Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20041104

Dossier : T-736-04

Référence : 2004 CF 1549

Ottawa (Ontario), le 4 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                                                      MAUREEN A. HARQUAIL

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                  LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission de la fonction publique (la Commission) datée du 12 mars 2004, prise en vertu du paragraphe 33(3) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33, dans laquelle la Commission a refusé une demande de congé sans traitement qui aurait permis à la demanderesse de poser sa candidature aux élections fédérales de 2004 et d'être éventuellement candidate.

[2]                Les questions à trancher sont celles de savoir si la demande est théorique, et si ce n'est pas le cas, si la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a refusé d'accorder le congé demandé par la demanderesse.

[3]                La présente affaire touche également deux valeurs constitutionnelles importantes. Plus précisément, elle concerne le conflit entre la liberté d'expression d'un fonctionnaire et son droit de participer au processus démocratique et la convention constitutionnelle qui exige que la fonction publique soit politiquement neutre.

LES FAITS

[4]                La demanderesse, Maureen Harquail, est à l'heure actuelle employée en qualité de conseillère juridique, Unité de supervision des mandataires, Service des poursuites fédérales, Poursuites environnementales et réglementaires du bureau de Toronto du ministère de la Justice. Elle occupe ce poste depuis février 2003.

[5]                Le 2 février 2004, la demanderesse a présenté à la Commission une demande de congé sans solde conformément au paragraphe 33(3) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique dans le but de poser sa candidature dans la circonscription de St. Catharines en Ontario pour les élections fédérales de 2004.

[6]                Le paragraphe 33(3) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique énonce que la Commission peut accorder à un fonctionnaire un congé non payé si celui-ci souhaite se porter ou être choisi comme candidat à une élection, si elle estime que la candidature du fonctionnaire ne nuira pas par la suite à son efficacité dans la fonction publique.

[7]                Les supérieurs de la demanderesse au ministère de la Justice ont appuyé sa demande de congé non payé. Le 13 février 2004, le sous-ministre de la Justice, Morris Rosenberg, a écrit à la Commission pour recommander que le congé non payé demandé soit accordé. Selon M. Rosenberg, la demanderesse n'exerçait pas un pouvoir considérable de façon visible, ni très publique sur les résidents de la circonscription de St. Catharines et que, par conséquent, il n'y avait aucune raison de lui refuser sa demande de congé. Étaient joints à la lettre de M. Rosenberg une description de travail de la demanderesse, un tableau de l'organisme et des notes d'information préparées à l'intention du sous-ministre.


[8]                Au cours des mois de février et mars, la demanderesse, le ministère de la Justice et la Commission se sont échangé d'autres courriers. Le 18 février 2004, un membre du personnel de la Commission a envoyé au supérieur de la demanderesse un courriel dans lequel il demandait des précisions concernant certaines tâches énumérées dans la description de travail de la demanderesse. En particulier, le membre du personnel demandait des précisions au sujet de l'autorité qu'avait la demanderesse à l'égard des mandataires; il voulait savoir si elle prenait des décisions au sujet de l'opportunité d'intenter des poursuites et si elle participait à des poursuites complexes, importantes ou délicates sur le plan politique. Dans sa réponse, le supérieur a indiqué que la demanderesse n'avait pas le pouvoir d'embaucher ou de congédier les mandataires, mais qu'elle décidait effectivement de l'opportunité d'instituer des poursuites et qu'elle était susceptible (non souligné dans l'original) d'être amenée à jouer le rôle d'avocat principal dans des poursuites importantes, complexes ou délicates sur le plan politique, même si elle ne l'avait pas encore fait jusqu'ici.

[9]                Le 1er mars 2004, la demanderesse a écrit à la Commission pour lui faire savoir qu'il était urgent qu'une décision soit prise dans ce dossier, étant donné qu'elle devait commencer à travailler à sa campagne électorale à partir du 5 mars 2004 si elle voulait avoir une chance de voir sa candidature retenue le 30 mars 2004.

LA DÉCISION

[10]            Dans une lettre datée du 12 mars 2004, la Commission a informé la demanderesse que sa demande de congé avait été refusée. La Commission a motivé de la façon suivante sa décision :

[traduction] Compte tenu des tâches dont vous devez vous acquitter dans votre poste de procureur de la Couronne du Service des poursuites fédérales du bureau régional de l'Ontario, la CFP a décidé que le fait de vous porter candidate pourrait nuire par la suite à votre efficacité. Cette décision est fondée sur le fait que vous avez le pouvoir d'intenter des poursuites contre des particuliers, et notamment, celui d'ordonner à des mandataires sous votre surveillance de le faire, ainsi que sur la visibilité de votre poste.

