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Date : 20040220

Dossier : T-472-02

Référence : 2004 CF 257

Ottawa (Ontario), le 20 février 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

                                                    BIOVAIL CORPORATION et

                                                           GALEPHAR P.R. INC.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                                                  LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

                                                        RHOXALPHARMA INC.

                                                                                                                                          défendeurs

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]         Les demanderesses sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer à Rhoxalpharma Inc. (Rhoxal) un avis de conformité pour des capsules de chlorhydrate de diltiazem dont les formes posologiques varient de 120 mg à 360 mg avant l'expiration du brevet canadien no 2,111,085 intitulé Forme à libération prolongée de diltiazem (le brevet 085).     

[2]                Le diltiazem est un médicament bien connu qui ne fait pas l'objet d'un brevet en vigueur. Employé seul ou combiné à d'autres médicaments, il est utile dans le traitement de l'angine de poitrine et de l'hypertension. Comme son titre l'indique, le brevet 085 divulgue la formulation à libération prolongée du médicament qui est pris à raison d'une dose quotidiennement.

[3]                Galephar P.R. Inc. est propriétaire du brevet 085 et Biovail Corporation en détient la licence exclusive. Biovail a inscrit le brevet 085 au registre des brevets (article 4 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, 12 mars 1993, modifié par DORS/98-166; DORS/99-379) (le Règlement) et deux avis de conformité ont été délivrés relativement à deux formulations distinctes du chlorhydrate de diltiazem pris à raison d'une dose quotidiennement. Biovail vend l'une de celles-ci sous la marque nominative Tiazac® et l'autre sous la marque nominative Cardizem®.


[4]                Le 31 janvier 2002, Rhoxal a fait parvenir à Biovail, en vertu du sous-alinéa 5(1)b)(iv) du Règlement, un avis d'allégation[1] portant que le produit proposé ne contreferait pas le brevet 085 et que s'il était jugé qu'il contrefaisait l'une des revendications du brevet, ces revendications seraient soit évidentes soit antérieures et, par conséquent, invalides. Dans son avis d'allégation, Rhoxal a inclus un énoncé détaillé des faits et du droit comme l'exige l'alinéa 5(3)a) du Règlement. Le 19 mars 2002, Biovail a engagé la présente procédure dans laquelle elle prétend notamment que la formulation de Rhoxal contrefait les revendications 34 à 37 du brevet 085. Elle ne conteste pas l'allégation de non-contrefaçon des revendications 1 à 33 et 38 faite par Rhoxal.

[5]                Après le prononcé d'une ordonnance de non-divulgation en avril 2002, Rhoxal a complété son avis d'allégation en fournissant d'autres détails sur sa formulation, la description de son procédé de fabrication et un tableau schématique du procédé employé pour fabriquer ses capsules.

[6]                Biovail a ensuite déposé l'affidavit de Dina Khairo[2], sa directrice de la réglementation et des affaires juridiques, et l'affidavit de Maria Susanna Diaz, une stagiaire travaillant pour les avocats de Biovail. Biovail n'a produit aucun témoignage d'expert pour étayer son affirmation que l'allégation de non-contrefaçon par Rhoxal des revendications 34 à 37 du brevet 085 n'est pas fondée. Quelques-uns des paragraphes de l'affidavit de Mme Khairo (39 à 43) traitent de cette question, mais Mme Khairo n'a pas été présentée à titre d'expert et n'est pas considérée comme tel par la Cour.


[7]                Rhoxal a déposé deux affidavits de M. Norman Weiner, professeur émérite en pharmacologie à la Faculté de pharmacie de l'Université du Michigan. Les deux affidavits ont été souscrits le 28 juin 2002; l'un de ceux-ci concerne l'allégation de non-contrefaçon par Rhoxal des revendications 34 à 37 et l'autre l'antériorité et l'invalidité de ces revendications.

[8]                Biovail affirme que l'affidavit de M. Weiner concernant l'invalidité devrait être écarté parce que son auteur n'a pas les compétences requises pour donner un avis sur cette question. Elle signale également plusieurs lacunes dans la méthode utilisée par M. Weiner et relativement à l' « antériorité » qu'il a utilisée. Toutefois, à l'audience, il a été admis que M. Weiner a les compétences requises pour se prononcer sur la question de la non-contrefaçon, notamment, sa compréhension des agents mouillants et leur capacité de maintenir la solubilité des médicaments des compositions pharmaceutiques.

