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Date: 19990831

Dossier: IMM-3272-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 31 AOÛT 1999

    

ENTRE:     

        

SAMUEL MENGESHA

TSEHAY MENGESHA DU GROUPE DE RÉPONDANT TSEHAY MENGESHA

Demandeurs
-et-

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
Défendeur

ORDONNANCE

La demande de révision judiciaire est par les présentes rejetée.
Marc Nadon

Juge

Traduction certifiée conforme

Me Jean-François Pillière, LlB












Date: 19990831


Dossier : IMM-3272-98


ENTRE:


SAMUEL MENGESHA

TSEHAY MENGESHA DU GROUPE DE RÉPONDANT TSEHAY MENGESHA


Demandeurs

-et-



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


Défendeur



MOTIFS DU JUGEMENT

JUGE NADON :

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision d"une agente des visas en date du 4 juin 1998, aux termes de laquelle le demandeur s"est vu refuser une demande de résidence permanente au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller et à titre d"immigrant indépendant.

[2]      Le demandeur, M. Samuel Mengesha, est un citoyen de l"Ethiopie qui prétend être persécuté en raison de son appartenance au groupe ethnique érythréen. Sa déclaration écrite indiquant les motifs de persécution se lit comme suit:

[TRADUCTION] Même si ma famille éprouvait de sérieux problèmes avec les agents de sécurité 1éthiopiens en raison de son appartenance au groupe ethnique érythréen vivant à Addis Abeba, j"ai poursuivi mes études dans des conditions de stress et de terreur.

Mes soeurs Tsehay et Gabriela avaient déjà fui le pays pour éviter d"être arrêtées à nouveau et torturées par la police éthiopienne et les mouvements anti-gouvernementaux. Tous les membres de la famille ont été victimes de harcèlement. Mon frère a dû fuir la ville pour rejoindre les Forces de libération de l"Érythrée présentes dans la partie sud-est du pays afin d"éviter d"être arrêté par la police éthiopienne ou malmené par les autres factions érythréenes
J"ai cru qu"avec la chute du régime communiste, la situation allait s"améliorer et que nous allions tous déménager à Asmara en Érythrée l"endroit où mes père et oncle ont été arrêtés par la nouvelle police érythréenne et accusés de trahison envers l"indépendance de l"Érythrée pour avoir refusé de collaborer, pour avoir été connivence avec notre frère qui a joint les rangs de l"autre faction et pour avoir dissimulé le registre des collaborateurs que mon frère avait laissé à la maison.
J"étais terrorisé par les menaces, les raclées et les choses horribles dont j"ai été témoin quand j"ai été convoqué par l"officier de police; c"est pour cette raison que je ne pouvais plus supporter l"idée de rester plus longtemps dans ce pays. Je suis immédiatement retourné à Addis Abeba où ma tante a réussi à m"obtenir un visa pour la Jamaïque comme elle l"avait fait pour mes soeurs Netsanet et Awot Mengesha.
Je me retrouve donc ici à demander l"autorisation de venir rejoindre mes soeurs Tsehay, Gebriela, Hanna, Netsanet et Awot au Canada pour y vivre en paix et en liberté.

[3]      Le 27 octobre 1997, le ministère de la Citoyenneté et de l"Immigration du Canada a consenti au parrainage du demandeur par le groupe répondant Tsehay.

[4]      Un mois plus tard, on a informé le demandeur qu"il était convoqué à une entrevue le 10 février 1998 au haut-commissariat canadien en Jamaïque.

[5]      Le 10 février 1998, le demandeur s"est présenté à une première entrevue accompagné de sa soeur, Tsehay Mengesha, avec l"agente des visas Kathleen O"Brien.

[6]      Dans la semaine du 21 avril 1998, le demandeur s"est présenté à une seconde entrevue, accompagné cette fois, d"une autre de ses soeurs, Gebriela Mengesha, toujours avec Mme O"Brien.

[7]      Le 28 mai 1998, le demandeur a rencontré Mme O"Brien une troisième fois.

[8]      Par lettre du 4 juin 1998, Mme O"Brien a informé le demandeur qu"il ne remplissait pas les conditions requises pour émigrer au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention. Dans sa lettre, l"agente des visas a exposé les raisons de sa décision. La lettre est rédigée en partie, comme suit :


[TRADUCTION] La présente fait suite à votre demande de résidence permanente au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller ainsi qu"à votre entrevue du 10 février 1998 à Kingston en Jamaïque. Vous aviez alors passé cette entrevue avec l"aide de votre soeur, Tsehay Mengesha qui , parlant couramment l"anglais et l"amharique avait alors agi comme traductrice. À aucun moment vous n"avez indiqué que vous ne compreniez pas la traductrice.
J"ai maintenant terminé l"étude de votre demande et j"ai le regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de l"approuver. Vous ne remplissez pas les conditions pour émigrer au Canada à titre de réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller.

