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     T-2408-91

E N T R E :

     MERCK & CO. INC. et

     MERCK FROSST CANADA INC.,

     demanderesses,

     - et -

     APOTEX INC.,

     défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (Annulation de subpoenas)

LE JUGE MACKAY

    

     Les présents motifs concernent une ordonnance accueillant une requête des demanderesses (collectivement " Merck "), et annulant deux subpoenas duces tecum délivrés à la demande de la défenderesse Apotex Inc. et du docteur Bernard Sherman, président et chef de la direction d'Apotex Inc., dans le cadre d'une instance en outrage au tribunal. Lorsque le greffe de la Cour a délivré les subpoenas à la demande de leur avocat, Apotex et le docteur Sherman comparaissaient devant la Cour en réponse à une ordonnance datée du 27 avril 1995 leur enjoignant d'expliquer pourquoi ils ne devaient pas être reconnus coupables d'outrage envers la Cour pour les gestes qu'ils ont posés après le prononcé de mes motifs de jugement dans la présente affaire, le 14 décembre 1994, et le jugement formel de la présente Cour daté du 22 décembre 1994. L'instance en justification est toujours en cours.

     À la fin de la deuxième semaine d'audiences tenues aux termes de l'ordonnance de se justifier, un subpoena duces tecum accompagné des frais de déplacement et daté du 19 septembre 1997 a été signifié à M. Robert Quesnel. Il lui était ordonné de comparaître le 20 octobre 1997 et de produire auprès de la Cour les documents indiqués. Par la suite, un second subpoena daté du 24 septembre 1997 a été délivré et transmis à M. Quesnel par l'intermédiaire de l'avocat des demanderesses. Il lui était demandé de comparaître le 23 octobre et de produire auprès de la Cour les documents indiqués.

     Il appert qu'Apotex et le docteur Sherman voulaient que le second subpoena remplace le premier, de sorte que l'audition du 21 octobre a porté sur les deux subpoenas. Pour plus de clarté, je précise que l'ordonnance qui est maintenant prononcée porte que les deux subpoenas sont annulés ou cassés. Le second subpoena exige la production d'une catégorie additionnelle de documents, mais demande par ailleurs des documents décrits de la même façon que dans le premier subpoena, sauf que dans le second, dans quatre cas, le délai de production est prolongé. Les présents motifs traitent spécifiquement du deuxième subpoena et de ses conditions mais, à mon sens, ils s'appliquent également au premier.

     Dans le second subpoena, il est ordonné à M. Quesnel de produire des documents décrits comme suit (le 11e paragraphe décrit la catégorie additionnelle de documents qui n'était pas incluse dans le premier subpoena) :

         [TRADUCTION]         
         1.      Tous les documents écrits, notamment les notes de service manuscrites, dactylographiées ou imprimées électroniquement, les télécopies, les lettres et les copies papier de messages par courrier électronique dont M. Robert Quesnel est l'auteur ou que celui-ci a reçus de tout employé de Merck Frosst Canada Inc. ou de toute personne qui n'est pas une employée de celle-ci et qui se rapporte aux commandes, aux ventes, aux expéditions ou à la distribution de comprimés d'Apo-énalapril pour la période du 14 décembre 1994 au 20 avril 1995, inclusivement.         
         2.      Tous les documents écrits, notamment les notes de service manuscrites, dactylographiées ou imprimées électroniquement, les télécopies, les lettres et les copies papier de messages par courrier électronique, qu'il s'agisse d'originaux ou de copies, préparés ou reçus par M. Robert Quesnel ou tout employé de Merck Frosst Canada Inc., que ces messages aient été ou non envoyés, adressés à un distributeur, un grossiste, un pharmacien ou un autre vendeur de produits pharmaceutiques ou à toute autre personne, et se rapportant à ce qui suit :         
              (a)      des commandes ou des ventes de comprimés d'Apo-énalapril les 14, 15 et 16 décembre 1994 et le 9 janvier 1995;         
              (b)      le transfert ou la distribution de comprimés d'Apo-énalapril par ces distributeurs, grossistes, pharmaciens et autres vendeurs de produits pharmaceutiques pour la période du 9 janvier 1995 au 20 avril 1995, inclusivement.         
         3.      Tous les documents écrits, notamment les télécopies, les lettres et les notes de service internes concernant des messages envoyés ou reçus par Merck & Co. Inc. ou Merck Frosst Canada Inc. et se rapportant à l'inscription de l'Apo-énalapril sur tous formulaires provinciaux pour la période du 16 juillet 1993 au 1er juin 1995, inclusivement.         
                 
