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Date : 19990408


T-335-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 8 AVRIL 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS

E n t r e :


F. VON LANGSDORFF LICENSING LIMITED,


demanderesse,


- et -


S.F. CONCRETE TECHNOLOGY, INC.,


défenderesse.

     ORDONNANCE

     La requête présentée par la défenderesse en vue d'obtenir un jugement sommaire rejetant la déclaration de la demanderesse est accueillie. Les dépens de la présente requête sont adjugés à la défenderesse au tarif des dépens entre parties.

     John M. Evans

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


Date : 19990408


T-335-97

E n t r e :


F. VON LANGSDORFF LICENSING LIMITED,


demanderesse,


- et -


S.F. CONCRETE TECHNOLOGY INC.,


défenderesse.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.      GENÈSE DE L'INSTANCE

[1]      F. Von Langsdorff Licensing Limited utilise depuis 1990 au Canada la marque de commerce UNI ECO-STONE en liaison avec des dalles de pavage. En 1992, elle a fait enregistrer cette marque. En 1996, S.F. Concrete Technology Inc. a fait de la publicité pour des dalles de pavage sous le nom de SF-ECO et a lancé un appel à des licenciés pour qu'ils fabriquent ou vendent des pavés portant cette marque.

[2]      La réponse de Von Langsdorff ne s'est pas fait attendre : elle a déposé devant notre Cour une déclaration dans laquelle elle accusait S.F. Concrete de contrefaçon de marque de commerce et dans laquelle elle réclamait une injonction ainsi qu'une somme d'argent à titre d'indemnité. Von Langsdorff a également envoyé à S.F. Concrete une lettre par laquelle elle la mettait en demeure de cesser d'employer la marque SF-ECO en liaison avec des dalles de pavage. S.F. Concrete a obtempéré.

[3]      Dans la présente requête, S.F. Concrete conclut, en vertu de l'article 216 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, au prononcé d'un jugement sommaire rejetant la déclaration de Von Langsdorff au motif qu'il " n'existe pas de véritable question litigieuse quant à " la déclaration de la demanderesse. En réponse à cette requête, la demanderesse rétorque que la question en litige ne se prête pas au prononcé d'un jugement sommaire, étant donné qu'il y a d'importantes questions de fait qui ne peuvent être jugées équitablement à partir des éléments de preuve qui ont été présentés relativement à la présente requête.

B.      LES FAITS

[4]      Je tiens d'abord à donner quelques précisions au sujet de la nature de l'entreprise qu'exploitent les parties. Il convient tout d'abord de préciser que ni l'une ni l'autre ne fabrique ou ne vend des marchandises. Elles accordent plutôt des licences permettant à autrui de le faire à leur place, en vertu des droits de propriété intellectuelle qu'elles possèdent. Les produits auxquels se rapportent les marques des parties sont des pavés autobloquants en béton.

[5]      En plus de l'entreprise qu'elles exploitent au Canada, les parties ont toutes les deux de solides ramifications internationales, notamment en Allemagne et aux États-Unis. La défenderesse appartient à un groupe de sociétés allemandes, la SF Kooperation GmbH. La société américaine bien connue Unilock est titulaire pour sa part d'une licence à l'égard de l'UNI ECO-STONE de la demanderesse. La demanderesse et la défenderesse ont toutes les deux été constituées en personne morale sous le régime des lois de l'Ontario.

[6]      Il existe par ailleurs des liens personnels entre les parties. Mme Helga Piro, la directrice générale de S.F. Concrete Technology Inc. depuis 1995, et sa conceptrice, avait été une employée de Von Langsdorff au cours des dix années précédentes.

