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Date : 19981110


T-85-97

E n t r e :

     SIERRA CLUB DU CANADA, organisme national voué à la protection

     et à la restauration de l'environnement et organisme à but

     non lucratif dûment constitué par lettres patentes le

     27 avril 1992 sous le régime de la Loi sur la corporation

     commerciale canadienne et dont le siège social est situé au

     1, rue Nicholas, bureau 412, à Ottawa (Ontario) K1N 7B7,

     demanderesse,

     - et -

     MINISTRE DES FINANCES DU CANADA,

     dont le bureau principal est situé à la Chambre des communes,

     pièce 515-S, édifice du Centre, Ottawa (Ontario) K1A 0A6,

     - et -

     MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DU CANADA,

     dont le bureau principal est situé à la Chambre des communes,

     pièce 418-N, édifice du Centre, Ottawa (Ontario) K1A 0A6,

     - et -

     MINISTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL DU CANADA,

     dont le bureau principal est situé à la Chambre des communes,

     pièce 365, édifice de l'Ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0A6,

     - et -

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     ayant son bureau principal au 239 de la rue Wellington,

     à Ottawa (Ontario) K1A 0H8 et un bureau à Montréal, au

     Complexe Guy-Favreau, 200, boul. René-Levesque Ouest,

     Tour Est, 9e étage, Montréal (Québec) H2Z 1X4,

     défendeurs,

     - et -

     ÉNERGIE ATOMIQUE DU CANADA LIMITÉE,

     intervenante.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

[1]      Les présentes requêtes, celles de la demanderesse, Sierra Club du Canada (" Sierra Club "), et de l'intervenante, Énergie atomique du Canada Limitée (" ÉACL "), la première pour contraindre M. John Mundy à comparaître de nouveau, à ses propres frais, pour être contre-interrogé de nouveau au sujet de son affidavit, et la seconde en vue de radier divers affidavits, font suite à la vente de deux réacteurs nucléaires CANDU à la Chine, vente qui a été financée par l'intermédiaire d'une direction générale du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Malheureusement, les présents motifs sont tardifs. Je vais examiner chaque requête à tour de rôle, en exposant d'abord certains faits pertinents invoqués au soutien de la requête du Sierra Club.

FAITS INVOQUÉS AU SOUTIEN DE LA REQUÊTE DU SIERRA CLUB

[2]      Dans la demande qu'il a déposée le 20 janvier 1997, le Sierra Club reproche notamment à des ministres du gouvernement fédéral d'avoir manqué à leurs devoirs en ne prenant pas les mesures nécessaires pour qu'une évaluation environnementale ait lieu en conformité avec la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (la Loi), relativement à la construction, en Chine, de deux réacteurs CANDU. Le Sierra Club soutient que cette évaluation environnementale est nécessaire en raison du fait que le projet est financé par les deniers publics qui se trouvent dans le Trésor.

[3]      En mai 1998, ÉACL a été jointe à l'instance à titre d'intervenante, avec tous les droits d'une partie, à cette réserve près qu'elle n'était pas autorisée à poser les mêmes questions que celles posées lors du contre-interrogatoire ou par les défendeurs. Elle a toutefois été autorisée à compléter ces questions.

[4]      Le Sierra Club a d'abord interrogé M. Mundy au sujet de son affidavit le 15 juin 1998. Il demande maintenant de le contre-interroger de nouveau. M. John Mundy était directeur de la Direction du financement des exportations du Secteur du commerce international et des communications au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI). Il était notamment chargé d'assurer la liaison entre la Société pour l'expansion des exportations et le MAECI. Dans son affidavit, M. Mundy explique certains des aspects du rôle que le MAECI et le ministre du Commerce international ont joué dans la vente des réacteurs par ÉACL. Il y aborde également le rôle que la Société pour l'expansion des exportations a joué dans le financement des réacteurs CANDU, à la hauteur de 1,5 milliards de dollars, par le biais d'un compte de la Société pour l'expansion des exportations appelé " compte Canada ". Bien que l'affidavit ne soit pas très long, il renferme une mine de renseignements et montre que M. Mundy était au courant de beaucoup de faits. Il ressort de la transcription du premier contre-interrogatoire que M. Mundy possédait un trésor de connaissances.

[5]      À la page 29 de la transcription du contre-interrogatoire, il est indiqué que l'avocat du Sierra Club a soumis à M. Mundy un rapport publié en juin 1992 par la Direction des services financiers et des services aux entreprises du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international du Canada, rapport qui portait sur le compte Canada. L'avocat d'ÉACL s'est opposé au dépôt de ce document et a donné pour instructions à M. Mundy de ne pas répondre aux questions posées au sujet de ce rapport. Il a invoqué plusieurs motifs pour justifier son opposition. Il a d'abord affirmé que l'interrogatoire en question n'était pas un interrogatoire préalable, mais bien un contre-interrogatoire portant sur un affidavit. En second lieu, l'avocat d'ÉACL s'est opposé à ce que M. Mundy soit contre-interrogé au sujet d'un document qui avait été rédigé à une époque où il ne travaillait pas à la direction en question. L'avocat du Sierra Club a justifié la soumission du document à M. Mundy en invoquant sa pertinence directe et en faisant valoir à la fois que le Sierra Club a le droit d'invoquer devant M. Mundy, dans le cadre de son contre-interrogatoire, des documents qui se rapportent directement à son témoignage, et que, lors du contre-interrogatoire, l'avocat a le droit d'utiliser tout document ou pièce que le témoin est prêt à authentifier. Ce document a, en temps utile, été identifié comme étant l'annexe A.

