Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20011130

Dossier : T-1893-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1321

ENTRE :

                                                                ANDREW RUDNICKI

                                                                                                                                               Demandeur

ET :

                                                PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                   

                                                                                                                                                   Défendeur

                                                           MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour Fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, contre une décision, datée du 1er octobre 2001, que la Section d'appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles ("la Commission") a rendue, confirmant les décisions de la section de première instance du 5 mars 2001 de révoquer la libération d'office du demandeur, et du 16 août 2001 de maintenir le demandeur en incarcération et d'interdire sa mise en liberté. Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance annulant la décision du 1er octobre 2001 et ordonnant sa remise en liberté immédiate aux conditions fixées par la Commission. Subsidiairement, il demande l'octroi d'une nouvelle audience devant la Commission.


[2]                 Le demandeur purge une première sentence fédérale depuis juin 1998 d'une durée de 3 ans, 5 mois et 17 jours pour avoir proféré des menaces (44 chefs), harcèlement criminel (2 chefs), défaut de se conformer et méfait public (6 chefs).

[3]                 Les délits reprochés consistaient à suivre des jeunes femmes âgées entre 15 et 25 ans jusqu'à leur résidence pour ensuite leur faire parvenir des lettres de menaces anonymes très détaillées. Généralement, les lettres contenaient une description des vêtements portés et l'itinéraire précis de la journée des jeunes femmes. Les lettres contenaient également des détails personnalisés sur le mode de vie des victimes et des descriptions des blessures que le demandeur menaçait de leur infliger avant de les tuer.

[4]                 Le demandeur a également fait l'objet de sentences provinciales dans le passé, notamment une déclaration de culpabilité en 1994 pour possession d'arme, avoir proféré des menaces et pour agression armée contre sa propre mère.


[5]                 Depuis le 20 octobre 2000, le demandeur bénéficiait d'une libération d'office en vertu du droit que lui confère le paragraphe 127(1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ("la Loi"). Cette libération était assortie de conditions spéciales de suivi psychologiques, d'aucun contact avec les victimes et une assignation à résidence.

[6]                 En date du 4 décembre 2000, un mandat de suspension de la libération d'office a été émis après qu'on eut trouvé dans la chambre du demandeur un document de 39 pages non daté dans lequel il menaçait de tuer trois membres de l'équipe olympique canadienne. Cette lettre n'a jamais été envoyée. Il fut également découvert un croquis de l'endroit de la disparition de Julie Surprenant, d'une note dans laquelle figure le nom d'une jeune fille assassinée en mai 2000, d'une cinquantaine de cartes de différentes villes et municipalités et plusieurs pages contenant noms et adresses, dont plusieurs noms de filles.

[7]                 Le demandeur fut arrêté le même jour mais a tenté de s'évader lors de l'arrestation et la force a dû être utilisée pour le neutraliser. Après la découverte des documents dans la chambre du demandeur, ce dernier aurait dit au directeur de la résidence où il était assigné qu'il avait l'intention d'envoyer les menaces à l'expiration de la peine qu'il purge présentement.

[8]                 En date du 5 mars 2001, la Commission révoquait la libération d'office du demandeur sur la base de la découverte de ces documents et aux motifs que le risque de récidive devenait inacceptable et qu'il n'avait pas démontré de changements significatifs et durables. Le demandeur redevenait alors éligible à une libération d'office le 13 août 2001.

[9]                 Le 4 mai 2001, le demandeur en appelait de la décision de la Commission de révoquer sa libération d'office.

[10]            Par contre, conformément au paragraphe 129(3)(a) de la Loi, le commissaire du Service correctionnel a déféré le cas du demandeur au président de la Commission en date du 14 juin 2001 en vue d'un examen pour maintien en incarcération pendant la période de libération d'office devant débuter le 13 août 2001.

[11]            En date du 16 août 2001, le demandeur était vu à l'audience par la Commission qui, le même jour, rendait une décision ordonnant le maintien en incarcération et l'interdiction de sa mise en liberté jusqu'à l'expiration du mandat d'emprisonnement le 16 décembre 2001.


[12]            En date du 18 septembre 2001, le demandeur en appelait de cette décision de la Commission, soulignant que la Section d'appel n'avait toujours pas répondu à son appel concernant la révocation de sa libération d'office.

[13]            Dans une décision datée du 1er octobre 2001, la Section d'appel confirmait les deux décisions de la Section de première instance.

[14]            Cette décision fait l'objet de la demande de contrôle judiciaire dans le présent dossier.


[15]            Dans sa décision rendue le 1er octobre 2001 confirmant les décisions de la Section de première instance de mars et d'août 2001, la Section d'appel rappelle que la question à laquelle elle est confrontée est "de savoir si eu égard à toute l'information disponible aux commissaires, y compris ce qui est ressorti de l'audience, la décision rendue est raisonnable dans les circonstances". Elle rappelle que "à moins que la décision soit non fondée et donc déraisonnable sur les faits, la Section d'appel ne serait pas justifiée d'intervenir". Elle expose ensuite ses motifs concernant l'ordonnance de révocation de la libération d'office du demandeur et celle d'interdiction de sa mise en liberté en considérant ces deux points simultanément. Il convient donc de distinguer clairement les motifs ayant mené la Section d'appel à sa décision dans l'un et l'autre cas.

[16]            La Section d'appel rappelle tout d'abord les arguments du demandeur à l'appui de son appel de la décision de révoquer sa liberté d'office comme suit :

VOUS SOUMETTEZ QUE VOTRE LIBÉRATION D'OFFICE A ÉTÉ RÉVOQUÉE, NON PAR VOTRE CONDUITE EN LIBÉRATION D'OFFICE, MAIS SUITE À LA DÉCOUVERTE DE LETTRES QUE VOUS AURIEZ ÉCRITES LORSQUE À L'ÉTABLISSEMENT DE COWANSVILLE, ET CELA BIEN AVANT VOTRE LIBÉRATION D'OFFICE. [...] VOUS CONCLUEZ EN DISANT QUE LA COMMISSION N'AVAIT PAS JURIDICTION POUR ORDONNER VOTRE INTERDICTION DE MISE EN LIBERTÉ, VU QUE VOUS N'AVIEZ COMMIS AUCUN GESTE EN LIBÉRATION D'OFFICE JUSTIFIANT LÉGALEMENT UNE RÉVOCATION. PAS DE RÉVOCATION LÉGALE, PAS DE MAINTIEN POSSIBLE.

