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Date : 19990128

Dossier : T-770-94

ENTRE:

                     NOVACOR CHEMICALS (CANADA) LTD.

                         et 176549 CANADA LTD.,

                                                          demanderesses,

                                   et

                          SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                           défenderesse.

                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

              (Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario),

                        le jeudi 28 janvier 1999)

LE JUGE HUGESSEN

[1]    Je suis appelé, ce matin, à examiner le paragraphe 3 d'une requête présentée par les demanderesses. Les paragraphes 1 et 2 de cette requête ont été réglés la semaine dernière et l'examen du paragraphe 3 a été reporté à aujourd'hui.

[2]    Du point de vue de la forme, cette requête sollicite une nouvelle comparution à un interrogatoire préalable du représentant de la défenderesse, un certain James C. Powell, afin de répondre à d'autres questions. En réalité, les avocats reconnaissent que le point litigieux entre eux est le privilège de non-divulgation revendiqué par la défenderesse, tout d'abord, à l'égard de cinq documents et, maintenant à l'égard de quatre seulement, lesquels sont énumérés dans l'affidavit de documents de la défenderesse.

[3]    Il serait utile d'apporter quelques précisions sur le contexte.

[4]    Dans l'action qu'elles ont intentée contre la Couronne, les demanderesses cherchent à recouvrer certains fonds que celle-ci a elle-même recouvrés d'un certain Wright. Wright est un ancien employé des demanderesses. Il a été accusé de fraude fiscale et s'est reconnu coupable à sa première comparution. Les impôts auxquels il se serait soustrait sont ceux qu'il aurait dû payer sur certaines commissions secrètes touchées pendant qu'il était à l'emploi des demanderesses. Ces commissions lui avaient été versées par un tiers et, est-il prétendu, à l'insu des demanderesses. M. Powell, le représentant de la défenderesse lors de l'interrogatoire au préalable, était, et je crois qu'il est toujours, enquêteur au bureau de Revenu Canada à London et c'est lui qui avait été chargé d'enquêter sur les affaires d'impôt de Wright.

[5]    Les documents en litige, sont énumérés aux alinéas a) à e), inclusivement, des réponses écrites fournies par la défenderesse à l'engagement numéro 1 contenu dans une lettre envoyée par l'avocate de la défenderesse en date du 27 août 1998. En voici la liste:

a)             Rapport combiné de la première étape et de l'étape d'évaluation en date du 6 janvier 1988, rédigé par l'enquêteur J.C. Powell;

b)             Lettre en date du 14 mars 1988, adressée par P.E.D. Broder, Directeur-Impôt, bureau de district de London, Revenu Canada, à G.H. McCracken, c.r., bureau régional de Toronto, Ministère de la Justice (Canada), avec les annexes et la correspondance jointes;

c)              Lettre en date du 23 mars 1988, adressée par James C. Powell, Section des enquêtes spéciales, Revenu Canada, à G.H. McCracken, c.r., avec l'exposé conjoint des faits qui y était joint;

d)             Lettre en date du 30 mars 1988, adressée par G.H. McCracken, c.r., à J.C. Powell, Revenu Canada, London; et

e)             Rapport en date du 9 mai 1988 sur la poursuite terminée qui a été rédigé par J.C. Powell, Bureau du district de London, Revenu Canada, et transmis à R. W. Moore, Directeur de la Section des enquêtes spéciales, Ottawa, avec les photocopies des coupures de presse qui y étaient jointes.

[6]         Avant l'audience d'aujourd'hui, la revendication du privilège à l'égard de certaines des pièces jointes à ces lettres a été abandonnée parce que les demanderesses avaient déjà ces documents en main. Par ailleurs, la défenderesse a renoncé à revendiquer quelque privilège que ce soit en ce qui concerne l'élément mentionné à l'alinéa e). Par conséquent, la Cour n'est appelée à se prononcer qu'à l'égard des documents énumérés aux alinéas a) à d) inclusivement.

[7]         En ce qui concerne les éléments énumérés aux alinéas b), c) et d), je tiens à dire que j'en ai pris connaissance et qu'il ne fait aucun doute, selon moi, qu'ils sont protégés par le privilège du secret professionnel de l'avocat : il s'agit de communications échangées entre un ministère client et un avocat du ministère de la Justice au sujet d'une affaire en instance. Ces documents sont et restent protégés et ils n'ont pas à être produits.

[8]         Ainsi l'examen se limite au document mentionné à l'alinéa a) de la liste précédente. Il s'agit, à première vue, d'un rapport d'enquête rédigé par un enquêteur du ministère du Revenu national. C'est un document interne. Rien n'indique que l'un de ses auteurs ou l'une des personnes auxquelles il est destiné soient des avocats. Au contraire, c'est manifestement un rapport hiérarchique signé par trois personnes du bureau de London et adressé à une personne d'un rang supérieur travaillant au siège social.

[9]         Rien dans ce rapport n'indique qu'il a été rédigé en vue d'obtenir ou de demander un avis juridique ou en prévision d'une instance. C'est vrai qu'il y est fait état de la possibilité de poursuivre Wright et que l'autorisation d'entreprendre ces poursuites est demandée, mais ce simple fait, en soi, n'indique pas, selon moi, que ce document a été rédigé en prévision d'une instance ou qu'il était destiné à être transmis à des avocats.