[6]      Lors du débat qui est transcrit à la page 76 de la transcription, l'avocat du Sierra Club a tenté d'interroger M. Mundy au sujet de l'ordre du jour intitulé [TRADUCTION] " Vente de réacteurs CANDU à la Chine " qui avait été établi en vue de la réunion du 20 janvier 1994. M. Mundy faisait partie des personnes à qui cet ordre du jour a été remis. L'avocat du Sierra Club a essayé d'utiliser le document dans ce qu'il a lui-même appelé

     [TRADUCTION]         
     [...] un examen relativement détaillé de l'importance du rôle joué par les fonctionnaires du Ministère et l'examen et le contrôle de la vente et du financement de la vente du réacteur CANDU.         

L'avocat d'ÉACL s'est opposé à cet examen en faisant d'abord valoir que, comme il s'agissait d'un document obtenu par le Sierra Club, ce document devait se trouver dans un affidavit du Sierra Club. Il s'est ensuite opposé en invoquant le manque de pertinence. En troisième lieu, il a soutenu qu'il s'agissait d'un document confidentiel du Cabinet. La seule véritable objection ici est celle de la pertinence. En tout état de cause, l'avocat d'ÉACL a refusé de laisser M. Mundy répondre aux questions portant sur le document, lequel a ensuite été coté B, aux fins d'identification.

[7]      À la lecture de la page 79 de la transcription, on apprend que l'avocat du Sierra Club a tenté de déposer une lettre datée du 24 janvier 1995 qui portait sur le financement canadien du projet CANDU Quinshan. L'avocat d'ÉACL s'est opposé à la production du document en invoquant son manque de pertinence. Ce document a alors été coté C aux fins d'identification.

[8]      Aux pages 82 et 83 de la transcription, il est précisé que les avocats du Serra Club et d'ÉACL ont convenu de coter cinq autres documents de C à G, aux fins d'identification, parce que toutes les annexes, de A à G, feraient l'objet d'une requête portant sur leur pertinence. Les autres annexes sont les suivantes :

     D.      Lettre du 17 janvier 1995 écrite par M. Chang, d'ÉACL, à M. Mundy;         
     E.      Télécopie en date du 29 février 1996 adressée par M. Mundy à M. Godden, d'ÉACL;         
     F.      Note de service du 28 septembre 1995 adressée par M. Martel, d'Industrie Canada, à divers destinataires, dont M. Mundy, au sujet du financement des ventes à l'exportation des réacteurs CANDU;         
     G      Télécopie en date du 3 juillet 1996 adressée par M. Mundy à M. Smith de la Division des finances internationales.         

Ce qui nous amène à la présente requête visant à contraindre M. Mundy a comparaître de nouveau pour être contre-interrogé de nouveau à ses frais au sujet des annexes A à G.

EXAMEN DE LA REQUÊTE DU SIERRA CLUB

[9]      Les règles de droit relatives à la portée des contre-interrogatoires portant sur les affidavits sont bien établies. J'en signale quelques aspects pertinents. Pour commencer, rappelons que le contre-interrogatoire ne se limite pas à l'affidavit mais qu'il peut porter sur toute question permettant de trancher la question au sujet de laquelle l'affidavit a été produit (Weight Watchers International Inc. c. Weight Watchers of Ontario Ltd. (No. 2), (1972), 6 C.P.R. (2d) 169, aux pages 171 et 172, une décision du juge Heald, maintenant juge à la Cour d'appel). Le déposant qui est contre-interrogé a le devoir de s'informer au sujet des questions qu'il connaît ou qu'il a les moyens de connaître (Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc., (1996), 67 C.P.R. (3d) 147, aux pages 148 et 149).

[10]      Aux termes des Règles de la Cour fédérale qui étaient en vigueur avant avril 1998, il était clair que le contre-interrogatoire mené au sujet d'affidavit ne devait pas avoir une portée aussi large que l'interrogatoire préalable (voir, par exemple, le jugement Bally-Midway Manufacturing Co. c. M.J.Z. Electronics Ltd., (1984), 75 C.P.R. (2d) 160, à la page 161 :

     À mon avis, le contre-interrogatoire relatif à un affidavit déposé à l'appui d'une requête en injonction interlocutoire ne doit pas avoir la même vaste portée qu'un interrogatoire préalable. Dans ce dernier cas, le témoin est tenu de se renseigner sur toutes les questions soulevées dans les actes de procédure, d'y fournir des réponses et de produire des documents concernant ces questions. Quant au contre-interrogatoire sur un affidavit, il doit se limiter aux questions intéressant l'injonction interlocutoire ou à l'ensemble des allégations faites dans l'affidavit ou aux deux. En d'autres termes, le souscripteur est obligé de répondre aux questions et de produire des documents se rapportant à tout ce qui touche la requête interlocutoire et de répondre aussi aux questions concernant toutes les autres déclarations qu'il a pu, de sa propre initiative, faire dans son affidavit. Celui qui mène le contre-interrogatoire ne saurait se servir de l'affidavit comme moyen d'obtenir tous les renseignements et tous les documents qui pourront être utiles à l'instruction.         

À mon sens, les nouvelles Règles de la Cour fédérale n'ont pas élargi la portée du contre-interrogatoire sur un affidavit.