Le paragraphe 2(1) de la Loi sur l"immigration de 1976 du Canada précise qui peut être considéré comme réfugié au sens de la Convention [...] Vous n"avez pas été capable de démontrer une crainte personnelle d"être persécuté du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques. Vous avez indiqué à la fois lors de l"entrevue initiale et lors de notre rencontre subséquente au haut-commissariat canadien à la fin avril 1998, alors qu"en présence de votre soeur, vous avez répondu et posé des questions en anglais sans l"assistance d"un interprète, que quatre samedis de juin 1997, vous avez été convoqué au poste de police local (vous ne vous souveniez pas à quel endroit) pour répondre à des questions concernant les allées et venues de votre frère. Vous avez déclaré que c"était la seule raison pour laquelle vous ne désiriez pas retourner en Éthiopie, votre pays d"origine ou en Erythrée, votre lieu de résidence habituelle. Jusqu"à votre départ d"Érythrée, vous avez fréquenté à temps plein l"école secondaire Netsanet à Asmara et vous résidiez chez votre mère. Vous avez indiqué n"avoir eu aucune difficulté à compléter vos études et avez justifié votre peur d"être persécuté par les quatre visites au poste de police local pour ce qui semble avoir été des interrogatoires de routine. Malgré les trois possibilités que vous avez eues d"indiquer d"autres incidents qui auraient pu venir étayer votre revendication du statut de réfugié lors de vos visites à ce bureau ainsi que dans votre présentation écrite initiale relative à vos conditions d"existence en Érythrée, vous n"avez indiqué aucun autre détail pour appuyer votre revendication du statut de réfugié. En conséquence, je crois que vous ne correspondez pas à la notion de " réfugié au sens de la Convention cherchant à se réinstaller".
Enfin, j"ai également examiné votre demande selon les critères de sélection établis pour les immigrants indépendants. En vertu du paragraphe 8 (1) du Règlement sur l"immigration de 1978, un demandeur indépendant est évalué sur la base des critères de sélection suivants: études, formation professionnelle, expérience, facteur professionnel, emploi réservé ou profession désignée, facteur démographique, âge, connaissance du français et de l"anglais et personnalité. Comme vous n"avez aucune expérience de travail, j"ai examiné votre demande en tant qu"étudiant (CNP 9911) et en tant que nouveau travailleur (CNP 9914).
Le paragraphe 11 (2) du Règlement sur l"immigration de 1978 ne permet pas la délivrance d"un visa à un immigrant indépendant qui n"a reçu aucun point d"appréciation pour le facteur professionnel, à moins que le demandeur n"ait un emploi convenable approuvé par Développement des ressources humaines Canada. Malheureusement, le facteur professionnel des emplois pour lesquels vous vous qualifiez et que vous êtes prêts à occuper au Canada est de zéro. Vous ne bénéficiez pas d"une offre d"emploi approuvée par un centre d"emploi du Canada. En conséquence, vous vous rangez parmi la catégorie de personnes non admissibles décrite au paragraphe 11 (2) de la Loi sur l"immigration et votre demande a été refusée.
Je me rends compte à quel point cette décision va vous décevoir et regrette qu"elle ne vous ait pas été favorable.
Cependant je tiens à vous informer que si l"une ou l"autre de vos soeurs demande à parrainer l"un ou l"autre de vos parents ou les deux en vertu de la catégorie des parents et si vous démontrez que vous êtes demeuré à l"école à plein temps jusqu"à l"âge de 19 ans, sauf l"année sabbatique dont vous profitez actuellement, vous pouvez vous qualifier pour émigrer au Canada en tant que personne à charge. Dans votre cas, il faudrait que vous vous inscriviez et suiviez des études à plein temps à compter de septembre 1998 si vous voulez demeurer éligible en tant que personne à charge, et le demeurer jusqu"à ce que le visa vous soit émis.


[9] Dans son exposé des faits et du droit, le demandeur prétend que sa demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

[TRADUCTION]         
(A)      L"agente des visas a-t-elle manqué à son devoir d"agir équitablement et violé les principes de justice naturelle ?
(B)      L"agente des visas a-t-elle mal interprété et mal appliqué la définition de réfugié au sens de la Convention?
(C)      L"agente des visas a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion erronée et arbitraire?
(D)      L"agente des visas a-t-elle écarté des preuves pertinentes et basé sa décision sur des facteurs non-pertinents?
(E)      L"agente des visas a-t-elle mal compris les preuves sur lesquelles elle fondé sa décision?


[10] Le demandeur allègue que l"agente des visas a erré à plusieurs reprises. Voici comment les demandeurs les présentent dans leur exposé des faits et du droit :


[TRADUCTION

2(A)(2)      Les déclarations et la conduite attribués à l"agente des visas dans les affidavits de Tsehay et Gebrela font en sorte qu"il est raisonnable de craindre une certaine partialité même si l"on tient compte des explications et des dénégations de l"agente des visas dans son affidavit.
2(B)(1)      Bien que l"agente des visas ait adéquatement énoncé la partie pertinente de la définition d"un réfugié au sens de la Convention, elle a, dans ses motifs, utilisé un langage qui suggère qu"elle n"a pas utilisé le bon critère et imposé une norme plus élevée ou un fardeau de preuve plus lourd que ce qui est normalement exigible en droit canadien.
2(C)(1)      Il est allégué en toute déférence que la conclusion de l"agente des visas, dans ses notes STIDI selon laquelle aucune raison ne s"oppose à ce que Samuel Mengesha réside en Érythrée ou en Éthiopie, sans aucun examen ou aucune analyse du statut de Samuel Mengesha en Érythrée, est arbitraire.
2(C)(2)      Il est de plus allégué que la conclusion de l"agente des visas portant que Samuel Mengesha s"est volontairement présenté comme quelqu"un qui ne parlait pas un mot d"anglais est également erronée et arbitraire car elle ne tient pas compte des renseignements préalablement soumis avec la demande résidence permanente de Samuel Mengesha. De plus, la déclaration de l"agente des visas contenue dans ses notes STIDI qu"[TRADUCTION] " à certains moments pendant l"entrevue le sujet répondait aux questions en anglais, puis s"interrompait et laissait sa soeur répondre à sa place " n"est pas compatible avec ses premières notes disant que [TRADUCTION] " durant toute l"entrevue, seulement quelques remarques ont été traduites par sa soeur. "
2(D)(1)      Il est allégué que l"agente des visas a erré en droit lorsqu"elle a essentiellement mis de coté des éléments de preuve décisifs contenus dans la déclaration de Samuel Mengesha et produites à l"appui de sa demande de résidence permanente. Cette prétention se trouve étayée par la déposition non contestée, au paragraphe 27 de l"affidavit de Tsehay, que même si l"entrevue a duré de 8h30 à midi, l"agente des visas a passé moins de trente minutes sur la question du statut de réfugié au sens de la Convention.
2(D)(3)      Il est évident à la lecture de sa déclaration que Samuel Mengesha revendique le statut de réfugié principalement en raison de son appartenance à un groupe social particulier, à savoir : sa famille. Bien que cela n"ait peut-être pas été exprimé dans un anglais sans failles, la déclaration écrite révèle que la crainte ressentie par Samuel Mengesha résulte largement de l"arrestation de ses père et oncle par la police érythréenne, de leur mise en accusation pour trahison et collaboration avec son frère aîné Yordanos, qui s"est joint à une faction érythréenne dissidente. Il est frappant de noter la désinvolture avec laquelle l"agente des visas a rejeté l"arrestation du père du demandeur dans la phrase suivante de ses notes STIDI : [TRADUCTION] " Bien que l"on prétende que le père ait été arrêté, aucun autre membre de la famille incluant les soeurs qui se sont enfuies en 1996, ou la mère qui demeure en Érythrée n"a été arrêté. " Ainsi qu"il appert des motifs de sa décision, tout ce dont l"agente des visas s"est préoccupé a été de savoir si d"autres incidents s"étaient produits; et en bout de ligne, sa décision s"est appuyée sur l"absence d"autres incidents venant étayer la demande de Samuel Mengesha.

