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     Date : 19991012

     Dossier : IMM-4565-98

Ottawa (Ontario), le 12 octobre 1999

EN PRÉSENCE DE Mme LE JUGE SHARLOW


Entre :


     MUSTAFA SEBAI,

     demandeur,

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.



     ORDONNANCE



     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.



                         Karen R. Sharlow

                                     Juge


Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL.L.




     Date : 19991012

     Dossier : IMM-4565-98


Entre :


     MUSTAFA SEBAI,

     demandeur,

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE SHARLOW

[1]      Le demandeur Mustafa Sebai est citoyen libyen. Il a demandé la résidence permanente au Canada dans la catégorie des entrepreneurs. Après une entrevue avec une agente des visas à Paris, sa demande a été refusée pour deux raisons. La première se fonde sur la définition du terme " entrepreneur " donnée au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration . La deuxième se fonde sur le sous-alinéa 19(2)a.1)(ii) de la Loi sur l'immigration. L'avocate du ministre concède que l'agente des visas a commis une erreur sur le deuxième motif, mais elle défend la décision de l'agente sur le premier motif.

Définition du terme " entrepreneur "

[2]      La définition du terme " entrepreneur " est la suivante :

     " entrepreneur " désigne un immigrant
     a)      qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à part l'entrepreneur et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, et
     b)      qui a l'intention et est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce.

[3]      Pour déterminer si elle devait accueillir la demande de résidence permanente de M. Sebai, l'agente des visas devait se demander si elle était convaincue que M. Sebai répondait à cette définition.

[4]      M. Sebai a fait des études de droit en Libye. Au moment de sa demande de résidence permanente, il travaillait pour le gouvernement libyen depuis environ 35 ans, et envisageait de prendre sa retraite. De 1977 à 1988, il a été vice-directeur général et secrétaire de la Société nationale du son et de ses dérivés. De 1988 à 1996, il a été chef de cabinet du secrétaire du Comité populaire de l'industrie et des métaux. Ce sont deux postes de très haut niveau au gouvernement.

[5]      Les documents au dossier indiquent que M. Sebai, en sa qualité de représentant du gouvernement, a signé des contrats qui semblent être des contrats commerciaux ordinaires pour la vente de matières premières. Toutefois, son rôle dans la négociation de ces contrats n'a pas été expliqué. Il y avait également des preuves indiquant que M. Sebai avait des investissements dans des entreprises libyennes, mais pas d'éléments de preuve attestant qu'il avait joué un rôle actif dans la gestion de ces entreprises.

[6]      En outre, M. Sebai a dit à l'agente des visas qu'il avait touché des commissions en donnant des conseils d'affaires à des sociétés italiennes qui vendaient des produits céréaliers à la Libye. Toutefois, la nature de ces conseils n'a pas été expliquée. L'agente des visas a demandé des preuves documentaires concernant ces présumés conseils d'affaires. M. Sebai a fourni une lettre de la société Italgrani s.p.a. comme preuve qu'il avait un " accord de consultation " avec cette société, et qu'il [TRADUCTION] " collabore avec notre entreprise depuis plus de 15 ans agissant dans le domaine de la mouture, des céréales et des productions passées, ce qui nous a permis d'atteindre des résultats très positifs dans ces domaines ". Il a également fourni une [TRADUCTION] " entente de coopération " en date du 4 mai 1985, signée entre M. Sebai et Berga s.p.a. qui indique en partie ce qui suit :

     [TRADUCTION]
     1)      M. Mustafa Sebai s'engage à nous fournir sa collaboration et son aide pour l'octroi du contrat. Cette collaboration aura pour but de surmonter toutes les difficultés liées à l'exportation, à l'expédition, à l'établissement et au lancement accompagné d'un test de performance du produit.
     2)      En contrepartie de sa collaboration et de son aide, Berga s.p.a. accepte de payer, à compter de maintenant, à M. Mustafa Sebai, une commission nette de 5 % (cinq pour cent) sur le montant du contrat [...].

[7]      M. Sebai a dit à l'agente des visas, apparemment pour expliquer l'absence de documents libyens à l'appui de ces activités, que celles-ci étaient illégales dans son pays. L'agente des visas a cru que tel était le cas, comme elle était en droit de le faire. Elle avait également le droit d'inférer de la preuve de M. Sebai que ce qu'il appelait des " conseils d'affaires " étaient en fait du trafic d'influence. Nous reviendrons sur ce sujet plus loin.

