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Date : 20031211

Dossier : IMM-4678-02

Référence : 2003 CF 1452

Ottawa (Ontario), le 11 décembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGEJAMES RUSSELL                          

ENTRE :

                                                                         A.C. et B.D.

                                                                                                                                                     demandeurs

                                                                                   et

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Dans une demande incidente relative à la demande de contrôle judiciaire, les demandeurs ont déposé une requête, datée du 6 août 2003, en vue d'obtenir une ordonnance en conformité avec les articles 151 et 152 des Règles de la Cour fédérale (1998), pour que le dossier soit scellé.

[2]                 La requête a été déposée la veille de l'audition de la demande principale de contrôle judiciaire, audition qui a eu lieu le 7 août 2003, à Toronto.

[3]                 Pour des raisons de temps et d'économie d'argent, les deux parties ont convenu que je devrais examiner la requête en me fondant sur les documents écrits qui ont été déposés et statuer sur celle-ci avant de rendre une ordonnance relative à la demande de contrôle judiciaire.

[4]                 Les demandeurs ont présenté une requête écrite semblable le 19 novembre 2002, et le protonotaire Lafrenière a statué sur celle-ci dans une ordonnance datée du 10 décembre 2002.

[5]                 Le protonotaire Lafrenière a rejeté la requête [traduction] « sous réserve du droit des demandeurs de présenter de nouveau leur demande devant le juge qui préside l'audience, si on leur conseille de le faire » .

[6]                 Dans son ordonnance, le protonotaire Lafrenière a donné les motifs pour lesquels il avait rejeté la requête écrite du 19 novembre 2002 :

[traduction] Lorsque la Section du statut de réfugié a rejeté la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention des demandeurs, ces derniers ont déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire, le 2 octobre 2002. Leur dossier de demande a été déposé auprès de la Cour et il a été signifié au défendeur le 1er novembre 2002. Les demandeurs veulent maintenant une ordonnance en vue de modifier l'intitulé de la cause pour que seules leurs initiales y figurent et pour que leur dossier, qui est déjà déposé à la Cour, soit scellé et considéré comme confidentiel. Les motifs de la requête invoqués par les demandeurs sont que les demandeurs, ainsi que les personnes qui ont témoigné lors de l'audience sur le statut de réfugié, risquent de subir un préjudice s'ils retournent dans [leur pays d'origine] ou qu'ils ont de la famille dans ce pays qui pourrait subir un préjudice si on savait qu'ils avaient témoigné à l'appui du demandeur. Le défendeur s'oppose à la requête au motif que les demandeurs n'ont pas précisé les effets bénéfiques qu'entraînerait une ordonnance de confidentialité, notamment de l'emporter sur le principe d'intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.


Les parties conviennent que plusieurs personnes ont témoigné devant la Section du statut de réfugié après avoir obtenu l'assurance que leur témoignage demeurerait confidentiel. On ne saurait minimiser l'importance des préoccupations de ces témoins pour ce qui touche la possibilité de représailles, mais il appartenait aux demandeurs de prouver que la divulgation de l'information qu'ils veulent soustraire du domaine public entraînerait un risque sérieux, réel et important. Compte tenu de la preuve dont je suis saisi relativement à la présente requête, notamment le dossier des demandeurs, je ne saurais conclure à l'existence d'un tel risque ni qu'une ordonnance de confidentialité est justifiée.

Premièrement, les renseignements en cause sont déjà dans le domaine public. Il pourrait s'avérer très compliqué de tenter de corriger rétroactivement l'erreur de l'avocat qui a consciemment divulgué les renseignements soi-disant confidentiels. En outre, l'ordonnance demandée par les demandeurs a une portée beaucoup trop large, elle englobe tous les documents, le dossier de la preuve du tribunal et l'identité des témoins et des demandeurs. Les demandeurs n'ont pas du tout tenté de préciser les renseignements qui présentaient, selon eux, un risque sérieux de préjudice. Il n'appartient pas à la Cour de vérifier toute la preuve et de tenter de préciser les renseignements susceptibles d'être préjudiciables aux demandeurs et à leurs témoins.