         4.      Tous les documents écrits, notamment les télécopies, les relevés d'appels téléphoniques, les lettres et les notes de service internes concernant des messages échangés entre Merck & Co. Inc. ou Merck Frosst Canada Inc. et tout ministère fédéral ou provincial se rapportant à l'Apo-énalapril pour la période du 16 juillet 1993 au 1er juin 1995, inclusivement.         
         5.      Tous les documents écrits, notamment les tableaux, les graphiques, les lettres et les notes de service internes, conservés sous forme électronique ou imprimée, se rapportant à toute compilation ou analyse des commandes, des ventes ou des ordonnances pour toutes les marques de comprimés d'énalapril pour la période du 1er janvier 1994 au 1er juin 1995, inclusivement.         
         6.      Tous les documents écrits, notamment les tableaux, les graphiques, les lettres et les notes de service internes, conservés sous forme électronique ou imprimée, sur toute étude et analyse de marché se rapportant à la distribution et à la vente de toutes les marques de comprimés d'énalapril pour la période du 1er janvier 1994 au 1er juin 1995, inclusivement.         
         7.      Tous les documents écrits, notamment les tableaux, les graphiques, les lettres et les notes de services internes, conservés sous forme électronique ou imprimée, sur toute étude ou analyse des pratiques en matière de rabais ou de remise au sein de l'industrie pharmaceutique canadienne, notamment tous documents se rapportant aux politiques et pratiques en matière de rabais ou de remise de Merck Frosst Canada Inc., pour la période du 1er janvier 1994 au 1er juin 1995, inclusivement.         
         8.      L'ensemble des comptes des ventes et des factures, conservés sous forme électronique ou imprimée, qui attestent de la vente, de la cession ou de la distribution de la marque d'énalapril appelée Vasotec pour les années 1994 et 1995.         
         9.      Tous les documents écrits se rapportant à la livraison ou à la distribution de la marque d'énalapril appelée Vasotec, conservés sous forme électronique ou imprimée, inscrits, préparés ou reçus les 14, 15 et 16 décembre 1994.         
         10.      Les relevés et les factures d'appels interurbains pour les appels interurbains faits par le personnel de Merck Frosst Canada à tout grossiste, distributeur, pharmacien ou autre vendeur canadien de produits pharmaceutiques, et à tout ministère fédéral ou provincial ou tout représentant de ceux-ci pour la période du 14 décembre 1994 au 9 janvier 1995, inclusivement.         
         11.      Tous les documents écrits, notamment les notes de service manuscrites, dactylographiées ou imprimées électroniquement, les télécopies, les lettres, les copies papier de messages par courrier électronique préparés ou reçus par tout employé de Merck Frosst Canada Inc., inclusivement, se rapportant aux motifs de jugement du juge MacKay datés du 14 décembre 1994 pour la période du 14 décembre 1994 au 20 avril 1995, inclusivement.         

     Le subpoena est adressé à [TRADUCTION] " M. Robert Quesnel, avocat, 16711 autoroute Transcanadienne, sortie 32, Kirkland (Québec) H9H 3C1 " et lui enjoint de produire ces diverses catégories de documents. Dans son affidavit, Me Quesnel, la personne visée par le subpoena, affirme qu'il est membre du Barreau du Québec et qu'il est conseiller juridique et chef du contentieux de la demanderesse Merck Frosst Canada Inc. (Merck Frosst), poste qu'il occupe depuis qu'il est entré au service de cette société en juin 1995. Me Quesnel n'est ni dirigeant ni administrateur de cette société et il n'assume aucune responsabilité relative à la direction de l'entreprise. Il fournit toutefois des conseils juridiques aux dirigeants et administrateurs de la société et donne des instructions aux conseillers juridiques externes sur toutes les questions concernant Merck Frosst pour lesquelles leurs services ont été retenus. C'est de lui que relèvent les avocats comparaissant pour Merck Frosst dans la présente instance, et qu'ils reçoivent leurs instructions. Me Quesnel n'occupe aucun poste de responsabilité auprès de la demanderesse Merck & Co. (Merck), société constituée aux États-Unis qui est la société-mère de la demanderesse Merck Frosst. Même s'il communique avec les conseillers de Merck en matière juridique et de brevets au sujet de questions d'intérêt mutuel pour les deux sociétés, comme le fait aussi, je présume, l'avocat occupant pour les demanderesses dans la présente instance, il n'occupe aucun poste auprès de Merck et il n'en est pas un employé. Merck a un intérêt dans la présente instance à titre de propriétaire du brevet sur lequel est fondée l'action en contrefaçon ayant abouti au jugement auquel Apotex et le docteur Sherman auraient censément désobéi par leurs gestes. Enfin, en ce qui concerne le poste de Me Quesnel, celui-ci confirme dans son affidavit qu'il était chargé des dossiers de son employeur concernant la présente affaire, lesquels étaient auparavant tenus par son prédécesseur.