[11]      Pour appliquer ces concepts, à savoir que le souscripteur de l'affidavit est tenu de répondre aux questions se rapportant à toutes les questions, tant celles qui sont directement abordées dans l'affidavit que celles qui permettent de trancher le point litigieux à l'égard duquel l'affidavit a été déposé, sans toutefois être régi par les mêmes règles que celles qui s'appliquent dans le cas d'un interrogatoire préalable, il y a un principe fondamental dont je dois me souvenir au sujet des conditions de réception des éléments de preuve. Suivant ce principe, s'ils sont pertinents, les éléments de preuve devraient être admis, à moins qu'une règle particulière d'exclusion ne s'applique. En l'espèce, le juge des requêtes et le protonotaire disposent d'un certain pouvoir discrétionnaire qui leur permet de rejeter des éléments de preuve, mais ce pouvoir discrétionnaire devrait être exercé avec prudence, car souvent on ne peut en arriver à une décision éclairée qu'après avoir analysé à fond toutes les règles de droit pertinentes et tous les faits. Dans bien des cas, il vaut mieux laisser le soin au juge du procès de s'acquitter de cette tâche. Le juge Gibson a examiné ce concept, dans le contexte, il est vrai, du ouï-dire, de la fiabilité et de la nécessité, dans le jugement Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc., (1998), 75 C.P.R. (3d) 312, à la page 315 :

     [TRADUCTION]         
     Je suis convaincu qu'on n'a pas tort de laisser au " juge du fond " le soin de trancher les questions de la fiabilité et de la nécessité des éléments de preuve que l'on veut présenter sur le fondement de renseignements tenus pour véridiques. En l'espèce, ce juge sera celui qui entendra l'avis de requête introductif d'instance et qui, s'il conclut que les éléments de preuve sont fiables et nécessaires, est bien placé pour décider également de la valeur qu'il convient d'attribuer aux éléments de preuve en question une fois qu'ils sont admis.         

On doit évidemment tenir compte de l'équilibre à viser entre, d'une part, tout retard excessif découlant de la multiplication des documents et de la longueur du contre-interrogatoire sur les affidavits et des documents et, d'autre part, l'intérêt, pour le juge qui entendra la demande au fond, de disposer de tous les éléments qui sont pertinents et importants pour lui permettre de prendre une décision éclairée, ainsi qu'on le laisse entendre dans l'arrêt Ethicon Inc. v. Cyanamid of Canada Ltd., (1978), 35 C.P.R. (2d) 126, aux pages 132 et 133 :

     [TRADUCTION]         
     Le tribunal doit trouver le juste milieu entre, d'une part, l'opportunité d'entendre de façon sommaire une procédure de ce genre sans prolonger ou retarder indûment l'instance en permettant la multiplication des affidavits, la tenue d'un long contre-interrogatoire sur chacun d'entre eux et la production d'une masse de documents, et, d'autre part, l'opportunité de s'assurer que le juge appelé à entendre l'affaire au fond dispose de tous les éléments d'information qui sont pertinents et importants pour lui permettre de prendre une décision éclairée. La résolution du problème est peut-être quelque peu théorique dans le cas qui nous occupe, étant donné que la requérante demande, dans ce qui constitue en réalité un moyen subsidiaire, qu'un des administrateurs de l'intimée soit contraint de subir un interrogatoire préalable et que l'intimée soit forcée de produire certains documents en conformité avec les Règles de la Cour. Je suis d'avis que, malgré le principe du débat contradictoire, les Règles de la Cour ne devraient jamais, lorsque la Cour est investie d'un pouvoir discrétionnaire en ce qui a tait à leur application, être appliquées de façon à empêcher la Cour d'avoir accès à tous les renseignements pertinents et importants qui lui permettent d'en arriver à une décision juste. (Non souligné dans l'original.)         

Suivant cette dernière mise en garde, que j'ai soulignée, je ne dois pas, dans le cas d'une requête procédurale, priver le juge du fond des faits pertinents dont il a besoin pour tirer une conclusion sur le fond de l'affaire.

[12]      L'avocat du Sierra Club affirme que la question de preuve qui est au coeur même de la présente instance est celle de la nature, de la portée et de la raison d'être du rôle que les ministres défendeurs et les fonctionnaires de leurs ministères ont joué en ce qui concerne le financement de la vente des réacteurs CANDU. Cette question fait sans nul doute partie des questions essentielles ainsi qu'en fait foi l'affidavit de M. Mundy. L'avocat du Sierra Club affirme que cet élément de preuve a été soigneusement conçu de manière à donner l'impression que la Société pour l'expansion des exportations était à l'abri de toute influence ou de tout conseil émanant d'un organisme gouvernemental ou d'un fonctionnaire. Je cite ici un passage des observations écrites formulées par le Sierra Club au sujet de la question de la mesure dans laquelle l'aide financière consentie pour soutenir la vente des réacteurs CANDU provenait du gouvernement fédéral, plutôt que de la Société pour l'expansion des exportations :

     [TRADUCTION]         
     23.      L'exactitude du portrait dépeint par M. Mundy dans son affidavit est une question importante, étant donné que le présent débat tourne en partie autour de la question de la mesure dans laquelle l'aide financière consentie pour soutenir la vente des réacteurs CANDU provenait du gouvernement fédéral plutôt que de la Société pour l'expansion des exportations. Le Sierra Club a par conséquent le droit de mettre le témoignage de M. Mundy à l'épreuve à cet égard.         

Certes, quelques-uns des documents en question, les annexes B à G, sont pertinents à cette question. Ce sont des documents qui ont été rédigés ou reçus par M. Mundy. Je me reporte ici au paragraphe 91(2) des Règles, qui précise que, lors de son contre-interrogatoire, le souscripteur de l'affidavit doit apporter avec lui tous les documents qui sont pertinents à la demande ou à la requête. Cette disposition est reprise au paragraphe 94(1), sous réserve de la dispense que la Cour peut, sur requête en ce sens, accorder en vertu du paragraphe 94(2). Là encore, je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'un interrogatoire préalable, mais que l'interrogatoire en cause a une large portée dans le contexte de la demande ou de la requête.