[9]                M. Weiner et Mme Khairo ont été contre-interrogés.

QUESTIONS EN LITIGE


[10]            Biovail prétend que l'avis d'allégation est insuffisant parce que Rhoxal ne traite pas de toutes les revendications en cause dans le brevet 085 ni de tous les éléments nouveaux des revendications 34 à 37. De plus, Rhoxal n'explique pas son interprétation du brevet 085, notamment elle utilise des expressions comme [Traduction] « au sens du brevet » sans préciser ce que cela signifie et elle renvoie au « langage fonctionnel » des revendications 34 à 37 sans examiner comment elle maintient la solubilité du diltiazem dans ses capsules. Enfin, l'avis d'allégation ne précise pas les motifs sur lesquels se fonde Rhoxal pour alléguer que les revendications 34 à 37 sont invalides.

[11]            Biovail soutient que le témoignage de M. Weiner va au-delà de ce qui est allégué dans l'avis d'allégation.

[12]            La demanderesse affirme en outre que, de toute façon, elle a établi, lors des contre-interrogatoires de M. Weiner, que l'allégation de non-contrefaçon présentait des failles et, par conséquent, n'était pas fondée. Enfin, Biovail prétend que Rhoxal n'a pas « soulevé » correctement l'invalidité des revendications 34 à 37 et que les éléments de preuve fournis à cet égard sont insuffisants pour réfuter la présomption de validité de ces revendications.

[13]            Étant donné que Rhoxal invoque l'invalidité comme moyen subsidiaire seulement et dans la mesure où une revendication précise serait contrefaite, la Cour examinera tout d'abord si l'avis d'allégation est suffisant eu égard aux allégations de non-contrefaçon. Le cas échéant, la Cour déterminera si Biovail a établi, selon la prépondérance de la preuve, que l'allégation de non-contrefaçon n'est pas fondée. Si elle n'a pas réussi à le faire, il ne sera pas nécessaire de statuer sur les questions concernant l'allégation d'invalidité de Rhoxal.

ANALYSE

[14]            Les revendications en litige sont les suivantes :

[Traduction]

34.           Une forme galénique à libération prolongée d'un ou plusieurs sels pharmaceutiquement acceptables du diltiazem qui est constituée de granules contenant une quantité efficace d'un ou de plusieurs de ces sels de diltiazem comme principe actif, chaque granule contenant au moins un sel du diltiazem et une quantité efficace d'un agent mouillant destiné à maintenir la solubilité du diltiazem dans chaque granule, ce qui permet de garantir que la solubilité du diltiazem n'est pas modifiée par le pH du tractus gastro-intestinal ou par d'autres conditions défavorables auxquelles sera exposée la forme galénique dans celui-ci, lesdits granules étant enrobés d'une membrane microporeuse contenant au moins un polymère ou un copolymère hydrosoluble ou hydrodispersable et un polymère insoluble dans l'eau, un acide ou une base et un adjuvant pharmaceutiquement acceptable, et où l'agent mouillant fait partie du groupe composé de sucres, d'acides gras C12 à C2, d'esters de sucrose ou de xylose, de glycérides de sucrose, d'éthers d'acides gras de polyéthylèneglycol, d'esters d'alcools gras et de polyéthylèneglycol, d'esters de sorbitane, d'esters de sorbitane polyoxyéthyléné, d'esters d'alcool-polyglycide, de glycéride-polyglycides, de lécithines et d'une combinaison de ceux-ci.

35.           La formulation de la revendication 34 dans laquelle le polymère ou le copolymère hydrosoluble ou hydrodispersable est de l'hydroxypropylméthyl cellulose et le polymère insoluble dans l'eau, un acide ou une base est un polymère d'acrylique.

36.          La formulation de la revendication 34 dans laquelle le polymère d'acrylique est Eudragit NE 30 D.

37.            La formulation des revendications 34, 35 ou 36 dans laquelle l'agent mouillant est choisi parmi le stéréate de sucrose et des sucres.

[...]