Dans les circonstances en l'espèce, l'intérêt public doit l'emporter sur le risque possible de préjudice soulevé par les demandeurs. La requête est rejetée, sous réserve du droit des demandeurs de déposer de nouveau leur demande devant le juge qui préside l'audience, si on leur conseille de le faire.

[7]                 Dans la présente requête, les demandeurs ont tenté de remédier à quelques-unes des lacunes et difficultés mentionnées par le protonotaire Lafrenière. En fait, ils ont expliqué en détail certaines parties du dossier qui, si elles étaient révélées, présenteraient un risque sérieux de préjudice. Toutefois, il y a toujours des difficultés importantes.


[8]                 Premièrement, les renseignements en question sont dans le domaine public depuis le 1er novembre 2002. À sa face même, l'article 151 des Règles s'applique aux « documents ou éléments matériels qui seront déposés » et l'article 152 des Règles exige que « la personne qui dépose le document ou l'élément matériel le fa[sse] séparément et désigne celui-ci clairement comme document ou élément matériel confidentiel, avec mention de la règle de droit ou de l'ordonnance pertinente » . Ainsi, selon les dispositions des Règles invoquées par les demandeurs, il est clair que les documents en cause ne seront pas déposés avant que l'ordonnance de confidentialité ne soit obtenue. En outre, bien entendu, il est difficile de comprendre comment des renseignements qui sont dans le domaine public depuis environ un an sont confidentiels selon une quelconque norme objective.

[9]                 En guise d'explication, les demandeurs ont tout simplement reconnu qu'ils avaient, par inadvertance, omis de demander l'ordonnance plus tôt et que, même si le dossier du tribunal était public, il était tout à fait probable que personne ne l'ait encore regardé.

[10]            Le défendeur s'objecte fortement à la requête aux motifs qu'il y va de l'intérêt public en l'espèce et que les demandeurs n'ont pas fait la preuve d'un risque sérieux, réel et important permettant de justifier une dérogation au principe fondamental qui est celui de la publicité des débats judiciaires. On trouve un résumé de l'argument du défendeur dans le mémoire écrit déposé auprès du tribunal :

[traduction] En fin de compte donc, une ordonnance de confidentialité rendue par la Cour n'aurait d'une part, aucun effet bénéfique et d'autre part, des effets très néfastes. Pour cette raison et parce que les demandeurs ont rendu public tant leurs noms que leur dossier, et puisque qu'il n'y a aucun _ risque réel et important _, la Cour ne devrait pas rendre une telle ordonnance selon la Cour suprême dans l'arrêt Sierra Club.


[11]            Les motifs sur lesquels la requête est fondée sont les mêmes que dans la requête du 19 novembre 2002 entendue par le protonotaire Lafrenière : les demandeurs, ainsi que les personnes qui ont témoigné lors de l'audience sur le statut de réfugié, risquent de subir un préjudice s'ils retournent dans leur pays d'origine, à l'instar des membres de leur famille qui vivent dans ce pays. Le préjudice allégué serait des représailles pour avoir témoigné pour le compte des demandeurs pendant l'audience sur le statut de réfugié.

[12]            Dans le contexte de l'immigration, il y aurait, selon moi, un certain intérêt à examiner une telle requête. Les personnes qui témoignent devant la Section du statut de réfugié à qui on a promis que leur témoignage demeurerait confidentiel ne devraient pas être exposées à un risque sérieux et important de préjudice si la question devait faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

[13]            Lorsque cela est justifié dans des dossiers d'immigration, la Cour s'est montrée disposée à accorder des ordonnances de confidentialité. Par exemple, dans la décision Ishmela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1085, le protonotaire Hargrave a dit :

