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Date : 20011204

Dossier : T-83-01

Ottawa (Ontario), le 4 décembre 2001

En présence du juge Gibson

ENTRE :

DOUGLAS MARVIN COOPER

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE

La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. La décision sous examen est annulée et la question est renvoyée au défendeur pour un nouveau calcul de la date d'admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle totale en fonction de la peine globale et concurrente de trois ans d'emprisonnement que lui a infligée le juge du procès en septembre 1997.

Aucune ordonnance n'est rendue au sujet des dépens.

      « Frederick E. Gibson                   

      Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.



Date : 20011204

Dossier : T-83-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1329

ENTRE :

DOUGLAS MARVIN COOPER

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

Introduction


[1]                 Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire relative à une décision par laquelle la chef de la gestion des peines de l'établissement Kent, qui est une prison exploitée par le Service correctionnel du Canada en Colombie-Britannique, a décidé que le demandeur était admissible à la libération conditionnelle à compter du 1er août 2008 et qu'il était admissible à la semi-liberté et à des permissions de sortir sans escorte à compter du 1er août 2005. La date de la décision sous examen ne peut être déterminée à la lumière des documents dont la Cour est saisie et n'est pas indiquée dans la demande de contrôle judiciaire. Toutefois, il appert de la demande de contrôle judiciaire que le demandeur a reçu cette décision le 18 décembre 2000.

Les faits à l'origine du litige

[2]                 Les faits donnant lieu à la décision sous examen ne sont pas contestés pour l'essentiel. Les 8 et 30 juillet 1996, le demandeur a commis deux vols à main armée dans le Lower Mainland de la Colombie-Britannique. Le 1er août 1996, le demandeur a commis un homicide, à nouveau dans le Lower Mainland de la Colombie-Britannique, et a été arrêté le lendemain par suite de cette infraction.

[3]                 Le 18 juillet 1997, le demandeur a été reconnu coupable de meurtre au deuxième degré à l'égard de l'homicide qu'il avait commis l'été précédent et a été condamné à une peine d'emprisonnement à perpétuité sans être admissible à la libération conditionnelle avant l'expiration de dix ans suivant la date de son arrestation, c'est-à-dire le 2 août 1996.

[4]                 Le 12 septembre 1997, le demandeur a plaidé coupable aux deux accusations de vol à main armée qu'il avait commis pendant l'été 1996. Il a été condamné à une peine concurrente de trois ans relativement à chaque vol, chacune desdites peines concurrentes devant être exécutée en même temps que toute autre peine qu'il purgeait alors, c'est-à-dire la peine d'emprisonnement à perpétuité relative au meurtre au deuxième degré.


[5]                 Le jour où le demandeur a été condamné pour les deux vols à main armée, le temps d'épreuve qui lui restait à l'égard de la peine d'emprisonnement à perpétuité qu'il purgeait sans être admissible à la libération conditionnelle avant dix ans était une période de 3 246 jours qui devait prendre fin le 1er août 2006. Appliquant le paragraphe 102.2(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition[1], la chef de la gestion des peines a décidé que la période au cours de laquelle le demandeur n'était pas admissible à demander la libération conditionnelle était reportée de 365 jours pour chacune des deux peines concurrentes relatives aux condamnations pour vol à main armée. Elle a donc conclu que la date d'admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle totale était le 1er août 2008.

[6]                 C'est cette décision qui est sous examen en l'espèce.

Les règles de droit applicables

[7]                 L'article 120.1 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi) porte sur le calcul des dates d'admissibilité à la libération conditionnelle lorsque des peines consécutives supplémentaires sont imposées. L'article 120.2 concerne le calcul de la date d'admissibilité à la libération conditionnelle lorsque des peines concurrentes supplémentaires sont imposées. Voici le texte du paragraphe 120.2(2), qui est la disposition pertinente dans la présente affaire :

(2) Le délinquant qui est condamné à une peine d'emprisonnement supplémentaire pour une période déterminée alors qu'il purge une peine d'emprisonnement à perpétuité ou pour une période indéterminée n'est admissible à la libération conditionnelle totale qu'à la date à laquelle il a accompli le temps d'épreuve auquel il est assujetti au moment de la condamnation ainsi que le temps d'épreuve sur la peine supplémentaire.