[non souligné dans l'original]

[15]            Dans son avis d'allégation, Rhoxal décrit son produit :

[Traduction] La capsule de Rhoxal contient des granules ayant un noyau neutre et solide composé de sucre enrobé de multiples couches superposées d'un mélange de chlorhydrate de diltiazem (un sel du diltiazem) et des adjuvants courants, notamment de l'éthyl cellulose et de la polyvinylpyrrolidone, ces couches multiples étant recouvertes d'une pellicule extérieure gastro-résistante. Ainsi, dans la capsule de Rhoxal, le sucre est utilisé comme support solide sur lequel d'autres substances sont déposées en couches par enrobage dans un lit fluidisé. Ainsi, le sucre n'est pas dans le « mélange » .          


[16]            Rhoxal invoque aussi les énoncés de fait suivants au sujet de son allégation que son produit ne contrefait pas les revendications 34 à 37 (seules les parties pertinentes de l'avis d'allégation sont reproduites) :

Membrane

Granule sucré exempt de drogue

Couche contenant la drogue

- sel de diltiazem

- adjuvants

[Traduction]

Aux pages 14 et 15,

[...]

La capsule de Rhoxal ne contient pas, au sens du brevet :

.               des granules contenant une quantité efficace d'un agent mouillant pour maintenir la solubilité du diltiazem contenu dans chaque granule, garantissant que la solubilité du diltiazem n'est pas modifiée par le pH du tractus gastro-intestinal ou par d'autres conditions défavorables auxquelles sera exposée la forme galénique dans celui-ci;

.               pour être plus sûr, aucun des agents mouillants n'est indiqué dans la revendication.

                                                                                                       


Cette revendication est semblable à la première revendication. Elle ne contient toutefois pas le terme « mélange » dans la description de la relation entre le diltiazem et l'agent mouillant. Elle a plutôt recours à un langage fonctionnel pour expliquer le rôle présumé de l'agent mouillant. La capsule de Rhoxal ne contrefait pas cette revendication [...] Il importe de rappeler que la capsule de Rhoxal contient des granules qui ont un noyau solide constitué de sucre enrobé d'un mélange de chlorhydrate de diatiazem (un sel de diltiazem) et des adjuvants courants, notamment l'éthyl cellulose et la polyvinylpyrrolidone. Contrairement au produit revendiqué, le sucre qui est présent dans la capsule de Rhoxal ne joue pas le rôle d'agent mouillant mais plutôt celui de support solide au centre d'un granule sur lequel le chlorhydrate de diltiazem et les autres excipients sont déposés en couches. En outre, parmi les autres excipients qui accompagnent le diltiazem, aucun n'est un agent mouillant, et encore moins un des agents mouillants figurant dans la revendication.

Plus particulièrement, et comme il est bien expliqué ci-dessus par rapport à la revendication 11, le sucre qui est présent dans la capsule de Rhoxal de joue pas le rôle d'agent mouillant qui contribue à la dissolution in vivo du chlorhydrate de diltiazem. Le produit revendiqué contient l'agent mouillant , qui est mélangé au chlorhydrate de diltiazem, avant l'ingestion de manière à tenir lieu d'agent mouillant. Ainsi, le mélange doit nécessairement être présent avant l'ingestion. Cette interprétation est étayée par l'utilisation du terme « galénique » [3] qui est défini comme concernant la présentation, la préparation ou la conservation d'un médicament donné. Nulle part dans le brevet 085 est-il envisagé qu'un produit hétérogène constitué de couches multiples puisse se matérialiser après l'ingestion. Une telle affirmation serait artificieuse en plus de n'être aucunement corroborée par le brevet 085.

En conséquence, nous ne contrefaisons pas la revendication 34 du brevet, que ce soit directement ou indirectement. Il en va de même des revendications 35 à 38, qui sont tributaires de la revendication 34 et ce, pour les mêmes raisons.

[...]

à la page 9 (en rapport avec la revendication 11)

[...] De plus, il est important de souligner qu'aucun composant du produit de Rhoxal n'a pour but de faire en sorte que « la solubilité du diltiazem ne soit pas modifiée par le pH du tractus gastro-intestinal ou par d'autres conditions défavorables auxquelles sera exposée la forme galénique dans celui-ci » .

