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Date : 20040402

Dossier : IMM-5314-03

Référence : 2004 CF 496

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

ENTRE :

                                 FARID MEHMOOD ANJUM et ISHRAT PERVEEN

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision d'un commissaire de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) de déclarer qu'il y a eu désistement de la demande du statut de réfugié de la part des demandeurs malgré le dépôt de leurs Formulaires de renseignements personnels (FRP) bien avant la tenue de l'audience sur le désistement.

[2]                La présente affaire comporte également l'examen des nombreux motifs contradictoires quant à la conclusion de désistement tirée par membre de la CISR. siégeant seul.


Les faits

[3]                Les demandeurs ont revendiqué le statut de réfugié le 25 février 2003. Leurs FRP devaient être retournés au plus tard le 25 mars. Ils ont été signés le 24 mars 2003 et déposés le 7 avril 2003.

[4]                Un jour après le dépôt de leurs FRP, la CISR a fixé une audience sur le désistement au 14 mai 2003 afin de décider s'il y avait eu désistement de la demande.

[5]                Le jour avant la tenue de l'audience sur le désistement, l'avocat des demandeurs a écrit à la CISR et en parlant du retard de deux semaines quant au dépôt de leurs FRP, l'avocat a expliqué que [traduction] « Le retard a été occasionné en grande partie par le fait qu'ils ont dû demander de l'aide financière auprès de l'Aide juridique de l'Ontario » .

[6]                Lors de l'audience sur le désistement du 14 mai, le demandeur, en réponse à une question de la CISR quant à savoir s'il y avait d'autres raisons pour expliquer le retard, a indiqué que son épouse avait été malade.

[7]                La CISR a ensuite ajouté ce qui suit après avoir conclu qu'aucune prorogation du délai n'avait été demandée :


[traduction]

Il existe des règles qui favorisent l'existence d'un système efficace et qui sont justes à l'égard des demandeurs. Je dispose d'une certaine latitude pour accepter les dépôts tardifs et les prorogations de délai dans les cas de circonstances extraordinaires. Mais, on ne m'a fait part d'aucune circonstance extraordinaire aujourd'hui. Selon moi, le fait que l'on n'ait pas reçu de fonds de l'aide juridique ne constitue pas une circonstance extraordinaire [...] La seule preuve médicale que j'ai entendue aujourd'hui, selon moi, n'est certainement pas suffisante pour que j'accorde la prorogation.

[8]                Malgré la tentative du demandeur d'élaborer davantage sur les circonstances médicales, le commissaire l'a interrompu et a affirmé « [...] Je vais prononcer le désistement de votre cause » .

[9]                Le 13 juin 2003, la CISR a délivré son avis de la décision concernant le désistement dans lequel il était mentionné que les demandeurs n'avaient pas comparu à l'audience sur le désistement et, que, par conséquent, elle avait prononcé le désistement de la demande.

[10]            Les demandeurs ont demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Ils ont également demandé la réouverture de la décision. Dans ces procédures, les demandeurs ont invoqué les motifs de la décision - le défaut de comparaître et l'erreur de fait évidente dans les motifs. La demande de réouverture a été rejetée.

[11]            Après que les procédures de contrôle judiciaire eurent été entreprises en juillet, la CISR a envoyé un avis modifié de la décision concernant le désistement dans lequel les motifs ont été remplacés par ce qui suit :


[traduction]

Vous et votre avocat avez comparu à l'audience mais n'avez pas donné les raisons pourquoi la SPR ne devrait pas conclure au désistement de votre demande.

[12]            Le dossier certifié du tribunal (ce dossier a été envoyé à la Cour en trois parties différentes, ce qui donne à penser qu'il y a eu une certaine confusion dans la gestion du dossier par la CISR) comprenait un formulaire d'endossement par la CISR, lequel n'avait pas été donné antérieurement aux demandeurs et dans lequel étaient mentionnés les motifs de la décision suivants :

- motifs insuffisants quant au retard occasionné par la demande d'aide financière auprès de l'aide juridique

- preuve médicale insuffisante

[13]            Plus révélateur encore est le fait que le formulaire d'endossement utilisé pour une « Audience sur le désistement sans FRP » comprend deux cases à cocher en réponse à deux questions :

Le FRP a-t-il été soumis avant la date de désistement sans FRP?

Ou/ le FRP a-t-il été soumis à la date de désistement sans FRP?

[14]            Aucune des deux cases n'a été cochée.

[15]            Il est important de souligner que l'avis de comparution informe les demandeurs que, à l'audience sur le désistement, ils doivent également être prêts à plaider au fond leur demande ce jour-là.

L'analyse

[16]            Malgré l'argument du défendeur que la norme de contrôle d'une décision portant sur un désistement devrait être celle du caractère manifestement déraisonnable parce que Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) procure au demandeur un filet de protection constitué par la procédure d'examen des risques avant renvoi (ERAR), je rejette cet argument.

[17]            Le juge Lemieux dans la décision Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 109 a analysé le rôle de la Section du statut de réfugié (qui a été remplacée par la CISR) ainsi que la nature de la décision qui doit être rendue dans une cause de désistement. Il a conclu que la norme de contrôle était celle du caractère raisonnable parce que la décision est une décision mixte de droit et de fait. Cette conclusion s'applique toujours malgré les modifications qui ont été apportées aux lois.

[18]            J'irais encore plus loin en l'espèce parce que la compétence de la CISR et la décision faisant l'objet du contrôle sont limitées par certains critères juridiques; un facteur dont on n'a pas eu à tenir compte dans Ahamad, précitée. Quant à la question opportune que la CISR doit se poser, il s'agit d'une question de droit pour laquelle la norme de contrôle est celle de la décision correcte.