3.       La délivrance d'une ordonnance de non-divulgation comporte des aspects subjectifs et objectifs : voir par exemple AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1998), 83 C.P.R. (3d) 428, aux pages 432 et suivantes. En l'espèce, je reconnais que l'affidavit du demandeur, Omran Ishmela, démontre au moins l'existence de l'aspect subjectif de la condition exigée. L'ordonnance n'est pas contestée mais étant donné qu'il y a lieu de tenir compte de l'intérêt public, j'ai examiné le dossier que le demandeur souhaite déposer à titre de document confidentiel. Selon la prépondérance des probabilités, la partie du dossier qui ne se trouve pas déjà dans le domaine public devrait effectivement demeurer confidentielle. Il ne serait pas utile d'essayer de déterminer quels sont les documents qui se trouvent déjà dans le domaine public. Sous réserve de ce que la Cour suprême du Canada avait à déclarer dans l'arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances) (2002), 211 D.L.R. (4th) 193, l'ensemble du dossier constitue un document qui, par sa nature, peut faire l'objet d'une ordonnance de non-divulgation.

4.       Dans Sierra Club, précité, il s'agissait d'un très petit nombre de documents très techniques. Je reconnais que l'affaire Sierra Club concernant la non-divulgation de documents commerciaux mais les mêmes principes s'appliquent à la présente espèce puisque la divulgation de certains de ces documents mettraient en danger le demandeur et les membres de sa famille qui se trouvent en Libye.


5.       À la page 211 de Sierra Club, le juge Iacobucci a formulé un critère à deux volets pour les ordonnances de non-divulgation :

Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d'un litige, en l'absence d'autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b) ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l'emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d'expression qui, dans ce contexte, comprend l'intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

Je note que le juge Iacobbucci insiste plus loin, aux pages 211 et 212, sur le fait que le premier volet de l'analyse contient différents éléments, notamment le fait que le risque en cause doit être réel et important, et bien étayé par la preuve, la nécessité de concilier les intérêts en jeu dans l'application du principe fondamental de la publicité des débats et l'examen de l'existence d'autres options raisonnables.

6.       Le deuxième volet du critère est un élément ouvert puisque la Cour suprême fait remarquer qu'il comprend l'effet d'une telle ordonnance sur le droit des justiciables civils à un procès équitable et j'ajouterais ici l'effet que l'ordonnance de non-divulgation, ou plutôt le fait de ne pas en délivrer une, pourrait avoir sur le demandeur, au cas où il retournerait en Libye, et sur les membres de sa famille qui se trouvent toujours en Libye. Le deuxième volet du critère m'oblige également à examiner les effets préjudiciables qu'une telle ordonnance pourrait avoir sur le principe de la publicité des débats.

7.       Je suis convaincu qu'il est nécessaire de délivrer une ordonnance de non-divulgation pour éviter de faire courir un risque grave tant au demandeur qu'aux membres de sa famille qui se trouvent en Libye. Je ne vois pas d'autres options raisonnables susceptibles de prévenir ce danger. Comme je l'ai déjà mentionné, l'ordonnance de non-divulgation aura comme effet positif de réduire les risques de représailles à l'égard de ces personnes. Pour ce qui est des effets préjudiciables, je dois concilier ici l'ordonnance avec l'intérêt public dans la publicité des débats judiciaires.

8.       Sans vouloir diminuer l'importance de l'affaire du demandeur, celle-ci ne semble pas soulever une question générale d'intérêt public ou concerner une situation où le public se verrait priver d'un droit fondamental parce qu'il ne pourrait avoir accès au contenu d'une partie des documents déposés par les parties. Je note également ici le fait qu'une ordonnance de non-divulgation peut avoir un effet important, notamment sur l'impossibilité d'interroger publiquement les témoins. Rappelons qu'il s'agit ici de contrôle judiciaire et non pas d'une instance où un ou plusieurs témoins seront interrogés au cours d'une audience publique. Il est vrai qu'une telle ordonnance aura pour effet d'empêcher un membre du public d'avoir accès à certains documents, s'il souhaitait les consulter, mais je ne pense pas que ces documents intéressent une grande partie de la population. Accorder en l'espèce une ordonnance de non-divulgation n'a pas pour effet de porter gravement atteinte à la liberté de parole, dans le sens de l'élaboration d'idées et de réflexions ou de restreindre la participation des intéressés en apportant une restriction minime au principe de la publicité des documents judiciaires.

