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     T-205-96

ENTRE :

     EMILE KUTLU

     - et -

     ARMEN DEUKMEDJIAN

     Requérants

ET:

     SA MAJESTÉ LA REINE

     - et -

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

     - et -

     MICHAEL L. QUÉBEC

     en sa capacité de Directeur

     Bureau de l'impôt international,

     Revenu Canada, Accise, Douanes et Impôt

     Intimés

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL:

     Il s'agit en instance d'une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale visant l'annulation de la décision rendue par le Directeur de l'impôt international, Michael L. Québec ("le Directeur") agissant au nom du ministre du Revenu national ("le Ministre"), en date du 27 décembre 1995 et refusant la demande de prorogation des délais pour déposer la déclaration de revenus pour l'année d'imposition 1992 présentée en vertu du paragraphe 220(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu ("la LIR").

     Les redressements demandés par les requérants sont les suivants: (1) l'annulation de la décision; (2) la prolongation de tout délai nécessaire à l'adjudication de cette demande; (3) le mandamus ordonnant au Directeur d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis d'accomplir; (4) toute autre ordonnance estimée juste; et (5) les dépens.

Les Faits

     En septembre 1988, M. Deukmedjan, un non-résident, achetait un immeuble résidentiel de 18 logements situé au 4278 ouest, rue Sherbrooke, Westmount, Québec ("l'immeuble"). Depuis l'acquisition de l'immeuble, M. Kutlu a été désigné mandataire responsable de la gestion complète de l'immeuble, y compris la production des déclarations de revenus afférentes. À cette fin, M. Kutlu s'informait auprès de Revenu Canada afin d'obtenir les renseignements nécessaires pour se décharger des obligations imposées en vertu de la LIR . Il est à noter que depuis l'acquisition, l'immeuble n'a généré que des pertes.

     Depuis l'année 1989, le mandataire devait produire auprès du Ministre un document intitulé Engagement à produire une déclaration de revenus par un mandant non-résident touchant un loyer de biens immeubles sur le formulaire prescrit NR-6, afin d'être imposé seulement sur le montant net du revenu de loyers de l'immeuble. Or, cette affaire implique deux délais qui semblent, à première vue, plutôt rigides.

     Le premier délai, exigé par l'engagement NR-6, vise la production du formulaire auprès de Revenu Canada avant le début de l'exercice financier auquel il se rapporte. Dans le présent cas, l'immeuble étant la propriété privée du requérant Armen Deukmedjian, les délais prévus suivent l'année civile. Or, le mandataire produisait le formulaire NR-6 pour les années d'imposition 1989, 1990 et 1991 vers les mois de février ou mars de chacune de ces années, et Revenu Canada acceptait ces formulaires, bien qu'après le délai prévu.

     Le second délai touche la production du rapport d'impôt lui-même, celui-ci devant être produit dans les six mois suivant la fin de l'année financière. La déclaration pour l'année d'imposition 1989 fut produite le 9 juillet 1990, celle pour 1990 fut produite le 8 août 1991, celle pour 1991 fut produite le 9 novembre 1992 et celle pour 1992 fut produite le 21 novembre 1993. Pour trois de ces années, soit 1989, 1990 et 1991, Revenu Canada acceptait les déclarations de revenus produites au-delà des délais prévus et envoyait des avis de cotisation indiquant qu'aucun impôt n'était payable. C'est la déclaration pour l'année 1992 qui fait l'objet du présent litige.

     Le 14 avril 1992, le Ministre envoyait au mandant et au mandataire une lettre approuvant le formulaire NR-6 et leur rappelant leur engagement à produire la déclaration dans les 6 mois suivants la fin de l'année d'imposition en cause.

