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Date : 19990507


Dossier : DES-2.99

ENTRE :


ALISSA WESTERGARD-THORPE, ANNETTE MUTTRAY,

JAMIE DOUCETTE, MARK BROOKS, DENIS PORTER,

DEKE SAMCHOK ET CRAIG ELTON JONES,


requérants,

- et -


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,


intimés.


Dossier : T-659-99

ENTRE :


CRAIG ELTON JONES, JONATHAN OPPENHEIM,

JAMIE DOUCETTE, DEKE SAMCHOK,

DENIS PORTER ET ANNETTE MUTTRAY,

demandeurs,


- et -


SA MAJESTÉ LA REINE, LE MINISTRE DE LA JUSTICE

ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

défendeurs.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE MCKEOWN

[1]      Les requérants et les demandeurs sollicitent l"adjudication des dépens en ce qui a trait à des questions constitutionnelles prévues dans certains dossiers et ils sollicitent que les dépens soient adjugés sur une base avocat-client indépendamment de l"issue de la cause. Subsidiairement, les requérants et les demandeurs sollicitent une directive selon laquelle ils se verront adjuger les dépens relatifs aux contestations constitutionnelles sur une base avocat-client indépendamment de l"issue de la cause pourvu que la Cour soit d"avis, après avoir entendu les contestations constitutionnelles, que certaines conditions ont été remplies.

[2]      Les questions en litige sont de savoir si la Cour est compétente pour adjuger les dépens à l"avance; en second lieu, si la Cour est compétente, de savoir si la Cour doit exercer sa compétence pour attribuer les frais et dépens à l"avance ou pour adjuger conditionnellement les dépens, et, en troisième lieu, de savoir si la présente requête est prématurée.

[3]      Les demandeurs et les requérants ont déposé des plaintes suite à la conduite de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans l"exercice de ses fonctions en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (la Loi), relativement aux événements qui se sont produits au moment ou en rapport avec des manifestations tenues à l"occasion de la conférence de l"Organisation de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) qui s"est déroulée à Vancouver (Colombie-Britannique), du 23 au 27 novembre 1997. M. E.N. Hughes, c.r., (le commissaire Hughes), a été nommé aux fins de l"audition des plaintes en décembre 1998.

[4]      Le 3 février 1999, le commissaire Hughes a écrit au solliciteur général et a recommandé un réexamen des décisions antérieures qui rejetaient les demandes présentées au gouvernement concernant le paiement des frais des plaignants devant la Commission.

[5]      Le solliciteur général a donné suite à la lettre du commissaire et a autorisé, sous réserve de certaines conditions, le paiement des frais des plaignants quant à leur représentation par avocat. Une des conditions imposée par le solliciteur général était que " [TRADUCTION] le paiement des frais de représentation de l"avocat des plaignants soit limité au temps raisonnablement nécessaire pour la préparation à l"audience et pour la représentation des plaignants devant M. Hughes ". Le solliciteur général a aussi exigé que tous les frais d"avocat engagés par les plaignants soient taxés par M. Camp, c.r. Au début de l"année 1999, des représentants du gouvernement ont déposé des certificats d"opposition, dans l"intérêt public, à la divulgation d"environ 170 documents en vertu des articles 37, 38 et 39 de la Loi sur la preuve au Canada . Le 1er mars 1999, les requérants et les demandeurs ont déposé un avis de demande à la Cour fédérale en vertu des dispositions de la Loi sur la preuve au Canada afin d"obtenir une ordonnance pour que l"information à laquelle les certificats font référence soit divulguée. Au départ, les avocats du gouvernement ont prétendu que le paiement autorisé en février 1999 par le solliciteur général ne pouvait pas servir pour les procédures en Cour fédérale, étant donné que ce paiement ne visait que les frais et débours engagés pour la comparution devant la Commission. Cependant, le 5 mars 1999, le commissaire Hughes a statué que la demande présentée en Cour fédérale revêtait une grande importance pour l"intégrité du processus devant la Commission et que, pour ce motif, il serait tout à fait raisonnable de demander à M. Camp qu"il prenne en compte le paiement par le gouvernement des frais relatifs à la préparation de la demande et à la comparution en Cour fédérale.

[6]      Le 11 mars 1999, M. Camp a écrit aux avocats pour leur faire part du fait que le gouvernement paierait les frais étant donné que les demandes présentées devant la Cour fédérale concernant la validité des certificats étaient nécessaires pour permettre une représentation efficace des plaignants devant la Commission. M. Camp a aussi dit qu"en règle générale, il était " peu probable " que le gouvernement paye pour des contestations constitutionnelles. L"avocat des requérants et des demandeurs a cru que les frais relatifs aux contestations constitutionnelles seraient payés; mais, le 13 avril, le gouvernement a avisé les requérants et les demandeurs qu"il ne paierait pas pour les contestations constitutionnelles.