[14]            Au surcroît, dans les circonstances propres à l'affaire A.B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1528 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay a accordé une ordonnance de confidentialité et il a autorisé que l'intitulé de la cause soit changé pour les lettres A.B. :

L'ordonnance de confidentialité demandée

38.            Ainsi qu'il a été dit plus tôt dans les présents motifs, une requête présentée pour le compte du requérant dans les trois dossiers sollicitait une ordonnance portant que les dossiers de la Cour dans cette affaire soient scellés comme étant confidentiels et ne puissent être consultés qu'à la suite d'une ordonnance de la Cour, et que, dans l'intitulé de la cause, le nom du requérant soit changé pour les lettres « A.B. » . La requête avait pour but d'éviter que l'on publie le nom du requérant ou l'existence des dossiers de la Cour, et ce par mesure de précaution, car le requérant craignait que l'on se serve contre lui de sa demande de contrôle judiciaire et du fondement de cette dernière dans toute procédure susceptible d'être poursuivie en son absence, ou à son retour de son pays d'origine. Le Règlement sur l'immigration, DORS/78-172, prévoit que certaines audiences menées en vertu de la Loi sur l'immigration peuvent être confidentielles. À mon avis, les mêmes questions générales, qui visent à protéger des individus contre toute notoriété ou toute répercussion négative qui serait perçue comme découlant desdites procédures, permettent à la Cour, à ce stade-ci, d'ordonner que ces dossiers relatifs à l'action ou aux procédures de contrôle judiciaire se déroulent de manière confidentielle. Il a été ordonné à la conclusion de l'audience que les dossiers de la Cour soient tenus de cette façon, en attendant l'issue de l'enquête sur le requérant. Il faudrait par la suite revoir l'ordonnance de confidentialité, à l'initiative des avocats, ainsi qu'à la lumière de la politique générale de la Cour selon laquelle ses dossiers sont ouverts et publics.

[15]            Il convient de souligner que, dans cette affaire, le juge MacKay a autorisé l'examen subséquent de la confidentialité dans le but de protéger la politique générale de la Cour concernant la publicité de ses audiences et l'accessibilité de ses dossiers.

[16]            Toutefois, dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Fazalbhoy, [1999] A.C.F. no 51 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson a rejeté la requête de l'intimé pour l'obtention d'une ordonnance de confidentialité :

[...] Deuxièmement, la requête dont je suis saisi demande que soient considérés comme confidentiels [...] « tous les documents déposés par l'intimé relativement au présent appel » . Bien entendu, le dossier certifié n'a pas été déposé devant la présente Cour par l'intimé. Finalement, la Règle 151(1) traite d'une requête de confidentialité ayant trait à des « documents [...] qui seront déposés [...] » , comme je l'ai souligné dans le passage de la Règle qui figure ci-dessus. La requête dont je suis saisi ne demande bien entendu pas une ordonnance de confidentialité relativement à des documents qui seront déposés, mais plutôt à l'égard de documents qui ont été déposés il y a quelques mois.

[...]

9.       L'avocat de l'intimé a instamment fait valoir que l'intimé avait le droit de se fier aux assurances données au sujet de la protection des renseignements qui figurent sur la demande de citoyenneté canadienne qu'il a remplie. En outre, l'avocat a fait observer que l'intimé a déclaré ce qui suit dans l'affidavit établi sous serment qu'il a déposé à l'appui de sa demande :

[traduction] J'ai pris pour acquis que ces mots [les mots « confidentiel une fois rempli » dans la demande] signifient que les renseignements que j'ai fournis demeureraient confidentiels, c'est-à-dire entre moi et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration. J'ai donné les renseignements en me fiant à cette garantie, car j'aime que mes affaires demeurent privées.

Finalement, l'avocat a aussi fait valoir que « l'intérêt du public à la publicité des débats judiciaires » , dont il est question à la Règle 151(2), ne serait pas compromis en maintenant la confidentialité du dossier du tribunal parce que l'audition de l'appel concernant l'octroi de la citoyenneté à l'intimé sera elle-même publique.