[13]      L'avocat d'ÉACL soutient que les documents au sujet desquels on veut contre-interroger M. Mundy devraient être mentionnés, sinon dans l'affidavit de M. Mundy, du moins dans les affidavits déposés par le Sierra Club. L'avocat fait remarquer qu'on éviterait ainsi de prendre le témoin au dépourvu. Mais je ne crois pas qu'il existe une règle d'exclusion qui empêche de présenter un document apparemment pertinent à un témoin pour vérifier si le témoin connaît le document ou le reconnaît. Si la réponse est affirmative, le contre-interrogatoire devrait avoir lieu et, de cette façon, les documents devraient, sous réserve du pouvoir discrétionnaire définitif du juge du fond, être déposés en preuve au dossier. On trouve un écho de ce concept dans le cas du contre-interrogatoire d'un expert au sujet de son affidavit. C'était la situation en cause dans l'affaire Schering Canada Inc. c. Apotex Inc., (1998), 80 C.P.R. (3d) 429, à la page 434. Dans ce jugement, le juge Gibson a cité l'arrêt R. c. Marquard, [1993] 4 R.C.S. 223, à la page 251, au sujet de la procédure à suivre pour soumettre des documents au souscripteur d'un affidavit, dans le cadre d'un contre-interrogatoire, pour qu'ils soient versés en preuve :

         Lorsqu'on interroge un témoin expert sur d'autres opinions d'expert exprimées dans des études ou des livres, la procédure à suivre est de demander au témoin s'il connaît l'ouvrage. Dans la négative, ou si le témoin nie l'autorité de l'ouvrage, l'affaire en reste là. Les avocats ne peuvent lire des extraits de l'ouvrage puisque ce serait les introduire en preuve. Dans l'affirmative, et si le témoin reconnaît l'autorité de l'ouvrage, alors il le confirme par son propre témoignage. Des extraits peuvent être lus au témoin, et dans la mesure où ils sont confirmés, ils deviennent une preuve dans l'affaire.         

[14]      Jusqu'à maintenant, j'ai examiné la question de la pertinence et j'ai rejeté l'argument que les annexes B à G ne sont pas pertinentes. J'ai effleuré la question de la procédure et j'ai approuvé la façon de procéder adoptée par l'avocat du Sierra Club, celle de présenter les documents à M. Mundy, un témoin qui semble être en mesure de les authentifier en raison du fait qu'il les a rédigés ou reçus lui-même. M. Mundy ne saurait certainement prétendre qu'il est pris au dépourvu.

[15]      L'avocat d'ÉACL a soulevé une autre objection, qui ne figure pas dans la transcription du contre-interrogatoire, mais qu'il a débattue lorsqu'il s'est opposé à la requête. Il affirme que permettre le dépôt de ces documents à ce moment-ci constituerait un abus de procédure, car ce sont des documents qui font partie des catégories ou types de documents généraux dont le juge Rouleau a refusé la production en vertu de l'article 1612 des Règles dans l'ordonnance et les motifs qu'il a prononcés le 23 mai 1997. Dans les motifs en question, le juge Rouleau a écrit qu'il estimait que les documents entrant dans les catégories que le Sierra Club désirait produire, en vertu de l'article 1612 des Règles alors en vigueur, en tant que documents se trouvant en la possession d'un office fédéral, n'étaient pas pertinents, étant donné qu'ils étaient désignés en des termes trop généraux. Pourtant, on peut établir une distinction entre la présente espèce et la situation soumise au juge Rouleau en ce qui concerne les présents documents. À la page quatre de ses motifs, le juge Rouleau critique le libellé trop large de la demande de documents et note que les documents en question comprennent ceux qui se rapportent [TRADUCTION] " [...] à des questions générales de ventes à l'exportation et de financement ou de prise de décisions environnementales ou financières, et non uniquement à la vente et au financement des deux réacteurs CANDU en question ". Le juge Rouleau a conclu en laissant au Sierra Club 30 jours pour soumettre une demande révisée de production de documents qui serait conforme à ses motifs et aux Règles de la Cour. Il semblerait que le Sierra Club se soit conformé à ces directives et qu'il ait soumis une demande révisée de production de documents, mais qu'après avoir essuyé un refus de la part de l'avocat de la partie adverse, il ait obtenu les documents en vertu de la Loi sur l'accès à l'information . Les sept documents qui sont en litige en l'espèce ont d'ailleurs été obtenus de cette façon.

[16]      J'ai examiné chacun des sept documents pour déterminer s'ils pourraient faire partie du type de documents que le juge Rouleau a jugés non pertinents. Les annexes B à G sont de toute évidence pertinents dans le contexte de la vente et du financement des deux réacteurs CANDU en question. Le document A, un rapport d'étude sur le compte Canada, me donne du fil à retordre. Il s'agit d'une étude générale publiée en juin 1992 qui couvre les exercices 1988-1989 et 1989-1990, quelque cinq ans avant que les négociations concernant la vente des réacteurs ne soient entamées. Je ne vois pas en quoi ce document pourrait être pertinent, car il ne se rapporte ni directement ni indirectement à la vente ou au financement des deux réacteurs CANDU ou à l'étude environnementale qui, selon le Sierra Club, aurait dû être entreprise. C'est un aspect qui troublait le juge Rouleau lorsqu'il a examiné de façon générale les documents réclamés par le Sierra Club. L'étude relative au compte Canada ne se rapporte pas non plus aux questions énoncées dans l'affidavit de M. Mundy. Le document ne permet pas d'évaluer la crédibilité de M. Mundy comme témoin. Il n'est pas nécessaire que M. Mundy réponde à d'autres questions au sujet du rapport d'étude sur le compte Canada.