[8]      M. Sebai a indiqué à l'agente des visas qu'en tant que résident du Canada il avait l'intention de fournir des conseils d'affaires à une société canadienne dont il serait propriétaire avec un associé italien. Ses plans pour cette société canadienne étaient de développer des marchés pour des produits céréaliers dans la région de la Méditerranée, au Brésil et en Afrique du Nord, en mettant à profit ses connaissances des besoins du marché, des pratiques commerciales et ses contacts.

[9]      Toutefois, en entrevue, M. Sebai n'a pu fournir de détails sur la propriété, les activités ou les finances de ces sociétés. Il ne savait pas où étaient situés leurs bureaux. Il ne possédait pas de connaissances élémentaires sur l'industrie des céréales au Canada. Il a par la suite fourni des renseignements précisant qu'il était propriétaire de la totalité des actions d'une société et de 50 % des actions de l'autre.

[10]      L'avocat de M. Sebai prétend que la conclusion de l'agente des visas selon laquelle M. Sebai ne répondait pas à la définition d'" entrepreneur " est abusive et déraisonnable. Je ne suis pas d'accord.

[11]      Les documents fournis par M. Sebai et le compte rendu de l'entrevue fait par l'agente des visas appuient la conclusion selon laquelle son expérience au gouvernement et en affaires n'établissent pas sa capacité ou son intention de participer à la gestion des deux sociétés canadiennes. L'agente des visas n'était pas tenue de parvenir à une conclusion favorable au demandeur, simplement à cause de sa formation juridique et de son expérience gouvernementale, même si cette expérience a été acquise à des postes de très haut niveau et portait sur l'achat de matières premières d'une façon apparemment commerciale.

Le sous-alinéa 19(2)a.1)(ii) de la Loi sur l'immigration

[12]      L'avocat de M. Sebai conteste également la décision de l'agente des visas à cause de son interprétation erronée du sous-alinéa 19(2)a.1)(ii) de la Loi sur l'immigration. La partie pertinente de cette disposition est rédigée dans les termes suivants :

     19(2)      Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants [...] et les visiteurs qui :
     [...]
     a.1)      sont des personnes dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles ont [...]
         (ii)      soit commis un fait - acte ou omission - qui constitue une infraction dans le pays où il a été commis et qui, s'il était commis au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, par mise en accusation, d'un emprisonnement maximal de moins de 10 ans [...].

[13]      L'agente des visas a conclu que les actes de M. Sebai qu'il a qualifiés de " conseils d'affaires " donnés à des exportateurs italiens constituaient une infraction qui était l'équivalent de l'infraction décrite à l'alinéa 121(1)c ) du Code criminel :

     Commet une infraction quiconque, selon le cas [...] étant fonctionnaire ou employé du gouvernement, exige, accepte ou offre ou convient d'accepter d'une personne qui a des relations d'affaires avec le gouvernement une commission, une récompense, un avantage ou un bénéfice de quelque nature [...] à moins d'avoir obtenu, du chef de la division de gouvernement qui l'emploie ou dont il est fonctionnaire, un consentement écrit dont la preuve lui incombe.

[14]      L'agente des visas ne s'est pas demandée s'il y avait une loi libyenne équivalant à l'alinéa 121(1)c) du Code criminel. L'avocat de M. Sebai prétend qu'il s'agit là d'une erreur de droit. Toutefois, ce qui est plus important, c'est que l'agente des visas n'a pas donné à M. Sebai la possibilité de dissiper ses doutes quant à savoir si le sous-alinéa 19(2)a.1)(ii) pouvait s'appliquer à son cas. L'avocat de M. Sebai a prétendu que l'agente a ainsi manqué à son obligation d'équité procédurale, et je suis d'accord avec lui. Il convient de répéter que l'avocat du ministre a concédé que la décision de l'agente des visas ne pouvait être défendue en s'appuyant sur le sous-alinéa 19(2)a.1)(ii).

[15]      L'avocat de M. Sebai prétend que le manquement à l'obligation d'équité procédurale commis par l'agente des visas sur cet aspect de ses motifs rend la décision nulle. À l'appui de son argument, il cite l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643. Dans cette affaire, le directeur du pénitencier avait refusé de mettre fin à l'isolement administratif de deux prisonniers. Il n'avait pas donné aux prisonniers la possibilité d'être entendus avant de prendre sa décision. La Cour a statué que l'omission du directeur d'accorder aux prisonniers la possibilité de se faire entendre avant de prendre sa décision constituait un manquement à l'équité procédurale qui rendait illégal le maintien des prisonniers en isolement.

