qu'il y a lieu d'adopter une
interprétation large plutôt qu'étroite en examinant si une communication
proposée se rapporte à des poursuites ayant trait à l'application ou à
l'exécution de la Loi de l'impôt sur le revenu.9
(C'est moi qui souligne.)

[33]      Au vu de cette interprétation large, on voit que la présente action, qui conteste l'interprétation que le ministre a faite de la Loi à l'occasion de la décision visée en l'instance, se situe clairement dans le cadre de l'exception prévue à l'alinéa 241(3)b). La Loi est d'application générale et elle doit s'appliquer de la même façon à tous les contribuables.

[34]      Finalement, la Cour ne peut permettre au ministre d'utiliser l'article 241 pour éviter de faire face à des allégations de « mauvaise administration » de la Loi, au vu des énoncés suivants de la Cour d'appel fédérale. Dans l'arrêt Diversified Holdings Ltd. c. Canada, 1991 1 C.F. 595, aux p. 598 et 599, le juge Décary, J.C.A., fait les commentaires suivants :

On ne peut interpréter l'article 241 dans le vide. Il est constant que ce texte de loi vise à protéger la confidentialité des renseignements communiqués au ministre pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette protection n'est pas établie au bénéfice de Revenu Canada, mais au bénéfice de ceux, en particulier du contribuable, qui communiquant ces renseignements au ministre avec l'assurance qu'ils demeureront confidentiels.
(...)
L'article 241 n'a pas été adopté pour protéger le ministre contre les actions en négligence. Sil restait quelque chose de confidentiel dans les documents dont s'agit, le contribuable lui-même ou tout autre intéressé pourrait s'opposer à leur production.
(C'est moi qui souligne.)

[35]      La réclamation de privilège au vu de l'intérêt public est fondée sur l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada, précité. Les paragraphes 37(1) et 37(2) sont rédigés comme suit :

37. (1) A minister of the Crown in right of Canada or other person interested may object to the disclosure of information before a court, person or body with jurisdiction to compel the production of information by certifying orally or in writing to the court, person or body that the information should not be disclosed on the grounds of a specified public interest.


Where objection made to superior court

(2) Subject to sections 38 and 39, where an objection to the disclosure of information is made under subsection (1) before a superior court, that court may examine or hear the information and order its disclosure, subject to such restrictions or conditions as it deems appropriate, if it concludes that, in the circumstances of the case, the public interest in disclosure outweighs in importance the specified public interest.

37. (1) Un ministre fédéral ou toute autre personne intéressée peut s'opposer à la divulgation de renseignements devant un tribunal, un organisme ou une personne ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, en attestant verbalement ou par écrit devant eux que ces renseignements ne devraient pas être divulgués pour des raisons d'intérêt public déterminées.

Opposition devant une cour supérieure

(2) Sous réserve des articles 38 et 39, dans les cas où l'opposition visée au paragraphe (1) est portée devant une cour supérieure, celle-ci peut prendre connaissance des renseignements et ordonner leur divulgation, sous réserve des restrictions ou conditions qu'elle estime indiquées, si elle conclut qu'en l'espèce, les raisons d'intérêt public qui justifient la divulgation l'emportent

sur les raisons d'intérêt public invoquées lors de l'attestation.

[36]      Sur cette question de privilège d'intérêt public, je m'en rapporte à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. v. Snider, [1954] R.C.S. 479. Dans cette affaire, le ministre du Revenu national avait présenté un affidavit s'opposant à la divulgation des rapports d'impôt de l'accusé, ainsi qu'à tout témoignage à ce sujet, au motif qu'une telle divulgation se ferait au détriment de l'intérêt public. La Cour a jugé que l'affidavit du ministre ne réglait pas la question.

[37]      La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a appliqué Snider dans une affaire civile, Gronlund v. Hansen (1968), 64 W.W.R. 74, 68 D.L.R. (2d) 223 (C.A.C.-B.). La Cour a conclu que l'affidavit du ministre à l'appui de sa demande de privilège d'intérêt public ne réglait pas la question.

[38]      En l'instance, le certificat de M. Roy Shultis a été déposé à l'appui de la réclamation des défendeurs d'un privilège d'intérêt public pour les renseignements requis par le demandeur. Selon moi, l'avis du ministre défendeur qu'il y aurait préjudice à l'intérêt public suite à la divulgation de ces renseignements ne me lie aucunement. L'exception à l'interdiction générale de divulgation de renseignements confidentiels, prévue à l'alinéa 241(3)b), prend le pas sur le privilège d'intérêt public qui est réclamé en l'instance. Selon moi, l'intérêt public exige qu'on examine si le ministre s'est déchargé de ses obligations dans l'application de la Loi.

[39]      Selon moi, on peut appliquer le même raisonnement aux arguments présentés pour faire appliquer le privilège de common law contre la divulgation de renseignements fournis sur une base confidentielle. La question du privilège fondé sur les circonstances, reconnu par la common law, a été examinée en détail par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt M.(A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157.

[40]      Dans l'arrêt Ryan, précité, la Cour suprême du Canada a examiné les principes de common law qui sous-tendent la reconnaissance d'un privilège interdisant la divulgation de renseignements confidentiels, ainsi que l'application de la Charte canadienne des droits et libertés à ces principes.

[41]      La Cour suprême du Canada a constaté que les catégories de renseignements qui peuvent faire l'objet d'un privilège ne sont pas exhaustives et qu'il y a lieu d'examiner les réclamations de privilège eu égard aux circonstances qui les entourent, ainsi qu'au vu des principes établis qui régissent l'octroi du privilège permettant d'exclure une preuve pertinente. Toutefois, l'arrêt Ryan, précité, ne s'applique pas en l'instance.