     Dans un affidavit additionnel déposé à l'appui de la requête des demanderesses, M. Alfonso Fiacco, chef de service logistique - clients à l'échelle nationale de Merck Frosst et chargé de la tenue des dossiers de la société concernant les ventes, les expéditions et l'emballage, traite des activités et des dossiers de la société dans la mesure où ceux-ci se rapportent aux documents à produire aux termes du subpoena. À sa connaissance, et en se fondant sur les renseignements qu'il a obtenus auprès d'autres responsables chez Merck Frosst et auxquels il ajoute foi, voici certains des facteurs importants concernant les documents à produire :

     -      les principales installations de fabrication et de production de la société sont situées à Kirkland (Québec), et il existe trois entrepôts à Vancouver, Calgary et Mississauga (il en a existé un quatrième à Winnipeg jusqu'en 1996) et dix bureaux satellites dans tout le Canada;
     -      la société fabrique, vend et distribue à quelque 14 000 clients environ 250 produits pharmaceutiques;
     -      la société compte 1 300 employés, principalement à Kirkland, mais aussi dans tout le Canada, y compris 250 représentants commerciaux établis dans tout le pays et chargés de fournir des renseignements et de promouvoir les ventes principalement auprès des médecins et dans une moindre mesure auprès des pharmaciens; parmi les représentants commerciaux, il y a un important roulement de personnel;
     -      les ventes de produits de la société génèrent quelque 1 200 factures par jour, ou 300 000 ou plus par année, inclusion faite des produits commandés par des clients individuels, et ces factures ne concernent pas qu'un seul produit en particulier comme le Vasotec, le produit d'énalapril de Merck; les factures mentionnant ce produit, indique-t-on, formeraient une pile de documents d'environ quatre pieds de hauteur pour les ventes d'une année; les documents de livraison se rapportant à ces ventes seraient plus nombreux que les factures, et ne mentionnent les factures que par numéro et non par produits, de sorte qu'il serait nécessaire de vérifier chaque facture pour produire le relevé complet des documents de livraison concernant les ventes de Vasotec;
     -      les relevés téléphoniques demandés dans le subpoena seraient presque impossible à produire pour les 1 200 postes téléphoniques des bureaux de Kirkland (Québec) et les lignes additionnelles des entrepôts et bureaux satellites dans tout le Canada, sans compter les appareils dont se servent les représentants commerciaux dans l'exercice de leurs fonctions, en partie parce que les relevés téléphoniques disponibles n'identifieraient pas les clients ni les autres destinataires des appels et ne mentionneraient que les numéros de téléphone auxquels sont destinés les appels.

Position des parties

     Les demanderesses invoquent plusieurs motifs pour annuler les subpoenas. Elles font valoir que dans la mesure où ils exigent la production de documents en la possession ou sous le contrôle de Me Quesnel, à titre de conseiller juridique et de chef du contentieux de Merck Frosst, ces documents sont assujettis au privilège du secret professionnel de l'avocat et à celui du litige auxquels n'a pas renoncé sa cliente, Merck Frosst. Les demanderesses prétendent que, dans la mesure où les documents ne sont pas sous le contrôle de Me Quesnel, celui-ci ne peut être contraint de les produire. Elles disent que la description des documents et de leurs sources est trop large, pas suffisamment précise et sans rapport raisonnable avec les questions soumises à la Cour. Même si ces documents pouvaient être produits, cela imposerait un fardeau excessif à Merck Frosst, son personnel et ses activités commerciales, et les documents ainsi produits révéleraient des renseignements et des secrets commerciaux confidentiels se rapportant à la mise en marché, à la clientèle, aux relations avec le gouvernement et aux efforts de démarchage concernant le Vasotec et d'autres produits de Merck Frosst, dont la divulgation porterait préjudice à cette société. Enfin, les demanderesses font valoir que tous les documents assujettis aux exigences de communication, qui sont pertinents à la présente instance, qui ne font pas l'objet du secret professionnel de l'avocat et qui peuvent par ailleurs être produits, l'ont maintenant été.

