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Date : 20020325

Dossier : IMM-1707-01

Référence neutre : 2002 CFPI 335

ENTRE :

                                          MICHEL GAYLE

                                                                                              demanderesse

                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]    Michel Gayle dépose la présente demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision, datée du 20 mars 2001, rendue par la gestionnaire des opérations de l'unité 13 du Centre d'exécution de la loi de la région du Grand Toronto ( « CELRGT » ), Immigration Canada. Par cette décision, la gestionnaire a ordonné la confiscation d'un dépôt en espèces de 10 000 $ et la réalisation d'une garantie de bonne exécution d'un montant additionnel de 10 000 $, les deux cautionnements ayant été fournis par Mme Gayle le 18 avril 2000.

FAITS

[2]    Mme Gayle a agi à deux reprises à titre de caution en faveur de Hansel Lynch, un citoyen jamaïcain vivant au Canada qu'on connaît aussi sous le nom de Nathan Lynch.

[3]    En avril 2000, M. Lynch a été arrêté, accusé, mis en liberté sous caution et placé sous garde de l'Immigration. Le 18 avril 2000, pour que M. Lynch soit libéré de la garde de l'Immigration, Mme Gayle a fourni un dépôt en espèces et une garantie de bonne exécution dont le montant s'élevait en tout à 20 000 $. Pour les fins de la présente demande, la condition pertinente à laquelle M. Lynch était assujetti consistait pour Nathan Lynch à remettre son passeport à un agent d'immigration le 19 mai 2000 ou avant.


[4]                 Le 8 juin 2000, M. Lynch a de nouveau été mis sous garde après qu'on eut découvert qu'il avait donné aux autorités de l'immigration un faux nom, soit Nathan Lynch, alors que son nom d'origine est Hansel Lynch. Le 22 août 2000, Mme Gayle a assisté à une audience de révision des motifs de la détention pour fournir un cautionnement additionnel, mais M. Lynch n'a pas été mis en liberté. Le 27 septembre 2000, Mme Gayle a assisté à une autre audience de révision des motifs de la détention. À ce moment-là, M. Lynch a été mis en liberté et Mme Gayle a fourni un autre dépôt en espèces de 10 000 $, de même qu'une autre garantie de bonne exécution de 10 000 $.

[5]                 Le 15 novembre 2000, quoiqu'il était visé par une mesure d'expulsion, M. Lynch a quitté le Canada de son propre chef. L'avocate de Mme Gayle a alors écrit aux autorités de l'immigration pour leur demander le remboursement des cautionnements.

[6]                 Par une lettre datée du 23 novembre 2000, Mme Gayle a été avisée qu'Immigration Canada s'apprêtait à confisquer le dépôt en espèces et à réaliser la garantie de bonne exécution qu'elle avait fournis le 18 avril 2000. L'avocate de Mme Gayle a soumis plusieurs observations tant par courrier que par téléphone relativement à cette décision.

[7]                 Par une lettre datée du 20 mars 2001, la gestionnaire des opérations a réitéré sa décision de confisquer le dépôt en espèces et de réaliser la garantie de bonne exécution.

DÉCISION DE LA GESTIONNAIRE DES OPÉRATIONS

[8]                 Dans la lettre du 20 mars 2001 qu'elle a adressée à l'avocate de Mme Gayle, la gestionnaire des opérations a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION] La présente concerne les lettres récentes que vous nous avez fait parvenir quant au remboursement des cautionnements fournis par Michel Gayle pour la mise en liberté de M. Lynch.


Comme vous le savez, Mme Gayle a fourni des cautionnements à deux reprises pour la mise en liberté de M. Lynch. Le second cautionnement de 10 000 $ (B95243) a été fourni à l'occasion de la mise en liberté de M. Lynch le 27 septembre 2000, et j'estime que M. Lynch a respecté ses conditions de mise en liberté.