[17]      Ainsi que je l'ai déjà précisé, le reste des documents, à savoir les annexes B à G, peuvent être utilisés pour contre-interroger M. Mundy. Les documents sont pertinents à la résolution des questions en litige, tant en ce qui concerne celles à l'égard desquelles l'affidavit de M. Mundy a été déposé qu'en ce qui concerne les moyens invoqués dans la demande de contrôle judiciaire. Vu la nature des documents, le contre-interrogatoire qui sera mené à leur égard ne retardera pas indûment la présente instance. Il se peut fort bien que le juge qui entendra la demande de contrôle judiciaire ait besoin de ces documents pour pouvoir disposer de tous les éléments d'information dont il a besoin pour rendre une décision juste. Mon opinion ne concerne évidemment pas la valeur des documents, mais uniquement le fait que l'on devrait admettre les annexes B à G à cette étape-ci de l'instance.

[18]      M. Mundy doit comparaître de nouveau en vue d'être contre-interrogé au sujet des annexes B à G. M. Mundy devra assumer ses propres frais de déplacement, de nourriture et de logement. Toutefois, les dépens taxables supplémentaires de ce nouveau contre-interrogatoire suivront l'issue de la cause.

REQUÊTE D'ÉACL

[19]      Par sa requête, ÉACL demande la radiation des affidavits de Elizabeth May, Jennifer Barnes et Kenneth Rubin, ou, à titre subsidiaire, de certaines parties des affidavits en question qui renfermeraient des éléments qui ne sont pas pertinents ou qui constituent des avis, des arguments, des conclusions juridiques ou du ouï-dire. En outre, les affidavits souscrit par Mme Barnes et par M. Rubin seraient irréguliers en ce qu'ils renfermeraient des éléments qui ont été jugés non pertinents par le juge Rouleau et qu'ils constitueraient par conséquent un abus de procédure.

[20]      Il s'est avéré fort utile qu'au cours de l'audience, les avocats réussissent à s'entendre sur divers des paragraphes de l'affidavit souscrit par Mme Elizabeth May.

EXAMEN DE LA REQUÊTE D'ÉACL

[21]      L'avocat d'ÉACL soutient qu'aux termes des anciennes Règles de la Cour fédérale [TRADUCTION] " [...] la Cour radiait systématiquement, dans le cadre d'une requête préliminaire, les affidavits ou les parties d'affidavits qui renfermaient des éléments irréguliers ". Bien qu'il existe de nombreuses décisions dans lesquelles des affidavits ont effectivement été radiés, y compris celles qu'a citées l'avocat d'ÉACL, les règles de droit relatives à la radiation d'affidavits sont bien établies : en règle générale, le pouvoir discrétionnaire de radier des affidavits ou des parties d'affidavits, doit être exercé avec parcimonie.

[22]      Pour assurer l'efficacité des instances en contrôle judiciaire et, à vrai dire, de toute instance, on ne devrait pas, dans la plupart des cas, permettre aux parties de radier réciproquement leurs affidavits respectifs. Cette règle générale comporte des exceptions bien précises : si un affidavit est abusif ou manifestement dépourvu de pertinence, ou si une partie a obtenu la permission d'admettre un élément de preuve qui s'avère de toute évidence inadmissible, ou encore si la Cour est convaincue que l'admissibilité devrait être examinée sans délai de manière à ce que l'éventuelle audience puisse se dérouler dans l'ordre, l'affidavit, ou des parties de l'affidavit, peuvent être radiés. À l'appui de cette proposition, je cite deux décisions, le jugement Home Juice Co. v. Orange Maison Ltée. [1968], 1 R.C. de l'Éch. 163, à la page 166, et le jugement Unitel Communications Co. et al. c. MCI Communications Corp. et al., (1997), 119 F.T.R. 142, une décision du juge Richard. Dans cette dernière décision, le juge Richard a fait observer que le juge du procès est mieux placé pour évaluer le poids et l'admissibilité des affidavits (aux pages 143 et 145). Évidemment, les pures conjectures, la spéculation et les opinions juridiques, qui n'ont aucune valeur qui rachète leurs défauts, n'ont pas leur place dans un affidavit et devraient être radiées dès le départ de manière à permettre à l'audition de la demande de se dérouler dans l'ordre.

[23]      Quant à la radiation d'une partie d'affidavit, cette mesure convient s'il est possible de dissocier les parties admissibles de l'affidavit de ces parties inadmissibles (voir, par exemple, l'arrêt Food Corp Ltd. c. Hardee Food Systems Inc. (1982), 61 C.P.R. (2d) 37, à la page 40 (C.A.F.).

[24]      De larges extraits des trois affidavits contestés sont du ouï-dire, ce qui ne constitue pas un facteur d'exclusion en soi, pourvu que certains critères soient respectés, selon le courant de pensée actuel. L'avocat d'ÉACL soutient toutefois que, comme le paragraphe 81(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) exige maintenant que les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s'ils sont présentés à l'appui d'une requête, diverses parties des présents affidavits devraient être radiées. À l'appui de cette proposition, l'avocat cite le jugement Haney Ranching Ltd. et al. c. Canada (ministre de l'Agriculture), (1995), 106 F.T.R. 81, à la page 88. Dans cette affaire, le débat tournait autour de la fiabilité de la preuve par ouï-dire lorsque le contre-interrogatoire du déclarant serait inutile. Dans le même ordre d'idées, l'avocat cite le jugement Cantwell c. Ministre de l'Environnent, jugement non publié rendu le 30 novembre 1990 sur une question de ouï-dire dans l'action T-2975-90. Le caractère de ouï-dire que comportait l'affidavit a joué un rôle déterminant dans la décision Cantwell, notamment les coupures de journaux qui avaient été déposées en preuve. Or, dans cette décision, qui a été rendue vers la même époque que l'arrêt R. c. Khan, [1990], 2 R.C.S. 531, de la Cour suprême du Canada, la Cour ne mentionne pas l'arrêt Khan. L'arrêt R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, n'avait pas encore été rendu. En l'espèce, l'avocat d'ÉACL a également cité à juste titre l'arrêt Éthier c. Gendarmerie royale du Canada (commissaire), (1993), 151 N.R. 374, de la Cour d'appel fédérale, arrêt qu'il a également commenté. Dans cet arrêt, le juge Hugessen, qui prononçait le jugement de la Cour, examinait des annexes d'un affidavit qui étaient constituées de documents qui avaient été obtenus de la Commission de la fonction publique en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. La Cour a d'abord examiné les documents sous l'angle de leur fiabilité, puis sous l'angle de leur nécessité, ainsi que l'exigent les arrêts Khan et Smith. Au sujet du premier critère, la Cour a souligné que les documents appartenaient à un organisme gouvernemental, de fait à l'un des intimés, et qu'ils satisfaisaient donc au critère de la fiabilité. Au sujet de la nécessité, le juge Hugessen a déclaré ce qui suit :

