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Date : 20020507

Dossier : IMM-2638-01

Référence neutre : 2002 CFPI 513

ENTRE :

                                                HANY NOSHY ATHANASSIOUS MOUSSA

                                                                                                                                                               Demandeur

ET :

                          LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                 Défendeur

                                                           MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par une agente de révision des revendications refusées (l'ARRR) qui, dans une opinion datée du 19 avril 2001, a conclu que le demandeur ne serait pas confronté à une possibilité raisonnable de risque s'il retournait en Égypte.

[2]                 Le demandeur est un citoyen de l'Égypte et il est un chrétien copte pratiquant. Depuis 1996, celui-ci pratique le droit; il a complété son service militaire obligatoire durant cette période.


[3]                 En 1998, le demandeur a été approché par une musulmane qui voulait divorcer de son mari. Bien que l'affaire semblait avoir été réglée, la femme est retournée au bureau du demandeur et elle présentait des signes de violence physique. Dans la soirée précédant sa dernière comparution en cour, le 26 juillet 1998, le demandeur prétend que trois intégristes musulmans l'ont agressé et l'ont menacé s'il ne se retirait pas du dossier. Bien que le demandeur ait signalé l'incident à la police, celle-ci a accusé le demandeur d'être un trouble-fête et elle lui a ordonné de quitter le poste de police. Le 27 juillet 1998, le tribunal a accordé le divorce et il a ordonné à l'époux de la cliente du demandeur de verser une pension alimentaire pour les enfants.

[4]                 Le demandeur prétend qu'alors qu'il quittait le palais de justice, il a failli être happé par une voiture. Plus tard, ce soir-là, un appelant a proféré de nouvelles menaces et le demandeur a décidé de quitter Le Caire, où il vivait, et de se rendre à sa ville natale, Nagi Hamad. Néanmoins, celui-ci raconte qu'il a été suivi et qu'on a continué de le menacer de mort. L'appartement de ce dernier, à Nagi Hamad, ainsi que son bureau au Caire ont été saccagés et des slogans anti-chrétiens ont été griffonnés sur les murs. Toutefois, compte tenu de son expérience antérieure, le demandeur a choisi de ne pas contacter la police une deuxième fois.

[5]                 Le demandeur s'est enfui de l'Égypte le 8 novembre 1998 et il est arrivé au Canada où il a fait une demande d'asile le 26 novembre 1998. Cette demande a été en fin de compte refusée. On n'a pas examiné si le demandeur pouvait être classé dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada parce qu'il n'a pas déposé sa demande en temps voulu. À sa demande cependant, on a procédé à l'évaluation des risques avant le renvoi qui est au coeur de la présente demande.

[6]         L'ARRR a d'abord commencé par exposer sa tâche de la manière suivante (dossier du tribunal, p. 1) :


[Traduction]

Il s'agit d'une appréciation visant à déterminer si le demandeur courrait un risque identifiable advenant son renvoi du Canada, dans la mesure où ce risque serait préjudiciable à la vie du demandeur en ce sens que celui-ci pourrait faire face à des sanctions et à un traitement inhumain dans le pays où il serait renvoyé.

[7]         La conclusion de l'ARRR semble avoir été motivée par deux conclusions importantes. Premièrement, le demandeur n'a pas réussi à démontrer qu'il appartenait à un groupe vulnérable en Égypte. Deuxièmement, celle-ci a découvert des éléments de preuve permettant d'affirmer que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l'État et qu'il ne s'était pas vraiment efforcé de demander cette dite protection. En ce qui concerne la première conclusion, l'ARRR a déclaré ce qui suit (dossier du tribunal, p. 1) :

[Traduction]

Le risque est, par définition, prospectif, et concerne la possibilité de subir un préjudice ou de se trouver en danger. Il n'y a pas assez d'éléments de preuve convaincants pour indiquer que les autorités, un groupe quelconque ou des personnes seraient intéressés à pourchasser le demandeur ou à chercher à lui faire du tort lors de son retour en Égypte. Bien que la preuve documentaire indique que les antécédents de l'Égypte en matière de droits de la personne sont loin d'être édifiants, cela en soi ne suffit pas à conclure positivement. Pour en arriver à ça, il doit y avoir un lien entre la situation personnelle du demandeur et la situation dans le pays; il n'existe pas un tel lien dans l'affaire qui m'est soumise. [Non souligné dans l'original.]

[8]         Le demandeur prétend que, parce que l'ARRR n'a pas expressément contesté la crédibilité du demandeur, alors celle-ci aurait dû considérer le témoignage de ce dernier comme crédible. Il était donc du devoir de l'instance décisionnelle d'expliquer pourquoi elle avait préféré la preuve documentaire au propre témoignage du demandeur : Okyere-Akosah c. Canada (ministre d'Emploi et de l'Immigration) (1992), 157 N.R. 387 (C.A.F.).