[11]            Le rapport officiel de la décision de la Commission, qui est daté du 10 mars 2004, énonce : « Cette demande de congé est refusée compte tenu de la visibilité et du degré d'autorité de son poste » .

[12]            Après avoir été informée de cette décision négative, la demanderesse a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire le 8 avril 2004. Elle ne s'est pas portée candidate et l'élection fédérale a eu lieu le 28 juin 2004.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[13]            L'article pertinent de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33, se lit ainsi :


33. (1) Il est interdit à tout administrateur général et, sauf autorisation par le présent article, à tout fonctionnaire :

a) de travailler pour ou contre un candidat;

b) de travailler pour ou contre un parti politique;

c) d'être candidat.

33. (1) No deputy head and, except as authorized under this section, no employee, shall

(a) engage in work for or against a candidate;

(b) engage in work for or against a political party; or

(c) be a candidate.


Activités autorisées

(2) L'assistance à une réunion politique ou la contribution financière à la caisse d'un candidat ou d'un parti politique ne constituent pas à elles seules des manquements au paragraphe (1).

Excepted activities

(2) A person does not contravene subsection (1) by reason only of attending a political meeting or contributing money for the funds of a candidate or of a political party.Congé

(3) Le fonctionnaire désireux de se porter ou d'être choisi comme candidat peut demander à la Commission un congé non payé pour une période se terminant le jour de la proclamation des résultats de l'élection ou, à sa demande, à toute date antérieure marquant la fin de sa candidature. Nonobstant toute autre loi, la Commission peut accorder un tel congé si elle estime que la candidature du fonctionnaire ne nuira pas par la suite à son efficacité, pour la fonction publique, dans le poste qu'il occupe alors.

Leave of absence

(3) Notwithstanding any other Act, on application made to the Commission by an employee, the Commission may, if it is of the opinion that the usefulness to the Public Service of the employee in the position the employee then occupies would not be impaired by reason of that employee having been a candidate, grant to the employee leave of absence without pay to seek nomination as a candidate and to be a candidate for election, for a period ending on the day on which the results of the election are officially declared or on such earlier day as may be requested by the employee if the employee has ceased to be a candidate.

Avis

(4) Dès qu'elle a accordé le congé prévu au paragraphe (3), la Commission fait publier un avis de sa décision dans la Gazette du Canada.

Notice

(4) Forthwith on granting any leave of absence under subsection (3), the Commission shall cause notice of its action to be published in the Canada Gazette.

Effet de l'élection

(5) Le fonctionnaire déclaré élu à une élection mentionnée à l'article 32 perd dès lors sa qualité de fonctionnaire.

Effect of election

(5) An employee who is declared elected as a member of the House of Commons, of the legislature of a province, of the Council of the Northwest Territories or of the Legislative Assembly of Yukon or Nunavut ceases to be an employee on that declaration.


[14]            L'alinéa 33(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique a été annulé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69 (sauf dans la mesure où il s'applique à un « administrateur général » ). Le paragraphe 33(3) est toutefois toujours en vigueur.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[15]            Voici les questions à trancher :


1.          y a-t-il lieu de rejeter la demande parce qu'elle est théorique et sans objet?

2.          si la demande n'est pas sans objet :

a)         quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission?

b)          la Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a refusé la demande de congé non payé présentée par la demanderesse en vue de se porter candidate à une charge publique?

ANALYSE

Question en litige no 1

La demande est-elle théorique et sans objet?

[16]            La défenderesse soutient qu'il y a lieu de rejeter la demande parce qu'elle est théorique et sans objet et que la Cour ne devrait pas examiner cette affaire au fond. La défenderesse affirme qu'étant donné que la date limite pour les mises en candidature est passée et que l'élection fédérale a déjà eu lieu, la question de savoir s'il convient d'accorder un congé à la demanderesse pour qu'elle puisse se porter candidate n'est plus pertinente.


[17]            Le critère permettant d'apprécier le caractère théorique d'une question, tel que formulé par la Cour suprême du Canada dans Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, est double. Premièrement, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, même si le différend a disparu, le tribunal décide s'il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire.