[11] Malheureusement, il n"y a aucune transcription des entrevues. J"ai devant moi la déclaration écrite du demandeur, que j"ai déjà reproduite, et j"ai également devant moi les notes STIDI. En ce qui concerne les discussions, pendant les entrevues, à propos de la revendication du statut de réfugié, l"agent des visas, aux paragraphes 5, 6 et 7, de même qu"aux paragraphes 15 et 16 de son affidavit, en date du 31 août, 1998, fait les déclarations suivantes :

[TRADUCTION]
5.      À l"entrevue du 10 février 1998, j"ai demandé à M. Mengesha de me donner les raisons pour lesquelles il croyait être un réfugié au sens de la Convention. M. Mengesha a déclaré qu"à chacun des quatre samedis de juin 1997, il a été convoqué au poste de police local à Asmara en Érythrée, pour y répondre à des questions portant sur les allées et venues, les activités et la correspondance qu"il aurait pu recevoir de son frère aîné Yordanus Mengesha qu"il prétendait être un membre actif de la Force de libération de l"Érythrée. Il a déclaré s"être rendu à pied jusqu"au poste de police local accompagné d"un ami, puis après avoir répondu à quelques questions, il est retourné à la maison avec son ami. Il a dit qu"il n"avait été ni détenu, ni arrêté et que mis à part ces quatre incidents au cours desquels il n"avait eu à répondre qu"à quelques questions, il n"avait jamais eu affaire avec la police.
6.      Durant la même entrevue du 10 février 1998, M. Mengesha a déclaré qu"il avait fréquenté à plein temps l"école secondaire Netsanet en Érythrée jusqu"en juin 1997, date à laquelle il s"est rendu en Éthiopie. Jusqu"à son départ d"Érythrée en juin 1997 il a vécu avec sa mère.
7.      Dans la semaine du 20 avril 1998, l"intéressé s"est présenté au haut-commissariat du Canada, avec une autre de ses soeurs, et a demandé à me parler. Je l"ai rencontré dans la salle d"attente. À cette occasion, il s"est exprimé dans un anglais quasi parfait sans l"aide de sa soeur comme interprète. Il m"a informé que des agents de l"immigration jamaïcains l"attendaient à l"ambassade allemande afin qu"il fasse la demande pour un visa de transit pour retourner en Éthiopie. Il a dit que sa mère vivait toujours en Érythrée et qu"elle voulait y demeurer puisque son père y était emprisonné et toute sa parenté était avec elle. Je lui ai demandé une fois de plus de me dire pourquoi il croyait être un réfugié . Il m"a répondu qu"il fondait sa revendication sur les quatre visites effectuées à la station de police locale. Il a aussi parlé d"une fois où il avait été malade et avait dû passer la nuit à l"hôpital. Je lui ai demandé s"il avait quoi que ce soit à me dire à propos de sa demande de statut de réfugié. Il ne m"a donné aucun autre renseignement.
[...]
15.      Dans mon évaluation de la présente demande, J"ai donné à trois reprises au demandeur l"occasion de me fournir de l"information pertinente et à chaque fois, la première par le biais de la traduction, et les deux autres en ses propres termes en anglais, il m"a répété le même scénario, c.-à.-d. quatre visites au poste de police locale, où il s"est rendu avec un ami , pour y répondre à certaines questions concernant son frère, et durant lesquelles il n"a été ni détenu, ni arrêté. Aucune autre déclaration concernant une revendication du statut de réfugié n"a été faite ni par le demandeur, ni par l"une ou l"autre de ses deux soeurs dont l"une, Tsehay, parraine le demandeur, et était présente lors de la première entrevue.
16.      J"ai établi que M. Mengesha n"était pas un réfugié au sens de la Convention car il n"a été en mesure d"établir aucune preuve de persécution à l"exception des quatre visites au poste de police local pour ce qui semble avoir été des interrogatoires de routine, et qu"il ne s"est pas enfui en même temps que ses deux soeurs.