     Le 19 janvier 1994, le mandant était avisé dans une lettre que le choix de se faire imposé sur le revenu net plutôt que sur le revenu brut en vertu du paragraphe 216(4) de la LIR n'était pas valide puisque la déclaration n'avait pas été reçue dans le délai de 6 mois suivant la fin de l'année d'imposition tel qu'exigé par ce même paragraphe. Cette lettre indiquait que des impôts et intérêts seraient cotisés en conséquence.

     Le 27 janvier 1994, le mandataire envoyait une lettre à Revenu Canada expliquant que, malgré le fait qu'il aurait rempli le formulaire NR-6 s'engageant à produire une déclaration d'impôt pour 1992 avant le 30 juin 1993, son guide d'impôt pour l'année 1992 indiquait qu'il ne devait produire une déclaration que s'il y avait revenu imposable. Puisque l'année s'était soldée par une perte nette de 24,593 $, le mandataire produisait une déclaration en retard à titre d'information seulement. Il indiquait qu'il avait procédé ainsi pour les années 1989, 1990 et 1991 et reçu des avis de cotisations qui n'indiquaient aucun problème avec cette procédure.

     Le 10 février 1994, Revenu Canada envoyait au mandataire un avis indiquant que l'on se proposait de lui imposer personnellement une cotisation de 31,867.25 $, soit 25% du revenu brut de location. Cet avis indiquait que la cotisation serait retardée de 30 jours afin de permettre au mandataire de communiquer tout renseignement ou toute explication qu'il estimait pertinents.

     Le 15 février 1994, Revenu Canada faisait suite à la lettre du mandataire en date du 27 janvier 1994. Revenu Canada expliquait alors que la déclaration d'impôt n'ayant été reçue que le 23 décembre 1993, le ministère ne changeait pas sa position. Il précisait qu'il y avait eu une modification dans la loi pour les années fiscales finissant après le 13 juillet 1990, ayant pour effet de rendre obligatoire la production d'une déclaration dans le délai de six mois, et qu'un manquement à cette obligation résultait en une responsabilité fiscale de 25% du revenu brut et ce, même en l'absence de tout revenu imposable.

     Le 21 février 1994, le mandataire écrivait au ministère, déplorant qu'au cours des nombreuses communications qu'il aurait eu avec Revenu Canada entre 1990 et le 9 février 1993, aucun avertissement, oral ou écrit, ne lui avait été transmis concernant la date de remise des déclarations. De plus, selon lui, il serait injuste d'imposer à quelqu'un qui a investi 1 000 000 $ dans un immeuble au Canada sans recevoir de profit, une cotisation de 31 000 $ en raison d'un simple retard.

     L'intimé Michael Québec écrivait au mandant dix mois plus tard, soit le 15 décembre 1994, lui refusant une prorogation du délai de production de la déclaration du revenu. M. Québec expliquait qu'en vertu du paragraphe 220(3) de la LIR, une prorogation ne pouvait être accordée que "lorsque des circonstances extraordinaires ont empêché un individu de produire une déclaration d'impôt dans les délais précisés dans la Loi". Celui-ci expliquait de plus qu'en complétant le formulaire NR-6, le mandataire s'engageait à produire une déclaration dans les six mois suivant la fin de 1992 et qu'autrement, il s'était engagé à payer le plein montant d'impôt prescrit par la LIR.

     Le 1er février 1995, le Ministre expédiait un avis de cotisation pour l'année d'imposition 1992, tenant le mandataire personnellement responsable de l'impôt sur le revenu de l'immeuble puisqu'il n'avait pas déduit l'impôt du propriétaire non-résident en vertu de la partie XIII de la LIR au taux de 25% des revenus bruts de l'immeuble sur les sommes qu'il avait payées à ce non-résident. Il appert que le revenu brut pour cette année était de 127 469 $ et l'impôt au taux de 25% sur ce montant se chiffre à 31 867,25 $, ou 35 902,24 $ avec intérêt.

     Le 28 avril 1995, les requérants signifiait à Revenu Canada un avis d'opposition à l'encontre de la cotisation du 1er février 1995.

