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Date : 20020822

Dossier : T-2363-00

Référence neutre : 2002 CFPI 896

Ottawa, Ontario, le 22e jour d'août 2002

En présence de : L'HONORABLE JUGE MICHEL BEAUDRY

ENTRE :

                                                                    GUY LAPLANTE

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                                   et

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                                     Défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Le demandeur en isolement préventif volontaire depuis 1998 à Donnacona demande par contrôle judiciaire la cassation de la décision du 23 novembre 2000 du président du Comité de discipline, Paul Maranda pour lui avoir infligé une peine de cinq jours de détention disciplinaire avec perte de privilèges parce qu'il a refusé de réintégrer la population carcérale.

   

QUESTIONS EN LITIGE

[2]                 La décision du président du Comité de discipline est-elle manifestement déraisonnable dans les faits ou a-t-il commis une erreur de droit révisable?

[3]                 Pour les motifs qui suivent, je suis d'opinion de casser cette décision.

CONTEXTE FACTUEL

[4]                 Le demandeur purge depuis 1979 une peine d'emprisonnement à vie, ayant été reconnu coupable de meurtre au second degré. Il s'est vu accordé la semi-liberté en 1987 et la liberté conditionnelle totale en 1989. Mais, en 1997, sa libération était suspendue. Cette suspension était motivée par l'association qu'aurait eue le demandeur au crime organisé et son implication possible dans deux meurtres ainsi que le trafic de stupéfiants, ce que nie le demandeur.

[5]                 Depuis son incarcération, le demandeur a été déménagé d'un établissement à un autre. Entre 1997 et 1999, il a été emprisonné à l'établissement Leclair ainsi qu'à Archambault. Depuis mai 1999, le demandeur est incarcéré à l'établissement de sécurité maximale de Donnacona.


[6]                 Dans un établissement pénitencier, un détenu peut être placé en isolement préventif. Cet isolement peut être sollicité par le détenu ou lui être imposé pour les motifs exposés à l'article 31(3) de la Loi sur le Système correctionnel et la mise en liberté sous condition, S.C. 1992, c. 20 (ci-après, la "Loi"). Pour les fins de cette discussion, il convient de reprendre l'article 31 de la Loi dans son entier.


31. (1) L'isolement préventif a pour but d'empêcher un détenu d'entretenir des rapports avec l'ensemble des autres détenus.

(2) Le détenu en isolement préventif doit être replacé le plus tôt possible parmi les autres détenus du pénitencier où il est incarcéré ou d'un autre pénitencier.

(3) Le directeur du pénitencier peut, s'il est convaincu qu'il n'existe aucune autre solution valable, ordonner l'isolement préventif d'un détenu lorsqu'il a des motifs raisonnables de croire, selon le cas_:

a) que celui-ci a agi, tenté d'agir ou a l'intention d'agir d'une manière compromettant la sécurité d'une personne ou du pénitencier et que son maintien parmi les autres détenus mettrait en danger cette sécurité;

b) que son maintien parmi les autres détenus peut nuire au déroulement d'une enquête pouvant mener à une accusation soit d'infraction criminelle soit d'infraction disciplinaire grave visée au paragraphe 41(2);

c) que le maintien du détenu au sein de l'ensemble des détenus mettrait en danger sa sécurité.

31. (1) The purpose of administrative segregation is to keep an inmate from associating with the general inmate population.

(2) Where an inmate is in administrative segregation in a penitentiary, the Service shall endeavour to return the inmate to the general inmate population, either of that penitentiary or of another penitentiary, at the earliest appropriate time.

(3) The institutional head may order that an inmate be confined in administrative segregation if the institutional head believes on reasonable grounds

(a) that

(i) the inmate has acted, has attempted to act or intends to act in a manner that jeopardizes the security of the penitentiary or the safety of any person, and

(ii) the continued presence of the inmate

in the general inmate population would jeopardize the security of the penitentiary or the safety of any person,

(b) that the continued presence of the inmate in the general inmate population would interfere with an investigation that could lead to a criminal charge or a charge under subsection 41(2) of a serious disciplinary offence, or

(c) that the continued presence of the inmate in the general inmate population would jeopardize the inmate's own safety, and the institutional head is satisfied that there is no reasonable alternative to administrative segregation.