Elle poursuit en commentant que d'après la preuve,

VOTRE LIBÉRATION D'OFFICE A DÉBUTÉ LE 20 OCTOBRE 2000. LE 4 DÉCEMBRE 2000, LORS D'UNE FOUILLE DE VOTRE CHAMBRE AU CCC, L'ANIMATEUR A TROUVÉ UN DOCUMENT DANS LEQUEL VOUS EXPRIMEZ DES MENACES À PLUSIEURS MEMBRES FÉMININS DE L'ÉQUIPE OLYMPIQUE CANADIENNE DE L'AN 2000. ON A AUSSI DÉCOUVERT UN CROQUIS DE L'ENDROIT DE LA DISPARITION D'UNE AUTRE FEMME, D'UNE NOTE DANS LAQUELLE FIGURE LE NOM D'UNE JEUNE FILLE ASSASSINÉE EN MAI 2000, D'UNE CINQUANTAINE DE CARTES DE DIFFÉRENTES VILLES ET MUNICIPALITÉS ET PLUSIEURS PAGES CONTENANT NOMS ET ADRESSES, DONT PLUSIEURS NOMS DE FILLES. VOUS AVEZ ÉTÉ SUSPENDU ET LA COMMISSION A TENU UNE AUDIENCE POST-SUSPENSION EN DATE DU 5 MARS 2001. PEU IMPORTE LA DATE À LAQUELLE VOUS AVEZ ÉCRIT LES LETTRES, LA COMMISSION A CONSIDÉRÉ QUE LA SAISIE DE CES ARTICLES DANS VOTRE CHAMBRE, ET LE FAIT QUE VOUS LES AVIEZ DANS VOTRE POSSESSION LORS DE VOTRE LIBÉRATION D'OFFICE, ÉTAIT UNE INDICATION QUE VOUS ÉTIEZ DANS LE MÊME ÉTAT D'ESPRIT EN CE QUI CONCERNE VOS SENTIMENTS D'INJUSTICE ET D'INCOMPRÉHENSION. EN CONSIDÉRANT LA TOTALITÉ DE L'INFORMATION DISPONIBLE, ELLE A DÉTERMINÉ QUE VOTRE RISQUE ÉTAIT DEVENU NON-ASSUMABLE, ET ELLE A RÉVOQUÉ VOTRE LIBÉRATION CONDITIONNELLE.


[17]            La Section d'appel conclut que la décision de révoquer a été prise conformément à la loi.

[18]            La Section d'appel rappelle les arguments du demandeur à l'appui de son appel de la décision d'interdire sa mise en liberté comme suit :

VOUS SOUMETTEZ QUE, DEPUIS LE DÉBUT DE VOTRE SENTENCE, AUCUN INTERVENANT N'A CONSIDÉRÉ QUE VOS DÉLITS AVAIENT CAUSÉ DE DOMMAGES GRAVES OU LA MORT AU SENS DE LA LOI. VOUS NOUS DITES QU'IL EST ÉVIDENT QUE DES GENS ONT SUBI DES TORTS SUITE À VOS ACTIONS MAIS AUCUNE PREUVE N'EXISTE À L'EFFET QUE DES PRÉJUDICES GRAVES ONT ÉTÉ CAUSÉS AU POINT DE CONSIDÉRER QU'ILS REMPLISSENT LES CRITÈRES DE LA LOI, POUR UN MAINTIEN EN INCARCÉRATION.

[19]            En réponse à ces arguments, la Section d'appel s'exprime ainsi :

ICI, IL SERAIT, PEUT-ÊTRE, OPPORTUN DE SE QUESTIONNER POUR SAVOIR SI C'EST UN ÉLÉMENT PERTINENT À CONSIDÉRER LE FAIT QUE VOS CRIMES ACTUELS AURAIENT PU CAUSER DE TORTS CONSIDÉRABLES AUX VICTIMES, MAIS, PAR CONTRE, CECI N'EST PAS UN CRITÈRE SUR LEQUEL LA COMMISSION SE BASE EN ARRIVANT À LA DÉCISION D'ÉMETTRE UNE ORDONNANCE D'INTERDICTION DE LA MISE EN LIBERTÉ (VOIR L'ARTICLE 130(3) DE LA LSCMLSC). NÉANMOINS, DANS VOTRE CAS, LA COMMISSION ÉTAIT D'AVIS QUE VOUS AVEZ BIEN CAUSÉ DES DOMMAGES GRAVES DE NATURE PSYCHOLOGIQUE, ET SA CONCLUSION À CET ÉGARD EST RAISONNABLE ET BIEN FONDÉE.

[20]            Sur la question de l'absence de juridiction de la Commission pour ordonner l'interdiction de mise en liberté du demandeur et recours parallèles, la Section d'appel rejette l'argument du demandeur en ces termes :      

LA COMMISSION AVAIT LA JURIDICTION DE PROCÉDER À L'EXAMEN EN VUE DU MAINTIEN EN INCARCÉRATION DANS VOTRE CAS. ELLE ÉTAIT SATISFAITE QUE LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL AVAIT DES MOTIFS RAISONNABLES DE CROIRE QUE VOUS COMMETTREZ AVANT L'EXPIRATION DE VOTRE PEINE, UNE INFRACTION CAUSANT LA MORT OU UN DOMMAGE GRAVE À UNE AUTRE PERSONNE. LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL AVAIT CONSIDÉRÉ PLUSIEURS ACTEURS DANS SA DÉCISION DE RENVOYER VOTRE CAS EN VERTU DE L'ARTICLE 129(3) DE LA LSCMLSC, Y COMPRIS LES CIRCONSTANCES ENTOURANT VOTRE RÉVOCATION EN MARS 2001. [...] LES CIRCONSTANCES ENTOURANT LA RÉVOCATION ÉTAIENT DES ÉLÉMENTS PERTINENTS À L'EXAMEN EN VUE DE L'INTERDICTION DE MISE EN LIBERTÉ.