(2) Where an offender who is sentenced to life imprisonment or for an indeterminate period receives an additional sentence for a determinate period, the offender is not eligible for full parole until the day on which the offender has served, commencing on the day on which the additional sentence was imposed,

(a) any remaining period of ineligibility to which the offender is subject; and

(b) the period of ineligibility in relation to the additional sentence.

[8]                 Voici le texte de l'article 7 et du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés[2] :

7.             Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

24. (1)     Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser àà un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

7.             Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

24.(1) Anyone whose rights or freedoms, as guaranteed by this Charter, have been infringed or denied may apply to a court of competent jurisdiction to obtain such remedy as the court considers appropriate and just in the circumstances.

Les questions en litige


[9]                 Le demandeur conteste la validité constitutionnelle du paragraphe 120.2(2) de la Loi dans le contexte de la présente affaire au motif que cette disposition va à l'encontre du droit à la liberté qui lui est reconnu, plus précisément de l'interdiction de porter atteinte à ce droit, sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale; le demandeur soutient notamment que cette disposition est imprécise, trop générale et excessive.

[10]            Subsidiairement et dans la mesure où le paragraphe 120.2(2) de la Loi est valable au plan constitutionnel dans le contexte de la présente affaire, le demandeur fait valoir que la chef de la gestion des peines de l'établissement Kent a mal interprété et mal appliqué cette disposition lorsqu'elle a calculé la date d'admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle totale et, par conséquent, les dates d'admissibilité de celui-ci à la semi-liberté et aux permissions de sortir sans escorte.

Récente décision de la Cour au sujet de faits similaires pour l'essentiel

[11]            J'ai entendu la présente demande de contrôle judiciaire le 13 novembre 2001 à Vancouver. Le même jour, mon collègue le juge Rouleau a fait connaître les motifs de sa décision dans Dimaulo c. Le commissaire du Service correctionnel du Canada, le Service correctionnel du Canada et al[3]. Grâce à des facteurs liés à la distance et au décalage horaire ainsi qu'aux merveilles de la communication électronique, la Cour a pu distribuer aux avocats en l'espèce les motifs de la décision du juge Rouleau avant le début de l'audience devant moi, laquelle a été brièvement reportée afin que les avocats et la Cour puissent prendre connaissance desdits motifs.


[12]            Au début de l'audience, l'avocat du demandeur, tout en adoptant le résultat de l'arrêt Dimaulo comme solution de pis-aller en l'espèce, a soutenu que les faits examinés dans cette décision étaient différents. M. Dimaulo, qui purgeait également une peine d'emprisonnement à perpétuité pour un meurtre au deuxième degré, a commis les infractions à l'égard desquelles il a subséquemment été condamné à purger des peines d'emprisonnement concurrentes alors qu'il était en liberté dans la société dans le cadre de la libération conditionnelle dont il bénéficiait relativement à la peine d'emprisonnement à perpétuité. En revanche, dans la présente affaire, les infractions pour lesquelles le demandeur a subséquemment été condamné à des peines d'emprisonnement concurrentes ont été commises avant l'homicide et, par conséquent, avant qu'il soit condamné à purger la peine d'emprisonnement à perpétuité sans admissibilité à la libération conditionnelle avant dix ans. Je reviendrai sur l'arrêt Dimaulo plus loin dans les présents motifs.

Réparations demandées

[13]            Le demandeur demande les réparations suivantes :

­                       d'abord, une déclaration fondée sur le paragraphe 24(2) de la Charte, selon laquelle le paragraphe 120.2(2) viole l'article 7 de la Charte tant de manière générale que dans le contexte de la présente affaire;

­                       en deuxième lieu, l'annulation du calcul des peines qui est sous examen et le renvoi de ce calcul pour nouvelle décision conformément aux ordonnances du juge qui a imposé la peine ou, subsidiairement, d'une manière compatible avec les motifs que le juge Rouleau a exposés dans l'arrêt Dimaulo.