[7]      Le 15 avril 1999, le commissaire Hughes a rendu une décision quant à l"admissibilité des requérants et des demandeurs au paiement par le gouvernement des frais relatifs aux contestations constitutionnelles. Dans sa décision, le commissaire Hughes a affirmé que la position prise par l"avocat des requérants et des demandeurs afin d"obtenir le paiement des frais était " [TRADUCTION] bien fondée et valable ", et que le refus du gouvernement de payer avait pour conséquence de " [TRADUCTION] ne pas permettre une représentation pleine et efficace " des plaignants devant la Commission.

[8]      Le 20 avril 1999, l"avocat du solliciteur général a écrit aux requérants et aux demandeurs pour confirmer que le solliciteur général n"apporterait pas de changement aux directives données à M. Camp et qu"il refusait de leur accorder le paiement des frais relatifs à la contestation constitutionnelle devant la Cour fédérale. Les requérants et les demandeurs ont donc déposé la présente requête à la Cour afin d"obtenir une ordonnance pour que les dépens relatifs aux procédures de contestation constitutionnelle leur soient adjugés sur une base avocat-client, indépendamment de l"issue de la cause, en vertu des règles 400 et 53(2) des Règles de la Cour fédérale (1998) . Subsidiairement, les requérants et les demandeurs soutiennent qu"ils devraient obtenir une directive selon laquelle ils se verront adjuger les dépens à la fin des procédures constitutionnelles si la Cour est d"avis : (1) que leurs prétentions étaient importantes, complexes et bien fondées, (2) qu"il était dans l"intérêt public de porter cette affaire en justice, (3) que les requérants et les demandeurs n"ont pas abusé de la procédure et qu"ils n"ont pas de ressources financières, et (4) que le montant des frais réclamés est raisonnable.

[9]      La règle 400(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) donne à la Cour une entière discrétion pour déterminer le montant et la répartition des dépens. La règle 400(3) expose certains facteurs dont la Cour peut tenir compte, mais elle ne prévoit pas expressément l"adjudication des dépens à l"avance. La règle 53 précise que la Cour a le pouvoir de rendre toute ordonnance et d"assortir cette ordonnance de toute condition ou directive qu"elle juge équitable.

[10]      Je dois d"abord me pencher sur la question de la compétence de la Cour fédérale. Les intimés et les défendeurs allèguent que la Cour serait une cour ayant une compétence limitée et qu"elle n"aurait pas compétence pour rendre une telle ordonnance sauf si le pouvoir lui en était expressément conféré par la Loi sur la Cour fédérale . Les requérants et les demandeurs allèguent qu"en raison de la décision récente de la Cour suprême dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net1, la compétence de la Cour fédérale ne devrait plus dorénavant être considérée d"une façon restreinte ou restrictive seulement parce que la Cour fédérale n"est pas une cour ayant une compétence inhérente. Je suis d"accord pour dire que l"arrêt Canadian Liberty Net (précité) accorde à la Cour fédérale une compétence inhérente dans les domaines où l"on trouve des lacunes dans les pouvoirs accordés aux tribunaux fédéraux. Cependant, les cours supérieures provinciales, pour lesquelles il n"existe aucun doute quant à leur pouvoir inhérent en matière de frais et dépens, n"ont jamais, à ma connaissance, adjugé les dépens à l"avance. À vrai dire, elles ont exprimé un doute quant à leur compétence d"adjuger les dépens à l"avance. Par exemple, le juge Gibbs de la Cour d"appel de la Colombie-Britannique a déclaré, dans Woodward"s Ltd. V. Montreal Trust Company of Canada2, à la page 344 :

                 [TRADUCTION] quoi qu"il en soit, la deuxième forme de réparation me semble n"être qu"une variation de la troisième forme de réparation qui est que la Cour, exerçant une compétence qu"elle tirerait censément de la loi, rend sa propre ordonnance dans les mêmes termes que l"ordonnance du protonotaire, à la différence que l"ordonnance s"applique aux procédures en appel. Aucune cause semblable à la cause en l"espèce où une cour d"appel aurait rendu à l"avance une telle ordonnance n"a été citée.                 
                 Bien que l"appelante donnerait une définition différente de l"indemnité demandée, je suis d"avis que l"interprétation appropriée à donner à l"expression " les frais raisonnables ... comprenant des honoraires et des débours raisonnables " est " frais entre avocat et client ". Je doute fortement qu"avant l"appel, la Cour ait compétence pour rendre une ordonnance de paiement indemnitaire sur une base mensuelle des frais entre avocat et client. Si la Cour avait cette compétence, je crois bien qu"elle ne l"exercerait que très rarement et uniquement dans les causes les plus inhabituelles. Il n"y a rien de rare ou d"inhabituel dans la cause en l"espèce excepté la situation particulière dans laquelle se trouve la firme d"avocats appelante qui craint pour son portefeuille quant aux frais de l"appel.                 