Un noyau constitué de sucre n'est pas un agent mouillant classique parce qu'il est en soi hautement hydrosoluble. Le sucre ne pourrait agir comme agent mouillant que dans sa forme sèche, car il attirerait l'eau à lui et agirait comme agent de diffusion par capillarité. Il attirerait ainsi l'eau vers le diltiazem et aiderait celui-ci à se mouiller. Cela ne modifierait toutefois pas la solubilité du diltiazem. De plus, une fois que le sucre est en solution, c'est-à-dire après l'ingestion, il ne possède même pas l'effet de diffusion par capillarité. Une fois que le sucre est entré en contact avec l'eau, il n'a pas de pouvoir d'attraction.


En outre, un agent de diffusion par capillarité n'est efficace que lorsqu'il est bien dispersé à l'intérieur du produit. In vivo, l'eau pénètre dans le granule, entre d'abord en contact avec le chlorhydrate de diltiazem, dissout celui-ci et, quand les couches multiples de chlorhydrate de diltiazem sont dissoutes, elle pénètre dans le noyau et dissout le sucre. En vertu des principes de transfert de masse des solides, lorsqu'il est à l'état solide, le sucre ne migre pas dans la couche de diltiazem. Par conséquent, le seul sucre qui puisse jamais se mélanger (certainement pas pour produire un mélange homogène) est une solution de sucre. Parce qu'une solution de sucre n'est pas un agent de diffusion par capillarité, et donc pas un agent mouillant selon quelque définition imaginable qui soit, le sucre qui se trouve dans la capsule de Rhoxal ne peut jamais répondre à cette limite de la revendication.

De plus, le sucre qui se trouve dans le capsule de Rhoxal n'est jamais « mélangé » alors qu'il est sous la forme solide [...]

[non souligné dans l'original]

[17]            Dans son avis d'allégation, Rhoxal mentionne également les autres actions en justice qui mettent en cause Biovail aux États-Unis.

[Traduction] Comme vous le savez, la formulation de la capsule de Rhoxal est identique à celle qui a fait l'objet d'une action en justice dans l'affaire Biovail Corporation International, Bioval Laboratories, Inc. and Galepharm P.R. Inc. Ltd. c. Andrx Pharmaceuticals, Inc., 239 F .3d 1297; 2001 U.S. App. Lexis 2092; 57 U.S.P.Q.2D, dans laquelle un jugement confirmant la non-contrefaçon de la formulation a été rendu le 13 février 2001 par la United States Court of Appeals for the Federal Circuit (maintenant la décision de la United States District Court, Southern District of Florida, en date du 6 mars 2000). Nous avons déjà divulgué la formulation de la capsule de Rhoxal en vertu d'une entente de non-divulgation. On nous a fourni les échantillons en vertu de la même entente de non-divulgation de sorte que vous avez eu amplement de temps pour effectuer les analyses sur les échantillons pour vous convaincre qu'il n'y a pas contrefaçon.


[18]            La Cour convient avec Biovail qu'aux fins de la présente instance, il est inutile d'examiner les décisions rendues aux États-Unis relativement aux revendications d'un brevet homologue aux États-Unis (brevet américain no 5,529,791) dont le libellé diffère de celui des revendications 34 à 37. Les tribunaux américains ont également invoqué et appliqué des concepts qui n'ont aucun équivalent en droit canadien, telle la doctrine de la préclusion fondée sur l'examen de la demande de brevet. Au mieux, ces décisions indiquent que Biovail connaissait très bien le point de vue de M. Weiner au sujet de la définition classique d'un agent mouillant, des caractéristiques d'un sucre sec comme agent de diffusion par capillarité et de l'incapacité pour le sucre, lorsqu'il est en solution, de maintenir la solubilité du diltiazem dans le corps (in vivo), puisqu'il a témoigné en qualité d'expert sur ces questions devant les tribunaux américains. Rhoxal s'appuie essentiellement sur ces points techniques pour étayer son allégation de non-contrefaçon dans son avis d'allégation.

a)         Exhaustivité de l'avis d'allégation

[19]            Après avoir examiné les énoncés cités au paragraphe 16 ci-dessus, la Cour est convaincue que l'énoncé détaillé contenu dans l'avis d'allégation de Rhoxal, en ce qui concerne son allégation de non-contrefaçon des revendications 34 à 37, satisfait aux exigences de l'alinéa 5(3)a) du Règlement (AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social),[2000] A.C.F. no 855 (C.A.F.) en ligne : QL;SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2001] A.C.F. no 3 (C.A.F.) paragraphes 25-27, en ligne : QL; Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2001] A.C.F. no 915 (C.A.F.) paragraphe 17, en ligne : QL). C'est loin d'être un cas où la seconde personne allègue simplement la non-contrefaçon sans que cela ne soit étayé par des allégations de fait. L'avis d'allégation comporte assez de renseignements pour que Biovail soit parfaitement au courant des motifs qu'invoque Rhoxal pour demander un avis de conformité.