     Les demanderesses disent aussi que les subpoenas sont délivrés pour des fins irrégulières, qu'ils constituent un abus des procédures de la Cour et qu'ils devraient être cassés. Il est impossible de s'y conformer dans les délais impartis. Même si ces délais étaient prolongés, le fait de se conformer aux subpoenas, dans la mesure où il serait possible de le faire, entraînerait un retard de plusieurs semaines ou mois dans la présente instance, ce qui serait déraisonnable et oppressif à l'endroit de Merck Frosst.

     Pour Apotex et le docteur Sherman, on demande le rejet de la requête. D'après certains des motifs énoncés dans l'avis de requête des demanderesses, celles-ci disposent de documents correspondant aux descriptions du subpoena et qui, selon Apotex et le docteur Sherman, sont pertinents étant donné que la question de la pertinence ne peut finalement être tranchée qu'après examen des documents par la Cour une fois qu'ils ont été produits. En fait, vu l'obligation permanente des demanderesses de communiquer les documents qui peuvent être pertinents et utiles à Apotex et au docteur Sherman pour leur défense pleine et entière dans le cadre de la présente instance en outrage de nature quasi criminelle, il est préférable de les laisser juger en dernière analyse de cette pertinence, le critère étant celui de la communication de tous les documents qui ne sont pas manifestement non pertinents, critère non rempli à ce stade-ci où ils ne sont pas tenus de dévoiler leurs moyens de défense et où les demanderesses n'ont pas encore terminé la présentation de leur preuve.

Analyse

     À mon avis, l'obligation des demanderesses de communiquer les documents qui sont pertinents et qui peuvent aider Apotex et le docteur Sherman à préparer leur défense ne justifie pas les subpoenas délivrés en l'espèce décrivant en termes larges les documents demandés. Même dans les instances criminelles, l'obligation de communiquer des documents n'est généralement pas perçue comme s'étendant au-delà du bureau du procureur, c'est-à-dire du bureau et des dossiers des avocats occupant pour le ministère public dans le cadre d'une poursuite. Dans une instance criminelle, ce sont les renseignements en la possession du procureur du ministère public et pertinents quant à la culpabilité ou à l'innocence d'un accusé qui sont assujettis à l'obligation de communication. Cette obligation n'exige pas de communiquer des documents conservés par d'autres ministères ou organismes de la Couronne. Même s'il peut arriver que d'autres renseignements soient visés, seuls les documents connus du procureur et pertinents quant aux questions découlant de la poursuite sont assujettis à la communication. Les règles de droit applicables aux subpoenas et à leur usage peuvent permettre d'ordonner la production de documents pertinents particuliers dans d'autres circonstances.

     Ni un subpoena ni le principe de la communication ne permettent d'exiger la production de documents non pertinents. Il est vrai que la pertinence d'un document particulier ne peut être déterminée qu'après un examen faisant suite à sa production. Toutefois, selon moi, lorsqu'un subpoena duces tecum décrit des documents en termes très généraux, comme c'est le cas en l'espèce, il n'est pas raisonnable de présumer, pour les fins de la production, que tous les documents appartenant à la catégorie générale ainsi décrite sont pertinents quant aux questions soumises à la Cour.

     Dans la présente instance, ces questions sont définies principalement par les termes de l'ordonnance du juge Pinard datée du 27 avril 1995 et les sujets qui en découlent. Ce sont des renseignements sur ces questions qu'il faut produire suivant le principe de communication pour permettre à Apotex et au docteur Sherman de présenter une défense pleine et entière. Il s'agit principalement de savoir si les prétendus auteurs de l'outrage au tribunal étaient au courant des interdictions que renfermaient les motifs de jugement et le jugement, s'ils ont agi en contravention des interdictions les 14, 15 et 16 décembre 1994 et du 9 janvier au 20 avril 1995 et si, dans l'affirmative, il existe dans les deux cas des facteurs dont il devrait être tenu compte pour déterminer la pénalité à imposer.

