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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Beno c. Canada (Procureur général) (1re inst.) [2002] 3 C.F. 499

Date : 20020207

Dossier : T-1671-97

Référence neutre : 2002 CFPI 142

AFFAIRE INTÉRESSANT une enquête tenue conformément à la partie I de la Loi sur les enquêtes. L.R.C. (1985), ch. I-11, au sujet du fonctionnement de la chaîne de commandement, du leadership au sein de la chaîne de commandement, de la discipline, des opérations, des mesures et des décisions des Forces canadiennes ainsi que des mesures et des décisions du ministère de la Défense nationale en ce qui a trait au déploiement des Forces canadiennes en Somalie et au sujet d'un rapport à cet égard, conformément au décret C.P. 1995-442.

ENTRE :

                                                                            

LE BRIGADIER GÉNÉRAL ERNEST B. BENO

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION


[1]                 Le brigadier général Ernest B. Beno (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire conformément aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée, en vue d'obtenir une déclaration portant que les commissaires chargés de l'enquête sur l'affaire de la Somalie ont agi en violation des principes de justice naturelle et d'équité procédurale à son endroit. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant le chapitre 32 du Rapport de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie intitulé : « Un héritage déshonoré : Les leçons de l'affaire somalienne » ou, subsidiairement, une ordonnance annulant les parties du rapport dans lesquelles des conclusions qui lui sont défavorables sont directement ou indirectement tirées.

LES FAITS

i) Le demandeur

[2]                 Le demandeur s'est engagé dans les Forces armées canadiennes en 1962 en tant que simple soldat. Il a été promu jusqu'au grade de brigadier général. Il est maintenant à la retraite. Du 7 août 1992 au 8 juillet 1994, il a servi à titre de commandant de la Force d'opérations spéciales à Petawawa (Ontario) où le Régime aéroporté du Canada (le RAC) avait été l'une des unités sous son commandement avant et après son déploiement en Somalie. Étant donné que le RAC avait été l'une des unités sous son commandement au cours des périodes sur lesquelles la Commission faisait enquête, le demandeur a demandé et obtenu qualité pour agir aux fins de l'enquête, avec pleins droits de participation, le 24 mai 1995.

[3]                 Le demandeur a reçu un préavis conformément à l'article 13 de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, dans sa forme modifiée (la Loi) le 22 septembre 1995.

ii) La Commission d'enquête

[4]                 La Commission d'enquête a été établie par le gouvernement du Canada en vertu de la partie I de la Loi, dans sa forme modifiée, au moyen du décret C.P. 1995-442, en date du 20 mars 1995. Le mandat de la Commission a été défini d'une façon générale comme suit :

[...] faire enquête et [...] faire rapport sur le fonctionnement de la chaîne de commandement, le leadership au sein de la chaîne de commandement, la discipline, les opérations, les mesures et les décisions des Forces canadiennes, ainsi que les mesures et les décisions du ministère de la Défense nationale, en ce qui a trait au déploiement des Forces canadiennes en Somalie [...]

[5]                 Plus précisément, la Commission était autorisée à enquêter sur les événements qui s'étaient produits en Somalie lorsque Shidane Arone avait été torturé et tué ainsi qu'à enquêter sur la réaction institutionnelle à ces événements.


[6]                 Selon son mandat, la Commission était expressément chargée d'enquêter sur les questions liées à la période antérieure au déploiement, aux opérations sur le théâtre et à la période qui a suivi le déploiement de la mission en Somalie. La Commission a été autorisée à adopter les procédures et méthodes qu'elle jugeait opportunes aux fins de la bonne conduite de l'enquête et à soumettre un rapport final, dans les deux langues officielles, au gouverneur en conseil au plus tard le 22 décembre 1995.

[7]                 Par un autre décret, le C.P. 1995-528, en date du 29 mars 1995, la Commission était désignée sous le nom de « Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie » .

[8]                 Le délai de présentation du rapport a été prorogé au 28 juin 1996 par le décret C.P. 1995-1273. Une autre prorogation a été accordée jusqu'au 31 mars 1997 par le décret C.P. 1996-959, en date du 20 juin 1996.

[9]                 Le 27 novembre 1996, les commissaires ont écrit au sous-greffier du Conseil privé pour demander une autre prorogation du délai de présentation du rapport. Dans cette lettre, les commissaires ont énoncé trois scénarios en ce qui concerne l'achèvement des audiences testimoniales et le dépôt du rapport; il s'agissait des possibilités suivantes :

1) les travaux seraient achevés entre le mois de septembre et le mois de décembre 1998;

2)    les travaux seraient achevés entre le mois d'avril et le mois de juin 1998;

3)    les travaux seraient achevés le 31 décembre 1997.

[10]            Dans leur lettre, les commissaires indiquaient les considérations relatives à la planification, les questions qui avaient été examinées et les questions non réglées. Ils abordaient également la question de la preuve relative aux personnes qui avaient reçu un préavis en vertu de l'article 13 de la Loi. Les commissaires faisaient savoir qu'il était au minimum nécessaire d'obtenir une prorogation jusqu'au mois de décembre 1997.

[11]            Le sous-greffier du Conseil privé a répondu au président de la Commission par une lettre datée du 10 janvier 1997. Le gouvernement a décidé d'accorder une troisième et dernière prorogation jusqu'au 30 juin 1997 aux fins de l'achèvement et de la remise du rapport. En même temps, le gouvernement a demandé à la Commission de mettre fin à ses audiences publiques au plus tard le 31 mars 1997. Cette décision du gouvernement a été confirmée et adoptée officiellement par un autre décret, le C.P. 1997-174, en date du 4 février 1997.

[12]            Le décret initial a de nouveau été modifié le 3 avril 1997 par le C.P. 1997-456, qui est ainsi libellé :

z.1) de présenter au gouverneur en conseil, dans les deux langues officielles, au plus tard le 30 juin 1997, un rapport final portant sur les questions visées aux alinéas a) à i); malgré les autres dispositions de la présente commission, les commissaires peuvent, à leur discrétion, décider s'ils feront enquête et rapport, et en déterminer l'étendue, sur les questions visées aux alinéas j) à s) dans le délai prescrit [...]

[13]            La mention des alinéas a) à i) se rapporte au mandat de la Commission, tel qu'il est énoncé dans le décret C.P. 1995-442 et vise expressément la période antérieure au déploiement des Forces canadiennes en Somalie, c'est-à-dire la période antérieure au 10 janvier 1993. La mention des alinéas j) à r) se rapporte aux opérations sur le théâtre, c'est-à-dire à la période allant du 10 janvier au 10 juin 1993. L'alinéa s) vise uniquement la période qui a suivi le déploiement, c'est-à-dire la période allant du 11 juin 1993 au 28 novembre 1994.

[14]            Conformément au décret initial C.P. 1995-442, la Commission a établi des règles de pratique et de procédure régissant sa conduite. Des règles de pratique supplémentaires ont été adoptées en vue d'établir la procédure qui serait suivie au cours de la phase de l'audience concernant les personnes qui avaient reçu un préavis en vertu de l'article 13. Des lignes directrices relatives aux observations écrites et orales que les parties et les personnes qui avaient reçu un préavis en vertu de l'article 13 devaient présenter ont également été publiées par la Commission.


[15]            En vertu des règles, les parties ayant pleinement qualité de participant, y compris celles qui avaient reçu un préavis en vertu de l'article 13, avaient le droit d'interroger et de contre-interroger des témoins, de demander que des témoins soient cités si les avocats de la Commission ne citaient pas ces témoins et de présenter des observations orales et écrites. Elles avaient également le droit de recevoir des copies de tous les documents produits en preuve et de produire leur propre preuve documentaire.

[16]            Le demandeur a reçu un préavis en vertu de l'article 13 de la Loi le 22 septembre 1995. Il a témoigné devant la Commission du 29 janvier au 31 janvier 1996, au cours de la phase de l'enquête se rapportant à la période antérieure au déploiement. À ce moment-là, sa preuve était limitée à des questions relatives à la période antérieure au déploiement, conformément à la procédure que la Commission avait adoptée en vue de limiter la preuve à la période précise sur laquelle l'examen portait; les témoins qui avaient été cités au cours de la phase relative à la période antérieure au déploiement n'étaient pas autorisés à répondre aux questions liées aux opérations sur le théâtre ou à la période qui a suivi le déploiement, la preuve y afférente devant être reportée tant que la Commission n'examinerait pas ces périodes. Compte tenu de la procédure adoptée par la Commission, les témoins n'ont pas été interrogés au moment où ils ont initialement témoigné au sujet de leur connaissance des événements se rapportant à des périodes ultérieures.