         De même, dans les circonstances, il ne peut y avoir de doute sérieux sur le critère de la nécessité. Par l'entremise de leur avocat, les intimés avaient bloqué tout moyen régulier d'accès aux documents. Même à partir du moment où ces derniers ont été obtenus grâce à une procédure instruite en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, il n'était guère réaliste de s'attendre à ce que le procureur de l'appelant aborde les différents déclarants en vue d'obtenir leurs affidavits, en présumant qu'il aurait pu le faire sans manquer gravement à l'éthique professionnelle. L'affidavit supplémentaire était certainement la façon la plus pratique et commode de produire les documents sans compromettre les droits des intimés de répondre ou d'expliquer s'ils le désiraient. (À la page 376).         

Ces observations valent également toutes pour la présente affaire.

[25]      L'avocat d'ÉACL reconnaît que l'arrêt Éthier était conforme au paragraphe 332(1) des anciennes Règles, qui prévoyait que les affidavits devaient " [...] se restreindre aux faits que le témoin est en mesure de prouver par la connaissance qu'il en a ". La disposition équivalente des nouvelles Règles, le paragraphe 81(1), aborde la question de façon légèrement différente, en limitant les affidavits aux " [...] faits dont le déclarant a une connaissance personnelle [...] " La thèse de l'avocat d'ÉACL est qu'en limitant l'affidavit aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, les nouvelles Règles excluent par le fait même la preuve par ouï-dire, qui était admissible en vertu du paragraphe 332(1) des anciennes Règles à la suite des arrêts Khan , Smith et Éthier.

[26]      Ma réaction spontanée à cet argument est de dire que le paragraphe 81(1) a, à toutes fins utiles, exactement le même sens que le paragraphe 332(1) des anciennes Règles. Or, cette question mérite peut-être un examen plus attentif. Certes, il semble qu'il n'existe pas de différence appréciable dans le libellé des anciennes Règles et celui des nouvelles Règles. La nuance est mince entre le fait de prouver des faits par la connaissance qu'on en a et le fait de limiter son témoignage aux faits dont on a une connaissance personnelle. La nuance n'est cependant pas suffisante pour considérer que l'arrêt Ethier ne s'applique plus au paragraphe 81(1). Il est instructif, à cet égard, de revenir en arrière pour examiner comment la Cour suprême du Canada a abordé la question de l'admission d'éléments de preuve qui, bien que constituant du ouï-dire, sont jugés à la fois fiables et nécessaires. Il s'agit là, comme le soulignent les éditeurs de Sgayias dans leur Transitional Supplement de 1998, à la page 30, d'une méthode fondée sur des principes, car, ainsi que le juge en chef Lamer l'a fait remarquer dans l'arrêt Smith (précité), à la page 933 :

     L'arrêt Khan de notre Cour a donc annoncé la fin de l'ancienne conception, fondée sur des catégories d'exceptions, de l'admission de la preuve par ouï-dire. L'admission de la preuve par ouï-dire est désormais fondée sur des principes, dont les principaux sont la fiabilité de la preuve et sa nécessité.         

Il n'est pas raisonnable de prétendre qu'une simple nuance " qui constitue en grande partie une différence illusoire " entre le paragraphe 332(1) des anciennes Règles et le paragraphe 81(1) des Règles actuelles, suffit à soumettre de nouveau les règles du droit de la preuve en vigueur devant la Cour fédérale à l'ancienne conception qui était fondée sur des catégories d'exceptions et qui empêchait l'admission de la preuve par ouï-dire. Il faut plus qu'une simple nuance de sens pour écarter l'admissibilité de la preuve par ouï-dire sur le fondement des principes de la fiabilité et de la nécessité. Ayant tranché la question générale du ouï-dire, je me penche maintenant de plus près sur le contenu des trois affidavits contestés.

Les affidavits contestés

L'affidavit souscrit par Mme May le 20 janvier 1997

[27]      Mme Elizabeth May est la directrice administrative du Sierra Club du Canada. Elle a une formation en droit, mais elle possède aussi une expérience personnelle non seulement en ce qui concerne la législation environnementale pertinente, mais également en ce qui a trait aux réacteurs nucléaires en question. Elle possède donc des conséquences générales pertinentes. Qui plus est, elle a bien fait son travail du début à la fin. Parmi les pièces versées au dossier, bon nombre proviennent de la presse écrite et parlée, sans parler des communiqués de presse d'ÉACL et du gouvernement canadien. Le juge qui entendra la demande de contrôle judiciaire aura l'occasion de se prononcer sur la valeur et l'admissibilité des document qui font légitimement partie de l'affidavit de Mme May.

