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     T-2261-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 12 JUIN 1997

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

E n t r e :

     ALLISON BURNET,

     requérante,

     et

     MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     intimé.

     ORDONNANCE

         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     Danièle Tremblay-Lamer

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme     

                                 Christiane Delon, LL. L.

     T-2261-96

E n t r e :

     ALLISON BURNET,

     requérante,

     et

     MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     intimé.

     MOTIFS DE LA DÉCISION

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

     La requérante sollicite une ordonnance de mandamus forçant l'intimé à lui envoyer, conformément au paragraphe 152(1.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada)1, un avis de détermination de perte pour son année d'imposition 1987 pour une somme au moins égale à 260 460 $.

FAITS ET GENÈSE DE L'INSTANCE

     La requérante est l'épouse de M. K. Peter Burnet. En 1987, les Burnet ont vendu un immeuble de West Vancouver (C.-B.) dont ils étaient copropriétaires. Ils ont subi une perte totale de 520 920 $ lors de la vente de l'immeuble. La requérante n'a réclamé aucune partie de la perte lorsqu'elle a produit sa déclaration de revenus de 1987. Son revenu pour l'année d'imposition 1987 a été imposé conformément à la déclaration de revenus le 15 août 1988. Elle ne s'est pas opposée à sa cotisation et elle n'a pas interjeté appel de la cotisation.

     M. Burnet a, dans sa déclaration de revenus de 1987, réclamé la déduction de la totalité de la perte en tant que perte d'entreprise. Le 26 avril 1991, l'intimé a fixé de nouveau l'impôt dû par M. Burnet pour l'année d'imposition 1987 et a refusé la déduction de la perte au motif qu'il s'agissait d'une perte purement personnelle. M. Burnet a interjeté appel de cette nouvelle cotisation devant la Cour canadienne de l'impôt.

     Le 5 octobre 1992, la requérante a, en vertu du paragraphe 152(1.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada), demandé à l'intimé de lui envoyer un avis fixant à la moitié de la perte subie la perte autre qu'une perte en capital qu'elle avait subie au cours de son année d'imposition 1987 " c'est-à-dire à 260 460 $ " au motif qu'elle était copropriétaire de l'immeuble.

     La nouvelle cotisation établie le 26 avril 1991 relativement à l'année d'imposition 1987 de M. Burnet a été remplacée par une seconde nouvelle cotisation le 7 octobre 1992. M. Burnet a modifié son avis d'appel initial conformément à l'article 25 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt2 en ne réclamant que la moitié de la perte au motif qu'il était copropriétaire de l'immeuble.

     Par lettre en date du 23 janvier 1993, l'intimé a accepté de garder en suspens la demande présentée par la requérante le 5 octobre 1992 en attendant l'issue de l'appel interjeté par M. Burnet devant la Cour canadienne de l'impôt. Par lettre en date du 5 août 1994, l'intimé a convenu avec la requérante que, si M. Burnet obtenait gain de cause dans l'appel qu'il avait interjeté au sujet de sa moitié de la perte, l'intimé en tiendrait compte pour établir la perte autre qu'une perte en capital subie par la requérante au cours de son année d'imposition 1987 et que l'intimé lui enverrait un avis de détermination de perte en conséquence. Voici les extraits pertinents de la lettre :

     [TRADUCTION]         
     Si l'appel interjeté par Peter Burnet de sa cotisation pour l'année d'imposition 1987 se solde par la reconnaissance de l'existence d'une perte, imputable au revenu, sur la disposition de l'immeuble (l'immeuble) dont l'intéressé et la contribuable étaient copropriétaires, le Ministère tiendra compte de la fraction de cette perte assumée par la contribuable, qu'il s'agisse de la moitié ou de toute autre proportion, pour établir le montant de la perte autre qu'une perte en capital subie par la contribuable au cours de l'année d'imposition 1987 et un avis de détermination de cette perte autre qu'une perte en capital sera envoyé en conséquence.         
     Toutefois, même si la contribuable a pu subir une perte autre qu'une perte en capital pour l'année d'imposition 1987 ainsi qu'il est mentionné au paragraphe précédent, la déclaration de l'année d'imposition 1987 est frappée de prescription et ne peut faire l'objet d'une nouvelle cotisation et l'on ne peut tenir compte, dans le calcul du revenu de la contribuable, de son revenu imposable et de l'impôt payable pour l'année en question, de la fraction de la perte imputable au revenu que la contribuable a subie lors de la disposition de l'immeuble à moins que le ministre du Revenu national n'exerce son pouvoir discrétionnaire en ce sens en vertu des dispositions du paragraphe 152(4.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Or, ni le ministre du Revenu national ni l'un de ses fonctionnaires délégués n'a exercé ce pouvoir discrétionnaire.         