[19]            La prochaine question consiste à savoir laquelle des nombreuses versions de la CISR constitue la décision et les motifs. Il est maintenant évident que les véritables motifs de la CISR figuraient dans l'endossement et non pas dans l'avis de la décision concernant le désistement (qui faisait mention du défaut de comparaître).

[20]            Quant à l'effet juridique de ces diverses versions des motifs, aucun des deux avocats n'a pu invoquer l'une ou l'autre disposition qui autorisait la CISR à modifier ses motifs de décision. Il s'agissait d'une décision finale et non pas d'une décision interlocutoire. À défaut d'une disposition à cet effet, je doute que l'avis modifié puisse avoir un effet juridique. Il ne s'agit pas en l'espèce d'une modification de forme mineure.

[21]            Si les demandeurs sont strictement soumis aux délais prévus par la loi et que l'on ne tient pas compte du fond de leurs situations, alors la CISR devrait être soumise à une norme toute aussi stricte. En toute justice, le défendeur ne devrait pas pouvoir échapper aux conséquences de l'erreur de la CISR. Toutefois, je n'ai pas à trancher cette question dans la présente affaire.


[22]            Si l'on suppose que les commentaires formulés à l'audience du 14 mai, le formulaire d'endossement et l'avis modifié sont les véritables motifs de décision, la CISR a commis une erreur lorsqu'elle a décidé de prononcer le désistement de la revendication du statut de réfugié.

[23]            C'est le paragraphe 168(1) de la LIPR qui constitue l'élément fondamental de la compétence de la CISR de prononcer un désistement :


Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l'affaire dont elle est saisie si elle estime que l'intéressé omet de poursuivre l'affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu'elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.


[24]            L'expression « omet de poursuivre l'affaire » est employée dans le contexte d'autres expressions qui dénotent l'intention du législateur de s'occuper de la question du mépris, intentionnel ou par négligence du processus de la CISR. Le défaut de comparution, de fournir des renseignements ou de donner suite aux demandes de communication, comportent tous un élément de mépris du fonctionnement de la CISR. Un simple dépôt tardif, en soi, ne constitue pas un élément de mépris.

[25]            Il n'existe en réalité aucune preuve de mépris. La demande d'aide juridique a été déposée promptement, les FRP ont été déposés à la première occasion après que l'avocat eut été autorisé à agir. Les demandeurs ont déposé la présente demande avec la plus grande diligence possible.


[26]            Le paragraphe 58(3) des Règles de la Section de la protection des réfugiés limite davantage le pouvoir discrétionnaire de la CISR dans les audiences sur le désistement.


Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d'asile à l'audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d'asile est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire.                                                [soulignement ajouté]

The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

[Emphasis added]


[27]            La CISR ne s'est pas posée la bonne question. Elle s'est demandée s'il y avait des « circonstances extraordinaires » en l'espèce. On ne trouve pas ce critère juridique dans les règles régissant le désistement.

[28]            La CISR a invoqué que la preuve était insuffisante pour les fins d'un désistement. Il s'agissait d'un cas de désistement dans lequel l'enquête doit porter sur la véritable intention et les actes du demandeur afin de conclure qu'il y a eu désistement de la demande. Il ne s'agissait pas d'une demande de prorogation de délai en vertu du paragraphe 6(2) des Règles qui, incidemment, n'impose pas un critère de « circonstances extraordinaires » .

[29]            La CISR n'a jamais porté son attention sur la question de savoir si les demandeurs étaient prêts à faire valoir leur revendication. En fait, la CISR a omis de cocher son document interne, le formulaire d'endossement, dans lequel cette question pertinente était posée.

[30]            Tout ce qui précède constituent des omissions d'examiner convenablement les critères juridiques en vertu desquels les causes de désistement doivent être examinées.

[31]            La CISR n'a pas tenu compte de facteurs comme les mesures prises en temps opportun pour obtenir de l'aide juridique, le court délai alloué pour déposer les FRP, le fait que les FRP ont été déposés, les conséquences juridiques qui sont engendrées si l'avocat déposent les FRP avant d'obtenir une autorisation appropriée et, enfin, l'intention des demandeurs d'aller de l'avant avec la présente revendication.

[32]            Il ne suffit pas de répondre, comme l'a laissé entendre le défendeur, qu'il n'y a pas de véritable préjudice parce que les demandeurs ont recours à une décision de l'ERAR. Les demandeurs ont droit à ce que la question du désistement soit tranchée en fonction des motifs d'ordre juridique pertinents.

[33]            Pour l'ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accordée. La CISR doit aller de l'avant avec la revendication des demandeurs.

[34]            Il n'y a pas de question à certifier.


                                      ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

1.          La demande de contrôle judiciaire soit accueillie.

2.          La décision par laquelle la CISR a conclu que les demandeurs se sont désistés de leur demande d'asile soit annulée.

3.          La revendication du statut de réfugié des demandeurs soit renvoyée à la CISR afin d'être tranchée par un autre commissaire.

                                                                           _ Michael L. Phelan _           

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5314-03

INTITULÉ :                                        FARID MEHMOOD ANJUM

et ISHRAT PERVEEN

et MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 23 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 2 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Robert I. Blanshay                                 POUR LE DEMANDEUR

Tamrat Gebeyehu                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert I. Blanshay                                 POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg,                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


                               COUR FÉDÉRALE

                                               

Date : 20040402

Dossier : IMM-5314-03

ENTRE :

FARID MEHMOOD ANJUM et

ISHRAT PERVEEN

                                                                              demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                               défendeur

                                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                             


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