[28]      Il y a des passages de l'affidavit de Mme May qui sont peut-être moins pertinents que d'autres. Il n'y a aucune raison de radier l'affidavit en tout ou en partie pour cette raison, car ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé avec retenue.

[29]      Certains passages de l'affidavit de Mme May frôlent l'interprétation des lois. Certaines extraits s'apparentent à des observations, qu'il conviendrait peut-être mieux de formuler dans le cadre du débat. Toutefois, à quelques exceptions évidentes près, l'affidavit de Mme May ne constitue pas, dans l'ensemble, une pure opinion ou une pure interprétation de la loi. En fait, compte tenu des antécédents de Mme May, l'affidavit constitue un cadre utile et informatif que le juge qui entendra la demande pourrait trouver utile pour situer une demande passablement complexe dans son contexte, sans avoir à accorder beaucoup de poids à certaines parties de l'affidavit.

[30]      Certains passages de l'affidavit concernent l'expérience personnelle pertinente de Mme May, notamment son expérience dans l'industrie nucléaire. Je crois que c'est à cause de cette expérience que Mme May exprime effectivement son opinion. Certaines de ces expériences ne sont pas pertinentes. Plusieurs paragraphes franchissent toutefois la limite acceptable et constituent l'expression inacceptable d'opinions ou de conclusions de droit, ou encore des conjectures ou de la spéculation. Il s'agit des paragraphes 14, 16, 17, 18, 19, 28, 29, 43, 44 et 45, qui constituent des opinions et des conclusions de droit, de la partie du paragraphe 55 commençant à [TRADUCTION] " apparemment " et se terminant à la fin du même paragraphe, qui constitue une spéculation sur la raison de la prise rapide d'un règlement, des paragraphes 58, 60, 75, 76 et 83, qui constituent de la spéculation et une opinion, des paragraphes 79, 80, 81 et 82, mais dont les annexes afférentes ne seront pas radiées, du paragraphe 84, une opinion sur ce qui pourrait aller à l'encontre des principes de la participation du public, de l'accès à l'information et de la prise de décision responsable en matière environnementale, et du paragraphe 86, qui constitue une opinion. Ces paragraphes sont radiés, en tout ou en partie, selon ce que j'ai précisé.

Affidavit souscrit par Mme Barnes le 3 avril 1998

[31)      L'affidavit de Mme Jennifer Barnes porte sur la demande que le Sierra Club a présentée en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Une grande partie des annexes de cet affidavit est constituée de documents fournis par le ministère des Finances en tant que documents pertinents à la demande du Sierra Club. Voici les documents qui étaient demandés :[TRADUCTION]

     Tous les documents, notamment les notes de service, lettres, télécopies, formules, à compter de janvier 1992 jusqu'à maintenant qui renferment des renseignements, notamment au sujet des modes et sources de financement (par ex. la Société pour l'expansion des exportations et le Trésor) se rapportant à l'exportation en Chine de réacteurs nucléaires CANDU.         

De prime abord, les documents semblent pertinents. Ils s'apparentent aux documents que la Cour d'appel a jugés fiables et nécessaires dans l'arrêt Éthier.

Affidavit souscrit par M. Rubin le 3 avril 1998

[32]      Dans son affidavit, M. Kenneth Rubin expose la procédure suivie et les documents divulgués en réponse à la demande présentée en janvier 1997 en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. La demande, qui a été transmise au ministère des Ressources naturelles du Canada, visait à obtenir : [TRADUCTION] " [...] les documents se rapportant notamment au financement de la vente des réacteurs CANDU à la Chine et à l'évaluation de ses incidences environnementales " (paragraphe 3 de l'affidavit de M. Rubin). Ces documents s'apparentent eux aussi à ceux qui avaient été obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information et qui avaient été admis par la Cour d'appel dans l'arrêt Éthier.

[33]      En règle générale, tant en ce qui concerne l'affidavit de Mme Barnes que l'affidavit de M. Rubin, l'avocat d'ÉACL excipe de la décision rendue le 23 mai 1997 par le juge Rouleau. Toutefois, ainsi que je l'ai déjà dit, il y a une différence entre des documents qui sont globalement visés par une demande générale formulée en des termes larges " demande jugée inacceptable par le juge Rouleau " et des documents expressément réclamés en vertu de la Loi sur l'accès à l'information au motif qu'ils concernent spécifiquement la vente et le financement des deux réacteurs CANDU en question. Les documents précis auxquels ÉACL s'oppose, ceux qui sont contenus dans l'annexe I à l'affidavit de Mme Barnes et l'annexe D de l'affidavit de M. Rubin ne sont pas exclus en raison de la décision du juge Rouleau.

[34]      Je tiens également à signaler qu'à la suite de la décision du 23 mai 1997 par laquelle le juge Rouleau a rejeté sa demande générale de production de documents, le Sierra Club a présenté une nouvelle demande révisée de documents le 20 juin 1997 qui a été rejetée le 14 octobre 1997. Le Sierra Club n'a pas saisi la Cour de ce refus, mais a présenté des demandes d'accès à l'information en décembre 1997 et en février 1998, demandes qui font l'objet des affidavit de Mme Barnes et de M. Rubin. Par la suite, la Cour a ordonné le dépôt des affidavits de Mme Barnes et de M. Rubin, sous réserve du droit des ministres et d'ÉACL d'en contester plus tard l'admissibilité. À ce moment-ci, le Sierra Club a établi de façon raisonnable à première vue que les affidavits souscrits par Mme Barnes et par M. Rubin contestent l'opinion que MM. John Mundy et Peter Cameron ont exprimée dans leurs affidavits du 7 mars 1997 qui ont été déposés pour le compte des défendeurs. Les documents annexés aux affidavits de Mme Barnes et de M. Rubin portent incontestablement sur les questions soulevées par MM. Mundy et Cameron. Il n'y a aucune raison qui justifie de déroger pour le moment à la règle générale suivant laquelle on ne devrait pas permettre aux parties de radier réciproquement leurs affidavits respectifs, sauf dans des circonstances biens précises qui ne sont pas présentes dans le cas qui nous occupe.

