Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                           Date : 20010531

                                                                                                                                     Dossier : T-1360-99

                                                                                                           Référence neutre : 2001 CFPI 561

Ottawa (Ontario), le 31 mai 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

ALAN JAMES MORAN

                                                                                                                                                     demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

représentée par INDUSTRIE CANADA

                                                                                                                                               défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, (la Loi) à l'égard d'une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) en date du 15 octobre 1998.


Les faits

[2]                 À l'heure actuelle, le demandeur travaille à titre d'agent chargé des dossiers complexes à l'agence autrefois connue sous le nom de Revenu Canada Impôt. En 1991, il s'est porté candidat et s'est classé cinquième sur la liste d'admissibilité relative au poste d'agent principal des faillites (PM4), au ministère de la Consommation et des Affaires commerciales (maintenant Industrie Canada). Le demandeur ne s'est pas vu offrir un poste intérimaire à cause des restrictions financières qui existaient à l'époque et il a été détaché au poste d'agent principal des faillites au mois de février 1993.

[3]                 En 1994, le demandeur a participé à un autre concours visant à pourvoir au poste d'agent principal des faillites; sur les deux candidats qualifiés, il s'est classé deuxième. Le candidat qui occupait la première place a accepté l'emploi.

[4]                 Le 29 mai 1995, le demandeur a eu un léger accident cérébrovasculaire; il a presque toujours été absent jusqu'au mois d'octobre 1995, lorsqu'il est retourné travailler à temps partiel. Au mois d'octobre 1995, le détachement a pris fin à cause des restrictions financières; le demandeur est retourné occuper son ancien poste à Revenu Canada Impôt. Le nombre d'heures de travail du demandeur a augmenté graduellement jusqu'à ce que celui-ci travaille à plein temps au mois de février 1996.


[5]                 Le 29 avril 1996, le demandeur a remarqué un avis de concours d'Industrie Canada à l'égard d'un autre poste d'agent principal des faillites. La liste d'admissibilité de 1994 se rapportant à ce poste avait expiré le 31 mars 1996. Si la liste d'admissibilité n'avait pas expiré et si sa durée avait été prolongée jusqu'au 28 septembre 1996 (soit le maximum de deux ans), le demandeur aurait été nommé au poste puisque seul son nom figurait sur la liste. Le demandeur ne s'est pas présenté au concours de 1996.

[6]                 Le demandeur a déposé une plainte auprès de la CCDP en alléguant que la défenderesse avait [TRADUCTION] « agi d'une façon discriminatoire à [son] endroit en matière d'emploi en raison d'une déficience (un léger accident cérébrovasculaire) en refusant de [le] nommer à un poste de niveau plus élevé en violation de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne » . Le demandeur allègue que la défenderesse n'a pas prolongé la durée de la liste d'admissibilité de 1994 et qu'elle a tenu le concours de 1996 parce qu'elle ne voulait pas l'embaucher puisqu'il était atteint d'une déficience par suite de l'accident cérébrovasculaire.

[7]                 La CCDP a nommé un enquêteur en vue d'enquêter sur la plainte du demandeur. Dans son rapport, l'enquêteur recommandait la nomination d'un conciliateur en vue de tenter de régler la plainte. L'enquêteur a également conclu que le fait que le demandeur ne s'était pas présenté au concours de 1996 n'influait pas sur le bien-fondé de la plainte.


[8]                 Le rapport a été envoyé aux deux parties pour commentaires avant d'être soumis à la CCDP. Les deux parties ont présenté au sujet du rapport des observations écrites, que la CCRD avait à sa disposition en rendant sa décision. La CCDP a décidé de rejeter la plainte le 15 octobre 1998. Voici ce qu'elle a dit en rejetant la plainte :

[TRADUCTION]

Avant de rendre leur décision, les membres de la Commission ont examiné le rapport qui vous a déjà été communiqué et les observations qui ont été déposées en réponse au rapport.

Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé de rejeter la plainte. Les motifs de la décision de la Commission sont ci-après énoncés :

Conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission a décidé de rejeter la plainte parce que :

la preuve n'étaye pas l'allégation selon laquelle la défenderesse a agi d'une façon discriminatoire contre le plaignant à cause de la déficience de ce dernier;

aucun élément de preuve ne permet de constater l'existence d'un lien entre l'accident cérébrovasculaire dont le plaignant a été atteint et la décision de ne pas prolonger la durée de la liste d'admissibilité;

le plaignant était admissible au concours de 1996, mais il a décidé de ne pas se porter candidat.

