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Date : 20020328

Dossier : IMM-2510-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 28 MARS 2002

En présence de MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

ENTRE :

                                                    THANGESWARY JEYASEELAN

                                                         PIRATHEEPA JEYASEELAN

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                     ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission datée du 26 avril 2001 est annulée. L'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire.

« W. P. McKeown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


Date : 20020328

Dossier : IMM-2510-01

Référence neutre : 2002 CFPI 356

ENTRE :

                                                    THANGESWARY JEYASEELAN

                                                         PIRATHEEPA JEYASEELAN

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]                 Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 26 avril 2001, selon laquelle les demanderesses n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention.

[2]                 Deux questions en litige sont soulevées :

          1)        La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a appliqué la décision Vasquez?


          2)        La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la preuve, notamment lorsqu'elle a omis, même si ses conclusions quant à la crédibilité étaient défavorables, de prendre en compte les changements dans la situation du pays?

[3]                 La demanderesse et sa fille de onze ans, la deuxième demanderesse, sont des citoyennes du Sri Lanka qui ont revendiqué le statut de réfugiées du fait de leur race, des opinions politiques qui leur sont imputées et de leur appartenance à un groupe social, soit les Tamouls du Nord du Sri Lanka. La revendication des demanderesses a d'abord été entendue en novembre 1996 et la Commission a conclu qu'elles n'étaient pas des réfugiées au sens de la Convention. L'autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire a été refusée. Les demanderesses ont présenté une revendication réitérée en 1999 après un séjour aux États-Unis. Par suite d'une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, l'affaire a été renvoyée à la Commission pour une nouvelle audience. Lors de la nouvelle audience, de laquelle résulte la présente demande de contrôle judiciaire, la Commission s'est fondée sur :

[...] ce qui avait changé, autant dans la situation personnelle des revendicatrices que dans la situation du pays, depuis l'audition de la première revendication. Le tribunal a rejeté l'argument du conseil selon lequel la décision de l'arrêt Vasquez ne doit pas s'appliquer puisque la demande de contrôle judiciaire de la revendication originale avait été rejetée.

Dans l'affaire Vasquez c. M.C.I. [1998] A.C.F. no 1769, M. le juge Rothstein a déclaré que le principe de l'autorité de la chose jugée s'appliquait lorsque le demandeur présentait une deuxième revendication du statut de réfugié après que sa première revendication eut été rejetée. Il a de plus établi que le demandeur ne pouvait pas, lors de la deuxième audience, soulever des arguments qu'il aurait pu soulever lors de la première audience. Il a en outre déclaré :


Aucune circonstance spéciale ne justifie la production d'éléments de preuve qui étaient auparavant disponibles.

[4]                 La demanderesse allègue que sa prétention selon laquelle la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a appliqué la décision Vasquez se fonde sur deux motifs. Premièrement, la Commission a elle-même déclaré lors du renvoi de l'affaire pour une nouvelle audience qu' « il s'agit [...] d'une nouvelle audition de la revendication réitérée » . Deuxièmement, la demanderesse prétend de façon subsidiaire que la Commission peut à son gré choisir d'appliquer ou de ne pas appliquer Vasquez et qu'il lui incombe ainsi d'énoncer avec soin dans ses motifs les raisons de son choix. Deux affaires tranchées depuis la décision Vasquez sont à mon avis pertinentes. Dans la décision Pillai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] A.C.F. no 1944, M. le juge Gibson a déclaré que si, au lieu de retourner aux États-Unis, la personne était retournée au Sri Lanka et que de nouveaux événements étaient survenus, cela aurait pu modifier l'application de Vasquez, mais que dans l'espèce ce n'était pas ce qui s'était produit, pas plus que c'est ce qui s'est produit dans la présente affaire selon les faits qui me sont soumis. Le juge Gibson a déclaré :

[...] vu les faits particuliers de l'espèce, je suis d'avis qu'il n'existe pas de fondement permettant de conclure que le Parlement avait l'intention d'accorder au demandeur une nouvelle possibilité de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention lors de sa troisième entrée au Canada. Plutôt que de renforcer sa revendication, les actes posés par le demandeur au cours de son absence du Canada ont mis en doute son allégation d'une crainte subjective de persécution s'il devait retourner au Sri Lanka.

