Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

 

                                                             T-651-87

 

 

OTTAWA (ONTARIO), LE 13 SEPTEMBRE 1996.

 

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOYAL.

 

 

ENTRE :

 

 

                           MAURICE LEONARD,

 

demandeur,

 

 

                                  et

 

 

                         SA MAJESTÉ LA REINE,

 

défenderesse.

 

                               JUGEMENT

 

     Le présent appel d'un jugement de la Cour canadienne de l'impôt, en date du 21 octobre 1986, est rejeté.  Les frais seront adjugés à la Couronne défenderesse, si elle le demande.

 

 

                                                       L-Marcel Joyal

                                                                                               

                                                                 JUGE

 

 

Traduction certifiée conforme                             

Louise Dumoulin-Clark


 

 

 

 

 

 

 

                                                             T-651-87

 

 

ENTRE :

 

 

                           MAURICE LEONARD,

 

demandeur,

 

 

                                  et

 

 

                         SA MAJESTÉ LA REINE,

 

défenderesse.

 

 

                          MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE JOYAL

 

     Il s'agit d'un appel par voie de nouveau procès interjeté contre un jugement de la Cour canadienne de l'impôt en date du 21 octobre 1986.  Dans ce jugement, la Cour de l'impôt confirmait une cotisation antérieure établie par la défenderesse déclarant que les sommes de 1 325 $ et 5 339 $ versées au demandeur au cours des années 1979 et 1982 respectivement constituaient des revenus imposables.

 

Historique

 

     Au cours des années d'imposition concernées, le demandeur avait été employé par une brasserie de Prince George (C.‑B.).  Le demandeur était membre du syndicat de l'usine - Brewery, Winery and Distillery Workers Union, Local 300.  La brasserie et le syndicat avaient parfois conclu des conventions collectives à l'égard des nombreuses et diverses conditions de travail à l'usine.


     Certaines des conditions figurant dans les conventions collectives en vigueur en 1979 et en 1982 avaient trait à certains avantages sociaux.  Plus particulièrement, la clause X, article 7, imposait à la brasserie de verser des primes à Occidental Life Insurance à l'égard d'indemnités hebdomadaires payables aux employés en cas de maladie ou de blessures.  Au cours des années 1979 et 1982, le demandeur a reçu 1 325 $ et 5 339 $ de l'assureur au titre de la maladie ou des blessures.

 

     Le demandeur, dans ses déclarations d'impôt pour ces années, a estimé que les paiements qui lui avaient été faits ne constituaient pas un revenu imposable.  Le demandeur a affirmé que les primes versées par l'employeur faisaient partie de son salaire conformément au paragraphe 6(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la «Loi»), et qu'en fait, les paiements en question avaient été faits par le demandeur sous forme de salaire et que la brasserie agissait simplement comme fiduciaire en versant ce qui était les fonds du demandeur.

 

     La Couronne défenderesse ne partageait pas le point de vue du demandeur et elle a conséquemment établi une nouvelle cotisation à son égard en incluant, en qualité de revenu imposable, les sommes qu'il avait reçues et en imposant ce dernier en conséquence.  La Couronne défenderesse s'est montrée d'avis que le demandeur, en raison de sa maladie, avait reçu ces sommes de l'assureur, qu'il était payé périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu d'un régime d'assurance contre la maladie ou les accidents auquel son employeur avait contribué, mais auquel lui, en tant qu'employé, n'avait pas contribué.

 

     Les procédures engagées par le demandeur par voie d'avis d'opposition et par voie d'appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt ne lui ont pas été favorables, d'où son appel auprès de cette Cour.


Dispositions statutaires

 

     Ces dispositions, qui proviennent de nombreuses modifications visant à colmater ce que la Couronne défenderesse considérait être des lacunes, ressemblent maintenant à une bouillabaise marseillaise.

 

     L'article le plus important est, naturellement, l'article 6 de la Loi, qui se lit comme suit :

 

6(1)  Doivent être inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments appropriés suivants :

 

a)  Valeur des avantages. - la valeur de la pension, du logement et autres avantages de quelque nature que ce soit qu'il a reçus ou dont il a joui dans l'année au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi, à l'exception des avantages

 

(i)  résultant des contributions de son employeur à un régime de pension agréé, un régime d'assurance collective contre la maladie ou les accidents, un régime de services de santé privé, un régime de prestations supplémentaires de chômage, un régime de participation différée aux bénéfices ou une police collective d'assurance temporaire sur la vie, [...]