[17]            Le 17 janvier 1997, l'avocat du demandeur a écrit aux avocats de la Commission pour exprimer sa préoccupation au sujet des conséquences qu'avait pour le demandeur la décision du gouvernement d'abréger le temps dont disposait la Commission pour achever ses audiences testimoniales et son rapport. Cette lettre a été envoyée à la suite de l'annonce de la nouvelle date de dépôt du rapport, le 30 juin 1997.


[18]            La lettre énonçait les préoccupations qui existaient au sujet de l'iniquité possible dont le demandeur serait victime, en particulier la perte de la possibilité de contre-interroger un certain nombre de personnes au sujet des motifs et des rôles qu'elles avaient eus dans la création de certains documents où l'accent était mis sur le rôle qu'avait eu le demandeur au cours de la période antérieure au déploiement.

[19]            Dans la lettre du 17 janvier 1997, on demandait plus précisément quelle était la position de la Commission au sujet du préavis signifié au demandeur en vertu de l'article 13. Cette lettre était en partie ainsi libellée :

[TRADUCTION] Par conséquent, veuillez nous informer immédiatement

a)              du moment auquel vous avez l'intention d'examiner la question du préavis signifié au bgén Beno en vertu de l'article 13, et si vous avez l'intention de nous engager dans ces délibérations;

b)              des témoins que vous avez l'intention de citer et des questions que vous avez l'intention d'aborder pendant le temps qui restera aux fins de la tenue des audiences;

c)              si les parties ayant qualité pour agir doivent avoir la possibilité de citer des témoins pour leur propre compte. Vous vous rappellerez qu'au mois de février 1996, j'ai invité la Commission à citer le gén Crabbe pour témoigner au sujet des questions liées à la période antérieure au déploiement et que je n'ai pas obtenu de réponse; et

d)              du moment auquel vous avez l'intention de nous fournir des détails au sujet des conclusions défavorables précises que les commissaires prévoient tirer, le cas échéant, au sujet de notre client.

Dossier de la demande du demandeur, page 98.

[20]            L'avocat de la Commission a répondu à cette lettre par une lettre en date du 24 janvier 1997. Il y faisait savoir que les préavis signifiés en vertu de l'article 13 pour la période antérieure au déploiement étaient à l'étude et que le demandeur faisait encore l'objet d'allégations se rapportant à cette période.

[21]            La réponse qui a été donnée pour le compte du demandeur est énoncée dans une lettre en date du 30 janvier 1997. L'avocat demandait encore une fois ce que la Commission avait l'intention de faire au sujet du préavis signifié à son client en vertu de l'article 13. L'avocat demandait en outre expressément des renseignements au sujet de l'identité d'autres témoins qui devaient être cités par la Commission, y compris le lieutenant-colonel Mathieu et le colonel Labbé. Il ressort clairement de cette lettre que l'avocat du demandeur voulait savoir qui allait témoigner au cours de la période qui restait et que ce renseignement influerait sur les mesures prises par son client.

[22]            Par une lettre en date du 31 janvier 1997, Me Barbara McIsaac, c.r., l'un des avocats qui avaient été désignés pour aider la Commission, a répondu et a fait savoir que le préavis signifié au demandeur en vertu de l'article 13 ne serait pas retiré et que d'autres lettres indiquant la procédure que la Commission entendait suivre dans le cadre de l'enquête seraient envoyées.

[23]            Le même jour, soit le 31 janvier 1997, un autre avocat de la Commission, Me Ian Stouffer, a écrit à l'avocat du demandeur pour lui donner des précisions supplémentaires au sujet du préavis du 22 septembre 1995 signifié en vertu de l'article 13. Les huit questions suivantes étaient mentionnées :

[TRADUCTION] [...] nous examinerons les allégations selon lesquelles vous avez fait preuve d'un manque de leadership ou d'un leadership inadéquat au cours de la période antérieure au déploiement de la mission en Somalie :

1.              en déclarant que le Régime aéroporté du Canada et le groupement tactique du Régiment aéroporté du Canada étaient prêts sur le plan opérationnel alors que vous saviez, ou que vous auriez dû savoir, que tel n'était pas le cas;

2.              en négligeant de signaler à vos supérieurs la nature et l'ampleur des problèmes de leadership et de discipline dont vous étiez au courant, ou dont vous auriez dû être au courant, au sein du Régime aéroporté du Canada avant son déploiement;

3.              en négligeant de prendre des dispositions pour que les hommes de troupe reçoivent une formation ou subissent des tests sur les nouvelles règles d'engagement;

4.              en négligeant de fournir des conseils appropriés au lieutenant-colonel Morneault et au lieutenant-colonel Mathieu sur la façon de prévenir ou de résoudre les problèmes de discipline au sein du Régiment;

5.              en négligeant de vous assurer que le lieutenant-colonel Mathieu avait résolu les problèmes de discipline et de leadership au sein du Régiment avant son déploiement;

6.              en négligeant de signaler au major-général Mackenzie :

a)              vos préoccupations au sujet de l'état de la discipline et des attitudes discutables des membres du Régiment manifestées par :

i)              le fait que des armes et des munitions avaient été saisies au cours d'une fouille effectuée sous le commandement du lieutenant-colonel Morneault;

ii)              le fait que 32 drapeaux rebelles avaient été saisis et que ce drapeau était régulièrement arboré à Petawawa;


iii)             le fait que les membres du Régiment avaient eu des problèmes de consommation d'alcool au cours des semaines et des mois précédant le déploiement;

iv)             le fait que certains membres du Régiment s'étaient fait faire des tatouages racistes et extrémistes;

v)              le fait que vous aviez en votre possession une liste de personnes qui, selon vous, ne devaient pas être déployées avec le Régiment;

b)              les trois événements qui s'étaient produits au mois d'octobre 1992;

7.              en négligeant de vous assurer que tous les membres de la Force d'opérations spéciales des Forces interarmées du Canada en Somalie avaient reçu une formation adéquate sur le droit de la guerre ou le droit des conflits armés, y compris les quatre Conventions de Genève de 1949 sur la protection des victimes de guerre, et que leurs connaissances dans ces domaines avaient été vérifiées;

8.              en négligeant d'exercer votre devoir de commandant tel qu'il est défini à l'article 4.20 des Ordonnances et règlements royaux et par les coutumes militaires.

Renvoi : Dossier de la demande du demandeur, pages 562 et 563.

[24]            L'auteur de la lettre concluait en disant que le demandeur pouvait présenter des observations écrites au plus tard le 17 février 1997 et qu'il aurait encore une fois la possibilité de présenter des observations finales orales à la clôture des audiences de la Commission.


[25]            L'avocat du demandeur a répondu à cette communication par une lettre datée du 4 février 1997. Il demandait des détails supplémentaires au sujet des allégations figurant dans la lettre du 31 janvier et il faisait savoir qu'il ne pouvait pas respecter la date limite du 17 février 1997 qui avait été fixée aux fins de la présentation d'observations en signalant que cette date limite était apparemment prématurée puisque la partie des audiences qui était consacrée à l'audition des témoins ne serait pas achevée à cette date.

[26]            L'avocat de la Commission a répondu par une lettre en date du 11 février 1997. Cette lettre portait sur certaines questions de procédure et notamment sur une rencontre qui devait avoir lieu avec les avocats de toutes les parties le 20 février 1997, aux fins de l'établissement d'un plan pour la conduite des audiences du mois de mars, mais elle visait également à traiter des points précis soulevés dans la lettre du 4 février qui avait été rédigée pour le compte du demandeur. Le délai de dépôt des observations écrites du demandeur a été prorogé jusqu'au 4 avril 1997.

[27]            Le 17 février 1997, l'avocat du demandeur a signifié à la Commission d'enquête un avis de requête, cette requête devant être entendue par la Commission. L'avis de requête visait l'obtention de l'ordonnance suivante :

[TRADUCTION]

a)              qu'il soit immédiatement mis fin à toutes les autres procédures entamées conformément au procès-verbal du comité du Conseil privé du 20 mars 1995, C.P. 1995-442 (l'enquête de Somalie) sans que des rapports soient achevés et publiés;

b)              subsidiairement, que tout préavis signifié au demandeur en vertu de l'article 13 soit retiré et qu'aucune conclusion défavorable faisant état d'une faute ne soit tirée à l'encontre du demandeur, directement ou indirectement, par les commissaires dans tout rapport publié par ceux-ci.

Renvoi : Dossier de la demande du demandeur, page 33.

[28]            La lettre du 17 février 1997 renfermait également une liste des témoins et de la preuve que le demandeur voulait présenter. Le 25 février 1997, l'avocat a écrit à la Commission pour faire ajouter les noms d'autres témoins à cette liste, en ce qui concerne le préavis signifié au demandeur en vertu de l'article 13.