MODE D'OBTENTION DES DOCUMENTS

[35]      L'avocat d'ÉACL se demande si le Sierra Club devrait être autorisée à se prévaloir du mécanisme de l'accès à l'information, au lieu de se contenter de présenter une demande en se servant du mécanisme procédural prévu aux articles 1612 et 1613 des anciennes Règles, qui étaient en vigueur à l'époque en cause. (Les articles 317 et 318 des Règles de 1998 en sont l'équivalent actuel). L'argument qui est invoqué ici est que la règle du ouï-dire actuelle, qui exige que les documents soient fiables et nécessaires, empêche d'obtenir des documents en vertu de la Loi sur l'accès à l'information lorsque ces documents peuvent être obtenus par l'application du mécanisme procédural de la Cour.

[36]      Dans l'arrêt Éthier (précité), la Cour d'appel n'a pas abordé directement cet aspect. Elle a toutefois fait remarquer que " [l]e refus de l'avocat de l'intimée de produire ces documents au cours des étapes préliminaires à l'audition devant la Section de première instance n'est pas sans importance " (à la page 375). La Cour d'appel a poursuivi en concluant que les documents, qui avaient été obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information , étaient admissibles, étant donné qu'ils ne contrevenaient pas à la règle du ouï-dire. Et c'est de ce type de refus de produire des documents dont il s'agit en l'espèce, car ÉACL a réussi dans une premier temps à empêcher la production de tout document et ce, à juste titre, étant donné que la demande du Sierra Club avait une portée beaucoup trop large. Le défendeur a par la suite refusé de donner suite à la demande visant à obtenir la production de documents plus précis.

[37]      Aurait-on dû forcer le Sierra Club à présenter d'autres requêtes à la Cour ou à soumettre un autre type de demande si ses requêtes avaient été contestées, ce qui est probable ? Je ne le crois pas, car, ainsi que le juge Reed l'a souligné dans le jugement M. Untel c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada1, les articles 1612 et 1613 des Règles ne prévoient aucune procédure relative aux demandes de production de documents en la possession d'un tribunal qui refuse de les communiquer :

     Les Règles 1612 et 1613 [...] ne prévoient aucune procédure relative aux demandes de production de documents en la possession d'un tribunal qui refuse de les communiquer. (À la page 266).         

Le juge Reed a poursuivi en soulignant qu'une façon d'obtenir la production des documents en question pourrait être d'obtenir une ordonnance forçant la partie adverse à déposer les documents devant la Cour. Cette observation ouvre la porte à d'autres façons de procéder. Certes, les documents en litige dans l'affaire M. Untel étaient présumément privilégiés. Pourtant, je ne crois pas que les Règles de la Cour et la conception actuelle de la règle du ouï-dire, qui est fondée sur des principes, devraient être interprétées de manière à forcer une partie à présenter plusieurs demandes coûteuses à la Cour alors qu'une simple demande d'accès à l'information adressée à un ministère de la Couronne permettrait d'obtenir le même résultat.

DISPOSITIF

[38]      Le Sierra Club peut contre-interroger de nouveau M. John Mundy au sujet des annexes B à G. M. Mundy devra assumer les frais de déplacement, de nourriture et de logement engagés pour participer à ce contre-interrogatoire. Les dépens taxables supplémentaires afférents au nouveau contre-interrogatoire suivront l'issue de la cause.

[39]      Comme le Sierra Club a obtenu partiellement gain de cause dans sa requête, les dépens suivront l'issue de la cause.

[40]      Les paragraphes 14, 16, 17, 18, 19, 28, 29, 43, 44, 45, 58, 60, 75, 76 et 83 et une partie du paragraphe 55 de l'affidavit de Mme Elizabeth May sont radiés. Les paragraphes 79, 80, 81 et 82 sont radiés, mais les annexes s'y rapportant sont maintenus. La requête présentée par ÉACL pour faire radier en tout ou en partie les affidavits de Mme Jennifer Barnes et de M. Kenneth Rubin est rejetée. Là encore, les dépens suivront l'issue de la cause.

                         (Signature) " John A. Hargrave "

                                 Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 10 novembre 1998

     COUR FÉDÉRALE

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-85-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Sierra Club DU Canada

                     c.

                     Ministre des Finances du Canada et autres

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du protonotaire JOHN A. HARGRAVE

                     en date du 10 novembre 1998

ONT COMPARU :

     Me Timothy Howard              pour la demanderesse
     Fonds de défense juridique
     du Sierra Club
     Me Brian Saunders                  pour le défendeur
     Ministère de la Justice
     Me Donald D. Hanna              pour l'intervenante
     Osler Hoskin & Harcourt

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Me Timothy Howard              pour le demandeur
     Fonds de défense juridique
     du Sierra Club
     Vancouver
     Me Morris A. Rosenberg              pour le défendeur
     Sous-procureur général du Canada
     Me Donald D. Hanna              pour l'intervenant
     Osler Hoskin & Harcourt

     Toronto

__________________

     1      Répertorié : Personnes désirant adopter les pseudonymes de M. Untel et de Mme Unetelle c. Canada (commissaire de la Gendarmerie royale du Canada) (C.F. 1re inst.) , [1998] 2 C.F. 252.

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