[12] Le demandeur n"a pas produit d"affidavit à l"appui de sa demande de révision judiciaire. Cependant il a produit les affidavits de ses soeurs Tsehay et Gebriela, assermentées le 23 juillet 1998. Dans son affidavit, Tsehay Mengesha apporte des preuves à l"appui de sa revendication du statut de réfugié de son frère. Selon ce que j"ai constaté au dossier, cette preuve n"a pas été soumise à l"agente des visas et en conséquence je ne me prononcerai pas sur celle-ci . En ce qui concerne l"affidavit de Gebriela Mengesha, il n"apporte rien quant au fond de la revendication du statut de réfugié au Canada du demandeur.
[13] Suivant la preuve qui lui a été présentée, je ne vois pas comment l"agente des visas pouvait parvenir à une conclusion différente concernant la revendication du statut de réfugié du demandeur. Cette preuve est sans l"ombre d"un doute totalement insuffisante pour justifier une revendication . Je ne sais pas si une meilleure preuve aurait pu être fournie. Cependant, si une telle preuve était disponible, elle aurait dû être présentée à l"agente des visas. Peut-être la soeur du demandeur aurait-elle dû témoigner ou donner des renseignements supplémentaires à l"agente des visas. Quoi qu"il en soit, la preuve qui lui a été soumise était nettement insuffisante.
[14] Peut-être que le langage employé par l"agente des visas pour rejeter la demande n"est-il pas " parfait ", mais le sens me paraît clair: la preuve est insuffisante pour permettre la revendication du statut de réfugié.
[15] Le demandeur allègue que l"agente des visas a mal appliqué la définition de réfugié au sens de la Convention puisqu"elle appuie sa décision sur le fait erroné que le demandeur pouvait établir sa résidence soit en Érythrée soit en Éthiopie.
[16] La preuve que le demandeur a fréquenté l"école en Érythrée, ou vivait sa mère, et sur laquelle l"agente des visas a basé sa décision, lui a été fournie par ce dernier. Et c"est à partir de cette preuve, selon les notes STIDI, que l"agente des visas en est venu à la conclusion que [TRADUCTION]" aucune raison ne l"empêche de résider soit en Érythrée, soit en Éthiopie ". À mon avis, la conclusion à laquelle est parvenue l"agente des visas n"est pas arbitraire et ne constitue pas un erreur.
[17] Le demandeur allègue de plus que l"agente des visas n"a pas tenu compte de sa déclaration écrite disant que sa revendication s"appuie sur son appartenance à un groupe social particulier, sa famille. Dans sa déclaration écrite, le demandeur indique :
Mes soeurs Tsehay et Gabriela avaient déjà fui le pays pour éviter d"être arrêtées à nouveau et torturées par la police éthiopienne et les mouvements anti-gouvernementaux. Tous les membres de la famille ont été victimes de harcèlement. Mon frère a dû fuir la ville pour rejoindre les Forces de libération de l"Érythrée présentes dans la partie sud-est du pays afin d"éviter d"être arrêté par la police éthiopienne ou malmené par les autres factions érythréenes.
J"ai cru qu"avec la chute du régime communiste, la situation allait s"améliorer et que nous allions tous déménager à Asmara en Érythrée l"endroit où mes père et oncle ont été arrêtés par la nouvelle police érythréenne et accusés de trahison envers l"indépendance de l"Érythrée pour avoir refusé de collaborer, pour avoir été connivence avec notre frère qui a joint les rangs de l"autre faction et pour avoir dissimulé le registre des collaborateurs que mon frère avait laissé à la maison1.
[18] Le demandeur allègue que l"agente des visas n"a pas tenu compte de cette prétention et que dans sa lettre de refus, elle a conclu que [TRADUCTION] "Vous avez été incapable de démontrer une crainte personnelle d'être persécuté du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos opinions politiques."2 Encore une fois, et suivant la preuve qui a été soumise à l"agente des visas, je suis d"opinion qu"elle n"a pas commis une erreur qui soit susceptible de révision. Le demandeur n"a tout simplement pas fourni de preuve à l"appui de sa requête.
[19] Le demandeur allègue que les conclusions de l"agente des visas concernant sa capacité à converser en Anglais sont arbitraires. En ce sens les notes STIDI sont pertinentes et indiquent ce qui suit :
[TRADUCTION] À CERTAINS MOMENTS DURANT L"ENTREVUE [la première entrevue], L"INTÉRESSÉ RÉPONDAIT AUX QUESTIONS EN ANGLAIS, PUIS S"ARRÊTAIT ET ALORS SA SOEUR RÉPONDAIT. JE N"AI PAS ÉTÉ CONVAINCUE QUE SES CAPACITÉS LINGUISTIQUES SOIENT LIMITÉES.
[...]
L"INTÉRESSÉ S"EST EXPRIMÉ DANS UN ANGLAIS IMPECCABLE [lors de la deuxième entrevue] SANS L"AIDE DE SA SOEUR COMME INTERPRÈTE. IL A EXPLIQUÉ QU"UN CERTAIN M. REID DES SERVICES D"IMMIGRATION JAMAÏCAIN LUI AVAIT DEMANDÉ DE SE PRÉSENTER À UNE ENTREVUE À L"AMBASSADE ALLEMANDE POUR OBTENIR UN VISA DE TRANSIT POUR RETOURNER EN ETHIOPIE, CAR LES JAMAÏCAINS NE SEMBLAIENT PAS DISPOSÉS À LUI PERMETTRE DE PROLONGER LA DURÉE DE SON SÉJOUR. C"EST ALORS QU"IL A EXPLIQUÉ QUE SA MÈRE VOULAIT RESTER EN ÉRYTHRÉE, PUISQUE SON PÈRE Y ÉTAIT EN PRISON, ET QU"ELLE AVAIT TOUTES SORTES DE PROBLÈMES, COMME D"AUTRES MEMBRES DE LA FAMILLE (SOEURS ETC.) VIVANT AVEC ELLE.
[...]
J"AI DEMANDÉ À L"INTÉRESSÉ COMMENT IL SE FAISAIT QU"IL PARLAIT MAINTENANT UN ANGLAIS PARFAIT SANS L"AIDE DE TRADUCTION ET QU"À PEINE 8 SEMAINES AUPARAVANT IL NE POUVAIT MÊME PAS RÉPONDRE À UNE QUESTION AUSSI SIMPLE QUE " QUEL EST VOTRE NOM ? " IL N"A PAS EU D"EXPLICATIONS, A DÉCLARÉ NE PAS AVOIR ÉTÉ À L"ÉCOLE, QU"IL ÉTAIT PLUTÔT RESTÉ À L"ÉGLISE ÉTHIOPIENNE POUR Y LIRE LA BIBLE.
[...]