     Le 1er juin 1995, le procureur des requérants demandait de la Directrice du bureau de District de Montréal une prolongation du délai de production de la déclaration du mandant. Dans un mémoire de 7 pages, comprenant un résumé des faits jugés pertinents ainsi que des soumissions sur la loi applicable, le procureur demandait aussi l'opportunité de rencontrer les personnes chargées du dossier afin de leur soumettre les représentations appropriées.

     Le 29 août 1995, le Directeur adjoint envoyait aux requérants une lettre expliquant que le formulaire NR-6 exigeait un engagement sérieux et qu'à défaut de cet engagement, le mandataire devenait responsable d'un impôt de 25% du revenu brut.

     Le 5 octobre 1995, le procureur des requérants demandait au Directeur d'exercer le pouvoir prévu au paragraphe 220(3) de la LIR et de prolonger le délai de présentation de la déclaration de 1992, mentionnant qu'ils désiraient une entrevue personnelle afin de répondre aux questions et fournir des explications plus complètes.

     Sans qu'il y ait eu audition orale, l'intimé Michael Québec rendait en date du 27 décembre 1995 la décision en litige, soit celle refusant de prolonger le délai pour produire la déclaration pour l'année 1992. Cette décision se lit ainsi:

     Tel que précisé dans notre lettre du 21 décembre 1994, une prorogation du délai de production peut être accordée, en vertu du paragraphe 220(3) de la Loi de l'impôt, lorsque des circonstances extraordinaires ont empêché un individu de produire une déclaration dans le [sic] délais précisés dans la Loi de l'impôt sur le revenu.         

     . . . . .

     [Le procureur des intimés] indique que vous n'auriez pas reçu de lettre de rappel envoyée par le Ministère à tous les non-résidents ainsi qu'à leurs mandataires les avisant de leurs exigence de produire. Vous devez admettre que le Ministère n'était pas tenu d'émettre ces lettres puisque le formulaire NR6 précise l'engagement du non-résident et l'engagement du mandataire et exige la signature de chacune des parties en cause. Par conséquent, il ne m'est pas possible de vous accorder une prorogation du délai de production.         


Les prétentions des requérants

     Les requérants prétendent qu'ils avaient plusieurs raisons de croire que les procédures suivies étaient conformes aux exigences de la LIR. Ils avaient d'ailleurs, par les années précédant l'année en question, produit leur formulaire après les délais prévus et, puisque l'immeuble ne générait aucun revenu imposable, ils avaient également produit leurs déclarations de revenus hors délai, et cela sans aucune réaction de la part des intimés. Cette prétention s'appuie sur l'argument que le ministère aurait induit les requérants en erreur en:

a)      acceptant le formulaire NR-6 pour chacune des années d'imposition 1989, 1990, 1991 et 1992 en retard (après la première journée de l'année suivant l'année imposable);
b)      acceptant les déclarations de revenu après le délai de 6 mois pour les années 1989, 1990 et 1991;
c)      émettant des cotisations pour ces années indiquant qu'aucun revenu était imposable; et
d)      acceptant les déclarations en retard et émettant des cotisations même après le changement de la LIR.

     Selon les requérants, l'on ne leur aurait donné ni préavis, ni occasion de s'expliquer, dans le contexte d'une situation entraînant pour eux de si graves conséquences fiscales. Ils prétendent de plus que l'agente faisant la recommandation au Directeur adjoint aurait recommandé une décision favorable aux requérants, puisque "it seems that the agent was misinformed by the officer at the D.O. concerning filing requirements" et "financial hardship for agent". Néanmoins, le comité de révision et ensuite le Directeur adjoint rejetaient cette recommandation.

     Les requérants ajoutent qu'en vertu du paragraphe 220(3) du LIR, les directives du ministère prévoient une prolongation de délai en vertu du paragraphe 220(3) dans certaines circonstances, entre autres si un contribuable a reçu des renseignements erronés, à condition que la discrétion soit exercée de manière raisonnable, juste et cohérente.