[7]                 Depuis qu'il est réincarcéré, le demandeur a choisi de rester à l'écart de la population régulière et par le fait même est en isolement préventif volontaire.

[8]                 Le 30 octobre 2000, un agent du service correctionnel du Canada (ci-après "SCC") le rencontre et lui ordonne de réintégrer la population régulière. Il lui explique qu'à défaut de sa réintégration, le demandeur recevra un rapport d'infraction disciplinaire. Devant le refus du demandeur d'obtempérer, ce dernier se voit remettre un rapport d'infraction le 1er novembre 2000. L'agent indique dans son rapport que cette infraction est "grave". La base légale de cette accusation est sous l'égide de l'article 40(a) de la Loi, qui stipule:


40. Est coupable d'une infraction disciplinaire le détenu qui:

a) désobéit à l'ordre légitime d'un agent;

[...]

40. An inmate commits a disciplinary offence who

(a) disobeys a justifiable order of a staff member;

[...]


[9]                 Le demandeur conteste cette accusation devant le tribunal des infractions graves. Monsieur Paul Maranda préside l'audition de cette plainte le 23 novembre 2000 et déclare le demandeur coupable de l'infraction et lui inflige une peine de cinq jours de détention disciplinaire avec perte de privilèges.

[10]            Les procureurs au dossier devant moi admettent que l'agent du SCC a témoigné et a été contre-interrogé par la procureure du demandeur.


[11]            Le demandeur, au paragraphe 24 de son affidavit, reconnaît qu'il a déjà reçu des rapports d'infractions en octobre 1999 et janvier 2000. Suite au rapport du 31 octobre 2000, il en a reçu cinq autres, soit des rapports d'infractions disciplinaires graves, tous de la même nature, les 10, 15, 16 et 29 novembre 2000 et le 6 décembre 2000. Il affirme dans son mémoire que toutes les décisions similaires sont déraisonnables.

PRÉTENTIONS DU DEMANDEUR

[12]            Le demandeur estime que la décision du président est manifestement déraisonnable car l'ordre de l'agent n'est pas légitime et ne rencontre pas les critères de l'article 40(a) de la Loi précitée.

[13]            Il allègue que l'agent ayant rédigé le rapport d'infraction n'a pas respecté son obligation de tenter de régler la situation de façon informelle selon l'article 41(1) de la Loi qui énonce:


41. (1) L'agent qui croit, pour des motifs raisonnables, qu'un détenu commet ou a commis une infraction disciplinaire doit, si les circonstances le permettent, prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle.

(2) À défaut de règlement informel, le directeur peut porter une accusation d'infraction disciplinaire mineure ou grave, selon la gravité de la faute et l'existence de circonstances atténuantes ou aggravantes. [je souligne]

41. (1) Where a staff member believes on reasonable grounds that an inmate has committed or is committing a disciplinary offence, the staff member shall take all reasonable steps to resolve the matter informally, where possible.

(2) Where an informal resolution is not achieved, the institutional head may, depending on the seriousness of the alleged conduct and any aggravating or mitigating factors, issue a charge of a minor disciplinary offence or a serious disciplinary offence. [emphasis added]


[14]            Il ajoute aussi que le rapport d'infraction a été dirigé au tribunal des infractions graves sans que l'on ait pris en considération l'existence des circonstances atténuantes ou aggravantes tel qu'exigé au paragraphe 41(2) de la Loi.


[15]            Le demandeur soumet que ce litige devrait être dirigé au Comité de réexamen des cas d'isolement et c'est à l'établissement d'élaborer un plan qui vise à régler la situation d'origine de l'isolement et non pas le tribunal des infractions graves. Il soutient donc que le président a erré en donnant son aval à la façon dont le SCC a procédé en punissant un refus de sortir de l'isolement par une période de détention en isolement.

[16]            Il reproche aussi au président d'avoir manqué à son obligation de vérifier si l'accusation de son comportement aurait pu être réduite de grave à mineure.

[17]            Il invoque en sa faveur les directives du commissaire pour étayer sa prétention à l'effet que le président aurait dû songer à modifier l'accusation et maintient que le SCC aurait dû se servir du processus de révision des cas d'isolement au lieu de faire appel au régime disciplinaire pour effectuer son retour à la population régulière.