Analyse

Validité constitutionnelle


[14]            Au début de l'audience, j'ai soulevé avec les avocats la question de savoir si la libération conditionnelle est un droit ou un privilège. J'estimais que, si la libération conditionnelle est un privilège plutôt qu'un droit, l'application de l'article 7 de la Charte ne sera tout simplement pas déclenchée par une détermination de la date d'admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle. Cette détermination ne toucherait nullement le droit à la liberté qui est reconnu au demandeur et auquel il ne peut être porté atteinte, selon l'article 7 de la Charte, sauf en conformité avec les principes de justice fondamentale. Les parties ne se sont pas vraiment attardées à cette question à l'audience.

[15]            À mon avis, la libération conditionnelle est un privilège et non un droit et l'application de l'article 7 de la Charte, qui concerne le droit à la liberté, n'est tout simplement pas déclenchée dans les circonstances de la présente affaire.

[16]            Dans l'arrêt R. c. Mitchell[4], le juge Ritchie a formulé les commentaires suivants au sujet de la Loi sur la libération conditionnelle[5], qui a été remplacée par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition :

Dans la mesure où ce pourvoi met en cause l'application des dispositions de la Loi sur la libération conditionnelle de détenus, je crois qu'on doit admettre au départ que la nature même de la libération conditionnelle consacre le fait qu'il s'agit d'un privilège accordé à certains détenus à la discrétion de la Commission des libérations conditionnelles et non pas un droit accordé à tous les détenus.

[17]            Le juge Strayer, alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale, a réitéré cette position dans l'arrêt Latham c. Solliciteur général du Canada et al[6].


[18]            Dans l'arrêt R. c. Shubley[7], Madame le juge McLachlin, alors juge de la Cour suprême du Canada, a formulé aux pages 22 et 23 des commentaires concernant la réduction de peine méritée, soit une forme de crédit appliqué à la peine d'emprisonnement qui ne fait plus partie du régime d'administration des peines mais qui, à mon avis, ressemblait sur certains points à la libération conditionnelle, notamment en ce qui a trait à son caractère discrétionnaire :

L'appelant soutient que la suppression ou l'annulation de la réduction de peine (qui n'a pas eu lieu en l'espèce) constitue un emprisonnement. Cet argument ne correspond pas à la notion juridique de réduction de peine méritée. La réduction de peine ne raccourcit pas une sentence d'emprisonnement; cela ne peut se réaliser que par voie d'appel. Elle permet plutôt au détenu qui "a participé assidûment" au programme de l'établissement carcéral de purger une partie de sa sentence en dehors de la prison. Le privilège de la réduction de peine (qui n'est pas un droit) relève de l'administration de la prison afin d'encourager les détenus à se réhabiliter et à coopérer au bon fonctionnement de la prison. La suppression de ce privilège en raison d'une conduite contraire à ces normes relève également de la discipline interne de la prison. La suspension de la réduction de peine ne constitue pas l'imposition, par le directeur, d'une peine d'emprisonnement, mais représente simplement la perte d'un privilège qui dépend de la bonne conduite du détenu: voir l'arrêt Knockaert c. Commissaire aux services correctionnels, ... dans lequel [il a été jugé à la majorité] que l'annulation de la réduction de peine méritée ne constitue pas une punition, mais plutôt le retrait d'une récompense. [les renvois et les noms des juges participant à la décision ont été omis]

[19]            Plus récemment, dans l'arrêt Mooring c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles)[8], le juge Sopinka s'est exprimé comme suit aux paragraphes 38 et 39 :

En tant que tribunal d'origine législative, la Commission est également assujettie aux impératifs de l'art. 7 de la Charte... Bien que les principes de justice fondamentale ne se limitent pas à la justice en matière de procédure, il ne s'ensuit pas qu'un tribunal qui applique les règles d'équité et de justice naturelle ne se conforme pas à l'art. 7. Si le grand nombre de tribunaux d'origine législative qui traditionnellement ont été obligés de se conformer à l'équité procédurale, sans plus, étaient tenus de respecter toute la gamme des principes de justice fondamentale, l'aspect général de la justice administrative au pays subirait un changement fondamental...