[29]            Par une lettre en date du 28 février 1997, Me Stouffer, avocat de la Commission, a répondu à la lettre renfermant les renseignements sur les témoins que le demandeur se proposait de citer. Il a fait remarquer que le demandeur voulait citer quarante-huit témoins et il a fait savoir que la Commission n'était pas prête à entendre vingt-six de ces témoins, y compris le major-général deFaye. Il a fait savoir que huit autres témoins, dont le major-général Reay, ne seraient pas de nouveau cités parce qu'ils l'avaient déjà été. Il a signalé que le demandeur était représenté par un avocat lorsque ces personnes avaient témoigné et qu'il avait alors eu la possibilité de les contre-interroger. Il a ajouté que l'on n'avait pas donné de raisons suffisantes pour justifier l'assignation de cinq autres témoins, à savoir le major-général Crabbe, le colonel Archibald, le général Boyle, le colonel O'Brien et l'amiral Anderson.

[30]            Me Stouffer a également fait savoir que les règles supplémentaires applicables à cette phase des audiences seraient fournies à bref délai et que les commissaires étaient prêts à recevoir la preuve orale du demandeur sur des questions liées au préavis prévu à l'article 13 et non à recevoir la preuve qu'il avait déjà présentée.


[31]            Par une lettre en date du 3 mars 1997, Me McIsaac, c.r., a remis une liste des témoins que les commissaires étaient prêts à entendre ainsi qu'un projet de calendrier aux fins de la présentation de cette preuve. Dans la lettre il était également fait mention de règles supplémentaires de procédure. Selon le calendrier qui faisait partie de la lettre, le demandeur devait témoigner le 1er avril.

[32]            Le 3 mars 1997, l'avocat a répondu à la lettre du 28 février dans laquelle Me Stouffer énonçait la position prise par la Commission au sujet des témoins que le demandeur voulait citer. Il a affirmé que la position de la Commission allait à l'encontre de l'obligation de respecter la justice fondamentale qui lui incombait envers le demandeur.

[33]            Le 6 mars 1997, l'avocat du demandeur a de nouveau écrit aux avocats de la Commission, Me McIsaac, c.r., et Me Stouffer. Il a fait savoir que le demandeur n'avait pas l'intention de participer à l'audience testimoniale prévue à l'article 13 et qu'il demanderait une réparation à la Cour fédérale.

[34]            Le 11 mars 1997, Me McIsaac, c.r., a de nouveau écrit à l'avocat du demandeur, en accusant réception de la lettre du 6 mars et en demandant si des observations orales allaient être présentées pour le compte du demandeur au cours de la semaine du 7 avril 1997. L'avocat a répondu pour le compte du demandeur le 17 mars, en confirmant qu'aucune observation orale ne serait présentée à la Commission.

[35]            Par une autre lettre en date du 20 mars 1997, l'avocat principal, Me Simon Noël, c.r., a écrit à l'avocat du demandeur pour demander que des observations écrites soient présentées au plus tard le 24 mars 1997 à l'appui de l'avis de requête du 17 février 1997. L'avocat du demandeur a fait savoir, par une lettre en date du 20 mars 1997, qu'aucune observation additionnelle ne serait présentée à la Commission au sujet de la requête.

[36]            Dans son ordonnance du 27 mars 1997, la Commission rejetait la requête. Cette ordonnance se rapportait à la décision de la Commission de limiter le nombre de témoins qui devaient être cités au sujet des préavis prévus à l'article 13. Les commissaires se fondaient sur les motifs qu'ils avaient fournis en réponse à une requête similaire présentée par le lieutenant-général Reay.


[37]            Le demandeur et d'autres personnes ont sollicité le contrôle judiciaire de cette ordonnance devant la Cour fédérale. Cette demande a été rejetée par Monsieur le juge Teitelbaum, qui a refusé d'ordonner le retrait du préavis fondé sur l'article 13, mais qui a décidé de radier dans certains cas des allégations inadmissibles. Aucune allégation figurant dans le préavis signifié au demandeur en vertu de l'article 13 n'a été radiée.

[38]            De plus, la demande dont le juge Teitelbaum avait été saisi visait l'obtention d'une ordonnance de prohibition, empêchant les commissaires de déposer leur rapport final ou prévoyant le retrait des préavis fondés sur l'article 13. Le juge Teitelbaum a exprimé l'avis selon lequel les commissaires n'omettraient pas de tenir compte des droits procéduraux des parties touchées, et notamment du demandeur, en tirant leurs conclusions de fait. Voici ce que le juge a dit :

La Cour ne peut donc pas présumer que la Commission formulera des conclusions de fait concernant les propos incendiaires et répréhensibles sur le « champagne » et les « sandales » , sans tenir compte pour cela des effets qu'a pu avoir l'abrégement de son mandat et sans tenir compte, non plus, des garanties procédurales dues aux requérants.

Addy c. Canada [1997] 3 C.F. 784, page 887.

[39]            Le juge Teitelbaum a rendu son ordonnance et ses motifs d'ordonnance le 17 juin 1997. Conformément à la modification finale apportée au décret C.P. 1995-442, les commissaires devaient achever leur enquête et leur rapport au plus tard le 30 juin 1997. Le 2 juillet 1997 ou vers cette date, les commissaires ont remis le rapport sur la Somalie au gouverneur en conseil.


[40]            Ce rapport, en particulier au chapitre 32, renfermait des conclusions fort préjudiciables au sujet du demandeur, y compris la conclusion selon laquelle il avait commis une faute énorme sérieuse en déclarant que le RAC et le groupement tactique du RAC étaient prêts sur le plan opérationnel alors qu'il savait ou qu'il aurait dû savoir que tel n'était pas le cas. Les commissaires ont conclu que le demandeur n'avait pas signalé à ses supérieurs la nature et l'ampleur des problèmes de leadership et de discipline dont il était au courant et qu'il ne s'était pas acquitté de son obligation de s'assurer que les membres du RAC comprennent pleinement les règles d'engagement qu'ils aient la formation voulue et subi des tests sur ces règles avant le déploiement.

[41]            Les commissaires ont également conclu que le demandeur avait manqué à son devoir de commandant; ils ont fait les déclarations suivantes :

Compte tenu des constatations énoncées ci-dessus au sujet des lacunes du leadership du bgén Beno, et compte tenu également de l'importance du contrôle et de la supervision dans la chaîne de commandement, nous arrivons à la conclusion que le bgén Beno a manqué à son devoir de commandant.

Dossier de la demande du demandeur, page 417.


[42]            La demande ici en cause a été présentée le 5 août 1997 sous la forme d'un avis de requête introductif d'instance. Lorsque les Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 sont entrées en vigueur, l'affaire s'est poursuivie par voie de demande de contrôle judiciaire. Conformément à une ordonnance rendue par la Cour le 3 septembre 1997, le dossier de la demande de contrôle judiciaire du demandeur dans le dossier T-408-97 fait partie du dossier déposé à l'appui de la demande ici en cause. Ce dossier renferme un affidavit établi par le demandeur le 10 mars 1997 ainsi que les pièces mentionnées dans cet affidavit, l'affidavit établi par Barbara McIsaac le 9 avril 1997 et les pièces qui y sont jointes. Les transcriptions du contre-interrogatoire de Me McIsaac faisaient également partie de ce dossier.

[43]            Comme il en a ci-dessus été fait mention, le juge Teitelbaum a rejeté cette demande le 17 juin 1997. Il a conclu, entre autres choses, que la Commission n'avait pas manqué à l'obligation d'équité qu'elle avait envers le demandeur, que la conduite de la Commission ne permettait pas au demandeur d'avoir une expectative légitime au sujet de l'obligation d'équité et que la Commission était libre de « relever les fautes constatées au cours de la période "antérieure au déploiement", indépendamment de ce qui a pu se passer "sur le théâtre" » .

Addy c. Canada, précité, page 820.

[44]            Le rapport des commissaires renfermait le témoignage présenté par le lieutenant-général Reay à l'encontre du demandeur, et ce, même si le demandeur n'avait pas eu la possibilité de contre-interroger le lieutenant-général Reay au sujet de son témoignage. Ce contre-interrogatoire devait être reporté à la phase relative à la période qui a suivi le déploiement. Or, par suite de l'abrégement de l'enquête et du refus de la Commission de permettre au demandeur de citer de nouveau ce témoin, le lieutenant-général Reay n'a jamais été contre-interrogé.

[45]            Le demandeur affirme qu'eu égard à ces circonstances, il s'est vu dénier le droit fondamental de se faire pleinement entendre au sujet des allégations dont il faisait l'objet.

ARGUMENTS DU DEMANDEUR

[46]          Le demandeur sollicite maintenant une mesure de redressement déclaratoire; il invoque la compétence que possède cette cour lorsqu'il s'agit d'infirmer une décision rendue par un office fédéral ou d'accorder un jugement déclaratoire conformément à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale.