[21]            Elle poursuit en exposant ses motifs concernant sa décision de rejeter l'appel du demandeur de la décision de la Section de première instance d'interdire sa mise en liberté:


DANS VOTRE CAS, LA SECTION D'APPEL EST SATISFAITE QUE LA COMMISSION AVAIT DES RENSEIGNEMENTS PERTINENTS ET ADÉQUATS POUR EN ARRIVER À LA DÉCISION DONT VOUS FAITES APPEL. LA COMMISSION A ANALYSÉ LESDITS RENSEIGNEMENTS ET A APPLIQUÉ, DE FAÇON RAISONNABLE, LES FACTEURS RELATIFS À L'INTERDICTION DE MISE EN LIBERTÉ. L'ANALYSE DE VOTRE CAS EST BIEN ÉNONCÉE DANS LES MOTIFS DE LA DÉCISION RENDUE. EN ARRIVANT À LA DÉCISION ORDONNANT L'INTERDICTION DE MISE EN LIBERTÉ, LES COMMISSAIRES ONT NOTÉ QUE VOUS AVEZ DES PROBLÈMES DE PERSONNALITÉ EXTRÊMEMENT PROFONDS, ET VOUS N'AVEZ MONTRÉ AUCUNE MOTIVATION SÉRIEUSE À BÉNÉFICIER DE PROGRAMMES POUR TRAITER CES PROBLÈMES. ILS ONT CONSIDÉRÉ LES CIRCONSTANCES ENTOURANT LA RÉVOCATION DE VOTRE LIBÉRATION D'OFFICE, ET ILS ONT NOTÉ QUE SUITE À LA RÉVOCATION, VOUS AVEZ ÉCRIT UNE AUTRE LETTRE MENAÇANTE À VOTRE ANCIEN AGENT DE LIBÉRATION CONDITIONNELLE. DE PLUS, ILS ONT DÉTERMINÉ QU'AUCUN PROGRAMME DE SURVEILLANCE NE SAURAIT PROTÉGER LE PUBLIC DANS VOTRE CAS, SURTOUT LORSQU'ILS TENAIENT COMPTE DE VOS ÉCHECS ANTÉRIEURS EN D'AUTRES MISES EN LIBERTÉ.    

[22]            La Section d'appel conclut que "la décision rendue le 16 août 2001 est juste et raisonnable, qu'elle s'appuie sur de l'information pertinente, adéquate, fiable et convaincante, qu'elle est conforme à la Loi et aux politiques de la Commission concernant l'interdiction de mise en liberté ainsi que rendue dans le respect des principes de justice fondamentale", et rejette ainsi l'appel du demandeur.

[23]            Essentiellement, les questions que soulève ce contrôle judiciaire sont, d'une part, de savoir si la Section d'appel a erré en droit en confirmant la décision de la Section de première instance du 5 mars 2001 fondée sur le comportement du demandeur avant sa libération d'office, contrairement au critère prévu par la Loi et, d'autre part, de savoir si la Section d'appel a erré en droit en confirmant la décision de la section de première instance du 16 août 2001 alors que celle-ci n'avait pas juridiction pour imposer un maintien en incarcération et une interdiction de mise en liberté. Ce litige soulève également la question intéressante de la portée législative des paragraphes 129(2) et 129(3) de la Loi.

[24]            Le demandeur note d'emblée que les motifs de la Commission à l'appui de sa décision de révoquer la libération d'office du demandeur révèlent que cette suspension découle de la lettre de menaces qui a été trouvée dans ses effets personnels et qui avait été écrite, selon le demandeur, avant sa libération d'office. Elle ne relève donc pas du comportement du demandeur depuis sa libération d'office tel que prévu au paragraphe 135(5)(a) de la Loi, mais bien de sa conduite avant d'être libéré. En fait, soutient le demandeur, la seule chose qui est reprochée au demandeur est de ne pas avoir fait de changements significatifs dans son comportement "d'opposition". Le demandeur soumet que ce fait n'augmente en rien le risque qu'il ne commette un crime, et il n'avait pas à prouver quelque changement que ce soit. Il appartenait à la Commission de démontrer un changement qui augmentait le risque de récidive, et s'il n'en était pas ainsi, le droit à la libération d'office deviendrait illusoire et pourrait être révoqué en tout temps.


[25]            Or, soutient le demandeur, il avait droit à cette libération d'office en vertu du paragraphe 127(1) de la Loi, et l'on ne peut invoquer légalement des motifs antérieurs à cette libération pour la lui révoquer. Le demandeur cite l'opinion de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Moore (1983), 33 C.R. (3d) 97, confirmant l'arrêt R. c. Moore (1983), 33 C.R. (3d) 99 de la Cour d'appel de l'Ontario et renversant le jugement majoritaire dans l'arrêt Oag c. R. (1983) 33 C.R. (3d) 111 de la Cour d'appel d'Alberta. Selon le demandeur, de toute évidence, puisqu'il n'existait aucun motif pour maintenir le demandeur en incarcération et ainsi le priver légalement de sa libération d'office, la Commission viole la Loi et usurpe le pouvoir du Parlement en invoquant des motifs antérieurs à la libération d'office du demandeur pour la lui retirer.

[26]            De surcroît, soumet le demandeur, la décision de la Commission est manifestement déraisonnable dans les faits, puisque, contrairement à ce que prétend la Commission, le demandeur avait fait des progrès significatifs dans la compréhension de sa criminalité en s'impliquant positivement et avec ouverture dans un suivi psychologique. Le rapport psychiatrique du psychiatre Renée Fugère soumis à la Commission concluait que la problématique apparaissait plutôt stable et qu'il était préférable de retourner le demandeur en maison de transition pour qu'il poursuive son suivi thérapeutique plutôt que de révoquer sa libération d'office. Ainsi, le demandeur soumet respectueusement que la décision de la Commission doit être cassée puisqu'elle comporte une erreur de droit en plus d'être manifestement déraisonnable.

[27]            Le demandeur note d'emblée que si la décision de révoquer la sibération d'office était illégale, la Commission n'aurait pu procéder à une étude visant à le maintenir en incarcération puisqu'il aurait été en liberté.