DANS L"ENSEMBLE JE NE CROIS PAS À LA CRÉDIBILITÉ DE CE CLIENT. IL S"EST VOLONTAIREMENT PRÉSENTÉ COMME ÉTANT INCAPABLE DE COMPRENDRE L"ANGLAIS MALGRÉ MON SOUHAIT DE CONNAÎTRE LES DÉTAILS DE SON HISTOIRE DANS SES PROPRES MOTS. À LA SECONDE VISITE ET LORS DE RENCONTRES SUBSÉQUENTES À CE BUREAU, IL PARLAIT COURAMMENT ET SON DISCOURS ÉTAIT MÊME TRÈS ARTICULÉ.3
[20] À la lumière de ce qui précède, je suis d"avis que l"évaluation de la crédibilité du demandeur faite par l"agente des visas ne peut être qualifiée de déraisonnable. L"agente des visas lui a donné la possibilité de s"expliquer sur la soudaine amélioration de son anglais. En conséquence, on ne peut donc pas reprocher ses conclusions à l"agente des douanes. Je suis d"accord avec l"avocat du défendeur pour dire qu"il n"est pas pertinent de relever que la conclusion de l"agente des visas sur cette question n"est pas énoncée dans sa lettre du 4 juin 1998.
[21] Le demandeur allègue que l"agente des visas a écarté des preuves pertinentes en ne prenant pas en considération l"arrestation d"autres membres de sa famille, c.-à.-d. le fait que son oncle ait été arrêté, et en refusant de reconnaître qu"une preuve de persécution pouvait être basée sur l"appartenance à une famille en particulier. Les notes STIDI de l"agente des visas contiennent les déclarations suivantes :
BIEN QUE L"ON AIT DÉCLARÉ QUE LE PÈRE AVAIT ÉTÉ ARRÊTÉ, AUCUN AUTRE MEMBRE DE LA FAMILLE, Y COMPRIS LES SOEURS, QUI ONT FUI EN 1996, OU LA MÈRE QUI EST RESTÉE EN ÉRYTHRÉE, N"A JAMAIS ÉTÉ ARRÊTÉ. MALGRÉ LE DÉPART DES SOEURS, IL N"A JAMAIS ÉTÉ QUESTIONNÉ PAR LA POLICE AUTREMENT QUE LORS DES QUATRE SAMEDI AVANT SON DÉPART POUR L"ÉTHIOPIE.4
[22] Dans sa déclaration que j"ai déjà reproduite, le demandeur déclare que son oncle et son père ont été arrêtés par la police érythréenne. L"agente des visas semble avoir oublié que l"oncle avait également été arrêté. Cependant, si l"on peut qualifier cette omission d"erreur, je ne crois pas qu"elle soit importante. Les simples faits démontrent que le demandeur n"a tout simplement pas fourni de preuves suffisantes à l"appui de sa revendication du statut de réfugié à l"agente des visas, avec le résultat que cette dernière n"a pas été convaincue. On a pas acceuilli la demande du requérant non pas parce que l"agente des visas n"a pas reconnu que son appartenance à une famille en particulier pouvait constituer un motif de persécution mais plutôt à cause du manque de preuve.
[23] Je voudrais maintenant m"arrêter à la dernière question soulevée par la présente demande. Il s"agit de déterminer si l"agente des visas a, à un moment donné, manqué à son devoir d"équité ou violé les principes de justice naturelle. Plus particulièrement, le demandeur allègue que la conduite et les déclarations de l"agente des visas durant les entrevues justifient une crainte raisonnable de partialité.
[24] Personne ne conteste que le critère de partialité est celui établi dans Committee for Justice and Liberty et autres. c. Office national de l"énergie et autres., [1978] 1 R.C.S.. 369 à la page 386, à savoir qu"une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique, croirait que selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non ne rendra pas une décision juste.
[25] Ou, comme lord Denning MR l"a dit dans Metropolitan Properties v. Lannon,[1969] 1 QB 577 (CA) à la page 579:
[TRADUCTION] Pour trancher la question de savoir s"il y avait une réelle probabilité de partialité, la cour ne scrute pas l"esprit du juge ou du président du tribunal, ni de quiconque exerce une fonction judiciaire. La cour ne se demande pas s"il existe une réelle probabilité que l"intéressé avantage ou a de fait avantagé une partie aux dépens de l"autre. La cour s"intéresse à l"impression produite. Même si le juge était on ne peut plus impartial, dans la mesure où des personnes sensées estiment que , compte tenu des circonstances, il y a une réelle probabilité de partialité de sa part, il ne doit pas siéger. [...] Cela dit il doit y avoir une réelle probabilité de partialité. Suppositions et conjectures ne suffisent pas [...] Il faut que les circonstances soient telles qu"une personne raisonnable puisse penser qu"il est probable ou vraisemblable que le juge ou le président favorise ou a favorisé injustement l"une des parties aux dépens de l"autre. La cour ne cherchera pas à savoir si le juge effectivement favorisé l"une des parties. Il suffit que des personnes raisonnables puissent le penser. La raison en est évidente. La justice suppose un climat de confiance, qui ne peut subsister si des personnes sensées ont l"impression que le juge a fait preuve de partialité.
[26] Dans Principles of Administrative Law5, les auteurs précisent que les règles visant à contrer l"impartialité s"appliquent non seulement aux pouvoirs judiciaire et quasijudiciaire mais aussi au pouvoir simplement administratif :     
[TRADUCTION] En théorie, la règle interdisant la partialité s"applique avec exactement la même étendue que les pouvoirs délégués comme le premier principe de justice naturelle, audi alteram partem . Bien que l"on croit souvent que la règle audi alteram partem ne s"applique au"aux pouvoirs judiciaire et extra-judiciaire, le droit a progressé et les principes de justice naturelle et d"équité s"appliquent maintenant aux pouvoirs délégués qui étaient autrefois caractérisés comme étant de nature purement administrative . Bien que l"analyse juridique montre une tendance à traiter les deux principes de justice naturelle de façon séparée, le droit d"être entendu par un décideur impartial et équitable n"est en réalité qu"une seule et même facette de l"équité et à n"en pas douter, de la règle audi alteram partem .