[47]            Le demandeur fait une distinction entre une [TRADUCTION] « mesure de redressement déclaratoire » et le [TRADUCTION] « bref de prohibition » sollicité dans les demandes antérieures. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada), [1997] 3 R.C.S. 440 (l'arrêt Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada), aux pages 471 et 472, la Cour suprême du Canada a parlé du fait que les tribunaux hésitent à intervenir pour empêcher que des conclusions peut-être bien défavorables soient tirées.


[48]            Le demandeur affirme qu'étant donné que le rapport, qui renferme un certain nombre de conclusions préjudiciables au sujet de sa conduite, a été diffusé dans le public, les normes strictes énoncées dans l'arrêt Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada ne devraient plus être suivies et qu'une réparation devrait être accordée s'il est démontré que la Commission a manqué à son obligation d'équité conformément à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Pareille déclaration aurait une grande valeur pour le demandeur puisqu'elle indiquerait au grand public et aux collègues du demandeur qu'en tirant leurs conclusions, qui ont été publiées dans le rapport final, les commissaires ont violé les principes de justice naturelle et d'équité.

[49]            Le demandeur affirme que l'enquête ici en cause a été menée sous une forme judiciaire, notamment en ce qui concerne le pouvoir de citer des témoins et d'exiger la production de documents en vertu de l'article 5 de la Loi. Le demandeur a reçu un avertissement conformément à l'article 13 de la Loi, qui autorise la Commission à le discréditer dans son rapport final, mais il devait témoigner. Le demandeur affirme qu'eu égard aux circonstances, ce pouvoir de coercition entraîne l'application d'une norme stricte d'équité puisque des droits individuels sont en cause.

[50]            Le troisième argument invoqué par le demandeur est qu'étant donné qu'il n'a pas eu la possibilité de réfuter toutes les allégations contenues dans le préavis prévu à l'article 13, les conclusions de la Commission étaient uniquement fondées sur une image partielle ou déformée des événements.


[51]            Plus précisément, le demandeur soutient que la Commission a refusé de lui permettre de citer de nouveau des témoins même si elle lui avait expressément assuré qu'il aurait le droit de le faire. Il affirme qu'il s'est vu dénier ce droit pour le motif que les personnes en question avaient déjà témoigné devant la Commission et qu'il avait déjà eu la possibilité de les contre-interroger. Toutefois, pendant toute la durée de l'enquête, les commissaires avaient limité les questions posées aux témoins aux événements qui s'étaient produits au cours de la période pour laquelle ils témoignaient. Les commissaires ont expressément et implicitement entrepris de citer de nouveau ces témoins afin de permettre au demandeur de les interroger au sujet de leur participation à la préparation des documents et des rapports dans lesquels on tirait des conclusions qui, de l'avis du demandeur, étaient inexactes et trompeuses. À la suite de l'abrégement de l'enquête, les commissaires ont décidé de renoncer aux engagements qu'ils avaient pris et aux garanties qu'ils avaient fournies dans l'intérêt de l'équité.

[52]            En outre, le demandeur soutient que les commissaires ont restreint le droit qu'il avait de citer certains témoins en vue de répondre aux nouvelles allégations qui avaient été faites au cours de la deuxième phase.

[53]            Dans ses arguments, le demandeur soulève les questions ci-après énoncées :


1)          La Commission a-t-elle manqué à l'obligation relative à l'équité procédurale qu'elle avait envers lui en lui refusant la possibilité d'interroger et de contre-interroger les 48 témoins qu'il voulait citer?

2)          Le demandeur pouvait-il avoir une expectative légitime, lorsqu'il s'agissait de contre-interroger ses témoins au cours des deuxième et troisième phases de l'enquête?

3)          Le chapitre 32 du rapport était-il fondé sur des éléments de preuve crédibles?

[54]            Le demandeur affirme que la Commission lui a refusé la possibilité de citer de nouveau un certain nombre de témoins pour le motif qu'ils avaient déjà témoigné et qu'il avait alors eu la possibilité de contre-interroger ces témoins.


[55]            En outre, les commissaires ont restreint le droit du demandeur de citer certains témoins en vue de répondre aux précisions additionnelles qui avaient été ajoutées au préavis fondé sur l'article 13 au mois de janvier 1997, même si ces soi-disant « précisions » avaient été fournies près d'un an après la présentation de la preuve relative à la période antérieure au déploiement. Les commissaires ont donc non seulement omis de donner au demandeur la possibilité de se faire entendre au sujet de ces nouvelles allégations, mais ils ont aussi omis de lui donner la possibilité de réfuter ces allégations.

[56]            Deuxièmement, le demandeur affirme qu'il s'est vu refuser le droit fondamental de répondre à la preuve présentée contre lui par le lieutenant-général Reay, par suite du refus de la Commission de lui permettre de citer de nouveau ce témoin comme il l'avait demandé. Étant donné que les commissaires n'ont pas respecté l'engagement qu'ils avaient pris de citer de nouveau le lieutenant-général Reay, le demandeur s'est vu refuser la possibilité de contre-interroger ce témoin.

[57]            Le demandeur dit qu'au cours de la phase relative à la période antérieure au déploiement, le lieutenant-général Reay a témoigné au sujet du fait qu'il n'avait pas veillé à ce que l'unité soit prête sur le plan opérationnel. Étant donné que le lieutenant-général Reay a effectué son examen sur cette question au cours de la période qui a suivi le déploiement, il n'a pas parlé qu'en termes généraux des présumés manquements du demandeur dans le témoignage qu'il avait présenté au sujet de la période antérieure au déploiement, en disant qu'il serait davantage en mesure de répondre à cette question au cours de la phase relative à la période qui a suivi le déploiement. Or, le lieutenant-général Reay n'a pas été cité de nouveau et aucun élément de preuve n'a été recueilli au cours de la phase relative à la période qui a suivi le déploiement.

[58]            Le demandeur soutient que cette preuve indique une perspective révisionniste à laquelle on est arrivé après coup et que le lieutenant-général Reay exprimait un avis auquel il était arrivé au cours de la période qui avait suivi le déploiement, en 1994, au sujet d'événements qui s'étaient produits au cours de la période antérieure au déploiement. De plus, le demandeur affirme que les constatations figurant dans un rapport interne, soit le rapport deFaye, avaient influé sur cet avis et sur cette conclusion défavorables. L'auteur de ce rapport avait fait des constatations qui avaient amené le lieutenant-général Reay à prendre des mesures correctives, et notamment à réprimander le demandeur. Cette réprimande a par la suite été annulée par le chef d'état-major de la Défense.

[59]            Dans le rapport final, les commissaires ont cité directement le témoignage présenté de vive voix par le lieutenant-général Reay au cours de la phase relative à la période antérieure au déploiement, selon lequel le demandeur [TRADUCTION] « aurait dû en faire plus » pour s'assurer que les problèmes de discipline et de leadership au sein de l'unité soient réglés avant le déploiement.

[60]            Le demandeur n'a pas examiné cette preuve. Il est clair que les commissaires se sont fondés sur cette preuve non examinée en tirant leurs conclusions à l'encontre du demandeur. Le demandeur affirme que cela constitue une violation de l'obligation d'équité procédurale que les commissaires ont envers lui.

[61]            Enfin, le demandeur soutient que le refus de la Commission de citer certaines personnes pour témoigner au sujet des événements qui avaient eu lieu en Somalie était fondé sur la position selon laquelle la preuve n'avait aucun rapport avec les allégations figurant dans le préavis qui lui avait été signifié en vertu de l'article 13. Le demandeur affirme qu'étant donné qu'ils avaient refusé d'entendre ces personnes témoigner au sujet des événements qui s'étaient produits pendant les opérations sur le théâtre, les commissaires n'avaient à leur disposition qu'une image partielle ou déformée des événements sur lesquels étaient fondées les conclusions faisant état d'une faute qui avaient été tirées contre lui.

[62]            En outre, le demandeur affirme que plusieurs rapports qui faisaient partie du dossier de la Commission et sur lesquels les commissaires s'étaient fondés pour tirer les conclusions figurant dans leur rapport final ont été préparés au cours de la période qui a suivi le déploiement. Il dit que certains rapports, y compris le rapport deFaye, le rapport rétrospectif et les notes d'information préparées par le major-général Boyle, renferment un certain nombre de conclusions inexactes ou trompeuses.

[63]            Le demandeur soutient que ces rapports indiquent que le personnel militaire supérieur a tenté de détourner les critiques qui avaient été faites au sujet des événements qui s'étaient produits en Somalie sur le personnel travaillant au niveau opérationnel, y compris le demandeur.


[64]            Le demandeur affirme qu'étant donné qu'il s'est vu refuser la possibilité de contre-interroger les témoins qui avaient participé à la préparation de ces rapports ou de présenter une preuve en vue de contredire les conclusions figurant dans ces rapports, il s'est encore une fois vu refuser le droit fondamental de répondre pleinement aux allégations dont il faisait l'objet.