     Par jugement rendu le 26 mai 1995, la Cour canadienne de l'impôt a statué que M. Burnet avait le droit de déduire une perte d'entreprise égale à la moitié de la perte subie lors de la vente de l'immeuble.

     Le 27 octobre 1995, compte tenu de la décision de la Cour canadienne de l'impôt, la requérante a demandé à l'intimé de lui envoyer un avis de détermination établissant sa perte pour l'année d'imposition 1987 à la moitié du montant de la perte, ainsi qu'il avait été convenu dans la lettre du 5 août 1994. Par lettre en date du 23 septembre 1996, le ministère du Revenu national a rejeté la demande d'avis de détermination de perte de la requérante.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

     La présente demande est fondée sur le paragraphe 152(1.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui dispose :

     152.(1.1) " Détermination des pertes par le ministre         
     Lorsque le ministre établit le montant de la perte autre qu'une perte en capital, de la perte en capital nette, de la perte agricole restreinte, de la perte agricole ou de la perte comme commanditaire ou assimilé subie par un contribuable pour une année d'imposition et que le contribuable n'a pas déclaré ce montant comme perte dans sa déclaration de revenu pour cette année, le ministre doit, à la demande du contribuable et avec toute la diligence possible, déterminer le montant de cette perte et envoyer un avis de détermination à la personne qui a produit la déclaration.         

ANALYSE

     Il n'est pas contesté que les principes régissant le prononcé d'une ordonnance de la nature d'un bref de mandamus sont ceux qui ont été énoncés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général)3 et auxquels la Cour suprême du Canada a par la suite souscrit4. Il faut d'abord déterminer si l'intimé était soumis à une obligation publique légale envers la requérante aux termes du paragraphe 152(1.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dès lors qu'il est démontré que le ministre a établi que la perte subie par le contribuable au cours d'une année d'imposition déterminée est différente de celle que le contribuable a déclarée dans sa déclaration de revenus de cette année-là, le ministre est tenu d'envoyer au contribuable un avis de détermination de perte. Ainsi, la seule question en litige devant notre Cour en l'espèce est celle de savoir si l'intimé a " établi " que la perte subie par la requérante au cours de son année d'imposition 1987 était différente de celle qu'elle avait déclarée dans sa déclaration de revenus pour l'année en question.

     La requérante est d'accord pour dire que l'intimé n'a pas initialement établi que la perte de la requérante était différente de ce qu'elle avait d'abord déclarée, c'est-à-dire un montant égal à zéro. La requérante affirme toutefois que l'intimé a par la suite établit à 260 460 $ la perte subie par la requérante au cours de son année d'imposition 1987. La Loi de l'impôt sur le revenu ne définit pas le mot " établit " au paragraphe 152(1.1). Suivant le Shorter Oxford English Dictionary (1973), " établir " signifie " déterminer " ou " fixer ". Une somme peut être " établie " ou " fixée " même si aucun chiffre précis n'est donné ; il suffit que la somme puisse être calculée par le recours à une formule [Hill v. Stait5, British Pacific Properties Ltd. c. Ministre de la Voirie et des Travaux publics6 et Rizzi v. Grazcos Cooperative Ltd.7]. Appliquant ces définitions aux faits de la présente affaire, la requérante affirme que, selon le premier paragraphe de la lettre qu'il lui a envoyée le 5 août 1994, l'intimé a " établi " la perte subie par la requérante au cours de l'année d'imposition 1987 en la fixant à une somme équivalente à celle que la Cour de l'impôt avait accordée dans le cadre de l'appel interjeté par M. Burnet relativement à son année d'imposition 1987.

     L'intimé affirme qu'il n'a pas " établi " la perte de la requérante dans sa lettre du 5 août 1994. Il soutient qu'on ne peut dire qu'un montant a été " établi " que lorsque qu'une somme déterminée a été fixée et qu'elle n'est pas assujettie à une éventualité ou à une condition qui peut ne jamais se produire8. La position énoncée dans la lettre du 5 août 1994 adressée à l'avocat de la requérante était conditionnelle et ne pouvait donc pas constituer l'" établissement " d'une perte.