[7]      Bien qu'il existe des différences marquées entre les pavés auxquels les marques des parties se rapportent, les pavés en question ont un trait commun appréciable, en l'occurrence leur perméabilité. La conception des pavés autobloquants en question permet à l'eau de s'écouler entre les pavés jusqu'au sol et, dans le cas des dalles de la défenderesse, de l'herbe pousse dans les interstices. Utilisé comme surface extérieure, le " béton perméable " allie la rigidité, la force, l'endurance et l'économie de coûts d'entretien du béton avec l'avantage écologique de l'écoulement contrôlé de l'eau entre les pavés, ce qui diminue la nécessité d'installer des systèmes d'évacuation des eaux et facilite la conservation de l'eau. On fait d'ailleurs grand cas de ces caractéristiques dans les brochures publicitaires portant sur les pavés des parties.

[8]      Bien que la demanderesse ait enregistré en 1992 la marque UNI ECO-STONE comme marque de commerce de ses pavés, les ventes ont été modestes au Canada, soit moins de 300 000 pieds carrés en tout, ou un million de pavés. Ces chiffres sont mis en contexte au moyen d'une photographie publiée dans un bulletin d'information de la S.F. Kooperation GmbH au sujet d'un parc de stationnement d'une superficie de 450 000 pieds carrés qui est situé en Allemagne et qui est revêtu de pavés SF-ECO. En raison de la mise en demeure envoyée par les avocats de la demanderesse et de l'action en contrefaçon de marque de commerce engagée par la demanderesse, aucun pavé SF-ECO n'a encore été vendu au Canada.

C.      PRINCIPES APPLICABLES EN MATIÈRE DE JUGEMENTS SOMMAIRES

[9]      Pour pouvoir obtenir gain de cause dans sa requête en jugement sommaire rejetant la déclaration de la demanderesse, la défenderesse doit démontrer que la Cour est en mesure de trancher toutes les questions litigieuses pertinentes à partir des éléments de preuve qui ont été portés à sa connaissance et qu'il n'y a pas de questions qui ne pourraient être jugées équitablement que dans le cadre d'un procès.

[10]      Le paragraphe 216(3) autorise expressément la Cour à faire droit à une requête en jugement sommaire, que les questions en litige portent sur les faits ou sur le droit. Une requête en jugement sommaire n'est cependant pas la procédure appropriée lorsqu'il s'agit de trancher des questions de fait qui portent sur la crédibilité ou qui nécessitent le genre d'évaluation des éléments de preuve contradictoires qui relève légitimement du juge du procès. Les principes applicables sont utilement exposés dans le jugement Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd. S.A., (1996) 111 F.T.R. 189, aux pages 192 et 193 (C.F. 1re inst.).

[11]      En outre, la réponse à une requête en jugement sommaire ne peut être fondée uniquement " sur les allégations ou les dénégations contenues dans les actes de procédure " du requérant. Elle doit plutôt " énoncer les faits précis démontrant l'existence d'une véritable question litigieuse " (art. 215 des Règles). Sinon, l'intimé pourrait faire échec au principe fondamental des dispositions des Règles relatives aux jugements sommaires, en l'occurrence la réduction des coûts et des délais qu'entraîne nécessairement la tenue d'un procès, par l'élimination des procès qui ne sont pas nécessaires pour régler équitablement les questions en litige.

[12]      En conséquence, l'intimé doit s'acquitter du fardeau de la preuve consistant à démontrer qu'il y a une question sérieuse à juger (Feodo Oil Ltd. c. Sarla (Le), [1995] 3 C.F. 68, aux pages 81 et 82 (C.A.F.)). Cet état de fait n'enlève rien au principe que le requérant a la charge ultime d'établir les faits nécessaires pour obtenir un jugement sommaire (Succession Ruhl c. Mannesman Kienzle GmbH, (1997), 80 C.P.R. (3d) 190, à la page 200 (C.F. 1re inst.) et Kirkbi AG. c. Ritvik Holdings Inc. (C.F. 1re inst., T-2799-96, 23 juin 1998)). Les deux parties doivent donc " présenter leurs meilleurs arguments " pour permettre au juge saisi de la requête de déterminer s'il existe une question litigieuse qui mérite d'être instruite (Pizza Pizza Ltd. v. Gillespie , (1990), 33 C.P.R. 3d. 519, aux pages 529 et 530 (Cour Ont., Div. gén.).