[28]            Le demandeur soumet qu'il appert du dossier que la Section d'appel de la Commission a omis de répondre à l'appel du demandeur à l'encontre de la décision de révoquer sa libération d'office. Pendant ce temps, le Service correctionnel ("le Service") a transmis de nouveau le dossier du demandeur à la Commission pour une étude visant son maintien en incarcération pour la totalité de sa sentence, alléguant que les délits pour lesquels le demandeur purgeait sa peine avaient causé des dommages graves aux victimes. Le demandeur s'interroge sur la motivation du Service à décider le 28 mai 2001 pour la première fois que les délits du demandeur avaient causé des dommages graves aux victimes alors qu'il n'en avait jamais été question depuis le début de sa sentence en juin 1998. Le demandeur avait même bénéficié d'une libération d'office sans examen de maintien en incarcération puisque ses délits n'avaient pas causé de dommages graves. Selon le demandeur, il va de soi que s'il n'a pas commis un dommage grave aux victimes tel que prévu au paragraphe 129(2)(a)(i), la Commission n'avait pas juridiction pour imposer un maintien en incarcération.


[29]            Le demandeur soumet qu'il ressort de la décision de la Commission du 16 août 2001 qu'en plus d'utiliser le mauvais critère en faisant référence au "tort considérable" plutôt qu'au dommage grave, laissant planer un doute sur la question de savoir s'il s'agit de la même notion, celle-ci ne fait qu'émettre une opinion appuyée par aucun renseignement "sûr et convaincant". Ce dernier critère a été établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Mooring c. Canada (CNLC), [1996] 1 R.C.S. 75 à la p. 76 comme pré-requis pour que la Commission puisse utiliser des renseignements pour appuyer ses décisions. Ainsi, le demandeur soumet que la Commission n'a pas agi équitablement dans les circonstances et qu'elle a excédé sa compétence en procédant à un examen de maintien en incarcération en l'absence totale de renseignement à l'effet que les victimes du demandeur avaient subi des dommages graves.

[30]            Tout d'abord, selon le défendeur, le demandeur semble prétendre que son comportement pendant sa libération était irréprochable et que la Commission s'est basée erronément sur son comportement antérieur à sa libération d'office puisque la lettre de menaces trouvée le 4 décembre 2000 aurait apparemment été rédigée avant que le demandeur débute sa libération d'office. À l'instar des motifs de la Section d'appel sur ce point, le défendeur admet que le fait d'écrire une lettre de menace est un comportement en soi et soumet également que le fait de posséder un tel document et d'entretenir une dynamique criminelle de vengeance et de haine est également un comportement, et il est clair que le demandeur a entretenu ce comportement pendant sa libération d'office.


[31]            Le défendeur soumet qu'il n'est pas manifestement déraisonnable de conclure qu'il y avait des éléments de preuve permettant de croire que le comportement du demandeur pendant sa libération d'office ne convainquait pas la Commission, compte tenu de son comportement pendant sa libération d'office, qu'advenant une récidive du demandeur avant l'expiration légale de sa peine, cela ne présentera pas un risque inacceptable pour la société. Par conséquent, le défendeur soumet que cette Cour n'a pas à intervenir relativement à la décision de la Section d'appel sur ce point.

[32]            Selon le défendeur, le demandeur prétend que la Commission n'a pas compétence pour imposer un maintien en incarcération et une interdiction de mise en liberté puisqu'il n'y avait pas de renseignements sûrs et convaincants à l'effet que les infractions commises par le demandeur et pour lesquelles il purge son terme d'emprisonnement ont causé un dommage grave à une personne conformément à l'article 129(2) de la Loi. Le défendeur soumet que cette prétention est sans fondement.


[33]            Le défendeur soumet que le cas n'a pas été référé à la Commission par le Service en vertu du paragraphe 129(2) de la Loi mais a été déféré par le commissaire du Service au président de la Commission en vertu du paragraphe 129(3) de la Loi. Selon le défendeur, cette distinction est importante parce que, dans un premier temps, le critère de l'infraction ayant causé la mort ou un dommage grave à une personne n'est pas reproduit au paragraphe 129(3). Dans un deuxième temps, en vertu du paragraphe 129(3) de la Loi, c'est le commissaire du Service qui prend la décision de déférer au président de la Commission le cas du demandeur pour un examen pour maintien en incarcération. Or, cette décision du commissaire du Service ne fait pas l'objet de la présente demande en contrôle judiciaire. Le défendeur se fonde par analogie sur la décision de cette Cour dans l'arrêt Larsen c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1999] A.C.F. no. 1682 pour soumettre qu'une fois le cas déféré au président de la Commission, cette dernière a l'obligation en vertu du sous-paragraphe 129(5)(a) de procéder à l'examen du cas visé au paragraphe 130(1). Ainsi, le défendeur soumet que non seulement la Commission avait juridiction pour procéder à l'examen pour maintien en incarcération du demandeur, mais elle avait l'obligation de le faire. Par conséquent, le défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de contrôle judiciaire du demandeur.      

[34]            Le demandeur désire une ordonnance annulant la décision rendue le 1er octobre 2001 par la Section d'appel de la Commission, qui confirmait les décisions du 5 mars 2001 et du 16 août 2001 de la section de première instance; une ordonnance accordant la remise en liberté immédiate du demandeur aux conditions fixées par la Commission. Subsidiairement, il demande une ordonnance requérant la tenue d'une nouvelle audience devant la Commission dans les plus brefs délais.

[35]            Les dispositions pertinentes ayant trait à la révocation de la libération d'office d'un détenu et de son maintien en incarcération se retrouvent aux articles 127 à 135 de la Loi. Il convient ici de les reproduire :

127. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l'individu condamné ou transféré au pénitencier a le droit d'être mis en liberté à la date fixée conformément au présent article et de le demeurer jusqu'à l'expiration légale de sa peine.

129. (1) Le commissaire fait étudier par le Service, préalablement à la date prévue pour la libération d'office, le cas de tout délinquant dont la peine d'emprisonnement d'au moins deux ans comprend une peine infligée pour une infraction visée à l'annexe I ou II ou mentionnée à l'une ou l'autre de celles-ci et qui est punissable en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale.