[18]            Pour ce qui est du premier volet du critère, il est évident qu'aucun différend concret et tangible n'oppose les parties. En demandant un congé, la demanderesse souhaitait présenter sa candidature et éventuellement être candidate aux élections fédérales de 2004. Étant donné que les élections fédérales ont eu lieu, la demanderesse n'a plus besoin d'un congé et la raison d'être du litige a disparu.

[19]            Même si aucun différend n'oppose actuellement les parties, la Cour peut néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l'affaire si les circonstances s'y prêtent. Dans Borowski, précité, le juge Sopinka précise que la Cour saisie de cette question doit tenir compte de trois aspects pour exercer son pouvoir discrétionnaire. Plus précisément, la Cour doit décider s'il existe un débat accusatoire, si la décision attaquée aura un effet concret sur les droits des parties et ne donnera pas lieu à un gaspillage des ressources judiciaires, et enfin, si un jugement risque de constituer un empiétement sur la fonction législative.


[20]            En l'espèce, j'admets qu'il existe un débat contradictoire. La Cour suprême du Canada et la Cour d'appel fédérale ont toutes deux jugé qu'il y avait débat contradictoire lorsque les parties avaient débattu à fond et avec vigueur les questions soulevées. Voir Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G.(J.), [1999] 3 R.C.S. 46 et Lavoie c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2002), 291 N.R. 282. Les parties à la présente demande ont participé à un débat contradictoire et ont présenté leurs arguments avec détermination, en particulier la demanderesse. Je note toutefois qu'à la différence des nombreuses décisions dans lesquelles la Cour a exercé son pouvoir d'entendre une affaire théorique, il n'existe en l'espèce aucune conséquence accessoire pour la demanderesse.

[21]            Pour ce qui est de l'économie des ressources judiciaires, je ne suis pas convaincu que les circonstances de cette affaire justifient que l'on y consacre des ressources judiciaires limitées. La réparation sollicitée par la demanderesse n'aurait aucun effet pratique sur ses droits, étant donné qu'elle n'a plus besoin d'un congé pour les élections fédérales de 2004. De plus, il est peu probable qu'un jugement de la Cour puisse aider la demanderesse au cas où elle demanderait à l'avenir un congé étant donné que sa situation, y compris son poste et ses responsabilités, peuvent fort bien avoir été modifiés d'ici là.


[22]            Dans certains cas, la Cour décidera de consacrer des ressources judiciaires à l'examen d'une affaire qui est de nature récurrente mais qui se prête mal à un examen judiciaire. La présente demande se prête évidemment mal à un examen judiciaire à cause des délais très stricts qui en marquent le contexte. L'assemblée fondatrice de l'association de circonscription a eu le 30 janvier 2004, la demanderesse a demandé un congé le 2 février 2004 et l'assemblée de présentation des candidats a eu lieu le 30 mars 2004. Étant donné que la Commission a fait savoir à la demanderesse que sa demande de congé était refusée le 12 mars 2004, celle-ci n'a eu que 18 jours pour présenter sa demande de contrôle judiciaire avant l'assemblée de présentation des candidatures. Cela dit, je ne suis pas convaincu que d'autres affaires concernant une demande de congé en vue de se porter candidat se prêteront toujours aussi mal à un examen judiciaire. Par exemple, rien n'empêche un fonctionnaire de demander un congé avant que des candidats soient activement sollicités. Cela donnerait suffisamment de temps pour présenter une demande de contrôle judiciaire en cas de décision négative, en particulier si une instruction accélérée était demandée. Comme l'a déclaré le juge Sopinka dans Borowski, précité, « il est préférable d'attendre et de trancher la question dans un véritable contexte contradictoire, à moins qu'il ressorte des circonstances que le différend aura toujours disparu avant d'être résolu » (non souligné dans l'original).

[23]            La Cour peut également exerce son pouvoir discrétionnaire si la demande soulève une question qui touche l'intérêt public ou l'intérêt national. La présente affaire soulève certes des valeurs importantes mais la décision est très factuelle; elle vise le cas particulier de la demanderesse et ne touche pas concrètement l'intérêt public. Étant donné que la décision de la Cour n'aurait aucun effet concret pour la demanderesse ou pour le public, je conclus qu'il n'est pas approprié de consacrer des ressources judiciaires à l'instruction de la présente demande.

[24]            La troisième raison d'être mentionnée dans Borowski, précité, est que la Cour doit être consciente de sa fonction véritable dans l'élaboration du droit par rapport au rôle de la législature. J'estime qu'il n'appartient pas à la Cour de prononcer une décision qui n'aura aucun effet concret sur les droits des parties et qui est de nature purement théorique. Voir par exemple Moses c. Canada, [2003] A.C.F. no 1835 (C.F.), au paragraphe 20 et Bago c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1565 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 15.