Les prétentions des intimés

     Pour leur part, les intimés prétendent que le formulaire NR-6 prévoit clairement un délai de six mois et que le guide d'impôt pour 1992 en dit pareil s'il est lu attentivement. Bien que le guide dise qu'une personne doit produire une déclaration avant le 30 avril seulement si elle doit payer de l'impôt, il précise par ailleurs qu'un non-résident qui a touché un loyer d'immeuble et qui a rempli la formule NR-6 doit soumettre sa déclaration de revenu au plus tard le 30 juin 1993. Ils expliquent que les requérants n'allèguent pas avoir reçus des informations erronées, mais plutôt de ne pas avoir été suffisamment mis au courant de leur engagement aux termes du formulaire NR-6.

     Les intimés expliquent qu'il y a eu un amendement au paragraphe 216(1) de la LIR, rendant la production d'une déclaration obligatoire même si le revenu net est à néant. Cet amendement avait effet rétroactif pour les années d'imposition se terminant après le 13 juillet 1990 mais n'était sanctionné que le 17 décembre 1991. Pour cette raison, prétendent-ils, les déclarations pour les années 1990 et 1991 étaient acceptées en retard.

     Selon les intimés, l''on aurait pris en considération tous les documents pertinents et toutes les circonstances en rendant la décision. De plus, ils indiquent que les requérants avaient reçu un rappel de leur engagement sous le formulaire NR-6, ceci dans une lettre de rappel en date du 14 avril 1992. Or, on n'aurait pas accepté la recommandation favorable de l'agente puisque celle-ci n'avait pas observé que cette lettre de rappel, contrairement aux dires des requérants, leur avait été envoyée.

     Enfin, les intimés ajoutent que les "circonstances extraordinaires" auxquelles la décision réfère ne représentent pas un fardeau de preuve plus élevé, mais sont plutôt une expression usuelle dont on se sert régulièrement.

Analyse

     La partie pertinente du paragraphe 216(1) de la LIR, tel qu'elle se lit depuis son amendement le 13 juillet 1990 (et sanctionné le 17 décembre 1991) prévoit ce qui suit:

     216.      (1) Dans le cas où une somme a été versée au cours d'une année d'imposition à une personne non-résidente ou à une société de personnes dont elle était un associé, au titre ou en paiement intégral ou partiel de loyers de biens immeubles situés au Canada..., cette personne peut, dans les deux ans suivant la fin de l'année ou, si elle a fait parvenir au ministre l'engagement visé au paragraphe (4) pour l'année, dans les six mois suivant la fin de l'année, produire sur formulaire prescrit une déclaration de revenu en vertu de la partie I pour une personne résidant au Canada pour l'année. ... [c'est moi qui souligne]         

     À défaut de produire une déclaration dans le délai prévu au paragraphe 216(1), le paragraphe 216(4) impose au mandataire l'obligation de déduire 25% du loyer brut devant lui être remis et de remettre ce montant au Receveur général.

     Par le formulaire NR-6, signé par le mandant et le mandataire, le mandataire s'engageait en ces termes:

     Je m'engage par la présente, à défaut par le non résident de produire une déclaration et de payer l'impôt suivant l'engagement ci-dessus, à payer au Receveur général le plein montant que j'aurais autrement été tenu de verser dans l'année...         

     Par conséquent, si la déclaration n'est pas produite pour le mandant dans les six mois suivants la fin de l'année, le mandataire au Canada peut être tenu responsable et condamné à payer un montant égal à 25% du loyer brut de l'immeuble. Les procureurs des requérants ont soulevé une interprétation intéressante de ces provisions de la LIR, mais je suis satisfait que les obligations ci-dessus s'imposent en l'espèce.