[9]         Le demandeur prétend, en outre, que l'ARRR a conclu à tort que celui-ci ne craignait pas d'être persécuté pour l'un des motifs prévus dans la Convention. On fait valoir que l'ARRR a commis une erreur en faisant une mauvaise interprétation de la définition de la persécution du fait de la religion, qu'elle a mal interprété la preuve, qu'elle a ignoré la preuve et, ou qu'elle a omis d'examiner la preuve dans son ensemble. Le demandeur courre des risques en raison de ses opinions ou activités « non islamiques » et parce qu'il appartient à un groupe social, notamment les avocats qui représentent l'épouse d'un membre d'un groupe intégriste islamique comme la Fraternité islamique dans des instances liées au droit de la famille. En représentant sa cliente comme il l'a fait, on prétend que la liberté d'expression du demandeur a été mise en cause dans la présente affaire.

[10]       Finalement, le demandeur prétend qu'il a agi raisonnablement en ne demandant pas de protection supplémentaire de l'État, étant donné sa rencontre antérieure et son expérience comme avocat.

[11]       Selon le défendeur, tout risque auquel est exposé le demandeur constitue le résultat d'une vengeance personnelle et l'ARRR a eu raison d'affirmer qu'il n'existait aucun lien entre ledit risque et l'un des motifs mentionnés dans la Convention. L'époux de la cliente du demandeur aurait été mécontent peu importe la religion du demandeur. De plus, les actions dans lesquelles le demandeur est impliqué sont motivées par le profit et ne sont pas si essentielles à sa dignité humaine, qu'il ne devrait pas être contraint de renoncer à celles-ci.

[12]       Le défendeur réfute aussi l'argument du demandeur selon lequel il n'était pas nécessaire que le demandeur demande l'aide de la police en raison de sa seule expérience antérieure. Le défendeur fait valoir que le demandeur aurait dû signaler le saccage de sa maison et de son bureau, ne serait-ce que pour documenter l'incident à d'autre fin.


[13]       On m'a persuadé que l'ARRR avait commis une erreur en concluant qu'il n'y avait aucun lien entre le tort redouté par le demandeur et la situation prévalant dans le pays. Le demandeur appartient à un groupe social, c'est-à-dire qu'il est un avocat impliqué dans des activités qui sont perçues comme anti-islamiques par les intégristes. Cela peut être considéré comme de la persécution du fait de la religion.

[14]       Dans l'arrêt Chan c. Canada (Ministre de l'emploi et de l'Immigration) [1995] 3 R.C.S. 593, le juge LaForest a précisé les motifs qu'il avait donnés dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward [1993] 2 R.C.S. 689 concernant l'appartenance à un groupe social. Celui-ci a déclaré :

Comme le reconnaît le professeur Macklin, il faut se demander si l'appelant est volontairement associé de par un statut particulier, pour des raisons si essentielles à sa dignité humaine, qu'il ne devrait pas être contraint de renoncer à cette association. L'association ou le groupe existe parce que ses membres ont tenté, ensemble, d'exercer un droit fondamental de la personne.

[...]

Je suis d'accord avec la façon dont l'intimé a qualifié le droit revendiqué, c'est-à-dire le droit fondamental de tous les couples et individus de décider librement et en toute connaissance du moment où ils auront des enfants, du nombre d'enfants qu'ils auront et de l'espacement des naissances. Ce droit fondamental a été reconnu, en droit international, dans le Pacte international aux droits civils et politiques.

[15]       L'ARRR a soutenu que le demandeur n'a pas tenté d'obtenir la protection de l'État. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré :

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisé.


[16]       Le demandeur a demandé la protection des autorités policières égyptiennes mais on lui a ordonné de quitter le poste de police. Par la suite, celui-ci a été contacté par un intégriste musulman qui savait qu'il était allé demander la protection des autorités. La preuve documentaire examinée par l'ARRR indiquait que, dans le cadre d'un enquête policière en rapport avec les meurtres de deux chrétiens, la police avait détenu, maltraité et torturé des centaines de citoyens, en majorité des chrétiens. L'ARRR n'a pas douté de la crédibilité du demandeur et il n'était pas déraisonnable de s'attendre à ce que le demandeur continue de demander la protection. De plus, l'ARRR a omis d'examiner la situation personnelle du demandeur, c'est-à-dire qu'il était avocat pratiquant et qu'il était en mesure d'évaluer ses chances d'obtenir de la protection.

[17]       La décision de l'ARRR selon laquelle le demandeur ne courrait aucun risque s'il retournait en Égypte est annulée par les présentes et la Cour ordonne une nouvelle évaluation des risques que présente le renvoi du demandeur soit instruite devant un autre ARRR.

     JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 7 mai 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                                                                                                                                                  

                                                                                                                                                     Date : 200220507

                                                                                                                                                                                  

                                                                                                                                           Dossier : IMM-2638-01

OTTAWA (Ontario) le 7 mai 2002

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE ROULEAU

ENTRE :

HANY NOSHY ATHANASSIOUS MOUSSA

                                                                                                                                                                 Demandeur

ET :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                                   Défendeur

ORDONNANCE

[1]         La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l'ARRR est annulée par les présentes et la Cour ordonne qu'une nouvelle opinion sur les risques que présente le renvoi du demandeur soit instruite devant un autre ARRR.

         « P. ROULEAU »       

JUGE

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                        

DOSSIER :                                              IMM-2638-01

INTITULÉ :                                             Hany Noshy Athanassious Moussa c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                     Le 30 avril 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      M. le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :             Le 7 mai 2002

COMPARUTIONS :

John O. Grant                                                                     POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grant, Dichison                                                     POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Morris Rosenberg                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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