[20]            Pour ce qui est des revendications 35 à 37 (les revendications tributaires), il suffisait pour Rhoxal d'affirmer qu'elle ne contreferait pas les revendications 35 à 37 puisqu'elle ne contrefaisait pas la revendication indépendante 34 (Procter & Gamble Pharmaceuticals Canada, Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), [2002] A.C.F. no 1018, paragraphes 22 à 24 en ligne : QL). Il n'est pas nécessaire pour Rhoxal d'examiner d'autres éléments de ces revendications, sauf si la variante qu'elle invoque pour étayer son allégation de non-contrefaçon concerne un élément précis de ces revendications. Ce n'est pas le cas puisque la variante invoquée dans l'avis d'allégation est l'absence d'une quantité suffisante d'un agent mouillant pour maintenir la solubilité du diltiazem dans le tractus gastro-intestinal, ce qui serait un élément essentiel de la revendication indépendante 34.

[21]            La décision de la Cour d'appel dans Procter & Gamble, précité, se distingue nettement de la présente espèce par ses faits. (Voir le paragraphe 25.)

[22]            Biovail affirme en outre que l'avis d'allégation est vicié parce qu'il ne précise pas comment Rhoxal maintient la solubilité du diltiazem dans ses granules si elle n'utilise pas d'agent mouillant. Cet argument semble reposer sur une méprise quant à la nature de la présente instance. Rhoxal n'a qu'à alléguer les motifs étayant son allégation de non-contrefaçon. Elle n'a pas à divulguer quoi que ce soit d'autre.


[23]            Rhoxal explique clairement à la page 14 de l'avis d'allégation comment le sucre dans le noyau de ses granules ne joue pas le rôle ou la fonction décrite dans la revendication 34 (ce que l'on appelle le « langage fonctionnel » ). Elle précise que le sucre à l'état solide ne peut pas maintenir la solubilité sauf s'il est mélangé au diltiazem. Elle ajoute qu'une fois que le sucre est en solution (in vivo), il ne possède même pas un effet de diffusion par capillarité et ne peut « selon quelque définition imaginable qui soit » être visé par le monopole défini par la revendication 34. C'est suffisant et Rhoxal ne demande pas à la Cour de s'appuyer sur des faits qui vont au-delà de ce qu'elle a indiqué dans son avis d'allégation.

[24]            Quant à l'expression « au sens du brevet » , Biovail affirme que même M. Weiner n'a pu lui donner une explication satisfaisante. Il a simplement déclaré que, selon lui, cela signifie [Traduction] « d'après ce que dit le brevet » (contre-interrogatoire de M. Weiner à la page 27). Rhoxal prétend que cela renvoie tout simplement au principe général suivant lequel il faut donner aux termes utilisés dans les revendications le sens que leur a attribué le breveté; les termes doivent être interprétés dans leur contexte. Il ressort de d'allégation que Rhoxal a considéré que l'expression « agent mouillant » s'entend d'un agent de diffusion par capillarité tel que le « sucre sec mélangé au diltiazem » . L'avis d'allégation n'est ni incomplet ni ambigu.

b)         Portée de la preuve produite par Rhoxal

[25]            Rhoxal reconnaît dans son avis d'allégation que ses capsules contiennent tous les éléments décrits dans les revendications 34 à 37, sauf [Traduction] « une quantité efficace d'un agent mouillant pour maintenir la solubilité du diltiazem contenu dans chaque granule, garantissant que la solubilité du diltiazem n'est pas modifiée par le pH du tractus gastro-intestinal ou par d'autres conditions défavorables [...] » . Cela a été confirmé à l'audience.


[26]            Dans les circonstances, la Cour n'a pas besoin d'examiner l'argument de Biovail que le témoignage de M. Weiner s'écarte du contenu de l'avis d'allégation puisqu'il porte sur des questions comme la définition d'une membrane microporeuse, le rôle des adjuvants ou la question de savoir si ces éléments étaient essentiels. Ces éléments ne sont pas pertinents pour les questions dont la Cour a été saisie.