Selon un précepte fondamental de notre système juridique, les règles de la justice naturelle et de l'équité procédurale s'ajustent en fonction du contexte dans lequel elles sont appliquées.

[20]            Aucun des arrêts susmentionnés n'a été cité devant moi. Cela étant dit, je dégage les conclusions suivantes de ces décisions :


­                       la libération conditionnelle est un privilège et non un droit;

­                       il s'agit d'un privilège accordé ou refusé au moyen de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. L'octroi ou le refus du privilège touche un droit à la liberté auquel il a été porté atteinte non pas par suite du calcul d'une date d'admissibilité à la libération conditionnelle ou de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire accordé à la Commission nationale des libérations conditionnelles, mais par le juge qui a imposé la peine;

­                       étant donné que l'octroi ou le refus du privilège de la libération conditionnelle touche un droit à la liberté, la Commission nationale des libérations conditionnelles est tenue, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de se conformer à l'équité procédurale et non de respecter toute la « gamme » des principes de justice fondamentale.


[21]            Lorsqu'ils déterminent une date d'admissibilité à la libération conditionnelle conformément aux dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, les agents du Service correctionnel du Canada n'exercent aucun pouvoir discrétionnaire, mais appliquent simplement la loi qu'a édictée le Parlement. Les décisions qu'ils prennent ne touchent nullement un droit à la liberté, mais visent plutôt à déterminer conformément aux règles de droit applicables la date à laquelle le détenu est admissible à demander la libération conditionnelle et certaines autres formes de mise en liberté sous condition. Ces déterminations peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire, comme c'est le cas en l'espèce, lorsqu'il est possible que la décision n'ait pas été prise conformément aux règles de droit et à la lumière de la situation propre au détenu concerné. Étant donné que les agents du Service correctionnel du Canada n'exercent aucun pouvoir discrétionnaire, j'estime que, même si ces décisions doivent être prises conformément aux règles de droit, les principes de justice fondamentale, et même pas le devoir d'équité procédurale, s'y appliquent.

[22]            En résumé, l'application de l'article 7 de la Charte n'est tout simplement pas déclenchée dans la présente demande de contrôle judiciaire.

[23]            Compte tenu de ce qui précède, en ce qui concerne les arguments précis que le demandeur invoque au sujet de la Charte, il n'est pas nécessaire que j'examine la question de savoir si le paragraphe 120.2(2) de la Loi va à l'encontre de l'article 7 de la Charte au motif qu'il serait imprécis, trop général et excessif ou, en d'autres termes, du moins dans la présente affaire, la question de savoir si cette disposition devrait être déclarée inopérante parce qu'elle ne fournit pas la certitude que les Canadiens sont en droit d'exiger lorsqu'un droit à la liberté est en litige, ne serait-ce que de manière indirecte et conditionnelle. Je commenterai néanmoins brièvement cette question.


[24]            À mon avis, le paragraphe 120.2(2) de la Loi n'est pas inconstitutionnel parce qu'il serait imprécis, trop général et excessif. Pendant qu'il examinait le projet de loi émanant du gouvernement et comportant des modifications et ajouts à la Loi, y compris le nouvel article 120.2, le Comité de la justice et des questions juridiques de la Chambre des communes était saisi d'un rapport concernant une étude exhaustive des dispositions de la Loi relatives au calcul des peines[9]. Ce rapport indique ce qui suit à la page 3 :

[TRADUCTION] Trois principes fondamentaux que toute solution proposée [aux problèmes découlant des dispositions alors en vigueur au sujet du calcul de la date d'admissibilité à la libération conditionnelle] devrait respecter ont été relevés :

l'équité, qui englobe les concepts de l'impartialité, de la justice et de la prévisibilité;

« crime=temps d'épreuve » , selon lequel une personne qui se voit infliger une peine d'emprisonnement devrait effectivement être détenue pendant quelque temps;

la simplicité au plan de l'application et de la compréhension, sans porter atteinte à l'exhaustivité et à la souplesse.

