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Date : 20000529


T-2351-93

E n t r e :


PEPPER KING LTD.


demanderesse

     - et -


SUNFRESH LIMITED

LOBLAWS INC.

LOBLAW COMPANIES LIMITED


défenderesses

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX


[1]      Les présents motifs correspondent pour l"essentiel au jugement que j"ai prononcé oralement le mercredi 17 mai 2000 à la clôture d"une audience téléphonique au cours de laquelle j"ai rejeté la requête que les défenderesses avaient présentée en vertu de l"alinéa 416(1)b) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) en vue d"obtenir une ordonnance enjoignant à la demanderesse de fournir un cautionnement pour leurs dépens.

[2]      La requête des défenderesses a été présentée la veille du procès, lequel était prévu pour le 12 juin 2000. Les défenderesses réclamaient un cautionnement pour les dépens de vingt mille dollars (20 000 $), sans avoir soumis de mémoire de dépens. J"ai fondé ma décision sur le pouvoir discrétionnaire que les Règles confèrent à la Cour lorsqu"elle examine l"opportunité de prononcer une ordonnance de cautionnement pour les dépens.

[3]      La demanderesse est une très petite compagnie canadienne qui n"a qu"une seule administratrice, actionnaire et dirigeante, Mme Nellie Small. Son mari, qui est mort en 1996, avait mis sur pied à l"origine la compagnie au début des années quatre-vingt-dix et avait formulé ses produits. La compagnie exerçait ses activités dans le domaine de la vente de sauces piquantes sous la marque de commerce VOLCASNO à l"égard de laquelle M. Small a présenté une demande d"enregistrement de marque de commerce le 26 août 1992, dont il a obtenu l"enregistrement le 20 août 1993.

[4]      Pepper King Ltd. n"a pas beaucoup de clients. Il ressort des éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance que ses sauces piquantes sont des sauces maison. Ses débouchés se limitent à une partie du sud-ouest ontarien et à un nombre restreint de restaurants et de tavernes. Elle vend aussi ses produits directement à des clients et a conclu quelques ventes avec un établissement de vente au détail en vue de la revente au grand public.

[5]      Les défenderesses sont toutes des compagnies connexes. Loblaw Companies Limited (Loblaw) est le plus grand distributeur de produits alimentaires du Canada. Il exerce des activités de détail et de gros. La défenderesse Loblaw vend depuis mai 1992 de la sauce piquante en utilisant des étiquettes sur lesquelles figurent le terme " volcano ". Elle a toujours cru qu"elle pouvait employer le terme " volcano " sans contrefaire la marque de commerce de qui que ce soit.

[6]      La demanderesse a introduit la présente action en déposant une déclaration devant la Cour le 1er octobre 1993. La présente action a fait l"objet d"un examen de l"état de l"instance. Au cours de l"examen de l"état de l"instance, l"avocat de la demanderesse a écrit à la Cour, le 11 septembre 1998, pour l"informer qu"il croyait que la demanderesse avait une bonne cause et que [TRADUCTION] " la demanderesse n"est pas en mesure de payer d"autres frais ". La Cour a ordonné que l"action soit poursuivie à titre d"instance à gestion spéciale.

[7]      La situation s"est compliquée par suite du dépôt par les défenderesses, le 25 février 2000, d"une longue requête en admission des faits. La requête en admission des faits était très longue : elle comptait 79 paragraphes et 26 pages.

[8]      Le 4 avril 2000, les défenderesses ont saisi le juge responsable de la gestion de l"instance d"une requête fondée sur l"article 256 des Règles en vue d"obtenir une ordonnance portant que la demanderesse était réputée avoir reconnu la véracité de certains faits. Le 17 avril 2000, le juge McKeown a déclaré que la demanderesse était réputée avoir reconnu la véracité des faits articulés dans l"avis demandant d"admettre des faits, étant donné que la demanderesse n"avait pas motivé sa dénégation et s"était contentée de faire une dénégation générale après avoir obtenu une prorogation de délai.

ANALYSE

[9]      Ainsi que nous l"avons déjà signalé, l"avocat des défenderesses a fondé sa requête en cautionnement pour les dépens sur l"alinéa 416(1)b), dont voici le libellé :

416. (1) Where, on the motion of a defendant, it appears to the Court that

...







     (b) the plaintiff is a corporation, an unincorporated association or a nominal plaintiff and there is reason to believe that the plaintiff would have insufficient assets in Canada available to pay the costs of the defendant if ordered to do so, the Court may order the plaintiff to give security for the defendant"s costs.

416. (1) Lorsque, par suite d'une requête du défendeur, il paraît évident à la Cour que l'une des situations visées aux alinéas a) à h) existe, elle peut ordonner au demandeur de fournir le cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur :

[...]

     b) le demandeur est une personne morale ou une association sans personnalité morale ou n'est demandeur que de nom et il y a lieu de croire qu'il ne détient pas au Canada des actifs suffisants pour payer les dépens advenant qu'il lui soit ordonné de le faire ;
[10]      L"avocat de la demanderesse a reconnu à l"audience que Pepper King Ltd. était une compagnie et qu"elle ne disposait pas de suffisamment d"actifs au Canada pour payer les dépens des défenderesses si elle y était condamnée.
[11]      L"avocat de la demanderesse invoque ensuite la règle relative à l"indigence, la règle 417, qui est ainsi libellée :

     417. The Court may refuse to order that security for costs be given under any of paragraphs 416(1)(a) to (g) if a plaintiff demonstrates impecuniosity and the Court is of the opinion that the case has merit.