[27]            Dans son affidavit portant sur la non-contrefaçon, M. Weiner affirme qu'une quantité efficace d'un agent mouillant pour maintenir la solubilité du diltiazem dans le tractus gastro-intestinal est un élément essentiel de la revendication 34. Il ne s'agit pas d'un élément de preuve qui va au-delà de ce qui est allégué dans l'avis d'allégation. L'allégation de Rhoxal est étayée par l'affirmation suivant laquelle son produit ne pouvait donner lieu à contrefaçon en raison de l'absence d'un tel élément. Il est donc implicite dans l'avis d'allégation que Rhoxal considère qu'il s'agit d'un élément essentiel de cette revendication.

c.         Allégation de non-contrefaçon


[28]            La Cour est tenue de présumer que les énoncés factuels étayant l'allégation de non-contrefaçon sont exacts (Hoffmann-La Roche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1996] A.C.F. no 1333 (C.A.F.), page 8, en ligne : QL, et Merck Frost Canada Inc., précité, paragraphe 18). Ainsi, pour avoir gain de cause, Biovail devait me convaincre (suivant la prépondérance de la preuve) que (i) même si ces énoncés sont exacts, ils ne permettraient pas de conclure en droit que le brevet ne serait pas contrefait par les capsules de Rhoxal parce que, par exemple, la variante ne comporte pas un élément essentiel des revendications en cause, ou (ii) tous les énoncés ou la majorité de ceux-ci sont erronés (Hoffman-LaRoche Ltd., précité).

[29]            La Cour est convaincue que, si on l'interprète en fonction de son objet, la revendication 34 ne vise pas une composition qui comprend des granules qui ne contiennent pas une quantité efficace d'un agent mouillant pour maintenir la solubilité du diltiazem qui n'est pas modifiée par le pH du tractus gastro-intestinal ou par d'autres conditions défavorables auxquelles sera exposée la composition (Free-World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] A.C.S. no 67, en ligne : QL).

[30]            Pour tirer cette conclusion, j'ai examiné notamment le témoignage de M. Weiner sur la façon dont une personne versée dans l'art interpréterait la revendication 34 (paragraphes 19 et 42 de son affidavit sur la non-contrefaçon) ainsi que son contre-interrogatoire à cet égard.


[31]            Vu le curriculum vitae de M. Weiner et son expérience, puisqu'il a notamment agi comme consultant pour des compagnies pharmaceutiques, la Cour estime qu'il a la compétence requise pour donner son avis sur cette question. Il n'est ni déterminant ni pertinent pour sa capacité d'agir à titre d'expert à cet égard qu'il puisse être considéré ou non comme une personne versée dans l'art (Crila Plastic Industries Ltd. c. Ninety-Eight Plastic Trim Ltd., [1987] A.C.F. no 1030, en ligne : QL, p. 14). Le fait qu'il ne soit pas un expert des formulations à libération prolongée n'a une incidence que sur le poids de son témoignage, non sur son admissibilité.

[32]            Même si je ne devais accorder aucun poids au témoignage de M. Weiner et si je n'avais absolument aucune preuve quant à la manière dont une personne versée dans l'art aurait interprété cette revendication, je conclurais néanmoins que la présence d'un agent mouillant maintenant la solubilité du diltiazem est un élément essentiel de la revendication 34 en raison du libellé de cette revendication interprétée dans son contexte, y compris la divulgation (Free-world Trust, précité, et Wirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067).

[33]            Enfin, il semble que Biovail ait admis que la présence d'un tel agent mouillant est un élément essentiel de la revendication 34. Dans les observations qu'elle a faites au sujet de l'allégation d'invalidité présentée par Rhoxal au sujet de la revendication 34, Biovail prétend qu'il s'agit de l'essentiel même de l'invention visée par cette revendication; c'est le seul élément que l'on ne retrouve pas dans les antériorités invoquées par Rhoxal.

[34]            Cela signifie qu'à moins que Biovail n'établisse que les allégations de fait de Rhoxal dans l'avis d'allégation sont erronées, sa demande doit être rejetée.