[13]      Il me semble que la tendance générale dans la jurisprudence de notre Cour est d'interpréter littéralement les principes régissant les jugements sommaires de manière à forcer le juge saisi de la requête à " examiner de près " la preuve pour décider s'il existe des questions de fait qui justifient bel et bien le type d'évaluation et d'appréciation de la preuve qui reviennent légitimement à l'arbitre des faits. Outre les décisions susmentionnées, citons également le jugement Collie Woollen Mills Ltd. c. La Reine , 96 D.T.C. 6146 (C.F. 1re inst.).

[14]      Je tiens à signaler que les tribunaux ontariens se sont récemment penchés sur la question des circonstances dans lesquelles un tribunal saisi d'une requête en jugement sommaire peut légitimement trancher le litige. En particulier, dans l'arrêt Dawson v. Rexcraft Storage and Warehouse Inc., (1998), 164 D.L.R. (4t) 257, à la page 271 (C.A. Ont.), le juge Borins a fait sienne une formule récemment proposée par une juridiction américaine pour définir le critère à appliquer dans le cadre de la règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario :

     [TRADUCTION]         
     [...] Considéré dans son ensemble, le dossier ne pourrait logiquement permettre à l'arbitre des faits de donner gain de cause à l'intimé. La Cour en conclut donc qu'il n'y a pas de véritable question à juger en l'espèce.         

(Jones v. Clinton and Ferguson, 990 F. Supp. 657, à la page 679 (Cour de district des É.-U., District Est de l'Arkansas).

[15]      Le fait qu'il s'agisse là d'un critère plus étroit que celui que notre Cour applique s'explique peut-être par le fait que l'Ontario ne possède pas de disposition équivalente au paragraphe 216(3) des Règles de la Cour fédérale (1998) qui, comme je l'ai déjà fait remarquer, autorise expressément le juge saisi de la requête à prononcer un jugement sommaire lorsque des questions de fait sont en litige. Le fait que les procès avec jury civil soient encore monnaie courante aux États-Unis peut également expliquer la définition relativement restrictive qui a été donnée des pouvoirs du juge des requêtes dans le jugement Jones v. Clinton.

[16]      Ma tâche consiste maintenant à appliquer au litige qui m'est soumis les principes applicables devant notre Cour au règlement des requêtes en jugement sommaire.

D.      LA DÉCLARATION DE LA DEMANDERESSE

[17]      Dans sa déclaration, la demanderesse allègue que la défenderesse a violé son droit à l'utilisation exclusive de la marque de commerce UNI ECO-STONE en employant la marque SF-ECO relativement à des marchandises qui sont à bien des égards semblables. Elle affirme également que, par ses agissements, la défenderesse a contrevenu à l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 [modifiée] en appelant l'attention du public sur ses pavés de béton de manière à créer de la confusion entre ses pavés et ceux de la demanderesse.

[18]      La question centrale qui est soulevée tant dans la déclaration que dans la défense est celle de savoir si la demanderesse a droit à un monopole au Canada relativement à l'utilisation du mot " eco " en liaison avec des pavés de béton perméables. La réponse à cette question dépend de la question de savoir si ce mot, qui a un sens donné dans le langage courant, est associé dans l'industrie de la construction aux pavés de la demanderesse, de sorte que l'emploi par la défenderesse de ce mot en liaison avec ses propres pavés créerait vraisemblablement de la confusion, même si d'autres éléments des marques sont assez complexes.

[19]      Avant de passer à l'examen des principaux points litigieux qui ont été soulevés, je tiens d'abord à examiner deux questions qui ont été soulevées par la défenderesse et que je considère accessoires dans le présent litige.

[20]      Premièrement, la défenderesse essaie de contester l'action de la demanderesse au motif que, contrairement à ce que la demanderesse affirme dans sa déclaration, S.F. Concrete n'a ni vendu ni fabriqué de pavés portant la marque SF-ECO, et qu'elle n'a pas l'intention de le faire. Elle se propose plutôt d'octroyer des licences pour permettre à autrui d'employer la marque SF-ECO en liaison avec des pavés de béton perméables fabriqués et vendus par des licenciés. La demanderesse a présenté une requête en vue de modifier ses conclusions en ce sens et je présume que cette modification a été faite.