(2) Au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération d'office, le Service défère le cas à la Commission -- et lui transmet tous les renseignements en sa possession et qui, à son avis, sont pertinents -- s'il estime que :

a) dans le cas où l'infraction commise relève de l'annexe I :

(i) soit elle a causé la mort ou un dommage grave à une autre personne et il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra, avant l'expiration légale de sa peine, une telle infraction,

(ii) soit elle est une infraction d'ordre sexuel commise à l'égard d'un enfant et    il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra, avant    l'expiration légale de sa peine, une telle infraction;

b) dans le cas où l'infraction commise relève de l'annexe II, il y a des motifs     raisonnables de croire que le délinquant commettra, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction grave en matière de drogue.

(3) S'il a des motifs raisonnables de croire qu'un délinquant condamné à une peine d'au moins deux ans commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, soit une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, soit une infraction d'ordre sexuel à l'égard d'un enfant, soit une infraction grave en matière de drogue, le commissaire défère le cas au président de la Commission -- et lui transmet tous les renseignements qui sont en la possession du Service et qui, à son avis, sont pertinents -- le plus tôt possible après en être arrivé à cette conclusion et au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération d'office; il peut cependant le faire moins de six mois avant cette date dans les cas suivants :

a) sa conclusion se fonde sur la conduite du délinquant ou sur des renseignements obtenus pendant ces six mois;

b) la date prévue pour la libération d'office du délinquant est, en raison de tout nouveau calcul de la durée de sa peine prévu à la présente loi, déjà passée ou tombe dans cette période de six mois.


c) [Abrogé, 1995, ch. 42, art. 44]

130. (1) Sous réserve des paragraphes 129(5), (6) et (7), la Commission informe le détenu du renvoi et du prochain examen de son cas -- déféré en application des paragraphes 129(2), (3) ou (3.1) -- et procède, selon les modalités réglementaires, à cet examen ainsi qu'à toutes les enquêtes qu'elle juge nécessaires à cet égard.

(2) Le délinquant dont le cas est examiné aux termes du paragraphe (1) ne peut être libéré d'office tant que la Commission n'a pas rendu sa décision à son égard.

(3) Au terme de l'examen, la Commission peut, par ordonnance, interdire la mise en liberté du délinquant avant l'expiration légale de sa peine autrement qu'en conformité avec le paragraphe (5) si elle est convaincue :

[...]

c) en cas de renvoi au titre du paragraphe 129(3) ou (3.1), qu'il commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, l'une ou l'autre de ces infractions.

132. (1) Le Service et le commissaire, dans le cadre des examens et renvois prévus à l'article 129, ainsi que la Commission, pour décider de l'ordonnance à rendre en vertu de l'article 130 ou 131, prennent en compte tous les facteurs utiles pour évaluer le risque que le délinquant commette, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne, notamment :

a) un comportement violent persistant, attesté par divers éléments, en particulier:

(i) le nombre d'infractions antérieures ayant causé un dommage corporel ou moral,

(ii) la gravité de l'infraction pour laquelle le délinquant purge une peine d'emprisonnement,

(iii) l'existence de renseignements sûrs établissant que le délinquant a eu des difficultés à maîtriser ses impulsions violentes ou sexuelles au point de mettre en danger la sécurité d'autrui,

(iv) l'utilisation d'armes lors de la perpétration des infractions,

(v) les menaces explicites de recours à la violence,

(vi) le degré de brutalité dans la perpétration des infractions,

(vii) un degré élevé d'indifférence quant aux conséquences de ses actes sur autrui;

b) les rapports de médecins, de psychiatres ou de psychologues indiquant que, par suite d'une maladie physique ou mentale ou de troubles mentaux, il présente un tel risque;

c) l'existence de renseignements sûrs obligeant à conclure qu'il projette de commettre, avant l'expiration légale de sa peine, une infraction de nature à causer la mort ou un dommage grave à une autre personne;


d) l'existence de programmes de surveillance de nature à protéger suffisamment le public contre le risque que présenterait le délinquant jusqu'à l'expiration légale de sa peine.

135. (5) Une fois saisie du dossier d'un délinquant qui purge une peine de deux ans ou plus, la Commission examine le cas et, dans le délai réglementaire, à moins d'accorder un ajournement à la demande du délinquant :

a) soit annule la suspension si elle est d'avis, compte tenu de la conduite du délinquant depuis sa libération conditionnelle ou d'office, qu'une récidive du     délinquant avant l'expiration légale de la peine qu'il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société;

b) soit, si elle n'a pas cette conviction, met fin à la libération si celle-ci a été suspendue pour des raisons qui ne sont pas imputables au délinquant ou la révoque, dans le cas contraire;

c) soit révoque la libération ou y met fin si le délinquant n'y est plus admissible ou n'y a plus droit.

[36]            D'entrée de jeu, il convient de noter que cette Cour ne devrait intervenir pour corriger les décisions de la Commission de révoquer la libération d'office du demandeur et d'interdire sa mise en liberté que si elles s'avèrent manifestement déraisonnables, compte tenu de la preuve qui lui était soumise. C'est ainsi que conclut le juge Dubé dans l'affaire Hay c. National Parole Board et al. (1991), 48 F.T.R. 164 à la p. 168[1] :

It is not sufficient to demonstrate that the tribunal was not correct in its decisions. The applicant must establish the unreasonableness or the capriciousness of the application of the legislation to his own case ... It is not for this court to assess the validity of the numerous tests and reports from psychiatrists and psychologists who do not totally agree amongst themselves. It is for the Board to determine whether or not it is safe to release the applicant totally or gradually, escorted or unescorted, into the community.