417. La Cour peut refuser d'ordonner la fourniture d'un cautionnement pour les dépens dans les situations visées aux alinéas 416(1)a) à g) si le demandeur fait la preuve de son indigence et si elle est convaincue du bien-fondé de la cause.

[12]      La règle 417 prévoit deux conditions à remplir : premièrement, le demandeur doit faire la preuve de son indigence et en second lieu, la Cour doit être convaincue du bien-fondé de sa cause.
[13]      L"avocat des défenderesses soutient que la demanderesse n"a établi aucun des deux éléments contenus à la règle 417. En premier lieu, en ce qui concerne l"indigence, il soutient, en invoquant le jugement 1056470 Ontario Inc. v. Goh (1997), 34 O.R. (3d) 92 du juge Borins de la Cour de l"Ontario (Division générale), que, par indigence, il faut entendre plus qu"une quantité d"actifs insuffisante pour payer les dépens du défendeur au sens de l"alinéa 56.01(1)d) des Règles de procédure civile, L.R.O. , 1990, (règl. 194) et, lorsque le demandeur est une personne morale, celle-ci doit démontrer qu"elle ne peut compter sur l"argent de ses actionnaires ou sur d"autres sources comme garantie. L"avocat des défenderesses affirme que la demanderesse n"a présenté aucun élément de preuve qui remplit cette condition.
[14]      Qui plus est, l"avocat des défenderesses soutient que la cause est mal fondée depuis que des faits importants sont réputés avoir été admis, ce qui a eu pour effet de miner l"essence de l"action de la demanderesse.
[15]      Je ne suis pas convaincu que la demanderesse a établi qu"elle était indigente. De fait, la demanderesse ne m"a pas soumis le moindre élément de preuve à ce sujet. L"avocat de la demanderesse affirme que je devrais le croire sur parole lorsqu"il affirme que la demanderesse est indigente. Je ne suis pas disposé à le faire. À mon sens, la demanderesse doit offrir à la Cour des éléments de preuve pour établir son indigence. Or, elle ne l"a pas fait.
[16]      La question de savoir si la cause de la demanderesse est bien fondée est discutable. L"avocat des défenderesses affirme que la cause des demanderesses est mal fondée et m"invite à analyser en détail les faits réputés admis qui sont articulés dans l"avis demandant d"admettre des faits. Une telle décision exigerait une analyse approfondie du droit des marques de commerce dans le contexte d"interminables faits admis, sans bénéficier des autres éléments de preuve et moyens de fait de la demanderesse. Dans ces conditions, il vaut mieux, selon moi, laisser au juge du fond le soin de trancher cette question.
[17]      J"ai demandé à l"avocat des défenderesses pourquoi elles avaient attendu jusqu"à maintenant pour réclamer un cautionnement pour les dépens. Elles savaient déjà le 11 septembre 1998 que la demanderesse n"avaient pas suffisamment de biens au Canada pour régler les dépens auxquels elle pouvait être condamnée. Elles ont pourtant attendu jusqu"au milieu de mai 2000 pour présenter leur requête, sachant que la date du procès avait déjà été fixée au 12 juin 2000.
[18]      L"avocat des défenderesses affirme que, jusqu"à la date de l"ordonnance par laquelle le juge McKeown a réputé certains faits admis, la demanderesse était probablement en mesure de démontrer que sa cause était bien fondée au sens de la règle 417. Or, vu les faits qui ont été admis, il est évident que la cause de la demanderesse est mal fondée.
[19]      Si j"ai bien compris son argument, l"avocat des défenderesses soutient en fait que, déjà le 11 septembre 1998, il croyait que la demanderesse était indigente mais qu"il aurait été capable de démontrer que sa cause était bien fondée s"il avait présenté sa requête plus tôt. Dans ces conditions, la requête des défenderesses visait à se soustraire à une requête fondée sur la règle 417 pour laquelle les défenderesses auraient obtenu gain de cause si elles l"avaient présentée plus tôt, c"est-à-dire peu de temps après le 11 septembre 1998.
[20]      Je ne remets pas en question la bonne foi des défenderesses, mais j"estime qu"elles auraient dû demander beaucoup plus tôt à la Cour un cautionnement pour les dépens. Une requête en cautionnement pour les dépens présentée d"urgence à la dernière minute ne favorise pas une solution équitable aux questions en litige, notamment celle de savoir si, eu égard aux circonstances, la règle 417 s"applique. Une requête aussi tardive nuit également aux mesures préparatoires à l"instruction.
[21]      Le facteur de l"inertie est un facteur dont je peux tenir compte dans l"exercice de mon pouvoir discrétionnaire. Qui plus est, je ne puis conclure, au vu de la présente requête, que la demanderesse n"a aucun argument à invoquer pour m"amener à conclure que la présente requête devrait être rejetée, compte tenu du fait que le droit d"ester en justice est le principe en fonction duquel une requête en cautionnement pour les dépens doit être examinée.




     " François Lemieux "
     _________________________
     JUGE



OTTAWA (ONTARIO)
Le 29 mai 2000




Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              T-2351-93

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Pepper King Ltd. c. Sunfresh Limited et autres

LIEU DE L"AUDIENCE :          Ottawa
DATE DE L"AUDIENCE :          le 17 mai 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE prononcés par le juge Lemieux le 29 mai 2000



ONT COMPARU :

Me Douglas R. Adams                  pour la demanderesse
Me Dan Hitchcock                      pour la défenderesse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Douglas R. Adams                  pour la demanderesse

Ottawa

Riches, McKenzie & Herbert              pour la défenderesse

Toronto

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