[21]      En second lieu, la défenderesse souligne que, dès qu'elle a reçu la mise en demeure de l'avocat de la demanderesse, elle a cessé sur-le-champ l'activité qui, selon ce que prétend la demanderesse, constitue de la contrefaçon et du passing-off. La défenderesse soutient par conséquent que l'affirmation de la demanderesse suivant laquelle elle a subi une perte ou une diminution de son achalandage par suite des agissements de la défenderesse est mal fondée.

[22]      Toutefois, en plus de réclamer une indemnité en argent pour la perte qu'elle a subie et les profits illégalement réalisés par la défenderesse, la demanderesse sollicite aussi dans sa déclaration une injonction visant à faire interdire à la défenderesse de violer les droits de la demanderesse. Il s'agit là d'une réparation demandée pour l'avenir, en ce sens qu'elle vise à empêcher la défenderesse d'agir illégalement à l'avenir. Nul n'est tenu d'attendre que ses droits aient été violés avant de recourir au tribunal pour éviter un préjudice qui ne s'est pas encore matérialisé. Sur le prononcé de ce type d'injonction préventive (également appelée injonction quia timet), voir, de façon générale, Sharpe, Injunctions and Specific Performance (édition à feuilles mobiles, Canada Law Book, Aurora, aux paragraphes 1.660 à 1.810).

D.      LA CONFUSION : QUESTION CENTRALE

[23]      La question de la confusion se situe au coeur même des allégations que formule la demanderesse en ce qui concerne à la fois la contrefaçon de sa marque de commerce et le passing-off. L'utilisation au Canada de la marque de commerce SF-ECO par la défenderesse ou ses licenciés en liaison avec des pavés de béton perméables créerait-elle de la " confusion " entre des marques de commerce au sens de l'article 21 de la Loi sur les marques de commerce et porterait-elle ainsi atteinte au droit que possède la demanderesse à l'utilisation exclusive de la marque de commerce UNI ECO-STONE en liaison avec des marchandises semblables ? Et l'utilisation que la défenderesse se propose de faire de sa marque " créerait[-elle] ou créerait[-elle] vraisemblablement de la confusion au Canada " entre son produit ou son entreprise et ceux de la demanderesse, le tout en violation de l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce ?

[24]      J'examinerai d'abord deux questions qui nous aideront à définir le cadre d'analyse pertinent. En premier lieu, la validité de la marque de commerce de la demanderesse, UNI ECO-STONE, n'est pas contestée dans la présente instance et il y a donc lieu de considérer que la demanderesse est en mesure de l'opposer à tout tiers qui la contreferait.

[25]      Bien qu'elle se fonde principalement sur la violation de son droit à l'utilisation exclusive de la marque UNI ECO-STONE comme marque de commerce, la demanderesse cherche également, dans sa déclaration, à élargir le champ de protection auquel Von Langsdorff a droit en soutenant que la marque fait partie d'une famille de marques appartenant à la demanderesse qui comprennent le préfixe ECO, telles que ECOLOC et ECO-STONE, qui sont également utilisées en liaison avec des pavés. Si cette affirmation est véridique, elle renforcerait sans nul doute la thèse de la demanderesse suivant laquelle tout usage d'une marque en liaison avec des pavés qui incorporent le mot ECO, tel que SF-ECO, porte atteinte à ses droits.

[26]      La défenderesse affirme toutefois que la demanderesse n'a pas employé les marques de commerce en question au Canada et que ces marques n'ont jamais été enregistrées au Canada à titre de marques de commerce. En réponse, la demanderesse a fait remarquer que Mme Piro a admis, lors du contre-interrogatoire qu'elle a subi au sujet de son affidavit, qu'elle associait les marques ECOLOC et ECO-STONE à la demanderesse et elle a attiré mon attention sur deux mentions de la marque ECOLOC dans des brochures publicitaires distribuées aux États-Unis et au Canada.