[65]            La dernière question soulevée par le demandeur se rapporte à la doctrine de l'expectative légitime.

[66]            Le demandeur affirme que la Commission n'a pas respecté son expectative légitime en renonçant à plusieurs promesses qu'elle lui avait faites au cours de l'enquête au sujet de la procédure qu'elle suivrait, et plus précisément en limitant les questions aux trois périodes précises définies par les commissaires au début des audiences publiques. Le demandeur s'est fondé sur les garanties selon lesquelles des personnes seraient citées pour témoigner au sujet des opérations sur le théâtre et de la période qui a suivi le déploiement de l'enquête et qu'il aurait dans l'avenir, en temps et lieu, la possibilité de contre-interroger les témoins au sujet de ces événements. L'avocat du demandeur a donc décidé de renoncer aux contre-interrogatoires sur ces points tant que les témoins en cause ne seraient pas cités.


ARGUMENTS DU DÉFENDEUR

[67]            Le défendeur soulève trois questions :

1)          Le demandeur peut-il alléguer que la Commission a manqué à l'obligation d'équité qu'elle avait envers lui compte tenu de sa propre conduite, lorsqu'il s'était retiré de l'audience?

2)          Eu égard aux circonstances dans leur ensemble, le rapport de la Commission est-il valide puisqu'il a été satisfait à l'obligation d'équité existant envers le demandeur?

3)          La doctrine de l'expectative légitime s'applique-t-elle en l'espèce étant donné que l'équité procédurale a déjà été respectée en ce qui concerne le demandeur?


[68]            Le défendeur soutient que le demandeur s'est volontairement retiré des procédures devant la Commission. Le demandeur était autorisé à déposer des observations écrites, à citer des témoins additionnels, même s'il n'y en avait pas quarante-huit, à déposer une preuve par affidavit et à présenter des observations orales au sujet des questions précises qui étaient soulevées dans le préavis qui lui avait été signifié en vertu de l'article 13. Or, il a décidé de ne pas se prévaloir de ces procédures.

[69]            Le défendeur affirme que si une chose est omise dans le dossier testimonial de la Commission concernant le demandeur, cela est en bonne partie attribuable au fait que le demandeur ne s'est pas prévalu de la possibilité de présenter une preuve et de soumettre des observations finales. À cet égard, le défendeur se fonde sur les remarques que la Cour d'appel fédérale a faites dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l'enquête sur l'approvisionnement en sang), [1997] 2 C.F. 36, (l'arrêt Krever) où la Cour a dit ce qui suit, aux pages 74 et 75 : « Si les appelants ont choisi de ne pas répondre, dans la seule attente d'une décision de la Cour qui leur serait favorable, ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes. »


[70]            Le défendeur soutient en outre que la Cour a le pouvoir discrétionnaire voulu pour accorder une réparation par voie de contrôle judiciaire et que les tribunaux ont fréquemment exercé leur pouvoir discrétionnaire pour refuser d'accorder une réparation fondée sur une prérogative lorsque, par suite de sa conduite, le demandeur n'avait pas droit à pareille réparation. Le défendeur affirme que le demandeur sollicite une réparation de la nature d'un bref de prérogative après avoir décidé de renoncer à son droit de participation. Dans ces conditions, il ne devrait pas être autorisé à alléguer qu'il s'est vu refuser une juste possibilité de se faire entendre devant la Commission. Le juge Teitelbaum a mis l'accent sur ce point dans les motifs qu'il a prononcés dans la décision Addy c. Canada, précitée, à la page 872.

[71]            Le défendeur aborde ensuite la question de savoir si les commissaires se sont acquittés de l'obligation d'équité qu'ils avaient envers le demandeur.

[72]            Le défendeur soutient que la Commission a principalement pour fonction de constater les faits. Dans l'arrêt Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada, la Cour suprême du Canada a confirmé qu'une commission d'enquête n'est pas constituée en vue de statuer sur un différend opposant des parties ou de déterminer les droits et obligations, mais plutôt en vue d'enquêter et de faire rapport au gouvernement qui l'a constituée. La Cour dit clairement qu'une commission d'enquête n'est ni un procès criminel ni un procès civil et que ses conclusions ne sont pas des conclusions relatives à la responsabilité criminelle ou civile. Le fait que des audiences publiques ont été tenues et que des préavis fondés sur l'article 13 ont été signifiés ne change rien au fait que le mandat de la Commission est de la nature d'une enquête.


[73]            La simple signification des préavis prévus à l'article 13 n'a pas eu pour effet de transformer la procédure d'enquête de la Commission en un différend entre des parties et n'exigeait pas la détermination de droits et d'obligations. Un préavis fondé sur l'article 13 ne peut pas être assimilé à une accusation formelle dans une procédure disciplinaire et celui qui a reçu le préavis prévu à l'article 13 n'est pas dans la même situation que l'accusé dans une poursuite engagée par suite de la perpétration d'une infraction criminelle.

[74]            Le défendeur affirme que la Commission est maître de sa procédure. Il dit que la Commission a non seulement conféré au demandeur les droits qui lui étaient reconnus, mais aussi qu'elle a fourni sur le plan de la procédure une protection bien supérieure à celle qu'elle était tenue de fournir en vertu de la loi. Le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas intervenir en ce qui concerne le choix des procédures que la Commission a adoptées, compte tenu du degré élevé de retenue dont il faut faire preuve à cet égard.

[75]            Le défendeur invoque encore une fois l'arrêt Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada de la Cour suprême du Canada et affirme que la Commission possédait un large pouvoir discrétionnaire lorsqu'il s'agissait de déterminer la façon dont l'enquête devait être menée. En plus des principes de common law, le mandat conférait à la Commission de larges pouvoirs lui permettant de contrôler et de diriger sa procédure, et notamment de décider de diviser l'audience en trois phases distinctes.


[76]            Le défendeur soutient que les droits procéduraux accordés au demandeur au cours de la phase testimoniale de l'enquête ont été conférés dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que possède la Commission à l'égard de sa procédure, y compris le pouvoir discrétionnaire de limiter le nombre de témoins que le demandeur citerait probablement.

[77]            Le troisième point que le défendeur a soulevé au sujet de la deuxième question est que l'équité procédurale est un principe souple dont le contenu doit être déterminé dans le contexte précis de chaque cas. À cet égard, le défendeur invoque l'arrêt Knight c. Indian Head School Division, No. 19, [1990] 1 R.C.S. 653, aux pages 682 à 684.

[78]            En l'espèce, les droits procéduraux des participants à l'enquête étaient assujettis aux articles 12 et 13 de la Loi. Dans l'arrêt Krever, la Cour d'appel fédérale a analysé les exigences de cette loi par rapport au principe d'équité et aux responsabilités d'une enquête publique envers les témoins ou d'autres personnes qui ont reçu un préavis fondé sur l'article 13. À la page 72, voici ce que la Cour a dit :

[...] Il est acquis que si un commissaire dispose de toute la latitude voulue, la procédure qu'il établit doit néanmoins respecter les règles d'équité procédurale, dont celles prévues aux articles 12 et 13 de la Loi.

[79]            Le défendeur soutient que, compte tenu de l'analyse effectuée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Krever, les obligations précises qui existent envers le demandeur étaient les suivantes :


1)          aucune conclusion défavorable ne sera tirée sans qu'un préavis suffisant soit donné au sujet du contenu et du temps;

2)          le demandeur doit avoir une bonne idée de la faute qui aurait pu lui être imputée;

3)          le demandeur doit avoir une possibilité adéquate de se faire entendre.

[80]            Le défendeur soutient que la Commission a correctement tenu compte de chacun de ces éléments. La Cour peut conclure que le demandeur a été avisé d'une façon suffisante à la lumière de divers facteurs, y compris le fait qu'il a reçu un préavis en vertu de l'article 13 avant le début des audiences et qu'il a pleinement eu le droit de participer en personne ou par l'entremise d'un avocat pendant toute la durée des audiences.


[81]            En outre, le demandeur a témoigné en détail devant la Commission et il a eu la possibilité de répondre aux questions de l'avocat de la Commission ainsi qu'aux questions d'autres personnes, y compris celles de son propre avocat. Le demandeur a obtenu des précisions supplémentaires au sujet des conclusions faisant état d'une faute qui pourraient être tirées au moyen d'une lettre de la Commission en date du 31 janvier 1997 et l'avocat de la Commission a répondu aux questions précises que l'avocat du demandeur lui posait dans la lettre du 11 février 1997. L'avocat du demandeur a participé à la réunion du 20 février 1997 qui portait sur la conduite de l'audience prévue à l'article 13.

[82]            Toutefois, le défendeur soutient que le demandeur n'a pas pris la mesure suivante, c'est-à-dire qu'il n'a pas présenté ses observations finales à la Commission au sujet des allégations qui étaient faites contre lui. C'est le demandeur qui a pris cette décision et il doit subir les conséquences en découlant.