 

     Le demandeur renvoie aussi au paragraphe 6(3) de la Loi, qui prévoit qu'est exemptée du calcul du revenu toute somme reçue comme rémunération de services lorsque cette somme ne peut pas raisonnablement être considérée comme ayant été reçue :

 

c)à titre de contrepartie totale ou partielle de l'acceptation de la charge ou de la conclusion du contrat d'emploi,

 

d)à titre de rémunération totale ou partielle des services rendus comme cadre ou conformément au contrat d'emploi, ou

 

e)à titre de contrepartie totale ou partielle d'un engagement prévoyant ce que le cadre ou l'employé doit faire, ou ne doit pas faire, avant ou après la cessation de l'emploi.

 

     Pour sa part, la défenderesse s'appuie sur des dispositions actuelles de la Loi qui sont libellées comme suit :

 

6(1)f)     Prestations d'assurance contre la maladie, etc. - le total des sommes qu'il a reçues dans l'année, à titre d'indemnité payable périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu

(i)   d'un régime d'assurance contre la maladie ou les accidents,

(ii)  d'un régime d'assurance invalidité, ou

(iii) d'un régime d'assurance de sécurité du revenu auquel ou en vertu duquel son employeur a contribué, n'excédant pas la fraction, si fraction il y a,

(iv)  du total de toutes les sommes qu'il a ainsi reçues en vertu du régime avant la fin de l'année, et [...]

 

Conclusions

 

     Les dispositions de l'article 6 de la Loi ne sont pas aisément analysées dans le contexte de la responsabilité fiscale.  Plus sont complexes les formes des paiements versés au contribuable, plus compliquées sont devenues les règles des tribunaux de façon à assurer une approche exacte, éprouvée et objective de l'imposition du revenu afin d'éviter les aberrations et les incompatibilités.

 

     Le demandeur soutient que les paiements qui lui ont été faits ne sont pas imposables, car l'alinéa 6(1)f) de la Loi stipule que les paiements doivent se faire de façon périodique, ce qui n'était pas le cas de ceux qu'il a reçus.  L'avocat du demandeur cite l'arrêt RE. Supreme Legion Select Knights of Canada, [1899] 29 O.R.O. 708, dans lequel les «versements périodiques» ont été définis comme étant des [TRADUCTION] «paiements faits périodiquement, répétés à des périodes fixes et non à des moments variables, non pas à la discrétion d'un ou plusieurs individus mais en exécution d'une obligation préexistante».

 

     Je ne suis pas convaincu que cette définition convienne à l'espèce.  À mon sens, un paiement périodique, fait en raison d'une maladie ou d'un accident, doit nécessairement avoir lieu au cours de «périodes» de maladie ou de blessures.  Les montants eux‑mêmes varieront, naturellement, en fonction du niveau des salaires des employés.  En outre, compte tenu de l'arrêt Her Majesty the Queen v. Sills, une décision de la Cour d'appel fédérale publiée dans 85 D.T.C. 5096, on peut ajouter que si le contrat ou l'entente concernés exigent que les paiements se fassent de façon périodique, le caractère périodique de ces paiements n'est pas modifié du fait qu'ils ne sont pas versés à temps.

 

     Le demandeur affirme aussi qu'en fait, les primes que l'employeur verse à l'assureur sont l'argent du demandeur, qui lui aurait autrement été remis sous forme de salaire ou de traitement.  Ce point de vue rejoint celui exprimé par le juge Cory au nom de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Cunningham c. Wheeler, [1994] 1 R.C.S. 360, [1994] 113 D.L.R. (4th), dans lequel on laisse entendre à la page 407 que les paiements effectués par l'employeur conformément à une convention collective pourraient être considérés comme ayant été, de fait, effectués par l'employé si ce dernier a renoncé à un salaire plus élevé ou à d'autres avantages.  Les avantages qui en découleraient en cas d'accident ou de maladie ne seraient pas visés par l'alinéa 6(1)f).  Le juge Cory s'empresse d'ajouter, cependant, qu'il doit y avoir des preuves qu'au cours du processus de négociation collective, il y a eu des concessions mutuelles et qu'il y a eu renonciation à un salaire plus élevé et à d'autres avantages en échange du régime d'invalidité.  En l'espèce, il y a peu de preuves de fond qui m'incitent à conclure que le régime d'invalidité était un compromis.  De plus, je me permets de suggérer que tout régime d'avantages prévu par une convention collective pourrait aisément être considéré comme étant un compromis, auquel cas l'alinéa 6(1)f) ne s'appliquerait jamais aux employés syndiqués jouissant d'un régime d'invalidité ou d'autres avantages en vertu de leur convention collective.