[27]      J'estime toutefois que ces éléments de preuve ne sont pas suffisants pour forcer la défenderesse à subir un procès. Et, conscient de l'obligation qu'a la demanderesse, en tant qu'intimée à la présente requête, de " présenter ses meilleurs arguments ", j'en suis arrivé à la conclusion que la seule marque de la demanderesse qui est pertinente en l'espèce est la marque UNI ECO-STONE. Il n'y a pas de famille de marques ECO au Canada sur laquelle la demanderesse pourrait se fonder.

[28]      La question de l'existence d'une " confusion " au sens de l'alinéa 7b) et de l'article 21 de la Loi sur les marques de commerce est une question mixte de droit et de fait, en ce sens que la réponse à la question de savoir s'il y a confusion dans un cas déterminé dépend de la formulation et de l'application des normes juridiques applicables et des éléments de preuve présentés au sujet de la mesure dans laquelle les acheteurs éventuels associent les mots en litige aux marchandises provenant d'une seule source.

[29]      Le paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce prescrit à la Cour, lorsqu'il s'agit de décider si des marques de commerces créent de la confusion :

             
     (5) ... having regard to all the surrounding circumstances including         
     (a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;         
     (b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;         
     (c) the nature of the wares, services or business;         
     (d) the nature of the trade; and         
     (e) the degree of resemblance between the trade-mark or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.         

(5) [...] tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus ;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage ;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises ;

d) la nature du commerce :

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

Je vais examiner chacun de ces facteurs à tour de rôle.

a) Caractère distinctif inhérent des marques de commerce et mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[30]      La thèse de la défenderesse comporte essentiellement deux volets. En premier lieu, elle soutient que bien que la demanderesse utilise la marque de commerce UNI ECO-STONE au Canada depuis 1990, le volume des ventes de pavés portant cette marque est relativement modeste, et qu'il ne correspond tout au plus qu'à 300 000 pieds carrés, et probablement à moins. La défenderesse n'a annoncé les pavés SF-ECO au Canada qu'en 1996 et n'a pas de licenciés canadiens. On m'a également présenté des éléments de preuve suivant lesquels la marque UNI ECO-STONE est mentionnée dans des brochures et publications destinées à l'industrie de la construction, surtout aux États-Unis, mais aussi au Canada, ce qui indiquerait que la marque de la demanderesse est bien connue.

[31]      En second lieu, la défenderesse soutient que le préfixe ou terme " eco " ne possède aucun caractère distinctif inhérent, parce qu'il est largement répandu tant dans le langage populaire que dans le vocabulaire technique pour désigner quelque chose qui se rapporte à l'écologie ou à la nature, souvent dans un sens positif. Pour étayer ses dires, la défenderesse a produit des dictionnaires et d'autres ouvrages que je n'ai pas à citer. Il vaut toutefois la peine de noter que certaines des brochures et documents publicitaires établissent un lien évident entre UNI ECO-STONE et la caractéristique écologique favorable que comportent les pavés en question et qui fait en sorte que l'eau s'écoule naturellement dans le sol au lieu de se retrouver dans les égouts. Sur cette question, la thèse de la défenderesse semble inattaquable (comparer avec l'arrêt Via Rail Inc. c. Location Via Route Inc. , (1992), 45 C.P.R. (3d) 1996 (C.A. Québec).

[32]      Un élément de preuve qui se rapporte plus directement au sens général du mot " eco " dans ce contexte est celui suivant lequel les mots " écopavés " et " écopavage " sont employés dans l'industrie pour désigner les pavés perméables en général, mais pas les pavés de la demanderesse en particulier. L'avocat de la demanderesse s'est interrogé sur l'impartialité de certaines des personnes qui ont employé ces termes dans leur sens général, et a souligné que la demanderesse s'est élevée contre une telle utilisation. Il a également fait observer qu'une des occurrences du mot " écopavés " se situait dans le contexte de l'industrie de la construction en Australie. La preuve m'a toutefois convaincu que, dans l'industrie de la construction canadienne, le terme " éco " ne se limite pas aux pavés de béton perméables qui sont associés à la marque de la demanderesse ou, pour être plus exact, sur lesquels la marque de la demanderesse est apposée.