[18]            En argument additionnel, le demandeur invoque l'article 68 de la Loi qui interdit l'usage d'un moyen de contrainte comme sanction contre un délinquant contournant ainsi l'article 37 de la Loi qui prévoit:

   


37. Le détenu en isolement préventif jouit, compte tenu des contraintes inhérentes à l'isolement et des impératifs de sécurité, des mêmes droits, privilèges et conditions que ceux dont bénéficient les autres détenus du pénitencier.

37. An inmate in administrative segregation shall be given the same rights, privileges and conditions of confinement as the general inmate population, except for those rights, privileges and conditions that

(a) can only be enjoyed in association with other inmates; or

(b) cannot reasonably be given owing to

(i) limitations specific to the administrative segregation area, or

(ii) security requirements.


[19]            Pour fin d'analyse, je reproduis aussi l'article 68 de cette Loi:


68. Il est interdit d'user de moyens de contrainte à titre de sanction contre un délinquant.

68. No person shall apply an instrument of restraint to an offender as punishment.


[20]            En conclusion, le demandeur affirme qu'on lui a révoqué sa libération sur la base de soupçons de conduite criminelle qui ne se sont jamais matérialisés par des accusations formelles contre lui. Il estime aussi que le défendeur est en infraction de l'article 24 de la Loi par le non respect de son obligation de veiller à ce que les renseignements dont se sert le défendeur pour le maintenir en incarcération soient à jour, exacts et complets. Il termine en réitérant qu'il n'a commis aucune infraction disciplinaire.

    

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[21]            Le défendeur expose que la décision administrative du SCC d'ordonner au demandeur de réintégrer la population régulière est légale.

[22]            Il soumet que le demandeur est forclos de plaider que l'infraction était mineure ainsi que l'absence de tentative de règlement informel car ces deux éléments n'ont pas été plaidés devant le président.

[23]            En invoquant l'article 31(2) de la Loi, le défendeur plaide la légalité de la décision car l'ordre donné au demandeur de réintégrer la population régulière est conforme à la Loi (article 31(2) ci-haut mentionné).

[24]            Selon le défendeur, le président n'a le pouvoir que de se prononcer sur la culpabilité ou non du prévenu. La Loi et ses règlements ne lui donne pas le pouvoir de statuer sur la légalité de la décision administrative des autorités carcérales de donner l'ordre au demandeur de réintégrer la population régulière ou de lui signifier un rapport d'infraction devant son refus. Interpréter les pouvoirs du président de cette façon irait à l'encontre de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F-7.

[25]            Le défendeur prétend que l'infraction rencontre l'article 8 de la Directive du Commissaire, numéro 580 définissant l'infraction grave (voir page 57 du dossier du demandeur).


[26]            Le défendeur à l'appui de sa prétention invoque l'article 302 des règles de la Cour fédérale et soumet que la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule décision administrative.

[27]            En concluant, le défendeur maintient que la décision du président est bien fondée en fait et en droit, que sa décision est raisonnable et que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

ANALYSE

[28]            Les prétentions respectives des parties soulèvent plusieurs questions:

1.         La qualité légitime de l'ordre;

2.         La procédure;

3.         La caractérisation de l'infraction;

4.         La responsabilité et l'autorité en matière de réintégration suite à une situation d'isolement;

5.         L'interdiction de moyen de contrainte contre un délinquant.

[29]            J'ai l'intention de me prononcer que sur les deux premières questions car je suis d'avis que la décision doit être annulée.


1.         La qualité légitime de l'ordre

[30]            Un ordre de quitter un isolement est normalement un ordre légitime. Cette question a été débattue dans la cause Migneault c. Canada (Procureur général), [1996] A.C.F. no 1485 (QL) (C.F. 1re instance). Le juge Noël, alors qu'il était à la Cour fédérale de première instance, a rejeté la demande de contrôle judiciaire et a maintenu la décision du président du tribunal disciplinaire. Les deux éléments qui ont retenu son attention sont l'absence de mauvaise foi de la part des agents de la SCC lorsqu'ils ont intimé l'ordre au détenu de quitter sa cellule et l'absence de fondement de la crainte purement subjective qui motivait le refus du détenu de quitter sa cellule.