     En ce qui concerne ces questions, je ne suis pas persuadé que tous les renseignements décrits dans les diverses catégories de documents visées dans le subpoena puissent être considérés comme pertinents dans la présente instance, par exemple (dans la catégorie 3), les documents concernant le démarchage de Merck au sujet de l'inscription de l'Apo-énalapril, le produit d'Apotex, dans les formulaires provinciaux, ou quoi que ce soit d'autre concernant l'Apo-énalapril dans les messages adressés à des ministères (dans la catégorie 4). Les décisions des représentants provinciaux et fédéraux au sujet de l'inscription ou de l'octroi de licences concernant les médicaments peuvent sans nul doute avoir une incidence importante sur le marché, mais je ne suis pas convaincu que cette incidence soit directement attribuable au démarchage ou à d'autres communications d'une partie à l'intention des administrateurs du gouvernement. Qui plus est, les efforts de démarchage déployés par Merck relativement à l'Apo-énalapril peuvent difficilement être considérés comme pertinents quant aux activités d'Apotex et du docteur Sherman pendant les périodes limitées en cause aux termes de l'ordonnance du juge Pinard. À mon avis, cette même observation s'applique à l'examen des catégories générales de documents pour les délais prolongés énumérés aux catégories 5, 6, 7 et 8, c'est-à-dire du 1er janvier 1994 au 1er juin 1995, ou à la catégorie 8 pour les années 1994 et 1995 et aux catégories générales 8 et 9 pour des renseignements, sur des périodes prolongées, concernant les ventes du produit de Merck appelé Vasotec, ainsi qu'aux relevés d'appels téléphoniques à la catégorie 9 concernant les appels faits par le personnel de Merck Frosst à tout grossiste, distributeur, etc. et à tout ministère fédéral ou provincial. La catégorie 7 décrit des documents concernant des pratiques de remise ou de rabais au sein de l'industrie pharmaceutique canadienne, une catégorie générale qui, selon moi, n'est pas pertinente quant aux questions soumises à la Cour; ces questions concernent les gestes d'Apotex et non ceux des autres sociétés. À mon avis, ces catégories générales de documents ne peuvent être considérées comme pertinentes quant aux questions soulevées par l'ordonnance de se justifier.

     Pour Apotex et le docteur Sherman, il est allégué que la pertinence se détermine non seulement eu égard aux termes de l'ordonnance de se justifier et aux questions qui en découlent nécessairement, mais aussi eu égard à la nature des éléments de preuve introduits par les demanderesses. Je ne suis pas convaincu que la preuve relative aux questions soumises à la Cour soit un facteur de pertinence déterminant. À mon avis par exemple, la preuve détaillée des ventes de Vasotec, le produit d'énalapril de Merck, n'est pas pertinente quant à la mise en marché du produit d'Apo-énalapril d'Apotex aux époques en cause. Cette preuve est peut-être pertinente quant au marché pour l'ensemble des produits d'énalapril, mais je ne suis pas convaincu de leur pertinence quant aux questions en cause aux termes de l'ordonnance de se justifier.

     Le subpoena soulève un autre facteur lié à la pertinence. Il s'agit des sources des renseignements demandés. Pour justifier la production de documents, on invoque le principe de la communication visant à permettre la présentation d'une défense pleine et entière. Ainsi qu'il a déjà été souligné, ce principe ne s'étend habituellement pas au-delà des documents qui sont en la possession ou sous le contrôle du bureau du procureur. Dans le meilleur des cas, ce bureau correspond, par analogie avec les circonstances de la présente espèce, aux bureaux de l'avocat occupant pour Merck dans la présente instance et de l'avocat chargé du dossier dont Merck a retenu les services, Me Quesnel. Il ne s'étend pas aux bureaux de tous les employés de Merck Frosst, ni aux bureaux de Merck qui sont à l'étranger et auxquels le subpoena de la Cour ne s'applique pas de toute manière. À moins que des renseignements émanant de ces bureaux ne soient portés à l'attention des avocats concernés lorsqu'ils donnent des instructions ou agissent dans la poursuite de l'instance en justification, le principe de la communication ne s'applique pas. En l'absence d'une preuve que les documents ont été trouvés dans les bureaux des avocats, ils ne sont pas pertinents aux questions en litige en l'espèce, parce qu'ils n'ont pas été examinés par l'avocat en rapport avec la présente instance. Si l'avocat n'a pas examiné un document en vue de la présente instance, ce document ne peut guère être pertinent car avant qu'il ne l'examine, il n'est pas possible que le document soit introduit au préjudice des prétendus auteurs d'outrage au tribunal.