[25]            Les débats du Comité indiquent que ces principes devaient être traduits dans les articles 120.1 et 120.2 de la Loi[10]; ainsi, à la page 89:32, une personne qui a témoigné devant le Comité a commenté comme suit les liens entre la disposition du projet de loi visant à édicter l'article 120.2 et une disposition antérieure :

L'article 33 vise donc le cas d'un détenu condamné à l'emprisonnement à perpétuité dont le temps d'épreuve pour la libération conditionnelle totale serait fixé et qui se verrait infliger une nouvelle période d'emprisonnement déterminée. Du même fait, le temps d'épreuve pour la libération conditionnelle totale est prolongé. L'objet de l'amendement est donc simplement de prolonger le temps d'épreuve pour l'admissibilité à la libération conditionnelle totale.[non souligné à l'original]


Compte tenu de cet extrait, il m'apparaît évident que, même si le Parlement était préoccupé principalement par la question des infractions subséquentes perpétrées par un condamné à l'emprisonnement à perpétuité pendant sa libération conditionnelle lorsqu'il a examiné l'adoption de l'article 120.2, il a également envisagé la possibilité que cet article 120.2 porte précisément sur les circonstances du demandeur en l'espèce. Compte tenu de l'évolution de la disposition législative en cause, j'estime que les mots du paragraphe 120.2(2) sont clairs et dépourvus de toute ambiguïté.

Erreur susceptible de révision que comporterait la décision sous examen

[26]            Je suis d'avis que, compte tenu du sens manifeste du paragraphe 120.2(2) de la Loi et du fait que les peines qui ont été imposées au demandeur alors qu'il purgeait la peine d'emprisonnement à perpétuité à laquelle il avait été condamné précédemment devaient être purgées simultanément et en même temps que la peine en cours d'exécution, l'agente dont la décision est sous examen en l'espèce a commis une erreur susceptible de révision. Lorsqu'elle a calculé la date d'admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle totale, elle a traité les deux peines concurrentes comme des peines consécutives l'une à l'autre. À mon avis, ce traitement n'était compatible ni avec l'intention du juge qui a imposé la peine, ni avec le sens ordinaire à donner au paragraphe 120.2(2) de la Loi.

[27]            Dans l'arrêt Dimaulo, le juge Rouleau s'est exprimé comme suit aux paragraphes [10] à [12] :

Je ne puis accepter la manière dont le défendeur interprète cette disposition. Selon lui, il n'importe pas que le juge qui a prononcé la peine ait ordonné le cumul des peines ou la confusion des peines, car cet aspect n'aurait aucun effet sur la date d'admissibilité à la libération conditionnelle totale. Une telle interprétation conduirait en fait à une absurdité, l'absurdité même qu'évoque ainsi le défendeur dans son mémoire des faits et du droit :

[TRADUCTION] La première peine commence lorsque le juge l'impose, la deuxième peine commence elle aussi lorsque le juge l'impose, et ainsi de suite. Cependant, puisqu'un juge ne peut imposer des peines multiples au même moment précis, chaque peine doit inévitablement commencer à un moment différent.


À mon avis, cette proposition est si absurde qu'elle mérite à peine que l'on s'y attarde. Quoi qu'il en soit, elle n'est certainement pas en accord avec les principes fondamentaux de l'interprétation législative, principes selon lesquels les termes d'une loi doivent être lus dans leur contexte global, selon leur sens grammatical et ordinaire, et en harmonie avec l'économie de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Avant l'entrée en vigueur de l'article 120.2 de la LSCMLSC, un détenu qui était en liberté sous condition et qui récidivait pouvait techniquement s'épargner le temps d'épreuve résultant d'une peine supplémentaire. S'il en était ainsi, c'était parce qu'il y avait confusion de la peine supplémentaire et de la peine à durée indéterminée. C'est là l'anomalie que le législateur voulait corriger en édictant les modifications. Leur objet était d'assurer le public qu'un délinquant en liberté conditionnelle et purgeant une peine à durée indéterminée serait tenu de purger une peine minimale d'incarcération correspondant au temps d'épreuve devant être accompli par lui pour la peine imposée ultérieurement. L'idée n'était pas d'enlever aux juges leur pouvoir discrétionnaire d'ordonner le cumul des peines ou la confusion des peines.