Cependant, M. Lynch a également été mis en liberté le 18 avril 2000 sous le pseudonyme de Nathan Lynch (date de naissance : 11 juin 1971) sur la foi de cautionnements signés par Michel Gayle - un dépôt en espèces au montant de 10 000 $ (B95153) et une garantie de bonne exécution au même montant. Suivant ses conditions de mise en liberté, Nathan Lynch devait remettre son passeport à un agent d'immigration le 19 mai 2000 ou avant. Nous n'avons pas reçu le passeport en question à cette date, d'où la violation des conditions de mise en liberté de M. Lynch.

Pour cette raison, je suis d'avis de confisquer le dépôt en espèces (B95193) [sic] et de réaliser la garantie de bonne exécution, tous deux fournis le 18 avril 2000. Le remboursement du dépôt en espèces du 27 septembre sera déduit du solde de la garantie de bonne exécution du 18 avril, afin que soit acquittée l'obligation due au receveur général.

[9]                 Le fait que Nathan Lynch n'ait pas remis de passeport n'est nullement contesté.

QUESTION EN LITIGE

[10]            Bien que Mme Gayle ait soulevé un certain nombre de questions relativement à cette décision, j'estime qu'il y a lieu de n'examiner qu'une seule : la gestionnaire des opérations a-t-elle omis d'agir équitablement dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a ordonné la confiscation du dépôt en espèces et la réalisation de la garantie de bonne exécution?

ANALYSE


[11]            Une fois que M. Lynch est détenu, l'arbitre peut, en se fondant sur le paragraphe 103(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la « Loi » ), ordonner que M. Lynch soit mis en liberté aux conditions qu'il juge indiquées en l'espèce, notamment la fourniture d'un cautionnement ou d'une garantie de bonne exécution.

[12]            L'article 104 de la Loi prévoit quant à lui :


104. L'inobservation des conditions fixées en application de l'alinéa 103(3)c) ou des conditions de la mise en liberté accordée aux termes de la présente loi peut entraîner, dans ce dernier cas, une nouvelle mise sous garde et, dans les deux cas_:

a) soit la confiscation par le ministre du cautionnement fourni;

b) soit la réalisation en justice de la garantie de bonne exécution.

104. Where a person fails to comply with any of the terms or conditions imposed under paragraph 103(3)(c) or with any of the terms or conditions subject to which he is released from detention under any provision of this Act

(a) any security deposit that may have been made either pursuant to paragraph 103(3)(c) or as a condition of the person's release may be declared forfeited by the Minister, or

(b) the terms of any performance bond that may have been posted may be enforced

and, where the person has been released from detention, he may be retaken into custody forthwith and held in detention.


[13]            Le mécanisme des dépôts en espèces et des garanties de bonne exécution vise à permettre la mise en liberté d'une personne détenue par les autorités de l'immigration suivant des modalités qui s'imposent en conformité avec la Loi et ses règlements d'application.


[14]            Le défaut de se conformer à une condition n'entraîne pas automatiquement la confiscation des dépôts en espèces et la réalisation des garanties de bonne exécution. Le ministre dispose plutôt du pouvoir discrétionnaire de décider s'il y a lieu de confisquer le cautionnement et de réaliser la garantie de bonne exécution.

[15]            Ce pouvoir discrétionnaire a été délégué par instrument à des agents comme la gestionnaire des opérations de l'unité 13 du CELRGT.

[16]            La Loi est muette quant aux principes qui régissent l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, mais le chapitre EC8 du Guide Exécution de la Loi et Contrôle de Citoyenneté et Immigration Canada énonce des directives ministérielles à l'intention des agents sur les valeurs et les principes devant guider leurs décisions.

[17]            Il ressort de la section 6 du chapitre EC8 du Guide que ce pouvoir discrétionnaire a été prévu dans la Loi dans l'éventualité où l'agent jugerait que les conditions du cautionnement ont été enfreintes indépendamment de la volonté de la personne concernée ou qu'il existerait des circonstances atténuantes d'ordre humanitaire.

[18]            La section 6.3 prévoit que les agents devraient étudier le bien-fondé de chaque dossier et aviser par écrit la personne concernée des motifs pour lesquels des mesures ont été prises pour confisquer le dépôt en espèces ou pour réaliser la garantie de bonne exécution.