[27] Les soeurs du demandeur, Tsehay et Gebriela Mengesha, ont prétendu que plusieurs incidents de nature partiale se sont produits durant les entrevues avec l"agente des visas. Je devrais signaler ici que le demandeur n"a pas déposé d"affidavit pour lui-même. Aucune explication ne m"a été donnée sur les raisons de cette omission. Mme O"Brien nie la plupart de ces allégations et ne commente pas certaines autres. Je vais commencer par établir la liste des allégations et des dénégations concernant les commentaires qui auraient été faits au cours des entrevues.
[28] Tsehay Mengesha prétend que Mme O"Brien a dit ce qui suit à propos des compétences linguistiques anglaises du demandeur :
[TRADUCTION]
     25. Mme O"Brien a également refusé de croire que mon frère éprouvait des difficultés à parler anglais et a insisté pour commencer sans l"aide d"un interprète avant de céder et de recourir à mon aide.
     26. Je me souviens également qu"à un certain moment durant l"entrevue Mme O"Brien s"est manifestement mise en colère parce que mon frère qui pointait sur le calendrier le mois de juin 1997, comme étant la date à laquelle il avait été convoqué au poste de police, était capable de répondre à l"une de ses questions, sans mon aide.

[29] À ces prétentions , Mme O"Brien rétorque ce qui suit:

[TRADUCTION]
4. En réponse aux paragraphes 25 et 26 de l"affidavit de Tsehay Mengesha, mon intention était d"évaluer le degré de compétence linguistique anglaise de M Mengesha sans l"assistance de sa soeur. Une fois qu"il a été clairement établi qu"il ne pouvait ou ne voulait pas répondre en anglais, j"ai alors demandé à sa soeur de traduire pour lui. Pendant l"entrevue, M. Mengesha était capable de comprendre beaucoup de mes questions sans que sa soeur ne lui serve d"interprète et à une occasion, avant même que sa soeur ne traduise pour lui, il a répondu à une question complexe concernant une déclaration faite aux responsables de l"immigration à l"aéroport. J"ai porté cela à l"attention de l"intéressé et de sa soeur en constatant qu"il avait une bien meilleure connaissance de l"anglais que ce qu"on n"avait bien voulu me faire croire. Je n"étais pas en colère. Par ailleurs, j"ai été capable de communiquer de façon efficace en anglais avec M. Mengesha lors de ses deuxième et troisième entretiens avec moi.

[30] Ensuite, Tsehay Mengesha a dit ce qui suit à propos d"une déclaration qu"aurait faite
Mme O"Brien:
[TRADUCTION]
30. Bien que je ne me souvienne pas de chaque mot prononcé par Mme O"Brien pendant toute l"entrevue, je me souviens parfaitement bien de choses inquiétantes qu"elle a dites et faites.
31. Mme O"Brien nous a dit d"un ton irrité que "Vous abusez du processus concernant les réfugiés ".
[31] À cela, Mme O"Brien a répondu ce qui suit:
[TRADUCTION]     
14. En réponse au paragraphe 31 de l"affidavit de Tsehay Mengesha, je n"ai pas déclaré que M. Mengesha abusait du processus concernant les réfugiés. J"ai dit que si Mlle Mengesha parrainait sa mère et M. Mengesha en tant que personnes à charge qui l"accompagnent, M. Mengesha n"aurait pas à remplir les conditions requises pour être considéré comme un réfugié au sens de la Convention.             

[32] Gebriela Mengesha déclare sous serment ce qui suit relativement à des déclarations faites à l"expiration du visa de visiteur du demandeur:
[TRADUCTION]
9. En réponse à mes questions, Mme O"Brien a nié être celle qui avait remis à la police jamaïcaine une copie du passeport de mon frère et qui l"avait informée de l"expiration de son statut.

[33] Mme O"Brien y a répondu comme suit :
[TRADUCTION]
8. En réponse au paragraphe 9 de l"affidavit de Gebriela Mengesha, je confirme n"avoir contacté aucun service de police eu égard au visa jamaïcain périmé de M. Mengesha. J"ai vérifié l"authenticité du visa de visiteur de M. Mengesha au cours d"une rencontre avec le directeur de l"immigration en Jamaïque, qui n"est pas un officier de police, dans le but de confirmer que le visa avait été correctement émis.

[34] Gebriela Mengesha a dit ce qui suit à propos d"une menace présumée faite par Mme O"Brien:
[TRADUCTION]
10. Mme O"Brien a également dit clairement qu"elle ne remettrait au demandeur Samuel Mengesha aucune lettre ni ne lui apporterait aucune aide lui permettant de demeurer en Jamaïque.
[35] Mme O"Brien a répondu à cela de la façon suivante:
[TRADUCTION]
9. En réponse au paragraphe 10 de l"affidavit de Gebriela Mengesha, quand Mlle. Mengesha et M. Mengesha m"ont demandé de rédiger une lettre visant à empêcher M. Mengesha d"être renvoyé de Jamaïque, je les ai informés que je n"avais pas l"autorité pour rédiger un tel document et que je ne pouvais pas m"ingérer de cette façon dans les affaires des représentants jamaïcains.
[36] Gebriela Mengesha mentionne ce qui suit à propos de l"une des questions de Mme O"Brien:
[TRADUCTION]
14. L"une des questions posée par Mme O"Brien au demandeur Samuel Mengesha, à cette occasion, visait à savoir pourquoi il n"allait pas en Somalie, en Égypte ou ailleurs pour y faire ou tenter d"y faire quelque chose d"autre.
[37] Mme O"Brien a pour réponse ce qui suit :
[TRADUCTION]
11.En réponse au paragraphe 14 de l"affidavit de Gebriela Mengesha, Je n"ai pas demandé à M. Mengesha pourquoi il n"allait pas en Somalie, en Égypte ou ailleurs. C"est quand j"ai demandé à M. Mengesha pourquoi il avait choisi de venir en Jamaïque qu"il m"a répondu ne pas avoir pu obtenir de visa pour l"Égypte.
[38] Gebriela Mengesha prétend ce qui suit à propos d"une déclaration de Mme O"Brien:
[TRADUCTION]
15.      Mme O"Brien a même remis au demandeur Samuel Mengesha un formulaire de demande pour demandeur indépendant et lui a dit de retourner en Érythrée ou ailleurs pour y faire sa demande, alors même qu"il était évident qu"il ne pouvait pas se qualifier en tant que demandeur indépendant pour des raisons qu"elle invoquait elle-même dans sa décision.
[39]      Mme O"Brien a répondu de la façon suivante :
[TRADUCTION]     
12.      En réponse au paragraphe 15 de l"affidavit de Gebriela Mengesha, Je n"ai pas dit à M. Mengesha de retourner en Érythrée ou ailleurs pour y faire sa demande. On a remis à M. Mengesha une trousse de demande pour demandeur indépendant dans son intérêt et de façon à ce qu"il saisisse le processus à suivre. On lui a fortement recommandé de retourner aux études avant de suivre cette voie.