[35]            Comme cela a été indiqué précédemment, l'affidavit de Mme Khairo est le seul élément de preuve produit par Biovail pour contredire les allégations de fait invoquées par Rhoxal au soutien de sa prétention que ses capsules ne contiendront aucun des éléments essentiels de la revendication 34.

[36]            Elle dit au paragraphe 41 de son affidavit :

[Traduction]

41.           Lorsqu'une membrane contenant les produits Eudragit NE30D et HPMC enrobe un granule, son rôle consiste à permettre au contenu du granule d'être hydraté par les liquides organiques lorsque ceux-ci pénètrent dans le granule. Les liquides passent à travers du diltiazem et des excipients pour atteindre le noyau qui est alors dissout. La solution de sucre dissout imprègne ensuite tout le noyau afin de faire en sorte que la solubilité du diltiazem soit maintenue et ne soit pas modifiée par les conditions qui règnent dans le tractus gastro-intestinal ou par d'autres conditions défavorables auxquelles sera exposée la forme galénique dans celui-ci.

[37]            Contre-interrogée, Mme Khairo a affirmé qu'elle n'avait effectué aucun test qui lui permettrait de faire une telle affirmation. De plus, Biovail a confirmé lors du contre-interrogatoire de Mme Khairo que celle-ci n'a pas été présentée comme expert et qu'on ne pouvait lui poser de questions visant à obtenir son avis (voir la transcription de son témoignage aux pages 48, 49 (Q. 157 à 163)).

[38]            Dans les circonstances, je n'accorde aucun poids à ce témoignage et je considère que les déclarations contenues dans l'avis d'allégation sont non contredites.


[39]            Biovail prétend toutefois que, lorsqu'il a été contre-interrogé, M. Weiner a confirmé qu'il était possible, du moins en théorie, que l'eau passe à travers des granules de Rhoxal pour atteindre le noyau sans devoir d'abord dissoudre le diltiazem. Cela irait directement à l'encontre d'une déclaration faite par Rhoxal à la page 9 de son avis d'allégation.

[Traduction] [...] In vivo, l'eau pénètre dans le granule, rencontre d'abord le chlorhydrate de diltiazem, dissout celui-ci, et une fois que de multiples couches de diltiazem ont été dissoutes, elle pénètre dans le noyau de sucre et dissout le sucre. En vertu du principe de transfert de masse des solides, le sucre solide ne migre pas dans la couche de diltiazem. Par conséquent, le seul sucre qui puisse jamais se mélanger (certainement pas pour produire un mélange homogène) est une solution de sucre. Parce qu'une solution de sucre n'est pas un agent de diffusion par capillarité et donc pas un agent mouillant selon quelque définition imaginable qui soit, le sucre qui se trouve dans la capsule de Rhoxal ne peut jamais satisfaire à cette limite de la revendication.

[non souligné dans l'original]                           

[40]            Même si cette proposition était acceptée, elle aurait peu d'incidence sur la preuve de Biovail parce qu'elle ne touche pas les allégations de fait les plus importantes étayant l'allégation de non-contrefaçon de Rhoxal (le sucre à l'état solide doit être mélangé au diltiazem pour agir comme agent mouillant ou agent de diffusion par capillarité et on ne peut pas considérer, selon quelque définition imaginable qui soit, que le sucre en solution est un agent mouillant).

[41]            Il ressort de l'examen de la transcription du contre-interrogatoire de M. Weiner que cet auteur d'un affidavit n'a pas contredit les autres allégations de fait de Rhoxal dans son avis d'allégation au sujet de la non-contrefaçon. En fait, M. Weiner a confirmé ces allégations (voir, par exemple, la transcription de son contre-interrogatoire aux pages 225, 235, 241 à 246).


[42]            Biovail prétend que la Cour devrait accorder peu de poids à l'avis de M. Weiner et que je devrais en fait considérer que l'allégation de non-contrefaçon de Rhoxal n'est pas fondée parce qu'elle signifie qu'il convient d'interpréter la revendication 34 comme si elle comportait le mot « mélangé » . Elle affirme que ce mot se trouve dans les revendications 1 à 33 mais non dans les revendications 34 à 37. C'est pourquoi il faudrait, en raison du changement de libellé, accorder un sens distinct à la revendication 34.

[43]            M. Weiner a bel et bien déclaré que les mots [Traduction] « une quantité efficace d'un agent mouillant pour maintenir la solubilité du diltiazem dans le tractus gastro-intestinal » emportent obligatoirement l'utilisation de sucre sec mélangé au diltiazem.