[25]            D'après ce qui précède, je conclus que la demande est théorique et sans objet et qu'il n'existe pas de circonstances particulières qui justifieraient que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et décide d'entendre l'affaire au fond. Par conséquent, la demande est rejetée.

[26]            Cependant, même si j'en suis arrivé à la conclusion que l'affaire est théorique, je vais brièvement aborder le fond de l'affaire, dans le cas où une telle analyse serait utile en appel.

Question en litige n ° 2

a)          Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission?

[27]            La norme de contrôle appropriée est déterminée en utilisant l'approche fonctionnelle et pragmatique décrite dans l'arrêt Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226. Le premier facteur à examiner selon cette analyse est la présence ou l'absence dans la loi d'une clause privatise ou d'un droit d'appel. Le paragraphe 33(3) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique ne contient pas de clause privative et ne prévoit pas non plus de droit d'appel. Par conséquent, ce facteur est neutre en l'espèce.


[28]            Le deuxième facteur qu'il convient de prendre en considération est l'expertise du décideur par rapport à celle de la cour de révision pour ce qui est de la question en litige. En l'espèce, la Commission possède une expertise légèrement supérieure à celle de la Cour, étant donné qu'elle est chargée de surveiller la fonction publique, de mettre en oeuvre de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique et qu'elle possède de l'expérience dans l'application du paragraphe 33(3). Cela incite la Cour à faire preuve de retenue à son endroit. Cela dit, certains aspects dont la Commission doit contenir compte aux termes du paragraphe 33(3) relèvent de la compétence de la Cour et de son expertise spécialisée. Par exemple, la décision d'accorder un congé exige que soient conciliées des valeurs constitutionnelles, à savoir, la liberté d'expression et la participation à des activités politiques conformément à la convention constitutionnelle qui exige la neutralité politique de la part des fonctionnaires. C'est le genre d'examen qui relève directement de l'expertise de la Cour. Dans l'ensemble, ce facteur favorise une certaine retenue de la part de la Cour.

[29]            Le troisième facteur prévu par cette analyse porte sur l'examen de l'objet de la Loi et de la disposition particulière. La Loi sur l'emploi dans la fonction publique a pour but d'assurer la bonne administration de la fonction publique et d'en protéger l'intégrité. De la même façon, le paragraphe 33(3) a pour but de préserver l'intégrité et la neutralité de la fonction publique. Par conséquent, la décision d'accorder un congé amène le décideur à concilier différentes politiques. De plus, la décision est de nature très discrétionnaire. Ces facteurs indiquent qu'il convient de faire preuve d'une grande retenue à l'égard des décisions de la Commission. Cependant, la décision dont il s'agit concerne directement les droits et les intérêts de la demanderesse plutôt que la conciliation, ou la médiation, des intérêts de divers groupes intéressés, ce qui favorise l'adoption d'une norme plus stricte. Par conséquent, ce facteur donne des résultats mitigés.


[30]            Le quatrième facteur est la nature du problème en question. En l'espèce, la décision était principalement factuelle, étant donné que la Commission était tenue d'examiner la portée des attributions de la demanderesse et d'évaluer si, en raison de ses responsabilités, le congé était susceptible de nuire à la fonction publique. Cela dit, la Commission n'a pas entendu de témoignage direct et elle n'a pas été amenée à apprécier la crédibilité des témoins; elle n'a pas non plus entrepris d'obtenir des renseignements concernant les tâches exécutées par la demanderesse, alors que ces aspects constituent habituellement des motifs qui justifient de faire preuve d'une grande retenue à l'égard des décisions factuelles. Par conséquent, ce facteur donne des résultats quelque peu ambigus.

[31]            En me fondant sur l'analyse qui précède, je conclus que la norme d'examen appropriée est le caractère raisonnable simpliciter de la décision.

Question en litige no 2

b)          La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a refusé la demande de congé non payé de la demanderesse présentée en vue de se porter candidate à une charge publique?

[32]            La décision qui est examinée selon la norme de la décision raisonnable simpliciter ne doit être modifiée que si elle ne repose sur aucun motif capable de résister à une analyse assez poussée. Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247.

[33]            J'ai examiné la recommandation sur laquelle repose la décision de la Commission ainsi que les renseignements qui ont été fournis par le ministère de la Justice à la Commission au sujet des responsabilités de la demanderesse. J'estime que les motifs de la Commission ne résistent pas à une analyse assez poussée et ne sont pas justifiés par les preuves. La décision est donc déraisonnable.