[31]            Dans notre cause, il n'y a aucune preuve de mauvaise foi de la part de l'agent de la SCC et je n'ai pas non plus de preuve de crainte subjective de la part du demandeur car ce dernier a refusé de donner les raisons qui le motivait à demeurer en isolement.

[32]            D'ailleurs, plusieurs décisions ont accepté des ordres de nature beaucoup plus envahissantes comme étant des ordres légitimes envers des détenus, par exemple des ordres de fournir des échantillons d'urine (voir Opoonechaw c. Établissement de Stoney Mountain, [1996] A.C.F. no 1049 (QL) (C.F. 1re instance) et Simoneau c. Canada (Service correctionnel), [1998] A.C.F. no 1078 (QL) (C.F. 1re instance).


[33]            En faisant l'analyse de la Loi, nous pouvons dégager les principes et les buts suivants: l'importance de la protection de la société, la minimisation du caractère restrictif des mesures, la restriction nécessaire de certains droits comme conséquence d'une peine, l'importance du respect des règlements des pénitenciers.

[34]            Le demandeur ici n'a sûrement pas le droit à un libre choix de sa demeure au pénitencier.

[35]            Je considère donc son refus d'obtempérer à l'ordre de sortir de l'isolement préventif comme étant une infraction à l'article 40a) de la Loi.

2.         La procédure

[36]            Le défendeur m'invite à déclarer forclos le demandeur de plaider qu'il n'y a eu aucune mesure de prise afin de régler la question de façon informelle en vertu de l'article 41(1) de la Loi. Malheureusement, je ne suis pas d'accord car je considère impérative cette disposition de la Loi qui stipule le mot "doit" après les mots "a commis une infraction disciplinaire".

[37]            Étant donné qu'il s'agit d'un texte législatif, je considère que le président du Comité de discipline aurait dû rejeter l'infraction ou déclarer le demandeur non coupable de cette infraction. Dans le dossier sous étude, aucune preuve d'une tentative quelconque de mesure n'a été faite pour régler la question de façon informelle tel que prévoit l'article 41(1) de la Loi. Le juge Campbell dans l'arrêt Schimmens c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no 1486 (QL) (C.F. 1re instance) s'est penché sur cette question et a affirmé au paragraphe 3:


Je suis d'accord avec l'argument du demandeur selon lequel le par. 41(1) établit une condition préalable à laquelle il doit être satisfait pour que le tribunal disciplinaire puisse procéder à l'audition d'une accusation. Ainsi, j'estime que le par. 41(1) impose au président du tribunal disciplinaire avant l'audition d'une accusation l'obligation d'enquêter afin de s'assurer que « toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle » ont été prises. [je souligne]

[38]            Je considère donc que cette obligation est une question de droit pouvant être soulevée en tout temps par le demandeur. La décision doit donc être annulée car le président du Comité de discipline du pénitencier de Donnacona aurait dû s'enquérir si effectivement des mesures avaient été prises afin de régler la question de façon informelle ou tout au moins, s'enquérir si des circonstances particulières empêchaient que des mesures semblables soient prises.

[39]            En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accordée et la décision du président du Comité de discipline du pénitencier de Donnacona du 23 novembre 2000 est annulée.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que:

1.                    La demande de contrôle judiciaire est accordée, le tout sans frais.

2.                    La décision du président du Comité de discipline du pénitencier de Donnacona du 23 novembre 2000 est annulée.                                                                

(signé) Michel Beaudry

Juge


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR: T-2363-00

INTITULE: GUY LAPLANTE et

LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA et autres

LIEU DE L'AUDIENCE: Quebec (Quebec)

DATE DE L'AUDIENCE: 7 gout 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE L'HONORABLE MICHEL BEAUDRY EN DATE DU: 22 gout 2002

COMPARUTIONS:

Me Julie Gagne pour le demandeur

Me Sebastien Gagne pour le defendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Julie Gagne pour le demandeur Sainte-Foy (Quebec)

Morris Rosenberg pour le defendeur Sous-procureur general du Canada

Ottawa (Ontario)

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