[83]            Quant à la troisième question qu'il a soulevée au sujet de l'applicabilité de la doctrine de l'expectative légitime, le défendeur soutient que cette doctrine est limitée aux cas dans lesquels il n'existe par ailleurs aucune obligation procédurale. À cet égard, le défendeur invoque l'arrêt Association des résidents du Vieux Saint-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, page 1204.

[84]            Le défendeur soutient en outre que cette question a été examinée par le juge Teitelbaum, qui a conclu que la doctrine ne s'appliquait pas parce que l'article 13 de la Loi conférait au demandeur le droit de présenter des observations. Le défendeur soutient que le juge Teitelbaum s'est demandé si les commissaires avaient pris un engagement, implicite ou explicite, selon lequel le demandeur aurait le droit de contre-interroger plus à fond les témoins et qu'il a conclu que pareil engagement n'avait pas été pris.

[85]            Le défendeur soutient qu'eu égard à toutes ces circonstances, la Commission s'est acquittée de l'obligation d'équité procédurale qui lui incombait envers le demandeur.

[86]            En conclusion, le défendeur soutient d'une façon générale que toutes les questions qui ont été soulevées par le demandeur dans la présente demande ont été examinées par le juge Teitelbaum et que la décision de ce juge devrait être déterminante en ce qui concerne le règlement de la présente demande.

ANALYSE

[87]            Comme il en a ci-dessus été fait mention, le demandeur sollicite une déclaration conformément aux articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Cette demande est essentiellement fondée sur le fait que les commissaires ont tiré, au sujet de la crédibilité, des conclusions qui sont préjudiciables au demandeur sans disposer d'éléments de preuve dignes de foi. La preuve est défectueuse parce que les commissaires ont privé le demandeur de la possibilité de citer certains témoins qu'il jugeait nécessaires pour se prévaloir de la possibilité de se faire entendre. Le refus de la Commission de permettre au demandeur de citer de nouveau et de contre-interroger certains témoins a également porté atteinte au droit à l'équité procédurale dont bénéficiait le demandeur.

[88]            Le demandeur affirme que la perte de la possibilité d'interroger et de contre-interroger les témoins constituait un manquement direct à un engagement pris par les commissaires au début de l'enquête lorsque la façon de procéder a été établie. Les commissaires avaient initialement décidé d'entendre séparément les témoignages se rapportant aux trois périodes visées par l'enquête. La preuve devait être limitée à des périodes précises et l'interrogative prospectif de personnes qui pourraient être en mesure de témoigner au sujet d'événements ultérieurs n'était pas autorisé.

[89]            Le demandeur affirme qu'en procédant d'une autre façon, après que le gouvernement eut abrégé le délai dans lequel l'enquête devait être achevée et le rapport soumis, les commissaires ont violé l'obligation d'équité procédurale qu'ils avaient envers lui ainsi que leurs propres obligations, lorsqu'il s'agissait de tirer des conclusions qui étaient raisonnablement fondées sur la preuve.

[90]            Le demandeur conteste essentiellement la procédure adoptée par les commissaires. Cette contestation doit être appréciée par rapport au type d'audience en cause, c'est-à-dire par rapport à la commission d'enquête.


[91]            La commission d'enquête a été constituée par le gouvernement du Canada conformément à la Loi. La nature distinctive d'une commission d'enquête a été examinée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada, où Monsieur le juge Cory a dit ce qui suit, aux pages 137 et 138 :

Une commission d'enquête ne constitue ni un procès pénal, ni une action civile pour l'appréciation de la responsabilité. Elle ne peut établir ni la culpabilité criminelle, ni la responsabilité civile à l'égard de dommages. Il s'agit plutôt d'une enquête sur un point, un événement ou une série d'événements. Les conclusions tirées par un commissaire dans le cadre d'une enquête sont tout simplement des conclusions de fait et des opinions que le commissaire adopte à la fin de l'enquête. Elles n'ont aucun lien avec des critères judiciaires normaux. Elles tirent leur source et leur fondement d'une procédure qui n'est pas assujettie aux règles de preuve ou de procédure d'une cour de justice. Les conclusions d'un commissaire n'entraînent aucune conséquence légale. Elles ne sont pas exécutoires et elles ne lient pas les tribunaux appelés à examiner le même objet.

[92]            Dans l'arrêt Krever, à la page 72, Monsieur le juge Décary a fait les remarques suivantes au sujet des exigences de l'équité procédurale dans le contexte d'une commission d'enquête :

La Loi sur les enquêtes n'impose aucun code de procédure. [...] Il est acquis que si un commissaire dispose de toute la latitude voulue, la procédure qu'il établit doit néanmoins respecter les règles d'équité procédurale, dont celles prévues aux articles 12 et 13 de la Loi. Le concept d'équité procédurale est un concept fuyant, qui évolue au gré des types d'enquête et varie selon le mandat du commissaire et la nature des droits que l'enquête est susceptible d'affecter.

[93]            Les droits procéduraux conférés à la personne qui reçoit le préavis prévu à l'article 13 sont fondés sur les articles 12 et 13 de la Loi. Ces dispositions sont ainsi libellées :

12. Les commissaires peuvent autoriser la personne dont la conduite fait l'objet d'une enquête dans le cadre de la présente loi à se faire représenter par un avocat. Si, au cours de l'enquête, une accusation est portée contre cette personne, le recours à un avocat devient un droit pour celle-ci.

12. The commissioners may allow any person whose conduct is being investigated under this Act, and shall allow any person against whom any charge is made in the course of an investigation, to be represented by counsel.

13. La rédaction d'un rapport défavorable ne saurait intervenir sans qu'auparavant la personne incriminée ait été informée par un préavis suffisant de la faute qui lui est imputée et qu'elle ait eu la possibilité de se faire entendre en personne ou par le ministère d'un avocat.

13. No report shall be made against any person until reasonable notice has been given to the person of the charge of misconduct alleged against him and the person has been allowed full opportunity to be heard in person or by counsel.

[94]            Le demandeur a reçu le préavis prescrit par l'article 13 le 22 septembre 1995. Des précisions additionnelles relatives à ce préavis ont été données au mois de janvier 1997. Le demandeur savait depuis longtemps que ses actions, en ce qui concerne la mission en Somalie, pouvaient être examinées et critiquées. Il a témoigné au mois de janvier 1996; son témoignage se limitait à la période antérieure au déploiement. Conformément à la procédure adoptée par les commissaires au début de l'enquête, le témoignage du demandeur était limité à cette période et le demandeur n'était pas autorisé à témoigner au sujet de périodes ultérieures.

[95]            L'obligation d'équité procédurale découlant des articles 12 et 13 de la Loi a été examinée dans le contexte de l'enquête sur la Somalie dans la décision Boyle c. Canada [1997] A.C.F. 942, aux paragraphes 21 et 22, où Monsieur le juge Dubé a dit ce qui suit :

Ainsi, l'obligation d'équité à respecter au cours d'une enquête n'est pas aussi stricte que l'obligation qui s'applique dans le cas d'une audience devant une cour de justice.    Les droits procéduraux qu'une personne peut invoquer au cours d'une enquête sont énoncés aux articles 12 et 13 de la Loi sur les enquêtes.    Sur ce point, le juge Décary, de la Cour d'appel, s'est exprimé comme suit dans l'arrêt Krever susmentionné, à la page 263 :



L'article 13 exige un "préavis suffisant" ("reasonable" dans le texte anglais).    Il y a, dans les mots "suffisant" et "reasonable", un élément de contenu et un élément de temps.    La personne qui reçoit un préavis doit avoir une bonne idée de la faute qui lui est imputée et elle doit disposer de suffisamment de temps, avant le dépôt du rapport, pour préparer et présenter une réponse adéquate.

Le contenu du préavis pourra varier selon le moment auquel il est donné :    un préavis donné avant le début des audiences sera vraisemblablement moins détaillé que celui donné une fois les audiences complétées.