[10]       Au contraire, la preuve que contient le document lui-même indique très fortement, à mon avis, que ses auteurs n'avaient pas l'intention de consulter des avocats. Le premier paragraphe de la page 4 est ainsi rédigé :

[TRADUCTION] À l'heure actuelle, rien ne nous porte à croire que nous n'obtiendrons pas sa collaboration et nous envisageons d'envoyer au ministère de la Justice, en février,un rapport de poursuites qui exposera l'intention définitive de M. Wright de conclure cette affaire rapidement par un plaidoyer de culpabilité.

[11]       Le dernier paragraphe du document est également révélateur. Il est ainsi formulé :

                [TRADUCTION] Nous recommandons d'engager les poursuites le plus rapidement possible. Nous n'envisageons pas de recommander de procéder par mise en accusation ni de demander une peine d'emprisonnement étant donné que le contribuable collabore et que les fonds ont été récupérés.

[12]       Je conclus que ce document n'est pas protégé par le privilège du secret professionnel de l'avocat.

[13]       Lorsque cette question a été soulevée pour la première fois, seul le privilège du secret professionnel de l'avocat a été invoqué pour justifier le refus de communiquer le document. Toutefois, à l'audience d'aujourd'hui, l'avocate de la Couronne défenderesse a avancé deux autres motifs susceptibles de justifier la protection du document.

[14]       Le premier est communément appelé le privilège de l'enquête. Pour invoquer ce privilège, l'avocate se base sur le jugement rendu récemment par la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire The Queen v. Richards[1]. Qu'il soit permis ou non d'invoquer un tel privilège dans une affaire comme celle-ci, je suis convaincu que, même si je devais appliquer le droit tel qu'il a été exposé par la Cour d'appel de l'Ontario, le document ne réunirait pas les conditions requises pour être protégé. Comme l'a dit la Cour, ce privilège est une immunité relative et le tribunal doit apprécier la pertinence du document par rapport à tout préjudice susceptible d'être causé à l'intérêt public du fait de la révélation des techniques d'enquête. Il ne fait aucun doute, dans mon esprit, que le document en question en l'espèce est pertinent. Par ailleurs, je l'ai lu avec soin et je suis tout à fait convaincu qu'il ne révèle aucune technique d'enquête que tout contribuable intelligent connaît déjà et connaît très bien.

[15]       Le troisième motif susceptible de justifier de refuser la communication du document est l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette question est extrêmement préoccupante parce qu'il s'agit, bien sûr, d'une disposition de la loi qui interdit de divulguer les renseignements confidentiels relatifs à un contribuable. Je fais toutefois remarquer, avec un certain déplaisir, que cette question n'a été soulevée qu'aujourd'hui. L'article 241 est certainement venu à l'esprit de l'avocate lorsque les réponses aux engagements ont été rédigées parce qu'il a été invoqué à l'égard d'autres documents, mais pas à l'endroit de celui-ci. L'avocat des demanderesses a souligné à juste titre que M. Wright avait réellement fait preuve d'une grande collaboration et que s'il avait été informé d'une manière raisonnable quelconque de cette revendication de privilège, il aurait été capable de communiquer avec lui et très probablement d'obtenir son consentement. C'est possible, mais l'interdiction prévue dans la loi doit, à mon avis, prévaloir. Je ne crois pas, toutefois, que le document contienne tant de renseignements sur les affaires personnelles d'impôt de M. Wright et de ses compagnies qu'il s'avère impossible d'en faire une révision convenable.

[16]       Je propose donc de prononcer une ordonnance permettant la divulgation du document, sous réserve d'une révision faite par l'avocate de la défenderesse afin d'en rayer les parties qui, selon elle, contreviendraient à l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ensuite, s'il s'avère nécessaire de régler d'autres questions et si la demanderesse veut que l'affaire soit examinée plus en profondeur, son avocat aura la possibilité de présenter une requête pour obtenir la divulgation d'autres extraits de ce document. De prime abord, en tout cas, je pense que les avocats obtiendront tout ce qu'il leur faut, même après le retrait de ces parties du document qui contiennent des renseignements confidentiels. Toutefois, si cet espoir ne se réalisait pas, soit, je devrai trancher la question plus tard. En terminant, je ne ferai aucun commentaire sur la proposition avancée par l'avocate de la Couronne lors de l'audience et selon laquelle elle peut, en temps utile, recevoir comme instructions de s'opposer à la production du document en vertu de l'article 37 de la Loi sur la preuve au Canada. Je ne peux prendre connaissance de cette question à l'heure actuelle.

[17]       Par conséquent, je prononcerai une ordonnance en conformité avec le paragraphe 3 de la requête exigeant que M. Powell comparaisse de nouveau et réponde à toutes les questions pertinentes portant sur le document mentionné à l'élément a) des réponses de la Couronne aux engagements, en date du 27 août 1998.

                                                                                                       « James K. Hugessen »                          

                                                                                                Juge

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DE GREFFE :                                T-770-94

INTITULÉ DE LA CAUSE :NOVACOR CHEMICALS (CANADA) LTD. et 176549 CANADA LTD. ET SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 28 janvier 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Hugessen le 28 janvier 1999

ONT COMPARU :

Roger Rowe

Debbie Middlebrook                                      POUR LES DEMANDERESSES

Wendy Linden                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davies Howe Partners

Toronto (Ontario)                                                        POUR LES DEMANDERESSES

           

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada               POUR LA DÉFENDERESSE



1     34 O.R. (3d) 244

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