[34]            La Commission soutient que l'enquête sur la possibilité que le congé du fonctionnaire nuise à la fonction publique doit être orientée vers l'avenir. Par conséquent, peu importent les tâches que le fonctionnaire a accomplies dans le passé, il faut examiner celles qu'il pourrait être amené à exécuter à l'avenir. Selon la Commission, les renseignements fournis par le supérieur de la demanderesse d'après lesquels la demanderesse pouvait être amenée à agir à titre d'avocat principal dans des poursuites importantes, complexes ou de nature politiquement sensible permettaient de conclure qu'elle occupait un poste ayant une visibilité importante.

[35]            Malheureusement, la Commission a utilisé une méthode trop simpliste pour effectuer son analyse. J'admets que l'enquête doit être axée sur l'avenir puisqu'il s'agit de savoir si le retour du fonctionnaire dans son poste ne nuira pas à son efficacité. Il n'est toutefois pas raisonnable que la Commission ait envisagé toutes les responsabilités que le fonctionnaire serait susceptible d'exercer à un moment donné, même si cela est peu probable. Il paraît raisonnable que la Commission effectue un examen des responsabilités de la demanderesse dans un contexte réaliste. En particulier, étant donné que la demanderesse aurait retrouvé son poste quelques mois plus tard si elle n'avait pas été élue, la Commission aurait dû tenir compte des responsabilités qui auraient pu être attribuées à la demanderesse dans un avenir proche. Cette enquête aurait fourni une image plus réaliste de l'efficacité de cette employée dans la fonction publique au moment de son retour. En examinant les responsabilités que la demanderesse était susceptible d'exercer dans un avenir proche, la Commission aurait pu tenir compte, notamment, du type d'affaires dont la demanderesse était chargée actuellement ainsi que de son ancienneté dans son poste.


[36]            J'estime que la Commission ne pouvait se contenter de fonder sa conclusion sur le fait que la demanderesse occupait un poste ayant une visibilité publique importante pour la simple raison qu'elle était « susceptible » d'agir en tant qu'avocat principal dans des poursuites importantes, complexes ou de nature politiquement sensible. La Commission aurait plutôt dû effectuer une enquête plus globale pour déterminer s'il était probable que des dossiers de ce genre soient confiés à la demanderesse dans un proche avenir.

[37]            La Commission soutient également qu'elle n'était pas tenue de suivre la recommandation du ministère de la Justice, et qu'elle n'était pas non plus juridiquement tenue de consulter le ministère. Il est vrai que la Commission est seule à posséder le pouvoir d'accorder un congé dans de telles circonstances. J'estime néanmoins qu'elle n'aurait pas dû écarter la recommandation du sous-ministre sans avoir de bonnes raisons pour le faire. Les supérieurs de la demanderesse au sein du ministère de la Justice sont les mieux placés pour connaître l'étendue des responsabilités de la demanderesse et pour évaluer la visibilité de son poste, actuel ou futur. Compte tenu de ce point de vue particulier, il aurait été raisonnable que la Commission n'écarte la recommandation du sous-ministre qu'après avoir elle-même procédé à une enquête approfondie sur les responsabilités de la demanderesse.


[38]            Je suis convaincu, d'après ce qui précède, que les motifs de la Commission à l'origine du refus d'accorder un congé à la demanderesse ne résistent pas à une analyse assez poussée et que sa décision est déraisonnable. Si la demande n'était pas théorique, j'aurais renvoyé le dossier à la Commission pour nouvelle décision.

CONCLUSION

[39]            La demande est théorique et sans objet; elle est donc rejetée sans adjudication des dépens.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                                                                           _ Michael A. Kelen _            

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-736-04

INTITULÉ :                                          Maureen A. Harquail c. Commission de la fonction publique

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 27 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                          LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                         LE 4 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Dougald Brown                                                             POUR LA DEMANDERESSE

John Laskin, Kathleen Riggs                                          POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O'Brien Payne LLP - Ottawa     POUR LA DEMANDERESSE

Torys LLP - Toronto                                                     POUR LA DÉFENDERESSE


                         COUR FÉDÉRALE

                                                         Date : 20041104

                                                     Dossier : T-736-04

ENTRE :

MAUREEN A. HARQUAIL

                                                            demanderesse

et

LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

                                                              défenderesse

                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                 


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.