     Pour les motifs qui suivent, je suis d'avis de conclure que la condition préalable énoncée au paragraphe 152(1.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu n'a pas été satisfaite et, en conséquence, que l'intimé n'était soumis à aucune obligation publique légale envers la requérante.

     Ainsi que je l'ai déjà dit, pour que l'intimé soit assujetti à une obligation aux termes du paragraphe 152(1.1), il faut démontrer que le ministre a " établi " que la perte subie par le contribuable au cours d'une année d'imposition déterminée est différente de celle que le contribuable a déclarée dans sa déclaration de revenus de l'année en question.

     La requérante invoque des précédents à l'appui de la proposition qu'un montant peut être établi même si aucun chiffre précis n'est donné. Il ressort de ces précédents qu'il suffit qu'on puisse préciser le montant en appliquant une formule. Tel n'est toutefois pas le cas en l'espèce. La lettre écrite le 5 août 1994 par l'intimé ne contenait pas une formule suffisante pour établir la perte de la requérante. Non seulement la lettre ne permettait pas de connaître cette somme avec précision, mais la position qui y était énoncée était conditionnelle. Il ressort de la jurisprudence qu'on ne peut dire qu'un montant a été établi lorsqu'il est assujetti à une condition. À cet égard, j'abonde dans le sens de l'avocat de l'intimé et je fais mienne l'opinion formulée par le juge en chef de l'Ontario Spragge dans l'arrêt Wiltsie v. Ward9 :

     [TRADUCTION]         
     Le montant doit être " établi " au moyen de la signature du défendeur. Suivant le sens raisonnable de ces mots, il faut certainement conclure que par " établissement ", on entend l'établissement d'une somme certaine et définie qui n'est pas assujettie à une éventualité ou à une condition qui peut ne jamais se réaliser.         

     Le ministre a fixé à un montant égal à zéro la perte subie par la requérante au cours de son année d'imposition 1987 conformément à ce que la requérante avait déclaré dans sa déclaration de revenus pour cette année-là. La lettre écrite le 5 août 1994 par l'intimé n'a, selon moi, rien changé à cela. Il s'agissait d'une réponse à la demande présentée le 5 octobre 1992 par la requérante en vertu du paragraphe 152(1.1). La position énoncée dans la lettre était conditionnelle à la réussite de l'appel de M. Burnet devant la Cour de l'impôt. Il ressort à l'évidence de l'emploi de la conjonction " si " dans la lettre que l'acceptation de la perte était conditionnelle. L'Oxford English Dictionary , sur lequel l'avocat de la requérante a beaucoup tablé pour définir le mot " établir " définit comme suit le mot " si " [TRADUCTION] : " introduit une condition [...] à la condition que. "

     En dernière analyse, je suis convaincue que, dans sa lettre du 5 août 1994, l'intimé n'a pas " établi " la perte subie par la requérante au cours de son année d'imposition 1987 en la fixant à un montant différent de celui qu'elle avait déclaré dans sa déclaration de revenus pour l'année en question.

     J'ai conclu que l'intimé n'était assujetti à aucune obligation publique légale envers la requérante. Dans ces conditions, un bref de mandamus ne peut tout simplement pas être délivré. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

OTTAWA (Ontario)

Le 12 juin 1997

     Danièle Tremblay-Lamer

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme     

                             Christiane Delon, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-2261-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      ALLISON BURNET c.
                     MINISTRE DU REVENU NATIONAL
LIEU DE L'AUDIENCE :          VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :          21 MAI 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Tremblay-Lamer

                     en date du 12 juin 1997

ONT COMPARU :

Me JOEL NITIKMAN                      POUR LA REQUÉRANTE
Me MARGARET CLARE                      POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

FRASER & BEATTY                      POUR LA REQUÉRANTE

VANCOUVER (C.-B.)

GEORGE THOMSON                      POUR L'INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

__________________

     1      L.R.C. 1952, ch. 148, modifiée.

     2      DORS/90-688.

     3      [1994] 1 C.F. 742 (C.A.).

     4      [1994] 3 R.C.S. 1100.

     5      [1913] 5 W.W.R. 225, à la page 230 (B.R. Man.).

     6      (1980), 112 D.L.R. (3d) 1, à la page 6 (C.S.C.).

     7      (1981), 153 C.L.R. 669, à la page 675 (Haute Cour d'Australie).

     8      Wiltsie v. Ward, (1883), 8 O.A.R. 549 (C.A.O.).

     9      Idem, à la page 552.

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