     Je passe aux arguments de Merck selon lesquels tous les documents que Me Quesnel conserve à les bureaux ou qui sont sous son contrôle à titre de conseiller juridique et de chef du contentieux sont, vu son statut de membre du Barreau et de conseiller juridique interne, protégés par le privilège du secret professionnel de l'avocat, alors que les documents qui sont directement liés à la présente instance sont protégés par un aspect de ce privilège, du fait qu'ils sont utilisés en vue de la préparation du présent litige, savoir le privilège relatif au litige. Ainsi qu'il a déjà été souligné, il est allégué que le privilège appartient à la cliente, Merck Frosst, et que celle-ci n'y a pas renoncé en l'espèce. Ces principes s'appliquent d'emblée dans les instances civiles ordinaires.

     En l'espèce, il est maintenant clairement établi qu'en raison de la nature des pénalités qui peuvent être imposées en cas d'outrage au tribunal, les protections généralement offertes dans le cadre d'instances criminelles s'appliquent ici aux droits du docteur Sherman et, peut-être, à ceux d'Apotex. La majeure partie de la production de documents se fait par application du principe de la communication pour garantir que les prétendus auteurs d'outrage au tribunal ont la pleine possibilité de répondre aux allégations auxquelles il leur est ordonné de répondre et de préparer une défense contre celles-ci. Cela s'applique même aux documents qui peuvent par ailleurs faire l'objet du privilège du secret professionnel de l'avocat. En l'espèce, ce principe a déjà été appliqué par l'avocat qui occupe pour Merck devant la présente Cour relativement aux documents qu'il a en sa possession ou sous son contrôle. Il a aussi été appliqué par extension relativement au dossier conservé par un témoin expert qui a présenté des éléments de preuve dans le cadre de la présente instance pour le compte des demanderesses.

     Dans les instances criminelles, les documents émanant de l'enquête préalable à la poursuite qui sont mis à la disposition du poursuivant sont assujettis à l'obligation de communication. Dans la présente affaire d'outrage au tribunal lié à une poursuite privée, il est fort probable qu'une bonne partie de l'enquête menant à l'ordonnance de se justifier a été préparée par l'intermédiaire du bureau du conseiller juridique et chef du contentieux de Merck Frosst et a été transmise par cette personne aux avocats comparaissant pour Merck dans le cadre de la présente instance. Dans ces circonstances, pour les besoins de l'application du principe de la communication, il convient, selon moi, de considérer que le bureau du conseiller interne de Merck Frosst et celui des avocats qui occupent dans le cadre de la présente instance sont comparables au bureau du procureur dans des instances criminelles ordinaires.

     Par mesure de précaution, j'ordonne que les mêmes principes de communication s'appliquent aux documents pertinents qui sont maintenant en la possession de Me Quesnel à titre de conseiller juridique chargé du dossier pour le compte de Merck Frosst, de la même façon qu'ils ont été appliqués par les avocats de Merck dans le cadre de la présente instance pour les documents qui étaient sous leur contrôle. Dans l'application de ce principe, la norme établie par le juge Sopinka de la Cour suprême du Canada, dans R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, (1991) 68 C.C.C. (3d), aux pages 8 à 12, et dans R. c. Egger (1993), 82 C.C.C. (3d) 193, aux pages 203 et 204 (C.S.C.), devrait être appliquée par les avocats qui travaillent avec Me Quesnel dans la présente instance à l'égard des documents connus de Me Quesnel ou de son prédécesseur comme pertinents quant à la présente instance en justification. Dans cet examen, comme dans celui d'autres documents en la possession des avocats qui comparaissent dans la présente affaire, l'appréciation de la pertinence et la décision de les communiquer ou non à ce stade-ci appartient aux avocats de Merck qui occupent dans la présente instance à titre d'officiers de la Cour. Si des documents pertinents ne doivent pas être communiqués à ce stade tardif, les avocats devraient en informer la partie adverse, qui pourra alors soulever la question auprès de moi, si d'autres instructions sont requises.