[37]            Le demandeur soumet que la Section d'appel a erré en droit en concluant que la Commission avait compétence pour ordonner la révocation de sa libération conditionnelle, puisqu'il n'avait commis aucun geste en libération d'office qui augmentait le risque de récidive, justifiant légalement une révocation. Je ne suis pas en mesure de conclure que la Commission a tiré une conclusion de fait erronée en considérant la saisie du document de 39 pages et des autres articles dans la chambre du détenu, et le fait qu'il les avaient en sa possession lors de sa libération conditionnelle, comme une indication qu'il était dans le même état d'esprit et entretenait la même dynamique criminelle de vengeance et de haine à l'égard de la société. Que la lettre de menaces trouvée le 4 décembre 2000 ait été rédigée avant ou après que le demandeur débute sa libération d'office est peu pertinent, tout comme le fait que la lettre n'ait jamais été postée. Il convient d'ailleurs de noter à ce sujet que la preuve révèle qu'après la découverte des documents dans la chambre du demandeur, celui-ci aurait dit au directeur de la résidence où il était assigné qu'il avait l'intention d'envoyer les menaces à l'expiration de la peine qu'il purge présentement, ce qui constitue en soi, à mon avis, un comportement tendant à renfoncer davantage la conclusion de la Commission[2]. Il n'était pas manifestement déraisonnable pour la Commission de considérer l'ensemble de cette preuve pertinente pour parvenir à sa décision. Ce serait que de donner une interprétation trop restrictive au paragraphe 135(5)(a) qui frustrerait l'intention du législateur que de conclure qu'un "comportement depuis la libération" nécessite la commission d'un geste ou de tout acte positif, tel un assaut, qui démontrerait que le risque de récidive du demandeur avant l'expiration de la sentence qu'il purge était devenu inacceptable pour la société. Je suis satisfait, en considérant la totalité de l'information disponible, que les éléments de preuve effectivement perçus de façon raisonnable par la Commission pouvaient étayer sa décision de révoquer la libération conditionnelle du demandeur.


[38]          Le demandeur soumet que la Section d'appel a erré en droit en concluant que la Commission avait compétence pour imposer un maintien en incarcération et une interdiction de mise en liberté puisqu'il n'y avait pas, à son avis, de renseignements sûrs et convaincants à l'effet que les infractions commises par le demandeur et pour lesquelles il purge son terme d'emprisonnement ont causé un dommage grave à une personne conformément à l'article 129(2) de la Loi. En réponse à la prétention du défendeur que le cas n'a pas été référé à la Commission par le Service en vertu du paragraphe 129(2) de la Loi mais a été déféré par le commissaire du Service au président de la Commission en vertu du paragraphe 129(3), le demandeur se fonde sur une interprétation restrictive du paragraphe 129(3) pour argumenter que le critère selon lequel le détenu doit avoir causé la mort ou un dommage grave à une autre personne prévu au paragraphe 129(2)(a) se retrouve implicitement à ce paragraphe et a été omis par souci de redondance. Il soumet que le régime législatif prévu au paragraphe 129 créé des délais pour la divulgation de renseignements et la prise de décision par la Commission qui visent à protéger le détenu dont la libération d'office a été suspendue ou révoquée contre une atteinte injustifiée à sa liberté. Ainsi, selon le demandeur, la seule différence entre les deux dispositions précitées est qu'en vertu du paragraphe 129(3), un renvoi peut également être fait à la Commission moins de six mois avant la date prévue pour la libération d'office si la conclusion du commissaire du Service (et non du Service) à l'effet qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le demandeur commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, se fonde sur la conduite du délinquant ou sur des renseignements obtenus pendant ces six mois.


[39]          Le défendeur, quant à lui, préconise plutôt une interprétation libérale de cette même disposition et prétend que l'objet et le but de la Loi est que la protection de la société demeure le critère prépondérant dans toute prise de décision en milieu carcéral (articles 3, 4 et 101(a) de la Loi), et donc que le libellé du paragraphe 129(3) est suffisamment large pour ne pas requérir nécessairement que le détenu ait causé la mort ou un dommage grave à une autre personne. Il prétend que bien qu'un renvoi du dossier d'un détenu doit généralement être fait à la Commission au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération d'office, le législateur a voulu créer une exception au paragraphe 129(3) in fine sans conserver les exigences strictes prévues au paragraphe 129(2) de la Loi afin de permettre un renvoi à la Commission sur la base d'informations qui ne seraient pas portées à l'attention du commissaire du Service au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération d'office, mais qui le seraient à l'intérieur des six mois avant cette date.


[40]            Il est clair que l'affaire en l'espèce tombe sous le régime prévu au paragraphe 129(3) de la Loi. Il s'agissait d'un renvoi par le commissaire du Service au président de la Commission, non pas d'un renvoi par le Service à la Commission, et celui-ci a été effectué moins de six mois avant le 13 août 2001, date prévue pour la libération d'office du demandeur. Je suis d'accord avec le fait que normalement, en vertu du paragraphe 129(3) de la Loi, le renvoi du dossier d'un délinquant purgeant une peine d'emprisonnement doit être fait au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération d'office, lorsque le commissaire a des motifs raisonnables de croire que celui-ci commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne. Toutefois, le paragraphe 129(3)(a) prévoit également la possibilité qu'un renvoi soit fait au président de la Commission moins de six mois avant la date prévue pour la libération d'office si la conclusion du commissaire du Service se fonde sur la conduite du délinquant ou sur des renseignements obtenus pendant ces six mois. Quant aux autres exigences prévues au paragraphe 129(3) qui doivent être remplies avant que le commissaire puisse référer le dossier au président de la Commission, il convient d'interpréter le paragraphe 129(3) à la lumière de l'interprétation donnée au paragraphe 21.3(3) de la Loi sur les libération conditionnelle, R.S.C. 1985, c. 34 (2ième Supplément), art. 5, qui se lit comme suit :

21.3(3) S'il existe des motifs raisonnables de croire qu'un détenu qui a été condamné pour une infraction prévue ou non à l'annexe ou ayant ou non causé la mort ou un tort considérable commettra vraisemblablement, avant l'expiration de sa peine, une telle infraction, le commissaire renvoie le cas au président de la Commission et lui communique tous les renseignements en sa possession qu'il estime utiles, le plus tôt possible après en être arrivé à sa conclusion et au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération du détenu, sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) sa conclusion se fonde :

(i) soit sur le comportement du délinquant pendant ces six mois,

(ii)soit sur des renseignements obtenus pendant ces six mois;

[les italiques sont de nous]

[41]            Dans l'arrêt Ford c. Commissioner of Corrections et al. (1990), 54 C.C.C. (3d) 256 (1ère inst.) aux pp. 262-263, le juge MacKay expliqua clairement l'ancien régime législatif en matière de renvoi de dossiers pour le maintien en incarcération d'un détenu au cours de la période prévue pour sa libération d'office, prévu au paragraphe 21.3(3) de la Loi sur la libération conditionnelle (ancien paragraphe 129(3) de la Loi) dans les termes suivants :


Under s. 21.3 there are three circumstances by which cases may be referred to the National Parole Board for consideration for a so-called detention hearing, that is, to consider whether the inmate due for release but with outstanding sentence to serve should continue to serve that sentence in an institution. Under s. 21.3(2) the Correctional Service shall refer to the Board the case of an inmate serving a sentence for conviction of designated crimes of violence, where it is of the opinion that criteria in paras. (a), (b) and (c) set out in this s-s. (2) are met. It shall do this not later than six months before the presumptive release date of the inmate. In Ford's case that six-month deadline meant that the service, if it were to act under s. 21.3(2), would do so before September 27, 1989.