     Néanmoins, le Ministre détient une discrétion d'accepter la déclaration même si elle est produite au-delà du délai prévu. Le paragraphe 220(3) de la LIR se lit ainsi:

     220.      (3) Le ministre peut à tout moment proroger le délai fixé pour faire une déclaration en vertu de la présente loi.         

     Aucun critère n'est précisé pour l'exercice de cette discrétion. Cependant, il est de jurisprudence clair que dans l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, l'on doit respecter les limites du mandat légal ainsi que de prendre en considération tous les facteurs dont on doit tenir compte en exerçant la fonction de prise de décisions qu'attribue la loi.1

     Le régime d'impôt sur le revenu du propriétaire non-résident impose un très lourd fardeau au mandataire résident. Le fardeau comme tel n'est pas nécessairement injuste puisque le mandataire en est averti lors de l'engagement pris au formulaire NR-6. Cependant, l'opération de ce régime peut imposer une pénalité déraisonnable dans des circonstances où le mandataire a pris toutes les mesures nécessaires pour se conformer aux exigences du ministère. Je suis d'avis que la discrétion prévue au paragraphe 220(3) existe principalement pour remédier aux injustices que pourrait causer ce régime.

     Dans le présent cas, les requérants s'étaient informés à plusieurs reprises auprès des agents du ministre. Ces derniers n'ont jamais indiqué qu'il y avait un problème quelconque avec la production tardive des déclarations. Pendant trois années, les requérants produisaient leurs déclarations hors du délai de six mois prévu au formulaire NR-6. Pendant trois années, le ministère acceptait ces déclarations sans commentaire. À chaque occasion, les requérants se croyaient justifiés de procéder de cette manière puisque le guide d'impôt précisait qu'une déclaration ne devait être produite dans le délai prévu que si l'on devait payer de l'impôt, alors qu'eux n'en payaient pas. Le ministère concède qu'avant la déclaration pour l'année 1992, la production hors délai était permise.

     Le 17 décembre 1991, une modification à la LIR était sanctionnée. Le 14 avril 1992, le ministère envoyait une lettre aux contribuables qui avaient signé le formulaire NR-6 non pas pour les aviser d'un changement dans la loi, mais tout simplement pour leur rappeler l'engagement qu'ils avaient pris. L'avis ne répond donc pas à la question de savoir si une prorogation du délai devrait être accordée.

     La décision faisant l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire est à l'effet que la prorogation du délai n'est disponible que si des circonstances extraordinaires empêchent un individu de produire la déclaration dans les délais précisés dans la LIR. Je suis d'avis que cette décision ne répond nullement à la question. Il ne s'agit pas d'une réponse de dire que l'on ne peut pas proroger le délai puisque le délai n'a pas été respecté: un tel raisonnement tient de la pétition de principe.

     Dans l'affaire Tic Toc Tours2, la Cour d'appel avait à considérer une situation semblable où le contribuable n'avait pas respecté le délai pour déposer son avis d'opposition. Selon l'article 167 de la LIR, une prorogation du délai pouvait être accordée si les circonstances du cas étaient telles qu'il serait juste et équitable de le faire. Le paragraphe (2) de cet article se lisait ainsi:

     (2)      La demande mentionnée au paragraphe (1) doit indiquer les raisons pour lesquelles il n'a pas été possible de signifier l'avis d'opposition à la Commission ou d'interjeter appel à la Commission dans le délai par ailleurs imparti à cette fin par la présente loi.         