[19]            En l'occurrence, la gestionnaire des opérations n'a indiqué qu'un seul motif dans sa lettre de décision pour fonder son recours à la confiscation et à la réalisation : le défaut de M. Lynch de se conformer à une condition de sa mise en liberté. Bien qu'il s'agisse d'une condition préalable à l'exercice par l'agent de son pouvoir discrétionnaire, ce motif n'établit pas que l'agent se soit consacrée à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire ou qu'elle se soit arrêtée aux principes qui devraient guider l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

[20]            Sauf pour la reconnaissance, dans la première phrase de la lettre de décision, du fait qu'il y a eu un échange de lettres, la lettre de décision est muette sur les éléments dont l'agent a tenu compte à part le défaut de M. Lynch de remettre son passeport à un agent d'immigration dans les délais impartis.

[21]            En plus de prendre connaissance de la lettre de l'agent à l'avocate de Mme Gayle, j'ai examiné attentivement l'ensemble du dossier du tribunal afin de cerner les facteurs que la gestionnaire des opérations a pris en considération. L'agent n'a reçu aucun affidavit et l'avocat du ministre n'a pu se référer à un écrit ou à un dossier préparé par la gestionnaire des opérations pour démontrer que celle-ci a tenu compte de toutes les circonstances de l'espèce et qu'elle a porté une attention particulière aux faits invoqués en faveur de Mme Gayle comme constituant des circonstances atténuantes d'ordre humanitaire.


[22]            En supposant, sans toutefois trancher la question, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable, je suis d'avis que la gestionnaire des opérations a commis une erreur de principe en rendant une décision sans égard aux principes énoncés dans les directives ni, semble-t-il, aux circonstances d'ordre humanitaire qui ont été mises de l'avant.

[23]            L'avocat du ministre a fait valoir que les motifs invoqués par la gestionnaire des opérations n'avaient pas à traiter de toutes les questions, mais qu'ils devaient plutôt servir à expliquer les conclusions tirées par l'agent sur les questions les plus importantes. L'avocat a cité à l'appui de sa thèse l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282, au paragraphe 24.


[24]            Au risque de me répéter, la gestionnaire des opérations a expliqué que la conclusion à laquelle elle est arrivée se fondait exclusivement sur le défaut de M. Lynch de remettre son passeport aux autorités de l'immigration dans les délais impartis, et ce, en violation d'une condition de sa mise en liberté. L'exercice judicieux du pouvoir discrétionnaire participe fondamentalement de la reconnaissance de l'existence de ce pouvoir discrétionnaire, ainsi que de son exercice en conformité avec les principes qui s'imposent. Bien que la gestionnaire des opérations n'ait pas à traiter dans sa décision de tous les éléments mis de l'avant par Mme Gayle, ni le motif qu'elle a invoqué ni l'ensemble du dossier du tribunal ne démontrent que ce pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon judicieuse.

[25]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[26]            Les avocats des parties disposent chacun de sept jours à compter de la réception des présents motifs pour signifier et déposer leurs observations à la Cour relativement à la certification d'une question en application du paragraphe 83(1) de la Loi. En outre, les avocats bénéficient d'un délai additionnel de trois jours pour signifier et déposer leurs observations en réponse. Dès que toutes les observations auront été reçues et examinées, la Cour délivrera une ordonnance pour accueillir la demande de contrôle judiciaire.

« Eleanor R. Dawson »

ligne

                                                                                                                                Juge                        

  

Ottawa (Ontario)

Le 25 mars 2002

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

  

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-1707-01

INTITULÉ :                                                        Michel Gayle c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 7 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Madame le juge Dawson

DATE DES MOTIFS :                                     Le 25 mars 2002

  

COMPARUTIONS :

Mme Nancy Myles Elliott                                    POUR LA DEMANDERESSE

M. Stephen Jarvis                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Nancy Myles Elliott                                    POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                           POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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