[33]      La défenderesse a présenté deux autres éléments de preuve pour démontrer l'absence de caractère distinctif de la marque de la demanderesse. Bien que, pris isolément, je ne considère aucun de ces deux éléments comme convaincants, j'estime que, lorsqu'on les ajoute aux éléments de preuve déjà examinés, ils contribuent manifestement à étayer la thèse de la défenderesse.

[34]      En premier lieu, la défenderesse a présenté un élément de preuve tendant à démontrer que les termes anglais " eco-stone " ou " classic eco-stone " sont employés pour désigner une pierre poreuse permettant à l'eau de passer. Ce type de pierre est évidemment différent des pavés autobloquants de la demanderesse, dans les interstices desquels l'eau s'écoule. Cet élément de preuve indique toutefois qu'on associe le préfixe " éco " à des pierres et à la perméabilité, et que ces caractéristiques ne sont pas l'apanage exclusif du produit de la demanderesse.

[35]      En second lieu, la défenderesse a démontré que le mot " éco " fait partie d'une série de marques de commerce enregistrées au Canada, y compris certains matériaux de construction non métalliques. L'avocat de la demanderesse a toutefois fait remarquer qu'aucun de ces produits ne ressemblait de près ou de loin à des pavés autobloquants perméables.

[36]      Vu l'ensemble de la preuve, je conclus que la marque UNI ECO-STONE est une marque de commerce faible.

[37]      En plus de mettre en doute la valeur probante de la preuve présentée par la défenderesse, l'avocat de la demanderesse a attiré mon attention sur le fait que le Bureau des marques de commerce n'a pas insisté pour obtenir un démenti que le mot " éco " était purement descriptif. Il a également fait remarquer que la défenderesse aurait pu enregistrer la marque SR-RIMA comme marque de commerce pour ses pavés. C'était leur nom original en Europe. En d'autres termes, on pourrait inférer du choix de noms de la défenderesse que Mme Piro croyait que la défenderesse profiterait ainsi de l'achalandage que la demanderesse s'était acquise en ce qui concerne ses pavés.

[38]      La question du caractère distinctif du nom UNI ECO-STONE ne soulève aucune question de crédibilité et elle ne m'oblige pas, à mon avis, à " examiner de près " la preuve pour pouvoir conclure qu'il n'y a pas de question de fait qui ne peut légitimement être tranchée que dans le cadre d'un procès. Là encore, je songe à l'obligation faite à la demanderesse de présenter ses arguments les plus solides pour répondre à la requête de la défenderesse.

[39]      J'en conclus que lorsqu'il est employé en liaison avec des pavés en béton au Canada, le terme ECO est beaucoup plus fortement associé à la caractéristique alléchante de la perméabilité qu'il n'est accessoirement associé aux pavés de la demanderesse ou même à des pavés provenant d'une source unique.

b) Durée d'emploi des marques de commerce

[40]      Au moment de l'audition de la présente requête, la demanderesse employait sa marque depuis près de huit ans, alors que la défenderesse avait effectivement cessé d'employer sa marque au Canada par suite de l'introduction du procès de la demanderesse. Pris isolément, ce facteur donnerait à croire que le nom UNI ECO-STONE était déjà associé dans une certaine mesure aux pavés de la demanderesse à l'époque où la défenderesse a commencé à vendre des pavés SF-ECO et à solliciter des licences à son égard.