[42]      En l'instance, les défendeurs ne cherchent pas à obtenir que le privilège s'applique à une nouvelle catégorie de preuve. Ils jouissent déjà de la protection générale contre la divulgation des renseignements confidentiels qui se trouve à l'article 241 de la Loi. Toutefois, cet obstacle disparaît dans la mesure où les renseignements demandés tombent sous le coup de l'alinéa 241(3)b). Or, nous avons déjà répondu à cette question. Les prétentions qui s'appuient sur le privilège fondé sur les circonstances ne peuvent justifier l'érection d'un nouvel obstacle.

[43]      De la même façon, je ne suis pas convaincue que le privilège de common law portant sur les renseignements fournis sous le sceau de la confidentialité prennent le pas sur l'exception prévue à l'alinéa 241(3)b). Après tout, cette disposition de la Loi porte spécifiquement sur la divulgation de renseignements confidentiels. Par leur nature même, voire par définition, les renseignements fournis par un contribuable sont confidentiels. La Loi prévoit la divulgation de ces renseignements dans des circonstances exceptionnelles. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, je conclus que le privilège de common law discuté par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ryan, précité, n'ajoute rien à la position des défendeurs.

[44]      Dans leur Avis de requête et leurs prétentions, les défendeurs demandent qu'on accorde l'occasion au contribuable de présenter son point de vue quant à la portée de toute ordonnance qui pourrait être rendue en vertu des articles 151 et 152 des Règles. En même temps, l'avocat des défendeurs a continuellement insisté dans ses allégations sur le fait qu'il parlait au nom du contribuable en s'objectant à la divulgation des renseignements demandés.

[45]      Comme l'ont affirmé maintes fois les défendeurs, aucune allégation ne vise le contribuable et ce dernier n'est pas partie aux procédures actuelles. La déclaration porte sur la faute du ministre et elle ne vise aucunement le contribuable.

[46]      Ceci étant, la Cour a déjà été saisie des arguments présentés au nom du contribuable au sujet de la divulgation des renseignements.

[47]      Je conclus donc que la présente action a trait à « l'application ou à l'exécution » de la Loi. L'exception prévue à l'alinéa 241(3)b) s'applique en l'instance et les défendeurs doivent divulguer les renseignements demandés, sous réserve des dispositions prévues aux articles 151 et 152 des Règles. Les défendeurs doivent donc divulguer le nom du contribuable à l'avocat du demandeur, et seulement à lui, sur réception de l'engagement écrit, prévu à l'article 152 des Règles, que ce renseignement ne sera communiqué qu'aux avocats participant à l'instance et non au demandeur ou à toute autre personne.

[48]      Les documents pertinents qui sont sous le contrôle des défendeurs, selon la définition du mot « contrôle » au sens des Règles de la Cour et de la jurisprudence pertinente, seront remis à l'avocat du demandeur sous forme d'une rédaction éliminant les détails non pertinents. Le texte doit toutefois être assez détaillé pour que le demandeur puisse procéder de façon significative lors de la communication des documents et lors des interrogatoires préalables. Tous ces documents porteront la désignation « confidentiels » , conformément à l'article 152 des Règles.

[49]      Les interrogatoires préalables seront soumis aux dispositions prévues aux articles 151 et 152 des Règles. Comme ces directives portent sur la conduite des procédures préparatoires, y compris la communication de documents et les interrogatoires préalables, l'article 29 des Règles ne s'applique pas, étant donné que normalement ces procédures ne sont pas publiques.

[50]      Les directives suivantes sont donc délivrées :

     1.      Les documents qui sont compris dans la liste à l'annexe 2 de l'affidavit de Mike Hiltz ne sont pas couverts par le privilège législatif prévu aux paragraphes 241(1) et (2) de la Loi.
     2.      Ces procédures sont des procédures judiciaires ayant trait à l'application ou à l'exécution de la Loi, au sens de l'alinéa 241(3)b) de la Loi.
     3.      Les documents en cause ne peuvent être exemptés d'une divulgation pour des raisons d'intérêt public déterminées, en vertu de l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada.
     4.      Les documents en cause ne sont pas couverts par le privilège fondé sur les circonstances.
     5.      Les documents en cause, ainsi que les renseignements qu'ils contiennent et les témoignages à leur sujet, seront traités de façon confidentielle, conformément aux articles 151 et 152 des Règles de la Cour fédérale de 1998.



     E. Heneghan

     J.C.F.C.


OTTAWA (ONTARIO)

Le 20 décembre 2000




Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              T-2407-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          George William Harris c. Sa Majesté la Reine et le ministre du Revenu national


LIEU DE L'AUDIENCE :          Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 13 décembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE Mme LE JUGE HENEGHAN

EN DATE DU :              20 décembre 2000



ONT COMPARU


M. Norm Cuddy                          pour le demandeur


M. Peter C. Kremer, c.r.                      pour les défendeurs



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Scurfield Tapper Cuddy                      pour le demandeur

Winnipeg (Manitoba)


M. Morris Rosenberg                          pour les défendeurs

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1 Harris c. Canada, [1999] 2 C.F. 392 (1re Inst.).

2 Harris c. Canada, [2000] 4 C.F. 37 (C.A.).

3 Dossier de requête des défendeurs, p. 455.

4 Kastner c. Painblanc [1994] J.C.F. no 1671, DRS 95-01978, A-39-94.

5 [1993] 3 R.C.S. 430.

6 Précité, note 2, p. 64.

7 Précité, note 5, p. 443 et 444.

8 Ibid, p. 456.

9 Ibid, p. 445 et 446.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.