[44]            La Cour n'est saisie d'aucune preuve indiquant qu'à l'état sec le sucre est un agent mouillant efficace même lorsqu'il n'est pas mélangé au médicament dont la solubilité pose problème.

[45]            Il n'y a aucune preuve que, lorsqu'il est en solution, le sucre est un agent mouillant efficace qui pourrait maintenir la solubilité du diltiazem dans le tractus gastro-intestinal.

[46]            Il n'y a aucune preuve que le sucre sec qui se trouve dans le noyau des granules de Rhoxal agit comme un agent mouillant efficace qui maintient la solubilité du diltiazem dans le tractus gastro-intestinal.

[47]            En l'absence de tels éléments de preuve, la Cour ne peut tout simplement pas écarter les allégations de fait tenues pour exactes.

[48]            C'est particulièrement vrai lorsqu'il semble y avoir une autre explication à l'utilisation d'un libellé différent dans la revendication 34. En effet, les parties reconnaissent qu'il existe au moins deux méthodes de rédaction des revendications, l'une consistant à avoir recours à un langage structurel et l'autre à un langage fonctionnel. Rhoxal prétend que le changement du libellé utilisé dans la revendication 34 montre simplement que l'inventeur essayait de protéger son invention en ayant recours aux deux méthodes.

[49]            Enfin, Biovail prétend que le témoignage de M. Weiner comportait des lacunes parce qu'il a utilisé des exemples de problèmes se produisant au cours du processus de fabrication et qu'il a traité d'un présumé problème de mouillage plutôt que du problème de solubilité divulgué dans le brevet 085.

[50]            La Cour a examiné le contre-interrogatoire de M. Weiner et n'est pas convaincue que c'est le cas (voir, par exemple, la page 249, lignes 21 à 50 de la transcription).

[51]            Encore une fois, même si la Cour acceptait l'argument de Biovail à cet égard et n'accordait aucun poids que ce soit au témoignage de M. Weiner, il ne me resterait que les allégations de fait non contredites dans l'avis d'allégation et je tirerais la même conclusion.


[52]            Biovail n'a tout simplement pas démontré, comme il lui incombait, que l'allégation de non-contrefaçon de Rhoxal n'est pas fondée.

[53]            Compte tenu de ce qui précède, la demande de Biovail est rejetée avec dépens.

                                                                    JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande présentée par les demanderesses est rejetée avec dépens.

                                                                                                                              « Johanne Gauthier »              

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.                      


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                                     Avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                                        T-472-02

INTITULÉ :                                       BIOVAIL CORPORATION ET AL. c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 27 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                       LE 20 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :                            

Heather Watts                                      POUR LES DEMANDERESSES

Marie Lafleur et                                  POUR LA DÉFENDERESSE RHOXALPHARMA INC.

Martin F. Sheean

                                                                                                                                                            

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      

Heather Watts                                      POUR LES DEMANDERESSES

Marie Lafleur                                       POUR LA DÉFENDERESSE RHOXALPHARMA INC.


COUR FÉDÉRALE

                                                   Dossier : T-472-02

ENTRE :

                  BIOVAIL CORPORATION et

                        GALEPHAR P.R. INC.

demanderesses

                                       - et -

                LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

                      RHOXALPHARMA INC.

                                                                  défendeurs

                                                                                 

                    MOTIFS DU JUGEMENT

                             ET JUGEMENT

                                                                                 



[1]           Il s'agit du deuxième avis d'allégation envoyé relativement aux capsules de diltiazem de Rhoxal et au brevet 085. Le premier a été signifié à Biovail le 24 juillet 2001. Biovail a déposé en septembre 2001 un avis de réponse qui a finalement été rejeté le 29 octobre 2002, les dépens étant adjugés à Biovail parce que Rhoxal avait retiré son avis d'allégation.

[2]           Un autre affidavit de Mme Khairo, souscrit le 17 septembre 2002, n'a pas été examiné par la Cour parce que les parties ont reconnu qu'il n'avait pas été produit conformément aux Règles.

[3]           Cet argument n'a pas été débattu au cours de l'audience. Les deux parties reconnaissent que la mention d'une composition galénique indique simplement que la composition se présente sous forme posologique.


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