Le juge continue en disant :

                 [TRADUCTION] dans une cause ordinaire, les frais et dépens, aussi bien ceux de l"appelant que ceux de l"intimé, sont incertains jusqu"au moment où le jugement est rendu. Je ne suis pas d"avis que les parties en l"espèce, aussi bien l"appelante que l"intimée, doivent être traitées différemment d"un autre avocat par la Cour. Cela revient à dire que si la Cour a compétence, ce dont je doute fortement, cette compétence ne peut être que discrétionnaire et je ne suis pas disposé à exercer ce pouvoir discrétionnaire en faveur de l"appelante. La question des frais et dépens sera réglée à la fin de l"appel.                 

Étant donné ce qui précède, j"ai un doute quant à la compétence de la Cour d"adjuger les dépens à l"avance.

[11]      Je ne traiterai pas maintenant de mon opinion sur l"importance des divers facteurs dont on doit tenir compte pour l"adjudication des dépens puisque je devrai analyser ces facteurs à la fin de la contestation constitutionnelle faisant partie du dossier. À mon avis, je n"ai pas, avant d"avoir entendu la cause, la connaissance nécessaire de tous les facteurs dont on doit tenir compte pour l"adjudication des dépens. Bien que les facteurs exposés par l"avocat des requérants et des demandeurs soient importants, il pourrait y avoir d"autres facteurs dont je pourrais vouloir tenir compte à la fin de l"audience. Si je rendais une ordonnance, même conditionnelle, ma faculté d"évaluer tous les facteurs qui entrent en ligne de compte serait limitée d"une certaine façon. Donc, agir ainsi équivaudrait à rendre une décision prématurément sur des questions qui ne sont pas encore devant la Cour. Ce que les requérants et les demandeurs veulent obtenir est en fait une forme de garantie de paiement qui leur permettrait de poursuivre leur demande, et non les dépens au sens où on l"entend généralement. Ce n"est pas l"objet des dépens. Accorder ou non ce genre de paiement est une décision politique que le Parlement ou le gouvernement doit prendre, pas les tribunaux.

[12]      De plus, les dépens sur la base avocat-client ne sont adjugés que dans des circonstances exceptionnelles. La plupart du temps, l"adjudication des dépens est l"expression de la désapprobation de la Cour relativement à la conduite d"une des parties en cause ou dans des cas d"allégations non prouvées de malhonnêteté ou de fraude. D"ailleurs, il ne serait pas indiqué, à ce moment, de formuler des conclusions sur la conduite, alors que je ne suis pas en position de savoir ce que contiennent les mémoires des parties exposant les faits et le droit, ni de connaître leur conduite lors de l"audience des contestations constitutionnelles.

[13]      Pour ces motifs, si j"ai compétence pour adjuger les dépens à l"avance, ce dont je doute, j"exercerai le pouvoir discrétionnaire que me confère la règle 400(1), dans le sens de ne pas adjuger les dépens à l"avance, que ce soit inconditionnellement ou conditionnellement.

[14]      La requête en adjudication des dépens à l"avance présentée par les requérants et les demandeurs est rejetée. La Cour n"adjuge aucun dépens quant à la présente requête. La présente décision ne reflète en aucune manière la position que la Cour devrait prendre quant à l"opportunité d"adjuger les dépens à la fin des contestations constitutionnelles.


William P. McKeown

_____________________________________

J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 7 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Nos DU GREFFE :          DES-2.99 et T-659-99

INTITULÉS DES CAUSES :

ENTRE :


ALISSA WESTERGARD-THORPE, ANNETTE MUTTRAY

JAMIE DOUCETTE, MARK BROOKS, DENIS PORTER

DEKE SAMCHOK ET CRAIG ELTON JONES,


requérants,

- et -


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

SA MAJESTÉ LA REINE AUX DROITS DU CANADA,


intimés.


Dossier : T-659-99

ENTRE :


CRAIG ELTON JONES, JONATHAN OPPENHEIM,

JAMIE DOUCETTE, DEKE SAMCHOK

DENIS PORTER ET ANNETTE MUTTRAY,

demandeurs,


- et -


SA MAJESTÉ LA REINE, LE MINISTRE DE LA JUSTICE

ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

défendeurs.

LIEU DE L"AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L"AUDIENCE :      Le 30 avril 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE McKEOWN

EN DATE DU :              7 mai 1999

ONT COMPARU :

Joseph Arvay, c.r.                          pour les requérants (demandeurs)

Ron Snyder, Simon Fothergill                  pour les intimés (défendeurs)

et David Dendooven

Marvin Storrow, c.r.                          pour la Commission des plaintes

et Barbara Fisher                          du public contre la G.R.C.

AVOCATS AU DOSSIER :

Arvay Finlay                              pour les requérants (demandeurs)

Avocats

Victoria (Colombie-Britannique)

Morris Rosenberg                          pour les intimés (défendeurs)

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Blake Cassels Grayden                      pour l"intervenante

Avocats                              Commission des plaintes du public

Vancouver (Colombie-Britannique)                  contre la G.R.C.

__________________

1      [1998] 1 R.C.S. 626 aux paragraphes 34 à 38

2      (1992) 74 B.C.L.R. (2d) 342.

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