Par conséquent, la Commission a, en l'espèce, correctement établi qu'il ne s'agissait pas d'une audience de novo au sens de réexamen de tous les éléments de preuve, mais plutôt au sens de réexamen des éléments de preuve relatifs aux changements survenus depuis la première revendication.


[5]                 M. le juge Lemieux, dans la décision Telemichev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2001] A.C.F. no 1511, a déclaré :

[24] En autorisant le dépôt d'une deuxième revendication, il me semble évident que le législateur n'avait pas l'intention d'écarter complètement une décision antérieure de la Section du statut de non reconnaissance et ceci pour plusieurs raisons.

Il a poursuivi comme suit :

[26] [...] une telle interprétation serait, à mon avis, contraire à l'objet de la Loi et de la Convention qui veut que seuls ceux qui sont persécutés méritent la protection internationale. À mon avis, une interprétation qui écarterait le principe de la chose jugée sanctionnerait de nombreux abus et mènerait à une reconnaissance de facto de la protection du Canada pour une personne qui n'est pas vraiment réfugiée.

[27] En conséquence, c'est à juste titre que le tribunal a invoqué les principes de l'arrêt Vasquez.      

À mon avis, il suffit de renvoyer à la décision Vasquez sans qu'une analyse des motifs pour lesquels elle s'applique aux circonstances de l'espèce ne soit faite. La Commission n'a pas commis d'erreur lorsqu'elle a appliqué la décision Vasquez.


[6]                 La deuxième question en litige est celle de savoir si la Commission a eu raison, même si elle avait conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi, d'omettre de prendre en compte la situation du pays. À mon avis, la Commission a commis une erreur dans son évaluation de la preuve lorsqu'elle a déclaré qu'il n'existait pas d'éléments de preuve dignes de foi. En l'espèce, la Commission a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi et normalement l'affaire serait réglée. Cependant, la Commission a conclu qu'il existait des documents d'identification qui tendraient à rattacher les demanderesses au Nord du Sri Lanka aussi tard qu'en 1995. Les demanderesses ont quitté le Sri Lanka à l'automne 1995 bien que la Commission ait été incapable d'établir la date précise de leur départ, mais il n'y avait aucun doute qu'elles avaient quitté le pays étant donné qu'elles sont arrivées au Canada en décembre 1995.

[7]                 Il n'y avait aucun doute que la demanderesse adulte souffrait de poliomyélite. Elle a marché devant les membres de la Commission pour montrer qu'elle ne pouvait pas courir et qu'elle boitait. Je reconnais que la poliomyélite n'est pas un nouvel élément de preuve. Toutefois, la Commission devait évaluer le lien entre la poliomyélite et les changements dans la situation du pays afin d'établir s'il devrait l'amener à conclure favorablement. La Commission déclare notamment :

Le tribunal reconnaît que des changements sont survenus dans la situation du pays depuis 1996, dans certains cas pour le pire.


L'avocat de la demanderesse avait notamment, lors de l'audience devant la Commission, interrogé la demanderesse au sujet de nouveaux bombardements contre les positions des Tigres que la BBC avait signalés. La demanderesse a déclaré que les gens essaieraient d'atteindre un abri fortifié ou un temple, mais, à cause de son handicap qui l'empêchait de courir, qu'elle ne pourrait pas le faire et qu'elle devrait s'étendre immédiatement sur le sol lorsque les bombardements débuteraient. Par conséquent, la Commission avait véritablement des éléments de preuve dignes de foi qu'elle aurait dû évaluer par rapport aux changements dans la situation du pays afin d'établir si la demanderesse avait une crainte objective. L'avocat a expressément fait des représentations sur cette question devant la Commission, mais il n'y a pas eu d'analyse du lien existant entre l'élément de preuve digne de foi à l'égard de la poliomyélite et la situation du pays qui se détériorait au Sri Lanka au moment de l'audience devant la Commission. Il aurait dû y avoir une évaluation de la question de savoir si la demanderesse courait un danger plus élevé compte tenu de son handicap. Il s'agit d'une erreur susceptible de contrôle et l'affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire.