The second circumstance, under s. 21.3(3), is where the Commissioner believes on reasonable grounds that an inmate serving any sentence in an institution, regardless of the offence which led to his incarceration, is likely prior to the expiration date of the sentence he is then serving to commit an offence causing the death of or serious harm to another person. In that event the Commissioner shall refer the case to the chairman of the Board and he may do this at any time up to six months before the presumptive release date of the inmate, i.e., in this case, September 27, 1989.

The third circumstance, also under s. 21.3(3), is where, not having referred the matter to the chairman of the Board prior to six months in advance of the presumptive release date of the inmate, the Commissioner after that date forms the same serious belief on reasonable grounds based on behaviour of the inmate occurring within those six months or on information obtained within those six months. It was in this last circumstance that the Commissioner referred the applicant's case to the chairman of the Board.


[42]            Il convient de noter que la Loi sur la libération conditionnelle a été abrogée et remplacée le 1er novembre 1992 par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Sous l'ancien régime, le commissaire était investi du pouvoir de référer le dossier d'un détenu purgeant une peine d'emprisonnement au président de la Commission, que celui-ci ait été condamné pour une infraction prévue ou non à l'annexe ou ayant ou non causé la mort ou un tort considérable, lorsqu'il avait des motifs raisonnables de croire que celui-ci commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne[3].    Le libellé de l'article 129(3) ne reprend toutefois pas ces termes mais prévoit plutôt que le commissaire pourra déférer le dossier d'un délinquant "condamné à une peine d'au moins deux ans", sans stipuler d'autres exigences.

[43]            Je ne puis souscrire à l'argument du demandeur à l'effet que le critère, selon lequel le détenu dont la peine d'emprisonnement d'au moins deux ans comprend une peine infligée pour une infraction visée à l'annexe I ou II doit avoir causé la mort ou un dommage grave à une autre personne, prévu au paragraphe 129(2)(a) se retrouve implicitement au paragraphe 129(3). Non seulement une telle interprétation restrictive irait à l'encontre de la lettre de la Loi, mais viderait complètement le paragraphe 129(2) de son sens et le rendrait futile puisque le paragraphe 129(3) permettrait également un renvoi moins de six mois avant la date prévue de la libération d'office du demandeur malgré les termes stricts du paragraphe 129(2) selon lesquels au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération d'office, le Service défère le cas à la Commission et lui transmet tous les renseignements en sa possession qui, à son avis, sont pertinents s'il estime que, dans le cas où l'infraction commise relève de l'annexe I, elle a causé la mort ou un dommage grave à une autre personne et il existe des motifs raisonnables de croire que le délinquant commettra, avant l'expiration légale de sa peine, une telle infraction.

[44]            De plus, le paragraphe 129(1) prévoit une procédure d'examen obligatoire de certains cas par le Service, préalablement à la date prévue pour la libération d'office de tout délinquant dont la peine d'emprisonnement d'au moins deux ans comprend une peine infligée pour une infraction visée à l'annexe I ou II ou mentionnée à l'une ou l'autre de celles-ci et qui est punissable en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, à la demande du commissaire. Or, le paragraphe 129(3) est muet au sujet de l'exigence que le dossier ait fait préalablement l'objet d'un examen du Service, à la demande du commissaire, et que celle-ci ait référé les résultats obtenus au commissaire. Cette disposition prévoit simplement que le commissaire du Service pourra référer le cas d'un détenu au président de la Commission lorsque les renseignements portés à son attention lui donnent des motifs raisonnables de croire que celui-ci commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne. Le paragraphe 129(2), quant à lui, prévoit les cas où un renvoi devra être fait à la Commission suite aux résultats des examens prévus au paragraphe 129(1). Le juge MacKay résume bien le régime applicable prévu aux paragraphes 129(1) et (2) de la Loi dans l'arrêt Kennedy c. National Parole Board (1991), 47 F.T.R. 55 (1ère inst.) aux pp. 61-62 :

[...] Here it is clear that by the amendments introduced in 1986, which substituted a presumptive release date for a mandatory release date, parliament intended, in the case of an inmate serving a sentence upon conviction for one of the serious offenses causing harm to others listed in the Schedule enacted with the amendments, that there be a review by the Correctional Service and in certain circumstances, here met, referral of the case to the Board. Once referred, only the Board can determine whether the inmate is to remain in custody for the remainder of his or her sentence or be released on mandatory supervision with or without additional conditions.


[45]            En instaurant le régime prévu au paragraphe 129(3) de la Loi, le législateur voulait s'assurer qu'une information pertinente relative à la probabilité qu'un détenu purgeant une peine d'emprisonnement d'au moins deux ans commette, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne soit transmise à la Commission afin de lui permettre de décider si celui-ci devrait être maintenu en incarcération ou remis en liberté. Ce partage d'information devait être effectué peu importe si le détenu purgeait une peine infligée pour une infraction visée à l'annexe I ou II ou non, et si ces renseignements étaient portées à la connaissance du commissaire du Service au plus tard six mois avant la date prévue pour la libération du détenu, ou moins de six mois avant cette date. Non seulement ceci représente l'interprétation littérale du paragraphe 129(3), mais m'apparaît être aussi un résultat raisonnable. Le juge Strayer résume bien l'objet et le but du régime législatif prévu au paragraphe 129 de la Loi dans l'arrêt Scott c. National Parole Board (1987), 14 F.T.R. 154 (1ère inst.) à la p. 156 comme suit:

One must keep in mind that the duty of the National Parole Board in such matters is to assess the current condition of the inmate, as it may change from time to time, in order to determine whether day parole would be warranted, on the one hand as likely to contribute to his rehabilitation at that stage of the serving of his sentence, and on the other hand would not represent an undue risk to society at large [...] I am satisfied that it is the purpose of the Act and Regulations to ensure that the Board when making decisions from time to time about parole is free to look at the best information available to it at that time [...]