[28]            Je souscris à ces remarques et j'ajoute ce qui suit. À mon sens, l'intention du Parlement était plus poussée que ce que le juge Rouleau indique : le Parlement voulait assurer le public qu'un délinquant, qu'il soit incarcéré ou en liberté conditionnelle, qui purge une peine à durée indéterminée serait tenu de purger une peine d'incarcération minimale correspondant au temps d'épreuve devant être accompli par lui pour la peine imposée ultérieurement. Seule cette interprétation du paragraphe 120.2(2) est compatible avec le principe qui sous-tend cette disposition et les dispositions connexes et selon lequel « crime=temps d'épreuve » .


[29]            À mon avis, aucun élément du paragraphe 120.2(2) n'exige ni même ne permet que des peines concurrentes imposées à un individu qui purge une peine d'emprisonnement à perpétuité soient converties en peines d'emprisonnement consécutives. Le paragraphe 120.2(2) exige que, pour le calcul de l'admissibilité à la libération conditionnelle seulement, le temps d'épreuve déterminé à partir de la sentence globale découlant des peines d'emprisonnement concurrentes soit traité comme une période consécutive au reste du temps d'épreuve à accomplir à l'égard de la peine d'emprisonnement à perpétuité de l'individu. C'est tout ce qu'exige cette disposition, qui ne peut tout simplement pas être interprétée de façon à autoriser les fonctionnaires chargés de l'administration des peines à modifier la décision discrétionnaire du juge qui a imposé la peine en ce qui a trait à la question de savoir si la peine qu'il a infligée devrait être purgée de manière consécutive ou concurrente à une autre et de manière consécutive ou concurrente à la peine en cours d'exécution.

Conclusion

[30]            Pour les motifs exposés ci-dessus, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie en partie. La décision sous examen sera annulée et renvoyée au défendeur pour un nouveau calcul de la date d'admissibilité du demandeur à la libération conditionnelle totale en fonction de la peine globale et concurrente de trois ans d'emprisonnement que lui a infligée le juge du procès en septembre 1997.

        « Frederick E. Gibson »                                                                                                                               Juge

Ottawa (Ontario)

Le 4 décembre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                              T-83-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Douglas Marvin Cooper

c.

Procureur général du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                             le 13 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      Monsieur le juge Gibson

DATE DES MOTIFS :                                     le 4 décembre 2001

COMPARUTIONS :

M. Anthony Zipp                                                               POUR LE DEMANDEUR

MM. Curtis Workun

et Glenn Rosenfeld                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zipp & Company

Coquitlam (Colombie-Britannique)                                   POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                               POUR LE DÉFENDEUR



[1]            L.C. 1992, ch. 20, et ses modifications

[2]            Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (L.R.C. (1985), appendice II, n ° 44), annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.).

[3]            13 novembre 2001, n ° de greffe T-2221-00; référence neutre 2001 CFPI 1230.

[4]            [1976] 2 R.C.S. 570.

[5]            L.R.C. (1985), ch. P-2.

[6]            [1984] 2 C.F. 734.

[7]            [1990] 1 R.C.S. 3.

[8]            [1996] 1 R.C.S. 75.

[9]            Canada, Solicitor General of Canada, Report to the Standing Committee on Justice and Solicitor General on the Comprehensive Review of Sentence Calculation Provisions Contained in the Corrections and Conditions Release Act (Ottawa : Solliciteur général du Canada, 1993).

[10]           Voir, notamment, les procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, Chambre des communes, fascicule n ° 89, le mercredi 15 mars 1995.

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