[16]      Un manquement à l'obligation d'équité procédurale ou aux principes de justice naturelle vicie normalement une décision, mais il y a des exceptions. Dans l'arrêt Mobil Oil Canada, Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, la Cour suprême du Canada a reconnu qu'il peut être justifié d'ignorer un manquement à la justice naturelle lorsque " le fondement de la demande est à ce point faible que la cause est de toute façon sans espoir "1. Suivant cette décision, la Cour d'appel fédérale a statué qu'il n'est pas nécessaire d'annuler une décision pour un tel manquement, si le renvoi de l'affaire pour nouvel examen ne sert aucun but utile : Yassine c. Le Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 172 N.R. 308 (C.A.F.).

[17]      L'analyse de l'agente des visas, telle qu'elle est énoncée dans la lettre de sa décision, était divisée en deux parties. La première partie traite du bien-fondé de la prétention de M. Sebai d'être un " entrepreneur " au sens de la Loi. La deuxième partie traite de l'application du sous-alinéa 19(2)a .1)(ii). Je suis d'accord avec l'avocate du ministre qui prétend que l'agente des visas a donné deux motifs indépendants pour justifier sa décision. Logiquement, le fait qu'elle n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle en prenant sa décision sur le fond devrait suffire à maintenir cette décision.

[18]      L'avocat de M. Sebai prétend que l'exception reconnue dans l'arrêt Yassine ne devrait pas s'appliquer à l'espèce. Si j'ai bien compris le postulat de son argument, c'est qu'une fois que l'agente des visas a conclu que M. Sebai n'était pas admissible parce qu'il était visé au sous-alinéa 19(2)a.1)(ii), le mépris que suscite cette conclusion doit avoir influé sur son évaluation du bien-fondé de la prétention de M. Sebai d'être un entrepreneur. Le dossier n'appuie pas un tel postulat.

[19]      Comme je l'ai indiqué ci-dessus, M. Sebai a dit à l'agente des visas que l'activité qu'il qualifiait de " conseils d'affaires " était illégale en vertu du droit libyen. L'agente des visas l'a cru, comme elle était en droit de le faire. Cette conviction l'a amenée à se demander si les " conseils d'affaires " de M. Sebai constituaient véritablement des conseils d'affaires et elle a conclu que ce n'était pas le cas. Comme il a été indiqué ci-dessus, cette conclusion de fait, combinée à l'absence de preuve de toute expérience commerciale et à l'incapacité de M. Sebai de répondre à quelques questions très élémentaires sur des questions d'affaires, a justifié la décision de l'agente des visas indiquant que M. Sebai ne répondait pas à la définition d'un " entrepreneur ", et par conséquent sa décision de refuser sa demande.

[20]      La même conclusion de fait a également amené l'agente des visas à se demander s'il s'agissait d'un cas où le sous-alinéa 19(2)a.1)(ii) pouvait s'appliquer. Compte tenu des éléments dont elle disposait, elle a certainement eu raison de se pencher sur cette question. Elle a commis une erreur uniquement quand elle a omis de donner à M. Sebai l'occasion de se demander si ces activités qu'il reconnaissait lui-même comme illégales pouvaient entraîner l'application du sous-alinéa 19(2)a.1)(ii). Toutefois, cette erreur n'avait rien à voir avec sa conclusion de fait selon laquelle M. Sebai s'était livré à des activités illégales. Comme il a été expliqué ci-dessus, cette conclusion de fait était appuyée par la preuve que M. Sebai a lui-même fournie.

[21]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'a été proposée aux fins de la certification. Comme aucune des parties n'a demandé les dépens, ceux-ci ne sont pas adjugés.

                        

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

le 12 octobre 1999



Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



NE DU GREFFE :              IMM-4565-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Mustafa Sebai c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 7 septembre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE Mme LE JUGE SHARLOW

DATE :                  le 12 octobre 1999



ONT COMPARU :


Irvin H. Sherman                              POUR LE DEMANDEUR

Susan Nucci                                  POUR LE DÉFENDEUR



PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


Irvin H. Sherman                              POUR LE DEMANDEUR

Don Mills (Ontario)

Morris Rosenberg                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

__________________

     1      Citation tirée de Wade, Administrative Law (6e éd., 1988).

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