 

     La question de la preuve et du poids qu'il convient de lui accorder a été soulevée par mon collègue le juge Rouleau dans l'arrêt Dagenais et autres c. Sa Majesté la Reine, T‑498‑90, 95 D.T.C. 5318; dans cette affaire, les contribuables alléguaient que le régime d'avantages concerné était un «régime financé en totalité par les employés» et que les avantages reçus étaient exempts d'impôt.  Le juge Rouleau a eu à analyser la preuve d'un compromis qui, dans ses propres mots, à la page 7 :

 

[...] a été fournie par les représentants syndicaux qui ont témoigné du fait que, au moment où les conventions collectives sont négociées, les employeurs sont généralement disposés à dégager un montant prédéterminé ou fixe afin d'arriver à un règlement.  Il revient ensuite aux représentants syndicaux de déterminer les portions de ce montant qui devraient être affectées respectivement au salaire et aux avantages sociaux.

 

     Le juge Rouleau a en outre conclu que pour que l'ensemble des avantages sociaux en cause soit exonéré d'impôt, il incombait aux demandeurs d'établir que le régime était effectivement financé en totalité par eux.  Or, il n'y avait aucune preuve des montants précis ou exacts que les employés auraient versés à l'égard de l'ensemble des avantages sociaux.

 

     Finalement, le juge Rouleau a souligné que la question litigieuse dans l'affaire en cause relevait du droit applicable en matière délictuelle, que ses règles ne liaient pas la Cour et ne lui étaient peut‑être même d'aucun secours en ce qui avait trait à l'interprétation de la Loi de l'impôt sur le revenu.

 

Conclusions

 

     J'estime que l'intention du législateur, à l'article 6 de la Loi, est de désigner comme revenu imposable toutes les sommes que le contribuable a reçues de son employeur en vertu de son emploi, sauf certaines exceptions.  Expressément incluses dans le revenu du contribuable sont les sommes touchées de façon périodique pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu d'un régime d'assurance contre la maladie ou les accidents.  C'est là textuellement ce que dit l'alinéa 6(1)f) et, à mon humble avis, cela devrait être interprété de façon compatible avec l'intention du Parlement.

 

     Je concède que traditionnellement, les tribunaux ont peut être adopté un point de vue hautement sémantique dans leur interprétation des lois fiscales et qu'ils ont pathologiquement analysé et disséqué chaque élément individuel de la mesure législative concernée.  J'aimerais croire que c'est une chose du passé et qu'aujourd'hui, l'optique plus universelle de l'analyse critique est celle articulée par Dreidger dans son ouvrage Construction of Statutes, 2nd Ed., Butterworths, Toronto, 1983, à la page 8, dans lequel il dit que [TRADUCTION] «les mots d'une loi doivent s'interpréter dans leur contexte global et selon leur sens grammatical et ordinaire, en harmonie avec l'économie de la Loi, son objet et l'intention du législateur».

 

     Les avocats des parties se souviendront que la preuve orale au cours de l'instruction de cette affaire n'était pas claire comme de l'eau de roche, ni dans son expression ni dans son contenu.  Néanmoins, j'ai trouvé les deux avocats particulièrement convaincants aussi bien dans leurs résumés oraux que dans les dossiers qu'ils ont déposés individuellement auprès de cette Cour.

 

     Le règlement de la question litigieuse soulevée par le demandeur a pris un temps considérable.  Il est aussi évident que le demandeur, pour des motifs exposés après une demande de rejet pour défaut de poursuite, a éprouvé des problèmes pécuniaires lorsqu'il s'est agi de retenir les services d'un avocat qu'il pouvait difficilement, en raison de son invalidité, se permettre de payer.  Et cependant, il n'a pas dévié un instant de la certitude inébranlable de son bon droit.

 

     La Cour a conscience des problèmes du demandeur et des divers degrés d'invalidité qu'il a subis.  Dans les circonstances, cependant, je dois rejeter son appel.  Les frais seront adjugés à la Couronne, si elle en fait la demande.

 

                                                       L-Marcel Joyal

                                                                                               

                                                                 JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 13 septembre 1996.

 

 

Traduction certifiée conforme                             

Louise Dumoulin-Clark


                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

              AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

No DU GREFFE :T-651-87

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Maurice Leonard

c.

Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L'AUDIENCE :26 juin 1996

 

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :  Monsieur le juge Joyal

 

EN DATE DU :13 septembre 1996

 

 

ONT COMPARU :

 

Ms. Karima Bawapour le demandeur

Mme Elizabeth Junkinpour la défenderesse

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Douglas, Syme & Brissendenpour le demandeur

Vancouver (C.-B.)

 

 

M. George Thomson

Sous-procureur général du Canadapour la défenderesse

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.