     Même si, à première vue, cela peut sembler une tâche imposante, Me Quesnel affirme dans son affidavit qu'au meilleur de sa connaissance, de sa compréhension et de sa croyance, la totalité des documents ne faisant pas l'objet d'un privilège qui sont pertinents à l'audience de justification et peuvent par ailleurs être produits, l'ont été. Les avocats qui plaident connaissent la norme établie dans les arrêts Stinchcombe et Egger ainsi que les décisions invoquées dans le cadre de la présente instance où l'on a reconnu ces arrêts comme fondement de la communication de documents en l'espèce. L'obligation de communication est permanente, de sorte qu'à mesure que des documents sont considérés comme pertinents, ils sont assujettis à la règle de communication.

Conclusion

     Par ordonnance, j'accueille la requête des demanderesses et j'ordonne que les subpoenas duces tecum signifiés à Me Robert Quesnel et devant être présentés les 20 et 23 octobre 1997 respectivement soient annulés et cassés.

     Cette ordonnance est rendue sous réserve de toute requête qu'Apotex et le docteur Sherman peuvent présenter en vue d'obtenir un autre subpoena sollicitant des documents décrits plus en détail que dans le subpoena en cause en l'espèce, et accompagnée de moyens de déterminer leur pertinence quant aux questions soumises à la Cour dans le cadre de la présente instance.

     Il est aussi enjoint à l'avocat de Merck à l'instance de prendre, en consultation avec Me Quesnel à titre d'avocat chargé du dossier pour Merck Frosst, des dispositions en vue de la production de tout document en la possession de Me Quesnel, dans le cadre de ses fonctions auprès de Merck Frosst, qui est pertinent quant aux questions précises découlant de la présente instance, selon la norme de communication établie par les arrêts Stinchcombe et Egger.

     Merck sollicite les dépens de la requête sur la base des frais entre procureur et client. Pour adjuger les dépens sur cette base, il faut habituellement un certain abus des procédures de la Cour de la part des avocats. Même si l'on peut s'interroger sur les fins visées par des subpoenas libellés en termes aussi généraux que ceux dont il est question en l'espèce, aucun élément de preuve ne m'a été soumis pour prouver que les avocats poursuivaient des fins irrégulières. Bien que les descriptions générales des documents qu'il est ordonné de produire soient manifestement trop larges, l'excès de zèle des avocats est maintenant tempéré par l'annulation des subpoenas. À mon avis, les dépens devraient être adjugés aux demanderesses indépendamment de l'issue de la cause sur la base qui pourra être déterminée à la conclusion de l'instance en justification.

" W. Andrew MacKay "

Juge

Toronto (Ontario)

29 octobre 1997

Traduction certifiée conforme :         
                             C. Bélanger, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

NE DU GREFFE :              T-2408-91

INTITULÉ DE LA CAUSE :          MERCK & CO. INC. et

                     MERCK FROSST CANADA INC.

                     - et -

                     APOTEX INC.

                    

DATE DE L'AUDIENCE :          21 OCTOBRE 1997

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR M. LE JUGE MACKAY

EN DATE DU :              29 OCTOBRE 1997

ONT COMPARU :

                     M e. G. Alexander Macklin, c.r.

                     M e Charles C. Beall

                     M e Emmanuel Manolakis

                         pour les requérantes

                     M e H. Radomski

                     M e David Scrimger

                         pour l'intimée

                     M e Brian Greenspan

            

                         pour le docteur Bernard Sherman


     - 2 -

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                     Gowling, Strathy & Henderson

                     2600-160, rue Elgin

                     C.P. 466, succursale D

                     Ottawa (Ontario)

                     K1P 1C3

                         pour les requérantes

                      Goodman Phillips & Vineberg

                     Bureau 2400

                     250, Yonge Street

                     Toronto (Ontario)

                     M5B 2M6

                         pour l'intimée

                     Greenspan, Humphrey

                     2714-130, Adelaide Street West

                     Toronto (Ontario)

                     M5H 3P5

                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                    

                    

                     NE du greffe :      T-2408-91

                     Entre :

                     MERCK & CO. INC. et

                     MERCK FROSST CANADA INC.,

     demanderesses,

                     - et -

                     APOTEX INC.,

                    

     défenderesse.

                    

                     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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