[40] Gebriela Mengesha a dit ce qui suit des connaissances de l"Érythrée et de l"Éthiopie de Mme O"Brien, :
     [TRADUCTION]
     16.      Mme O"Brien a également émis un commentaire montrant qu"elle ne voyait pas pourquoi on devait s"attendre à ce qu"elle sache quoi que ce soit à propos de l"Éthiopie ou de l"Érythrée.
[41] À cet effet, Tsehay Mengesha dit ce qui suit:
[TRADUCTION]     
28.      Mme O"Brien a également admis n"avoir aucune connaissance de l"Éthiopie ou de l"Érythrée.
29.      Néanmoins, alors que j"allais lui donner quelques renseignements sur ces 2 pays et sur ce qui s"y était passé, elle m"a dit de ne pas m"en faire, que de toute façon elle n"allait pas comprendre.
[42]      Mme O"Brien a répondu à ces allégations de la façon suivante:
[TRADUCTION]     
13.      En réponse au paragraphe 16 de l"affidavit de Gebriela Mengesha et aux paragraphes 28 et 29 de Tsehay Mengesha, je n"ai pas fait les commentaires dont parlent les souscriptrices d"affidavit. J"ai expliqué que je n"étais pas tout à fait bien informée de la situation en Éthiopie et en Érythrée, et j"ai donné à M. Mengesha et ses soeurs la possibilité de m"expliquer les raisons de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention. Pour toute réponse, M. Mengesha a réitéré ses quatre visites au poste de police pour y être interrogé. Il a aussi fait allusion à cette partie de sa déclaration écrite sur l"arrestation de son père et de son frère rejoignant les Forces de libération. C"est là toute l"information qui a été fournie. À aucun moment Mme Tsehay Mengesha n"a offert de nous renseigner à propos des deux pays, et je ne lui ait pas dit de ne pas s"en faire, puisque je n"allais pas comprendre.

[43] Tsehay Mengesha a fait les commentaires suivant concernant le comportement de Mme O"Brien durant l"entrevue :
     [TRADUCTION]
  1. .      Dès le départ, il était apparent dans le visage de Mme O"Brien, l"agente des visas chargé de s"occuper du dossier du demandeur Samuel Mengesha, que quelque chose n"allait pas, qu"elle était mécontente, qu"elle avait un problème à propos de quelque chose.
21.      Au début, le demandeur M. Mengesha et moi-même avons cru qu"elle avait tout simplement une mauvaise journée.
22.      Cependant il devint vite très évident par le ton de voix, les déclarations, les questions et le comportement général de Mme O"Brien durant l"entrevue, que c"était le dossier de mon frère et sa présence qu"elle ne pouvait pas supporter.

[44]      Mme O"Brien a répondu à ces remarques de la façon suivante :

[TRADUCTION]

19.      Dans l"affidavit de Tsehay Mengesha, j"ai été décrite comme une personne mécontente, fâchée, visiblement irritée, partiale et m"exprimant d"un ton colérique. Je suis en désaccord complet avec ces conclusions et tout autre description négative de cette nature.

[45] J"ai fait la liste complète des accusations de partialité faites contre Mme O"Brien et sa dénégation absolue à cet égard. Sans une transcription des entrevues, et avec les seules notes STIDI de l"agente des visas, il est difficile de s"en faire une idée exacte. Selon leurs points de vue, des gens différents interprètent de façons différentes le même rapport entre individus. Vu l"importance de ces entrevues, je ne doute pas que les soeurs du demandeur aient été particulièrement sensibles aux commentaires et aux expressions de Mme O"Brien. D"un autre coté, Mme O"Brien, a sans aucun doute interviewé un grand nombre de demandeurs du statut de réfugié et s"est faite une idée de la véracité de leurs histoires. Je présume que ces contextes variés ont influencé tant la façon dont chacune des parties s"est présentée aux entrevues que leurs perceptions sur les interactions qui s"y sont produites.

[46] Tsehay Mengesha fait les accusations de partialité suivantes qui ne sont pas réfutées par Mme O"Brien :

[TRADUCTION]

32.      Mme O"Brien a dit au demandeur Samuel Mengesha : "La seule raison de votre présence ici est que votre soeur a déjà été acceptée par le haut commissariat canadien ".
33.      Mme O"Brien nous a demandé avec mépris : "Prenez-vous le haut-commissariat canadien en Jamaïque pour une gare ?"
34.      Mme O"Brien m"a dit, en parlant de mon frère : "Si nous l"acceptons, vous allez nous amener un autre frère".
35.      Un autre moment révélateur pour moi s"est produit quand Mme O"Brien a pris le passeport éthiopien du demandeur Samuel Mengesha et a remarqué que son visa jamaïcain était périmé. Elle lui a alors demandé d"une manière très agressive et intimidante : "Dites-moi pourquoi je ne devrais pas vous signaler aux autorités jamaïcaines? ", elle s"est écriée : "vous êtes ici illégalement!", et a poursuivi " En tant qu"agent j"ai le devoir de dénoncer votre statut".
36.      Avant de mettre fin à l"entrevue, Mme O"Brien a estampillé le passeport du demandeur Samuel Mengesha et lui a dit : "ce cachet montre que vous avez déjà fait une demande et si vous faites une demande de visa de visiteur, nous allons savoir que vous êtes déjà passé par nos bureaux".

Mme O"Brien n"admet ni ne dément ces déclarations dans son affidavit.

[47] Dans la décision Jiang c. Canada (MCI) (1997), 138 F.T.R. 230, on demandait au juge Lutfy d"infirmer la décision d"une agente des visas de rejeter une demande de résidence permanente au motif que ses agissements avaient créé une crainte raisonnable de

partialité . À chaque question posée par l"agente des visas au demandeur, son épouse lui chuchotait en chinois. L"agente des visas a admis avoir dit à l"épouse du demandeur "Taisez-vous" dans le but de vérifier la connaissance de l"anglais du demandeur. Le juge Lutfy a accueilli la demande et a conclu que la conduite de l"agent des visas avait donné lieu à une appréhension raisonnable de partialité.

[48] Le juge Lutfy a dit ce qui suit à propos de l"application du principe de la crainte raisonnable de partialité aux agents des visas lors des entrevues avec les immigrants éventuels. À la page 232, il dit ce qui suit :

Les principes de justice naturelle et d"équité procédurale s"appliquent à la rencontre que l"agente des visas a tenue avec le requérant. Au cours de ce genre d"entrevue, l"agent(e) des visas est appelé(e) à déterminer si la partie demandeur sera en mesure de s"établir avec succès au Canada et il s"agit d"une responsabilité importante. Il(Elle) doit se comporter avec la dignité voulue pour favoriser un échange ouvert et équitable, même dans des circonstances qui doivent parfois être difficiles et éprouvantes. Il convient également de souligner que, pour de nombreux demandeurs, notamment ceux dont les cultures sont sensiblement différentes de celles de la personne qui représente le Canada, ces entrevues sont stressantes. Dans l"ensemble, lorsqu"une personne interrogée ne se comporte pas bien, l"agent(e) des visas doit demeurer calme pour faire en sorte que la rencontre se déroule bien. L"agent(e) des visas préside l"entrevue. À titre de personne appelée à prendre un décision, l"agent(e) des visas est tenu(e) de fournir, dans la mesure du possible, un environnement calme au cours de l"entrevue pendant laquelle la partie demandeure tente de prouver qu"elle respecte les critères de sélection.