                                                                                                                                                   [Souligné dans l'original.]

[9]                 Les points litigieux

1.          La CCDP a-t-elle rendu sa décision en violation des règles d'équité procédurale?

2.          La CCDP est-elle autorisée à rejeter la plainte du demandeur?


Arguments du demandeur

[10]            La norme de contrôle

Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

La décision de la CCDP de rejeter la plainte

Le demandeur soutient que la CCDP n'était pas autorisée à rejeter la plainte. Plus précisément, il affirme que la CCDP ne pouvait pas conclure que la preuve était insuffisante pour justifier le renvoi de l'affaire à un tribunal de sorte qu'elle ne pouvait pas rejeter la plainte. Le demandeur affirme en outre que la CCDP s'est appuyée sur des considérations non pertinentes en fondant sa décision sur le fait qu'il ne s'était pas présenté au concours de 1996. Selon le demandeur, les trois motifs que la CCDP a énoncés en rejetant la plainte sont insuffisants; le demandeur conteste la décision de la CCDP en faisant valoir trois perspectives différentes.

1.          Le demandeur affirme qu'en appréciant la preuve mise à sa disposition, la CCDP était tenue de suivre les principes juridiques qui régissent la charge de la preuve dans les affaires de droits de la personne. Selon le demandeur, il s'agit des principes ci-après énoncés :

a)          le plaignant doit d'abord fournir une preuve prima facie de discrimination;

b)          si la preuve est fournie, la défenderesse a la charge d'établir que [TRADUCTION] « compte tenu d'une preuve claire et convaincante, la demande n'est pas fondée » .


Le demandeur mentionne les décisions Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] C.H.R.D. no 2 T.D. 2/88 et Commission des droits de la personne de l'Ontario c. Simpsons-Sears et O'Malley, [1985] 2 R.C.S. 536 (ci-après l'arrêt O'Malley) à l'appui de l'argument susmentionné.

Le demandeur affirme avoir fourni une preuve prima facie à l'appui de sa plainte, et ce, pour les motifs suivants : il était admissible au poste (son nom avait déjà figuré à deux reprises sur la liste d'admissibilité relative au même poste); la défenderesse a intentionnellement décidé de ne pas prolonger la durée de la liste d'admissibilité de 1994 de sorte qu'il a été privé du droit d'être nommé au poste; l'accident cérébrovasculaire (dont la défenderesse était au courant) était le seul autre nouveau fait important qui se soit produit entre le moment où il s'était initialement qualifié et le moment où la décision de ne pas prolonger la durée de la liste a été prise.

Le demandeur soutient que la défenderesse (en affirmant essentiellement que la liste n'avait pas été utilisée ou que sa durée n'avait pas été prolongée parce qu'il n'y avait pas lieu de le faire) n'a pas démontré qu'il existait une preuve claire et convaincante montrant que la décision n'était pas un prétexte en vue d'agir d'une façon discriminatoire à son endroit. À l'appui de sa plainte, le demandeur soutient qu'il existait des raisons pour lesquelles la défenderesse n'avait pas utilisé la liste ou n'avait pas prolongé la durée de la liste.


Le demandeur ajoute qu'en recommandant la conciliation, l'enquêteur doit avoir conclu que la défenderesse ne pouvait pas réfuter la preuve prima facie.

2.          Étant donné qu'elle n'était pas d'accord avec l'enquêteur, la CCDP doit avoir eu à sa disposition des éléments de preuve additionnels figurant dans les observations que les parties avaient présentées au sujet du rapport de l'enquêteur. Étant donné que la CCDP n'a pas divulgué ces observations, elle doit avoir considéré que celles-ci n'ajoutaient rien de nouveau à la preuve dont disposait l'enquêteur. Le demandeur déclare que la CCDP ne disposait pas d'un nombre suffisant d'éléments de preuve pour être en mesure de ne pas souscrire aux conclusions de l'enquêteur.

3.          La CCDP a enfreint les règles d'équité procédurale en ne divulguant pas les observations que les parties lui avaient présentées au sujet du rapport de l'enquêteur.

Arguments de la défenderesse

[11]            Norme de contrôle pertinente

La défenderesse soutient que la norme de contrôle applicable, lorsqu'il s'agit d'examiner la décision discrétionnaire de la CCDP de ne pas renvoyer la plainte à un tribunal, est celle de la décision raisonnable, alors que la norme de contrôle qui s'applique aux affaires se rapportant à la compétence de la CCDP est celle de la décision correcte.