[96]            Il semble que l'étendue de l'obligation d'équité procédurale existant envers le demandeur, en sa qualité de personne ayant reçu un préavis fondé sur l'article 13, se rapportait à la « possibilité » de répondre aux allégations énoncées dans ce préavis, tel qu'il avait été précisé au mois de janvier 1997. Toutefois, la capacité du demandeur de présenter sa preuve était assujettie à la procédure adoptée par les commissaires. Cette question a été examinée dans la décision Addy, précitée, où le juge Teitelbaum a dit ce qui suit, aux pages 869 et 870 :

Un autre facteur qui incite à la prudence est le droit reconnu à la Commission d'être « maître de sa procédure » (Knight, précité, à la page 685). Dans la mesure où elle respectait les règles de l'équité, la Commission pouvait fixer comme elle l'entendait le calendrier des audiences et les critères de pertinence applicable aux choix des témoins. Le devoir d'équité et le droit d'être entendu ne donnent pas le droit-et cela vaut aussi pour le bgén Beno-d'appeler 48 témoins. Ainsi que la Commission le relève assez finement dans sa décision en date du 27 mars 1996 :

Globalement, le nombre total de demandes de témoignage visait environ cent quatre (104) personnes. (Il existait un certain chevauchement entre les demandes, de sorte que le nombre de personnes nommées était légèrement inférieur au nombre de demandes.) Ce nombre se rapproche de celui des témoins entendus par la Commission pendant toute la durée de ses travaux, soit cent vingt-six (126) personnes. Il était évident pour les commissaires qu'ils ne pourraient, sauf justification plus convaincante, accéder à un grand nombre de ces demandes. De plus, les commissaires avaient demandé que les parties et les personnes concernées justifient leur demande du point de vue de la nécessité d'assigner les éventuels témoins. Un grand nombre des demandes ne comportaient pratiquement aucune justification ou étaient motivées d'une façon insuffisante. Les demandes non justifiées ont été refusées.


[97]            Les faits sur lesquels le demandeur se fonde en soumettant ses arguments au sujet de la violation de l'équité procédurale ont été examinés et établis par le juge Teitelbaum dans la décision Addy, précitée. En particulier, je note que le juge Teitelbaum a conclu que les commissaires n'avaient pris aucun engagement, implicite ou autre, au sujet de la preuve que le demandeur pouvait présenter et de la façon dont il pouvait le faire. À cet égard, le juge Teitelbaum a examiné la preuve et il a conclu ce qui suit :

[...] En fait, la Commission ne s'est nullement engagée, explicitement ou implicitement, à éviter, en ce qui concerne le bgén Beno, toute conclusion défavorable en rapport avec les allégations contenues dans les préavis transmis au titre de l'article 13 avant d'avoir recueilli l'ensemble des témoignages dans le cadre des trois phases de l'enquête. L'assurance en question, si tant est que l'on puisse la considérer ainsi, était surtout pour dire que la crédibilité du bgén Beno serait évaluée au regard de l'ensemble de la preuve et non pas au vu de certaines questions précises qui lui avaient été posées à l'audience.

Addy, précité, page 827.

[98]            La question de la possibilité de se fonder sur la doctrine de l'expectative légitime a également été examinée et rejetée par le juge Teitelbaum dans la décision Addy, précitée, à la page 828. Il n'est ni nécessaire ni approprié pour la Cour de revenir sur ce point.

[99]            La seule différence entre les questions abordées dans la décision Addy, précitée, et la présente espèce est que, dans cette affaire-là, il était question d'une tentative visant à empêcher la continuation des procédures de la Commission, y compris la publication du rapport final, alors que la présente affaire vise l'annulation de la partie du rapport qui touche le demandeur.


[100]        Il s'agit ici de savoir quelle est la norme de contrôle qui s'applique une fois que le rapport final a été remis, en particulier lorsque le contrôle judiciaire est sollicité compte tenu de la présumée violation de l'équité procédurale.

[101]        Il est clair que l'équité procédurale à laquelle le demandeur a droit est le droit à une « possibilité » de répondre à toute allégation dont il fait l'objet. Toutefois, ce droit est assujetti au pouvoir que possèdent les commissaires lorsqu'il s'agit d'établir la façon dont ils procéderont.

[102]        En l'espèce, les commissaires ont adopté une méthodologie selon laquelle la preuve était divisée en différentes parties, se rapportant à chacune des périodes d'activité visées par l'enquête, c'est-à-dire la période antérieure au déploiement, les opérations sur le théâtre et la période qui a suivi le déploiement. Les commissaires ont modifié cette méthodologie à la suite de la décision que le gouvernement avait prise le 10 janvier 1997, selon laquelle l'enquête et les audiences devaient être achevées avant la fin du mois de mars 1997 et le rapport final devait être soumis au plus tard le 30 juin 1997.

[103]        Les commissaires ont modifié leur façon de procéder en réponse à la décision du gouvernement.


[104]        Le juge Teitelbaum a qualifié cette décision de « sans précédent » de la part du gouvernement, mais il reste que c'est la procédure des commissaires plutôt que la décision du gouvernement qui fait l'objet de la demande ici en cause. La décision du gouvernement ne peut pas être examinée si ce n'est par l'opinion publique.

[105]        Une commission d'enquête est un outil dont dispose le gouvernement pour la conduite d'une enquête sur une question d'importance publique. Le rôle d'une commission d'enquête a été examiné par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d'enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97, où le juge Cory a dit ce qui suit, à la page 137 :

Les commissions d'enquête existent depuis longtemps au Canada. Notre Cour a déjà souligné (Starr c. Houlden, précité, aux pp. 1410 et 1411) le rôle important qu'elles ont joué dans notre pays et les nombreuses fonctions qu'elles remplissent. En tant qu'organismes ad hoc, les commissions d'enquête sont libres d'un bon nombre des entraves institutionnelles qui limitent parfois l'action des diverses branches de gouvernement. Elles sont constituées pour répondre à un besoin, bien qu'il faille malheureusement admettre qu'elles doivent souvent leur existence à des tragédies comme un désastre industriel, des écrasements d'avions, des décès inexpliqués de jeunes enfants, des allégations d'exploitation sexuelle d'enfants largement répandue ou des erreurs judiciaires graves.

Au moins trois études d'importance sur le sujet ont mis en évidence l'utilité des enquêtes publiques et ont recommandé qu'elles soient maintenues: Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 17, Droit administratif: les commissions d'enquête (1977); Commission de réforme du droit de l'Ontario, Report on Public Inquiries (1992); Alberta Law Reform Institute, Report No. 62, Proposals for the Reform of the Public Inquiries Act (1992). D'après ces études, les commissions d'enquête présentent de nombreux avantages. Bien que ces avantages dépendent du contexte de la création de chaque commission et des pouvoirs qui lui sont conférés, il peut être utile de passer en revue certaines des fonctions les plus courantes de ces commissions.


L'une des principales fonctions des commissions d'enquête est d'établir les faits. Elles sont souvent formées pour découvrir la « vérité » , en réaction au choc, au sentiment d'horreur, à la désillusion ou au scepticisme ressentis par la population. Comme les cours de justice, elles sont indépendantes; mais au contraire de celles-ci, elles sont souvent dotées de vastes pouvoirs d'enquête. Dans l'accomplissement de leur mandat, les commissions d'enquête sont, idéalement, dépourvues d'esprit partisan et mieux à même que le Parlement ou les législatures d'étudier un problème dans la perspective du long terme. Les cyniques dénigrent les commissions d'enquête, parce qu'elles seraient un moyen utilisé par le gouvernement pour faire traîner les choses dans des situations qui commanderaient une prompte intervention. Pourtant, elles peuvent remplir, et remplissent de fait, une fonction importante dans la société canadienne. Dans les périodes d'interrogation, de grande tension et d'inquiétude dans la population, elles fournissent un moyen d'informer les Canadiens sur le contexte d'un problème préoccupant pour la collectivité et de prendre part aux recommandations conçues pour y apporter une solution. Le statut et le grand respect dont jouit le commissaire, ainsi que la transparence et la publicité des audiences, contribuent à rétablir la confiance du public non seulement dans l'institution ou la situation visées par l'enquête, mais aussi dans l'ensemble de l'appareil de l'État. Elles constituent un excellent moyen d'informer et d'éduquer les citoyens inquiets.

[106]        L'enquête ici en cause vise la tenue d'une enquête et la constatation de faits. Toutefois, en même temps, il est reconnu que la fonction de constatation des faits ne ressemble pas à celle que remplissent les tribunaux. La possibilité d'exercer des pouvoirs d'assignation ne transforme pas le processus en un procès et les règles concernant la présentation de la preuve qui caractérisent un procès ne s'appliquent pas dans ce contexte.