[46]            Les modifications de 1986 à la Loi sur la libération conditionnelle qui ont instauré le régime prévu au paragraphe 21.3(3) de cette loi, et qui se retrouve au paragraphe 129(3) de la Loi, découlent directement de l'intérêt public dans la protection de la société contre les personnes susceptibles de causer un tort considérable si elles sont mises en liberté surveillée[4]. Le droit à la liberté du détenu en milieu carcéral prévu au paragraphe 127(1) de la Loi est un droit statutaire qualifié et non un droit constitutionnel[5]. Il n'est restreint que dans la mesure où l'on démontre que cela est nécessaire pour la protection du public.


[47]          En l'espèce, le demandeur ne prétend pas qu'il n'y avait pas de renseignements obtenus par le commissaire du Service pendant les six mois précédant sa date de libération d'office du 13 août 2001 qui aurait pu le porter raisonnablement à croire que celui-ci commettra, avant l'expiration de sa peine, une infraction causant la mort ou un tort considérable, ce qui justifierait le renvoi de son cas au président de la Commission. Il ne prétend pas non plus que la Commission n'avait pas compétence pour ordonner son interdiction de mise en liberté et son maintien en incarcération puisqu'il n'y avait pas de renseignements "nouveaux" sûrs et convaincants obtenus à l'intérieur des six mois précédant la date prévue de libération d'office du demandeur qui pouvaient la convaincre que celui-ci commettra, s'il est mis en liberté avant l'expiration légale de sa peine, l'une ou l'autre de ces infractions. Tout ce que le demandeur soumet est que la Commission n'a pas agi équitablement dans les circonstances et qu'elle a excédé sa compétence en procédant, d'une part, à un examen de maintien en incarcération et, d'autre part, en imposant le maintien en incarcération du demandeur en l'absence totale de renseignement à l'effet que les victimes du demandeur avaient subi des dommages graves. Or, tel que mentionné plus haut, la preuve que les infractions commises par le demandeur et pour lesquelles il purge son terme d'emprisonnement ont causé un dommage grave à ses victimes conformément à l'article 129(2) de la Loi, quoique pertinente, n'est pas nécessaire ni concluante dans la détermination d'un renvoi de son cas par le commissaire du Service au président de la Commission en vertu du paragraphe 129(3) de la Loi.


[48]            Quoi qu'il en soit, je suis d'avis qu'il existait des éléments de preuve justifiant la conclusion à laquelle pouvait raisonnablement en arriver la Commission, à savoir qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur commettra, avant l'expiration de sa peine, une infraction causant la mort ou un tort considérable. Le commissaire du Service a considéré les évaluations psychologique et psychiatrique du Dr. Alfred Thibault, datée du 18 avril 2001, et de Mme Nathalie Malhouf, datée du 9 mai 2001, les nouveaux documents saisis dans la cellule du demandeur le 26 avril 2001 (journaux, notes concernant des détails de plusieurs articles parus dans un journal concernant la disparition et les meurtres de jeunes femmes, une copie d'articles concernant une jeune fille disparue et une accumulation de médicaments prescrits), et la lettre de menaces envoyée à un co-résident du CCC Martineau pour conclure que le potentiel de récidive et de violence, ainsi que le degré de dangerosité du demandeur, était élevé et persistent. Tous ces renseignements ont été obtenus dans les six mois avant le 13 août 2001, date de la libération d'office du demandeur, tel qu'il appert de l'évaluation rédigée le 30 mai 2001 dans le cadre d'un renvoi en vertu du paragraphe 129(3)(a) de la Loi en vue d'une prise de décision par la Commission concernant le maintien en incarcération du demandeur. Ce dernier a par ailleurs soumis que lorsqu'une ambiguïté persiste dans la Loi, elle doit être résolue en faveur du détenu à la lumière de la règle générale d'interprétation des lois lorsque la liberté d'un individu est susceptible d'être affectée par cette interprétation. Je ne trouve pas que le paragraphe 129(3) de la Loi est ambigüe. En vertu du paragraphe 132, tant le commissaire du Service que la Commission ont pris en considération tous les facteurs qu'ils étaient tenus de prendre en compte, y compris les renseignements relatifs au dossier du demandeur disponibles avant la période de six mois[6], et la décision de la Commission étant au coeur de sa discrétion, il ne peut être soutenu qu'elle ne peut être étayée par une interprétation raisonnable des faits et du droit applicable.

[49]            À mon avis, le commissaire du Service n'a pas violé la Loi lorsqu'il a renvoyé le cas du demandeur à la Commission pour qu'elle examine de nouveau son admissibilité à la mise en liberté surveillée, et celle-ci n'a pas erré en droit en ordonnant l'interdiction de mise en liberté et le maintien en incarcération du demandeur. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

      JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 30 novembre 2001


                                                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                   SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                        NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                             T-1893-01

INTITULÉ :                                              Andrew Rudnicki c. Procureur Général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    Le 20 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE l'honorable juge Rouleau

EN DATE DU :                                      30 novembre 2001

COMPARUTIONS:

Me Daniel Royer                                                          POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Éric Lafrenière                                                     POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Labelle, Boudrault, Côté et Associés                 POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                        POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-Procureur Général du Canada

Montréal (Québec)



[1] Voir aussi Budreo c. Canada (National Parole Board) (1996), 45 C.R. (4th) 133 (1ère inst.)aux para. 32-33.

[2]Cededdu c. Canada (1997), 11 C.R. (5th) 61 aux para. 25-30 (Cour Div. Ont).

[3]McBride c. Canada (Commissioner of Corrections) (1994), 87 F.T.R. 22 au para. 40 (1ère inst.) [ci-après McBride].

[4]Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143 [ci-après Cunningham].

[5]Pinheiro c. Canada (National Parole Board), [1993] B.C.J. No. 1909 (QL) (B.C.S.C.) aux para. 21-22.

[6]Cunningham, supra note 4; McBride, supra note 3 aux para. 45-47; Ford, supra à la p. 269.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.