Le critère est donc de savoir si l"agent des visas s"est comporté avec la dignité voulue pour favoriser un échange ouvert et équitable au moment où le demandeur tente de prouver qu"il respecte les critères de sélection.

[49] La décision Jiang se distingue de la présente instance. L"agente des visas dans Jiang ne nie ni les accusations portant sur sa conduite au cours de l"entrevue, ni le langage qu"on lui attribue. Par contre, Mme O"Brien réfute la plupart des accusations à son endroit. De plus, selon moi, rien de ce que l"on reproche à Mme O"Brien n"a créé le genre d "atmosphère qui n"est pas favorable à un échange ouvert et équitable.

[50] La décision Varaich c. Canada (M.E.I.) (1994) 75 F.T.R. 143 est une affaire mettant en cause des objections formulées concernant la traduction faite durant l"audience. La question était de savoir si les commentaires de l"arbitre concernant la complétude de la traduction avait eu pour effet de nier une audience impartiale. Madame le juge Tremblay-Lamer a conclu que la conduite de l"arbitre, bien qu"elle ait été à quelques reprises hostile et brusque, n"avait pas donné lieu à une appréhension raisonnable de partialité. Le juge Tremblay-Lamer J. dit ce qui suit à la page 146 de sa décision :

La question fondamentale est, rappelons-le, celle de savoir si le demandeur a obtenu une audition équitable. Des paroles dures ou sarcastiques ne suffisent pas à elles seules pour établir qu"il y a eu violation des principes de justice naturelle. Le fait qu"un commissaire puisse faire preuve d"agressivité excessive en questionnant la revendicatrice ne signifie pas qu"il a manqué à son devoir d"impartialité. Dans l"affaire Mahendran c. Canada (MEI) (1991), 134 N.R. 316; 14 Imm. L.R. (2d) 30 (F.C.A.), la cour a rejeté les prétentions de la partie requérante à cet égard et a déclaré :

[...]

On peut donc se montrer compréhensif à l"égard des membres du tribunal qui, dans leur enthousiasme à s"acquitter honorablement de leur fonction, peuvent à l"occasion donner l"impression d"un agressivité excessive et injuste. Toutefois, pour les motifs déjà exposés, j"en arrive à la conclusion que la conduite des membres du tribunal que l"on tente d"attaquer n"offense pas les principes énoncés dans l"affaire Committee for Justice and Liberty précitée.


[51] Les seules remarques que Mme O"Brien ne nie pas expressément sont les suivantes: [TRADUCTION] "La seule raison de votre présence ici est que votre soeur a déjà été acceptée par le haut commissariat canadien "; Mme O"Brien demandant avec mépris : [TRADUCTION] "Prenez-vous le haut-commissariat canadien en Jamaïque pour une gare ?"; et Mme O"Brien disant : en parlant du demandeur " Si nous l"acceptons, vous allez nous amener un autre frère " L"agente des visas avait l"autorité suffisante pour faire les deux autres remarques alléguées concernant la péremption du visa jamaïcain.

[52] À mon avis, la forte opposition de Mme O"Brien à des prétentions fallacieuses, ne constitue pas, en soi, une indication de partialité ou un élément donnant lieu à une appréhension raisonnable de partialité. Selon moi, les allégations à l"encontre de Mme O"Brien ne font que démontrer son impatience et sa frustration. Mme O"Brien semble avoir utilisé un ton de voix rude et avoir prononcé quelques propos immodérés. La décision de Mme O"Brien ne devrait être rejetée que si le demandeur prouve que la conduite et les paroles de l"agente des visas ont été tels qu"une " personne bien informée " en viendrait à la conclusion que l"agent des visas a rendu sa décision en prenant en considération autre chose que de la preuve . Selon moi, cette personne bien informée, en examinant la question avec réalisme et de façon pratique, et après avoir fait le tour de la question, n"en viendrait pas, suivant la preuve qui m"a été soumise, à cette conclusion.

[53] Comme je l"ai déjà indiqué, il n"y a pas de transcription des entrevues entre l"agente des visas et le demandeur et ses soeurs. Les seuls éléments de preuve que j"aie à cet égard sont les notes STIDI . Les affidavits déposés par les soeurs du demandeur et par l"agente des visas indiquent clairement un désaccord à propos de ce qui s"est dit durant les entrevues. Le demandeur, comme je l"ai déjà indiqué, n"a pas déposé d"affidavit et on ne m"a donné aucune explication de cette omission . Selon moi, le demandeur devait produire un affidavit, à tout le moins pour la portion portant sur l"appréhension raisonnable de partialité. Étant donné que c"est au demandeur qu"incombe le fardeau de preuve sur cette question, et qu"il n"a pas produit d"affidavit, je suis d"opinion qu"il ne s"est pas acquitté du fardeau d"établir que la conduite et les déclarations de l"agente des visas soulèvent une appréhension raisonnable de partialité.

[54]      Pour ces motifs, la présente demande est rejetée.


     Marc Nadon

     JUGE


OTTAWA, Ontario

Le 31août 1999


Traduction certifiée conforme



Me Jean-François Pillière, Llb.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE:              IMM-3272-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Samuel Mengesha et autres c.                 
Le Ministre de la citoyenneté et de l'immigration


LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      premier mars 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MARC NADON


DATE DES MOTIFS      :      Le 31 août 1999

DE L'ORDONNANCE





ONT COMPARU :             

Frederick M Ingutia      pour les demanderesses

Darrell L Kloeze      pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Frederick M Ingutia      pour les demanderesses

Kanata (Ontario)


Morris Rosenberg      pour la défenderesse

sous procureur général du Canada


__________________

1. Dossier du demandeur, p.11

2 Dossier du demandeur, p.15

3 Dossier des demandeurs, pp. 38-39

4 Dossier du demandeur, p.39

5 D.P Jones & A.S. de Villars, Principles of Administrative Law, 2nd ed. (Scarborough: Carswell, 1994) page 365.

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