[12]            La décision de la CCDP de rejeter la plainte du demandeur

La défenderesse affirme que seule la CCDP possède le pouvoir discrétionnaire prévu par la loi en ce qui concerne le rejet d'une plainte et que la CCDP possède un large pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle agit à titre d'organisme administratif responsable d'un examen en vue de déterminer si une plainte doit être renvoyée à un tribunal des droits de la personne. La défenderesse soutient que la CCDP n'est pas liée par la recommandation de l'enquêteur et qu'elle a agi d'une façon raisonnable en arrivant à sa conclusion à partir de la preuve dont elle disposait.

[13]            La défenderesse affirme qu'en tenant compte du fait que le demandeur avait décidé de ne pas participer au concours de 1996, la CCDP n'a pas agi d'une façon déraisonnable ou de mauvaise foi ou encore d'une façon abusive ou arbitraire, puisqu'elle est tenue d'examiner les éléments dont elle dispose et qu'elle possède de larges pouvoirs discrétionnaires en effectuant un examen.

[14]            La défenderesse affirme en outre que, de toute façon, si la CCDP a tenu compte d'un facteur non pertinent, cela ne constitue pas une erreur susceptible de révision puisque la décision de la CCDP indique que celle-ci serait arrivée à la même conclusion (étant donné qu'elle avait conclu qu'aucun élément de preuve ne montrait l'existence d'un lien entre l'accident cérébrovasculaire et l'expiration de la liste d'admissibilité).


[15]            Présumée violation de l'équité procédurale

La défenderesse soutient qu'en appréciant la plainte, la CCDP n'a pas violé les règles d'équité procédurale et que le demandeur a eu la possibilité de répondre aux observations qu'elle avait présentées, à savoir que l'accident cérébrovasculaire n'était pas entré en ligne de compte lorsqu'il s'était agi de laisser la liste d'admissibilité expirer.

Dispositions législatives pertinentes

[16]            Le paragraphe 18(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, dans sa forme modifiée, est ainsi libellé :


18. (1) Les nominations à des postes pourvus par voie de concours sont effectuées d'après la liste d'admissibilité conformément aux règlements de la Commission.

18. (1) An appointment under this Act made to a position by competition shall be made from an eligibility list in accordance with the regulations of the Commission.


Le paragraphe 14(1) du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique [1993], DORS/93-286, (révoqué DORS/2000-80) est ainsi libellé :


14.(1)Sous réserve des paragraphes (2) et (3), lorsqu'une nomination, autre qu'une nomination intérimaire, est prévue à un poste pour lequel une liste d'admissibilité a été établie, celle-ci doit être utilisée ou épuisée avant que la nomination soit faite selon un autre mode de sélection.

14.(1) Subject to subsections (2) and (3), where an eligibility list has been established for a position and an appointment to that position, other than an acting appointment, is to be made, the eligibility list must be used or exhausted before an appointment is made as a result of any other process of selection . . .



Les dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, sont ainsi libellées :

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects_:

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

44.(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission_:

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue:

44.(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

(i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié [ . . .]

b) rejette la plainte, si elle est convaincue_:

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié

[. . .]

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted

. . .

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted . . .

47. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission peut charger un conciliateur d'en arriver à un règlement de la plainte, soit dès le dépôt de celle-ci, soit ultérieurement dans l'un des cas suivants :

a) l'enquête ne mène pas à un règlement;

b) la plainte n'est pas renvoyée ni rejetée en vertu des paragraphes 44(2) ou (3) ou des alinéas 45(2)a) ou 46(2)a);

47. (1) Subject to subsection (2), the Commission may, on the filing of a complaint, or if the complaint has not been

(a) settled in the course of investigation by an investigator,

(b) referred or dismissed under subsection 44(2) or (3) or paragraph 45(2)(a) or 46(2)(a), or

c) la plainte n'est pas réglée après réception par les parties de l'avis prévu au paragraphe 44(4).

(c) settled after receipt by the parties of the notice referred to in subsection 44(4),

appoint a person, in this Part referred to as a "conciliator", for the purpose of attempting to bring about a settlement of the complaint.

Analyse et décision

[17]            Première question

La CCDP a-t-elle rendu sa décision en violation des règles d'équité procédurale?

Afin de déterminer si, en l'espèce, il y a eu manquement aux règles d'équité procédurale, il est opportun de résumer le droit qui s'applique à l'équité procédurale dans des affaires portant sur des plaintes en matière de droits de la personne.

Dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 (ci-après appelé l'arrêt SEPQA), Monsieur le juge Sopinka a décrit la procédure utilisée par la Commission aux fins du traitement d'une plainte. Aux pages 899 et 900, voici ce qu'il a dit :


L'autre possibilité est le rejet de la plainte. À mon avis, telle est l'intention sous-jacente à l'al. 36(3)b) pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal en application de l'art. 39. Le but n'est pas d'en faire une décision aux fins de laquelle la preuve est soupesée de la même manière que dans des procédures judiciaires; la Commission doit plutôt déterminer si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. L'intention n'était pas non plus de tenir une audience en règle avant de décider de l'opportunité de constituer un tribunal. Au contraire, le processus va du stade de l'enquête au stade judiciaire ou quasi judiciaire dès lors qu'est rempli le critère énoncé à l'al. 36(3)a). Je conclus donc de ce qui précède que, compte tenu de la nature du rôle de la Commission et suivant les dispositions susmentionnées, il n'y a aucune intention d'astreindre la Commission à l'observation des règles formelles de la justice naturelle. Conformément aux principes posés dans l'arrêt Nicholson, précité, cependant, je compléterais les dispositions législatives en exigeant que la Commission observe les règles de l'équité procédurale. À cet égard, je fais miens les propos, reproduits ci-dessous, que tient le maître des rôles lord Denning dans l'arrêt Selvarajan v. Race Relations Board, [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.) La Race Relations Board exerçait des fonctions analogues à celles de la Commission canadienne des droits de la personne. En décidant qu'il s'agissait d'un organisme d'enquête ayant l'obligation d'agir équitablement, lord Denning dit, à la p. 19 :

[TRADUCTION] Ces dernières années nous avons examiné la procédure de nombreux organismes chargés de faire enquête et de se faire une opinion [...] Dans tous ces cas, on a jugé que l'organisme chargé d'enquêter a le devoir d'agir équitablement; mais les exigences de l'équité dépendent de la nature de l'enquête et de ses conséquences pour les personnes en cause. La règle fondamentale est que, dès qu'on peut infliger des peines ou sanctions à une personne ou qu'on peut la poursuivre ou la priver de recours, de redressement ou lui faire subir de toute autre manière un préjudice en raison de l'enquête et du rapport, il faut l'informer de la nature de la plainte et lui permettre d'y répondre. Cependant, l'organisme enquêteur est maître de sa propre procédure. Il n'est pas nécessaire qu'il tienne une audition. Tout peut se faire par écrit. Il n'est pas tenu de permettre la présence d'avocats. Il n'est pas tenu de révéler tous les détails de la plainte et peut s'en tenir à l'essentiel. Il n'a pas à révéler sa source de renseignements. Il peut se limiter au fond seulement. De plus, il n'est pas nécessaire qu'il fasse tout lui-même. Il peut faire appel à des secrétaires et des adjoints pour le travail préliminaire et plus. Mais en définitive, l'organisme enquêteur doit arrêter sa propre décision et faire son propre rapport.

[18]            Dans l'arrêt Radulesco c. Commission canadienne des droits de la personne (1984), 55 N.R. 384 (C.S.C.), Monsieur le juge Lamer (tel était alors son titre) a dit ce qui suit, aux pages 387 et 388 :


[13]          La Commission intimée reconnaît qu'elle remplit une fonction quasi judiciaire lorsqu'elle décide de rejeter en vertu de l'al. 36(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne une plainte qui n'est pas fondée. Elle reconnaît en outre que l'équité dans la procédure exige qu'un plaignant ait la possibilité de présenter des arguments, du moins par écrit, avant qu'on donne suite au rapport; toutefois, la tenue d'une audience n'est pas obligatoire. En dernier lieu, la Commission reconnaît que, pour s'assurer que ces arguments sont produits en connaissance de cause, elle doit, avant de rendre sa décision, révéler à l'intéressé les éléments essentiels de la preuve produite contre lui.

[14]          Vu la nature et la portée des renseignements communiqués à l'appelante par l'enquêteur, la Commission intimée reconnaît que les éléments essentiels de la preuve contre l'appelante ne lui ont pas été communiqués avant la décision. La Commission convient également que ce pourvoi doit par conséquent être accueilli et que l'appelante a droit à ses dépens comme entre avocat et client. Sans me prononcer sur tous les aspects de la norme de conduite à laquelle la Commission doit se conformer, j'estime qu'elle doit dans tous les cas satisfaire à celle énoncée par l'intimée. Puisqu'elle ne l'a pas fait en l'espèce, le pourvoi doit être accueilli.