10.       L'avocat de la ministre me renvoie au passage suivant des motifs du juge McGuigan dans l'arrêt Pacific Press Ltd. c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 127 N.R. 325, page 335 (C.A.F.) :

Lorsque nous abordons l'alinéa 2b) de la Charte, nous constatons que le principe de l'accès du public aux tribunaux a été établi avant l'avènement de la Charte en 1982. Dans l'affaire Le Procureur général de la Nouvelle-Écosse c. MacIntyre, [1982] 1 R.C.S. 175, [...] où il s'agissait de l'accès d'un journaliste à des dossiers judiciaires, une majorité de la Cour suprême a approuvé l'énoncé fait par le juge Dickson (à la page 182, R.C.S. [...]) selon lequel « il y a présomption en faveur de l'accès du public à ces dossiers et il incombe à celui qui veut empêcher l'exercice de ce droit de faire la preuve du contraire. » Le juge Dickson (aux pages 185 et 186 [...]) a également énoncé le principe selon lequel « restreindre l'accès du public ne peut se justifier que s'il est nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont préséance » .


Dans un arrêt récent relatif à la Charte, l'arrêt Edmonton Journal c. Le procureur général de l'Alberta, [1989] 2 R.C.S. 1326 [...] qui portait sur les dispositions de la Judicature Act de l'Alberta limitant la publication des détails sur les instances matrimoniales et les procédures civiles généralement, le juge Cory, au nom de trois des sept membres de la Cour (à la page 1336) a fait état des « termes absolus » de l'alinéa 2b), qui « ne devraient être restreints que dans les cas les plus clairs. » Il a parlé du rôle de la presse par rapport aux tribunaux (1337 et 1346) :

Il est certain que les tribunaux jouent un rôle important dans toute société démocratique. C'est là que sont résolus non seulement les litiges qui opposent les citoyens entre eux, mais aussi les litiges qui opposent les citoyens à l'État dans toutes ses manifestations. Plus la société devient complexe, plus le rôle des tribunaux devient important. En raison de cette importance, il faut que le public puisse faire l'examen critique des tribunaux et de leur fonctionnement.

[...]

Dans la société d'aujourd'hui, ce sont les comptes rendus de la presse qui font que les tribunaux sont accessibles au public.

Le juge Wilson, également de la majorité, a convenu (à la page 1362) qu' « il faudrait des raisons très sérieuses pour justifier des atteintes à la publicité du processus judiciaire » .

[11]       Pour justifier une dérogation au principe de la publicité des débats judiciaires, et je suis convaincu que ce principe s'étend à la publicité et à l'accessibilité des dossiers de la Cour, la Règle 151(2) exige que la Cour soit convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels en question comme confidentiels. Le passage tiré de l'arrêt Pacific Press, précité, indique clairement que la partie qui demande la confidentialité, c'est-à-dire l'intimé en l'espèce, a un lourd fardeau à assumer. Je ne suis tout simplement pas convaincu que l'intimé s'est acquitté de ce fardeau d'après les faits dont je suis saisi. Tous les engagements de confidentialité donnés par la ministre ne lient pas la présente Cour. L'intimé n'a mentionné aucune raison spéciale pouvant justifier que les renseignements personnels qu'il a fournis soient considérés comme confidentiels dans les dossiers de la présente Cour. Le fait qu'il s'appuie sur les mots utilisés dans le formulaire mis à sa disposition et qu'il souhaite garder ses affaires privées et le fait que des renseignements le concernant se retrouvent devant la Cour sans qu'il l'ait demandé sont certes propres à attirer la sympathie de la Cour, mais ces considérations ne suffisent pas pour conclure qu'il s'est acquitté du fardeau qui lui incombait de justifier la délivrance d'une ordonnance de confidentialité.

[17]            Il appert clairement des décisions susmentionnées que les principes et intérêts contradictoires qui doivent être évalués dans une telle demande sont très bien établis.