[41]      En revanche, il serait irréaliste d'essayer d'évaluer ce facteur temporel sans tenir compte du fait que les ventes de pavés UNI ECO-STONE au Canada étaient fort modestes. Ainsi, moins des deux-tiers de la superficie d'un seul terrain de stationnement situé en Allemagne était recouvert de pavés SF-ECO.

c) Nature des marchandises

[42]      Il n'y a aucun doute qu'il existe une similitude évidente entre les marchandises des parties : il s'agit dans les deux cas de pavés de béton autobloquants perméables. Ce facteur milite de toute évidence en faveur de la possibilité de confusion, bien qu'il soit également important de noter que les pavés des parties ne sont pas les seuls à être dotés de la caractéristique écologique permettant à l'eau de s'écouler sous la surface en béton du pavé.

d) Nature du commerce

[43]      Le commerce des parties consiste en la vente des droits de propriété intellectuelle sur des produits qui sont utilisés dans l'industrie de la construction. Les licenciés et les acheteurs éventuels des pavés sont susceptibles d'être relativement avisés. Les personnes qui prendront les décisions pertinentes seront d'abord et avant tout des personnes oeuvrant dans le domaine de la fabrication et de la vente de matériaux de construction, des constructeurs, des architectes, des architectes-paysagistes, des urbanistes et ainsi de suite. La nature du commerce permet de penser que les risques de confusion entre les marques UNI ECO-STONE et SF-ECO sont minces.

e) Degré de ressemblance entre les marques de commerce

[44]      La thèse de la défenderesse est que, pour comparer la marque qui est accusée de contrefaçon avec celle qui serait victime de la contrefaçon, c'est la première partie du nom qui importe le plus (Conde Nast Publications Limited c. Union des éditions modernes, (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst.). En d'autres termes, il y a davantage de risques de confusion lorsque la marque du défendeur possède la même première syllable que celle du demandeur. Ce n'est évidemment pas le cas en l'espèce. Exception faite du terme ECO, l'autre partie des marques de commerce n'est pas du tout semblable.

[45]      Il est important de noter également dans le cas qui nous occupe que le terme ECO possède un sens général et qu'il n'a pas été démontré qu'il était associé secondairement au Canada de manière concluante au produit sur lequel la marque de la demanderesse est gravée. La présence du mot ECO dans la marque de commerce peut évoquer la perméabilité du pavé sans être associée exclusivement à UNI ECO-STONE au Canada.

E. DISPOSITIF

[46]      J'estime donc que la défenderesse s'est acquittée du fardeau qui lui incombait de me convaincre qu'il n'y a pas de questions de fait qui ne peuvent être tranchées équitablement que par un procès. Les questions ne sont ni nombreuses, ni complexes et elles ne dépendent pas des conclusions qui seront tirées au sujet de la crédibilité. Le degré d'appréciation et d'évaluation de la preuve que la présente requête a nécessité ne va pas au-delà de l'" examen de près " auquel le juge des requêtes peut " et doit " soumettre la preuve qui lui est soumise dans le cadre de la requête en jugement sommaire qui lui est soumise.

[47]      Compte tenu des facteurs énumérés au paragraphe 400(3) des Règles qui guident l'exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal en matière d'adjudication des dépens, et compte tenu en particulier du facteur du résultat de l'instance, je condamne F. Von Langsdorff Licensing Limited à payer à S.F. Concrete Technology Inc. les dépens entre parties. Je conclus toutefois que la conduite de la demanderesse ou la nature de sa déclaration ne justifient pas l'adjudication des dépens extrajudiciaires ou l'adjudication des dépens selon un tarif élevé.

     John M. Evans

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-335-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      F. VON LANGSDORFF LICENSING LIMITED
                     c.
                     S.F. CONCRETE TECHNOLOGY, INC.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      28 octobre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Evans le 8 avril 1999

ONT COMPARU :

Me Stephen Lane              pour la demanderesse
Me Eugene J.A. Geirczak          pour la défenderesse

Me Lorelei Graham

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Sim, Hughes, Ashton & McKay      pour la demanderesse

Toronto (Ontario)

Keyser, Mason, Ball              pour la défenderesse

Mississauga (Ontario)

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