     Nonobstant l'exigence que semblait imposer le paragraphe 167(2), le juge Pratte expliquait:

     Selon mon interprétation de la décision attaquée, le membre de la Commission a refusé d'accorder la prorogation de délai sollicitée par la requérante parce que, les éléments de preuve ne révélant pas qu'il n'avait pas été possible pour la requérante de signifier l'avis d'opposition dans le délai imparti, il a considéré que le paragraphe 167(2) l'empêchait d'exercer le pouvoir discrétionnaire à lui conféré par le paragraphe 167(1).         
     À mon avis, cette décision est entachée d'une erreur de droit et doit, pour cette raison, être infirmée. Les circonstances dans lesquelles la Commission est autorisée, sous réserve des conditions prévues au paragraphe 167(5), à exercer son pouvoir discrétionnaire afin de prolonger le délai dans lequel un avis d'opposition peut être signifié sont exposées au paragraphe 167(1). Or, cette disposition n'exige pas qu'il ait été impossible pour le contribuable de signifier l'avis dans le délai imparti. Le paragraphe 167(2) est une disposition procédurale qui, à mon sens, exige simplement que le requérant expose dans sa demande de prorogation de délai les raisons pour lesquelles l'avis n'a pas été signifié dans le délai imparti.         

     Donc, semble-t-il, la discrétion à proroger les délais impartis par la LIR ne saurait se limiter uniquement à une considération des circonstances faisant en sorte que le contribuable soit incapable de respecter les délais. Dans le présent cas, l'on a même pas une provision statutaire semblable à 167(2) pour en suggérer la possibilité. Le Directeur semble avoir imposé lui-même ce critère et l'avoir élevé au statut de facteur déterminant. Il n'y a rien dans la LIR permettant de ce faire et la jurisprudence est à l'encontre de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de cette façon.

     À la lecture de la décision, il est clair que le Directeur n'a nullement analysé le dossier dans le contexte des éléments sur lesquels il est censé avoir voulu exercer sa discrétion. Sans me prononcer sur les barèmes précis à appliquer, je me permet de mentionner que si le raisonnement du Directeur est bien fondé, il y aurait lieu qu'on se demande quelles seraient les circonstances qui pourraient déclencher l'application du paragraphe 220(3) du LIR. Le Directeur est en erreur s'il fonde sa décision sur le fait que les requérants n'ont pas respecté les délais, ces délais étant essentiellement des éléments mettant en jeu le paragraphe 220(3). J'ajoute que si cette Cour ne peut supplanter la discrétion du Directeur par la sienne, elle peut tout de même mentionner que le dossier ne contient aucun élément de supercherie de la part des requérants, et de plus, le procureur des intimés n'a pu suggérer aucun préjudice que pourrait subir ses clients si un délai était accordé.

Conclusion

     La requête est donc accueillie, et la décision du 27 décembre 1995 est cassée. L'affaire est renvoyée au Directeur pour rendre une décision fondée sur le principe que le paragraphe 220(3) doit être interprété comme exigeant que les requérants exposent dans leur demande de prorogation de délai les raisons pour lesquelles la déclaration n'a pas été produite dans le délai prescrit par la LIR et pour que les intimés exercent leur discrétion suivant les règles usuelles.

     Conformément à l'article 1618 des Règles de cette Cour, les frais, sauf exception, ne sont pas accordés. Les requérants doivent alors assumer leurs propres frais.

     L. Marcel Joyal

     __________________________

     J U G E

O T T A W A (Ontario)

le 21 février 1997.

__________________

1      Oakwood Development Ltd. c. Municipalité rurale de St. François Xavier, [1985] 2 R.C.S. 164.

2      [1983] 1 C.F. 254.


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : T-205-96

INTITULE : EMILE KUTLU ET AL. c. LA REINE ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA, ONTARIO

DATE DE L'AUDIENCE : LE 13 JANVIER, 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE JOYAL EN DATE DU 21 FEVRIER, 1997

COMPARUTIONS

ME FRANCIS-IAN ROJAS ET

ME GUY DU PONT POUR LE REQUERANT

ME MARIA G. BITTICHESU POUR L'INTIME

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

GOODMAN, PHILLIPS & VINEBERG

MONTREAL, QUEBEC POUR LE REQUERANT

GEORGE THOMSON

SOUS PROCUREUR GENERAL DU CANADA

MONTREAL, QUEBEC POUR L'INTIME

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