[107]        Les arrêts disent clairement que l'obligation qui existe envers une personne touchée par la conduite d'une enquête se rapporte à la possibilité de répondre aux allégations dont cette personne fait l'objet. Comme le juge Cory l'a fait remarquer dans l'arrêt Commission d'enquête sur le système d'approvisionnement en sang au Canada, à la page 471, l'équité procédurale doit être respectée parce que la réputation d'un témoin est en jeu : « Une bonne réputation représent[e] la valeur la plus prisée par la plupart des gens. »

[108]        Dans l'arrêt Morneault c. Canada (Procureur général), [2001] 1 C.F. 30 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale était saisie d'un litige relatif à la suffisance de la preuve sur laquelle les commissaires s'étaient fondés pour tirer des conclusions factuelles contre le lieutenant-colonel Morneault qui, comme le demandeur, avait reçu un préavis en vertu de l'article 13. Le lieutenant-colonel Morneault sollicitait une déclaration annulant une section du rapport final renfermant des conclusions qui lui étaient défavorables. La Section de première instance avait initialement accueilli la demande pour le motif que les commissaires ne disposaient pas de preuve à l'appui de leurs conclusions. Cette décision a été infirmée par la Cour d'appel fédérale, qui a examiné ces conclusions dans le contexte précis d'une commission d'enquête. Voici ce que la Cour a dit à la page 64 :

[...] La justice naturelle et l'équité procédurale sont habituellement associées à la qualité d'une audience qui aboutit à une décision ou à une ordonnance, mais la jurisprudence n'a pas ainsi limité la chose. Par ailleurs, la justice naturelle n'est pas respectée si les conclusions de l'office, y compris celles qu'une commission d'enquête tire, ne sont pas étayées par la preuve: Mahon v. Air New Zealand Ltd., [1984] 1 A.C. 808 (C.P.), lord Diplock, à la page 820 :


[TRADUCTION] Les règles de justice naturelle qui sont ici pertinentes peuvent, à notre avis, se résumer aux deux règles que la Cour d'appel d'Angleterre a mentionnées dans l'arrêt Reg. v. Deputy Industrial Injuries Commissioner, Ex parte Moore [1965] 1 Q.B. 456, 488, 490, qui portait sur l'exercice d'une compétence en matière d'enquête, même s'il s'agit d'une compétence différente de celle que le juge qui enquêtait sur le désastre du mont Erebus a assumée. Selon la première règle, la personne qui tire une conclusion dans l'exercice de pareille compétence doit fonder sa décision sur des éléments de preuve qui ont une valeur probante au sens où nous l'entendons ci-dessous. Selon la seconde règle, cette personne doit entendre d'une façon équitable toute preuve pertinente qui va à l'encontre de la conclusion et tout argument rationnel contraire à la conclusion qu'une personne représentée à l'enquête, dont les intérêts (notamment au point de vue de sa carrière ou de sa réputation) peuvent être en jeu, veut ou aurait voulu lui soumettre si elle avait su que cette conclusion serait peut-être tirée.

[109]        La Cour d'appel fédérale a ensuite examiné les conclusions tirées par les commissaires par rapport à la norme de la décision manifestement déraisonnable sur laquelle le juge des requêtes s'était fondé. Elle a mentionné l'arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, où la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit, aux pages 340 et 341 :

Dès qu'on décide qu'il y a lieu de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard d'une décision particulière d'un tribunal, celui-ci a le droit de se tromper, indépendamment du nombre de juges chargés de procéder à l'examen qui désapprouvent sa décision. L'erreur manifestement déraisonnable se définit plus aisément en fonction de ce qu'elle n'est pas plutôt que de ce qu'elle est. Notre Cour a dit qu'une conclusion ou une décision d'un tribunal n'est pas manifestement déraisonnable s'il existe des éléments de preuve susceptibles de la justifier, même si elle ne correspond pas à la conclusion qu'aurait tirée la cour chargée de procéder à l'examen [...] [Souligné dans l'original.]

[110]        Dans l'arrêt Morneault, précité, la Cour a conclu que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux conclusions d'une commission d'enquête est de savoir si ces conclusions sont étayées par certains éléments de preuve figurant au dossier testimonial. Monsieur le juge Stone, au nom de la Cour, a dit ce qui suit, à la page 66 :

[...] Dans l'arrêt Mahon, précité, à la page 814, lord Diplock a noté les différences qui existent entre une enquête et un litige civil ordinaire et, à la page 820, il a énoncé les deux règles de justice naturelle mentionnées dans le passage précité. Il a ensuite ajouté ce qui suit, à la page 821 :


[TRADUCTION] Les règles techniques de preuve applicables aux litiges civils ou criminels ne font pas partie des règles de justice naturelle. La première règle exige que la décision de tirer la conclusion en question soit fondée jusqu'à un certain point sur des éléments qui tendent logiquement à montrer l'existence de faits compatibles avec la conclusion et que le raisonnement qui est fait au sujet de la conclusion, s'il doit être divulgué, ne soit pas en bonne partie contradictoire en soi.

[111]        Dans l'arrêt Morneault, précité, la Cour d'appel fédérale a examiné le dossier dont disposaient les commissaires et elle a conclu que certains éléments de preuve étayaient les conclusions qu'ils avaient tirées. La Cour n'a pas examiné la suffisance ou la qualité de cette preuve. Elle a examiné la preuve dans le contexte des circonstances spéciales d'une commission d'enquête, et elle a conclu que certains éléments de preuve étayaient les conclusions de la Commission. Monsieur le juge Stone a dit ce qui suit, aux pages 66 et 67 :

L'examen du dossier de l'enquête que j'ai moi-même effectué me convainc que le dossier renferme des éléments de preuve suffisants à l'appui de chacune des conclusions que le juge des requêtes estimait non étayée, et ce, même si la preuve ne semble peut-être pas tout à fait cohérente car, en fin de compte, il incombait à la Commission, en tirant ses conclusions de fait, de soupeser et d'apprécier la preuve présentée par les divers témoins. Il va sans dire que, même dans les meilleures circonstances, il ne s'agit pas d'une tâche facile, certainement pas dans ce cas-ci, où le sentiment de frustration à l'égard de certains témoignages est manifeste à la lecture du rapport. Par conséquent, à mon avis, il n'incombe certes pas à la cour qui effectue l'examen de s'attribuer le rôle des commissaires en soupesant et en appréciant de nouveau la preuve qui est ici en cause.


[112]        De même, en l'espèce, les commissaires ont mentionné le témoignage présenté par le lieutenant-général Reay en arrivant à leur conclusion au sujet du demandeur. Les passages tirés du contre-interrogatoire présenté par ce témoin, le 15 janvier 1996, lesquels ont été déposés à l'audition de la demande ici en cause, démontrent que le lieutenant-général Reay a témoigné d'une façon rétrospective. Indépendamment de cette perspective, le dossier montre que les commissaires disposaient de certains éléments de preuve.

[113]        Il n'est pas contesté que le lieutenant-général Reay n'a pas été contre-interrogé par le demandeur. L'absence de possibilité de contre-interroger ce témoin et d'autres témoins était une question relevant de la procédure établie par la Commission. Le fait que certains éléments de preuve n'ont pas été examinés au moyen d'un contre-interrogatoire influe sur la valeur probante, ce qui est une question relevant clairement de la compétence des commissaires. Le choix de la procédure n'est pas assujetti au contrôle de la Cour, dans la mesure où l'équité procédurale a été respectée envers le demandeur.

[114]        En l'espèce, l'équité procédurale comprend les droits fondamentaux de comparaître et de témoigner ainsi que le droit de présenter des observations. Le demandeur a exercé le droit de comparaître et de témoigner qui lui était reconnu. Il a décidé de ne pas présenter d'observations finales, apparemment parce que les procédures adoptées par la Commission ne lui inspiraient plus confiance et le frustraient. Toutefois, la frustration compréhensible du demandeur ne change rien au fait qu'il avait le droit de présenter des observations finales et qu'il ne l'a pas fait.

[115]        En statuant sur cette demande, je suis obligée de suivre la Cour d'appel fédérale lorsqu'elle a statué sur la norme de contrôle se rapportant aux conclusions tirées par une commission d'enquête, eu égard aux exigences énoncées aux articles 12 et 13 de la Loi à l'égard de l'équité procédurale.

[116]        Les normes d'équité procédurale comprenaient le droit du demandeur de se faire représenter par un avocat, de recevoir un préavis suffisant de la faute qui lui était imputée et d'avoir la possibilité de se faire entendre. Tel est l'état actuel du droit; en l'espèce, il a été satisfait aux normes. Le pouvoir de modifier cette conception de l'équité procédurale, dans le contexte d'une commission d'enquête, appartient au législateur plutôt qu'aux tribunaux.

[117]        La demande est rejetée. Le défendeur a demandé les dépens à l'audition de la demande, mais dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je refuse de les adjuger.


ORDONNANCE

[118]        La demande est rejetée; aucune ordonnance n'est rendue au sujet des dépens.

« E. Heneghan »

Juge

OTTAWA (ONTARIO),

le 7 février 2002.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      T-1671-97                                           

INTITULÉ :                                                                     LE BRIGADIER GÉNÉRAL ERNEST B. BENO

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 5 décembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                   Madame le juge Heneghan

DATE DES MOTIFS :                                                  le 7 février 2002

COMPARUTIONS :

M. J. Bruce Carr-Harris                                                   POUR LE DEMANDEUR

M. Kirk Boyd                                                                 

M. James D. Bissell                                                           POUR LE DÉFENDEUR

Mme Catherine Moore

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais LLP                                             POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                                 

Ottawa (Ontario)

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