[8]                 La revendication de la fille de la demanderesse, âgée de dix ans et demi, est fondée sur celle de sa mère et comporte en outre certaines autres allégations qui lui étaient propres. La Commission a reconnu que le fait que l'enfant soit passée de l'âge de six ans à l'âge de onze ans pourrait entraîner des risques différents dans certaines situations, mais a poursuivi en déclarant :

[...] le tribunal ne peut évaluer d'où viennent ces revendicatrices ni leur profil; le tribunal ne peut évaluer le risque de préjudice qu'elles courent si elles devaient retourner au Sri Lanka. Ainsi, il n'y a pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles sur lesquels prendre une décision favorable relativement à cette revendication.

Il existait des éléments de preuve qui démontraient que les Tamouls recrutaient dans le Nord des jeunes enfants, dès l'âge de huit ans, et comme je l'ai précédemment déclaré le tribunal a déjà conclu que les demanderesses avaient vécu dans le Nord jusqu'à au moins 1995. Par conséquent, les membres du tribunal auraient dû analyser la question de savoir si l'enfant était en danger compte tenu du fait qu'elle était maintenant plus âgée que lors de la première revendication. Le tribunal différemment constitué devra examiner la preuve documentaire et décider, en se fondant sur la preuve documentaire qu'il privilégie, si à son âge l'enfant est plus en danger qu'elle l'était auparavant. À mon avis, le juge Gibson a établi à juste titre la position à cet égard dans la décision Mylavaganam c. Canada [2000] A.C.F. no 1195, lorsqu'il a déclaré au paragraphe 10 :

Même en écartant carrément, comme elle l'a fait, les actes de persécution que le demandeur prétend avoir subis, elle ne paraît pas avoir, dans le raisonnement sur lequel elle appuie sa décision en l'espèce, nié le fait que le demandeur était bien un jeune Tamoul originaire du nord du Sri Lanka. La SSR a accepté ce fait et ensuite écarté les preuves matérielles dont elle disposait selon lesquelles une personne comme ce demandeur risquait de faire l'objet de persécution s'il était obligé de retourner au Sri Lanka, qu'il pourrait donc fort bien avoir une crainte subjective d'être persécuté et que cette crainte reposait aussi sur une base objective réelle.


[9]                 La demanderesse a en outre allégué que la Commission avait commis des erreurs dans son évaluation de la preuve relative à l'extorsion et également dans son évaluation de la question de savoir si la demanderesse avait fourni une explication valable quant aux motifs pour lesquels elle n'avait pas revendiqué le statut de réfugiée aux États-Unis lorsqu'elle y avait séjourné en 1997 après que sa première revendication eut été rejetée. À mon avis, les conclusions de la Commission étaient celles qu'elle pouvait tirer sur les deux questions.

[10]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission datée du 26 avril 2001 est annulée. L'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué statue à nouveau sur l'affaire.

« W. P. McKeown »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 28 mars 2002

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                    IMM-2510-01

INTITULÉ :                               THANGESWARY JEYASEELAN et autre c. M.C.I..

LIEU DE L'AUDIENCE :           Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :            Le 21 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Monsieur le juge McKeown

DATE DES MOTIFS :        Le 28 mars 2002

COMPARUTIONS :

Max Berger                                        POUR LES DEMANDERESSES

Angela Marinos                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger                                        POUR LES DEMANDERESSES

Toronto (Ontario)                    

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                        POUR LE DÉFENDEUR

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