[19]            Le demandeur affirme que la réponse que la défenderesse a donnée par suite du rapport de l'enquêteur renfermait des éléments, et notamment des arguments, dont il n'a été mis au courant qu'après que la Commission eut décidé de rejeter la plainte. Les nouveaux éléments sur lesquels le demandeur a principalement mis l'accent se rapportaient à la position adoptée par la défenderesse, à savoir que la décision qu'elle avait prise en matière de dotation n'était pas fondée sur la déficience du demandeur. J'ai examiné les éléments que la défenderesse a initialement soumis à la Commission et je ne puis trouver aucun argument se rapportant à l'existence d'un lien entre la déficience du demandeur et la décision qui a été prise en matière de dotation dans la défense de la défenderesse figurant dans le rapport de l'enquêteur. La défenderesse semblait plutôt initialement adopter la position selon laquelle le gestionnaire n'était pas autorisé à prolonger la durée de la liste d'admissibilité. Ce n'est que dans la lettre qui a été envoyée le 28 mai 1998 en réponse au rapport de l'enquêteur que la question de la [TRADUCTION] « présumée déficience » du demandeur a été soulevée.


[20]            De plus, la lettre du 28 mai 1998 de la défenderesse renfermait des arguments forts convaincants selon lesquels c'était le demandeur qui s'était refusé la possibilité d'accéder au poste parce qu'il ne s'était pas porté candidat au concours de 1996. Il est vrai que le fait que le demandeur ne s'est pas porté candidat au concours de 1996 était mentionné dans le rapport de l'enquêteur, mais ce dernier avait conclu que l'omission de participer à ce concours n'influait pas sur le bien-fondé de la plainte; cependant, l'importance de cet argument est devenue fort claire dans la lettre du 28 mai 1998 de la défenderesse et l'argument a finalement été adopté par la CCDP en vue de justifier le rejet de la plainte.

[21]            Il s'agit maintenant de déterminer si l'omission de divulguer au demandeur la réponse du 28 mai 1998 de la défenderesse constitue un manquement à l'équité procédurale. Il est certain que le rejet d'une plainte en matière de droits de la personne a des conséquences importantes pour le demandeur. Un rejet met fin à la plainte et le demandeur ne peut pas obtenir une réparation prévue par la loi (voir Larsh c. Canada (Procureur général) [1999] A.C.F. no 508, T-1079-98 (C.F. 1re inst.) au paragraphe 36). Je reconnais que la décision Larsh, précitée, se rapportait aux motifs pour lesquels la Commission avait rejeté la plainte, mais il était également important de donner au demandeur la possibilité de répondre pleinement avant que la CCDP prenne sa décision, puisque par cette décision, la plainte était rejetée.


[22]            L'examen du dossier et, en particulier, du rapport de l'enquêteur et de la lettre que la défenderesse a envoyée à la CCDP le 28 mai 1998 m'amène à conclure que la lettre aurait dû être remise au demandeur pour commentaires. Elle soulevait la question de la [TRADUCTION] « présumée déficience » du demandeur et avançait en outre un point de vue beaucoup plus fort en ce qui concerne l'omission du demandeur de se porter candidat au concours de 1996. De fait, la lettre disait qu'en ne se portant pas candidat au concours de 1996, le demandeur [TRADUCTION] « s'était refusé l'accès à une possibilité » . Or, dans son rapport, l'enquêteur avait dit que l'omission de se porter candidat n'influait pas sur le bien-fondé de la plainte; pourtant, la CCDP s'est servie de cette omission pour justifier le rejet de la plainte.

[23]            La décision de la CCDP est annulée. L'affaire est renvoyée à la Commission pour réexamen conformément à ces motifs.

[24]            Compte tenu de la décision à laquelle je suis arrivé au sujet de la première question, je n'ai pas à examiner la deuxième question.

[25]            Le demandeur aura droit aux dépens de la demande.

ORDONNANCE

[26]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision de la CCDP soit annulée. L'affaire est renvoyée à la CCDP pour réexamen conformément à ces motifs.


[27]            LA COUR ORDONNE EN OUTRE que le demandeur obtienne les dépens de la demande.

« John A. O'Keefe »

Juge

Ottawa (Ontario)

le 31 mai 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER :                                                            T-1360-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                           ALAN JAMES MORAN

c.

SA MAJESTÉ LA REINE, REPRÉSENTÉE PAR INDUSTRIE CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                              le 11 janvier 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                      MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                                     le 31 mai 2001

ONT COMPARU

M. David Yazbeck                                                               POUR LE DEMANDEUR

Mme Catherine Lawrence                                                     POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne                                  POUR LE DEMANDEUR

Ottawa (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.