[18]            Compte tenu des faits en l'espèce, même si le demandeur pouvait faire la preuve d'un risque sérieux de préjudice (ce qui n'est pas du tout clair compte tenu des arguments soulevés par le défendeur concernant le régime au pouvoir dans le pays d'origine), la demande soulève toujours maintes difficultés parce qu'au fond, il s'agit d'une [traduction] « tent[ative] de corriger rétroactivement l'erreur de l'avocat » comme l'a fait remarquer le protonotaire Lafrenière dans son ordonnance. Les renseignements en cause sont dans le domaine public depuis assez longtemps et ils ne peuvent être qualifiés de confidentiels. En outre, il y a des difficultés importantes d'ordre pratique à respecter l'article 152 des Règles, puisque tous les documents ont été déposés au dossier et sont dans le domaine public. Au surcroît, le préjudice envisagé par les demandeurs et leurs divers témoins n'est pas clairement établi et demeure quelque peu conjectural. Par exemple, l'un des témoins qui a fait une déclaration à titre d'expert concernant la situation dans le pays d'origine a tout simplement dit qu'il avait des contacts continus avec des personnes de ce pays et qu'il se préoccupait donc de sa propre situation. D'autres témoins ont mentionné une crainte générale, si on savait qu'ils avaient témoigné pour le compte des demandeurs, qu'eux-mêmes, ainsi que leur famille, seraient en danger. Ils disent qu'ils n'ont pas témoigné pour le compte des demandeurs pendant les instances judiciaires dans le pays d'origine de crainte, s'ils l'avaient fait, d'être assassinés avec les membres de leur famille, par le gouvernement. Mais le gouvernement a changé et les dangers auxquels les demandeurs et leurs témoins font face ne sont pas clairs. Mis à part les simples affirmations des demandeurs et de leurs témoins, je n'ai été saisi d'aucune preuve claire que le risque est « réel et important » ou « bien étayé par la preuve » et qu'il s'agit d'un « risque sérieux » pour les demandeurs et leurs témoins.


[19]            Je suis certain que les demandeurs et leurs témoins ressentent réellement les préoccupations exprimées à cet égard, mais dans la présente demande, je ne suis pas convaincu que les demandeurs se sont acquittés du fardeau très lourd qui justifierait un écart du principe de la publicité des débats judiciaires. Par contre, je ne vois pas pourquoi les demandeurs et leurs témoins, qui se sont présentés à l'audience sur le statut de réfugié sous couvert de la confidentialité, devraient aujourd'hui être exposés à un risque quelconque si le principe de la publicité des débats judiciaires peut être respecté et je crois que ce qu'il faut, dans les circonstances, c'est un équilibre approprié entre le respect du principe de la publicité des débats judiciaires et la nécessité d'éviter d'ébruiter excessivement cette affaire dans le pays d'origine.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

Le dossier de la Cour en l'espèce, tel qu'il apparaît sur le site Web de la Cour, est modifié conformément à ce qui suit, jusqu'à ce qu'il en soit ordonné autrement par un juge de la Cour :

1.          conserver l'intitulé de la cause qui apparaît au début de la présente ordonnance;

2.          à l'avenir, occulter du texte de toute ordonnance ou motifs les noms des demandeurs et les remplacer par les initiales A.C. et B.C. respectivement;


3.          à l'avenir, occulter du texte de toute ordonnance ou motifs les noms des témoins des demandeurs, de même que toute autre caractéristique permettant de les identifier et les remplacer conformément aux directives du juge ou du protonotaire, compte tenu des circonstances.

                                                                                       « James Russell »             

                                                                                                             Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                  IMM-4678-02

INTITULÉ :                                 A.C. et B.D.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :         TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :       LE 7 AOÛT 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :              LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS :              LE 11 DÉCEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman                           POUR LES DEMANDEURS

Jerimiah Eastman                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Barbara Jackman                           POUR LES DEMANDEURS

596, avenue St-Clair Ouest

Toronto (Ontario), pièce 3

M6C 1A6

Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE

                                   Date : 20030807

                     Dossier : IMM-4678-02

ENTRE :

                     A.C. et B.D.

                                           demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                              défendeur

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MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

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