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Date : 20020306

Dossier : IMM-5222-00

Référence neutre : 2002 CFPI 249

Toronto (Ontario), le mercredi 6 mars 2002

EN PRÉSENCE DE : Madame le juge Dawson

ENTRE :

                                                        KINGSLEY AKHIGBE

                                                                                                                                         demandeur

                                                                         - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Kingsley Akhigbe, citoyen du Nigéria, prétend craindre avec raison la persécution en raison de ses opinions politiques. Il demande le contrôle judiciaire de la décision, en date du 14 septembre 2000, par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                 M. Akhigbe a témoigné qu'il s'est joint au Niger-Delta Youth Movement (mouvement des jeunes du delta du Niger ou NDYM) en février 1996 et a été nommé à un poste de coordonnateur régional d'une zone en mai 1997. À ce titre, il présidait les réunions mensuelles du NDYM, donnait des conseils en matière de pollution, menait des négociations avec les fonctionnaires du gouvernement relativement aux questions économiques et environnementales que soulevait l'exploitation pétrolière de la région du delta du Niger et soumettait des rapports au coordonnateur d'État du NDYM.

[3]                 Le 8 septembre 1998, M. Akhigbe a présidé une réunion de zone du NDYM, à laquelle environ 200 personnes ont assisté. Le demandeur a témoigné qu'une section militaire spéciale du gouvernement a effectué une descente lors de la réunion et l'a arrêté, lui, ainsi que d'autres membres. On l'a détenu au poste de police pendant deux semaines puis transféré à un camp militaire, où il a été détenu pendant deux autres semaines. À la fin du mois d'octobre 1998, il a réussi à s'échapper de cet endroit grâce au versement de pots-de-vin. M. Akhigbe est alors allé se cacher à Lagos.

[4]                 Le 5 janvier 1999, M. Akhigbe a quitté le Nigéria avec l'aide d'un passeur de clandestins. Le demandeur a écrit, dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), que le passeur a estampillé son passeport avec de faux timbres, dont une fausse preuve temporaire d'admission légale pour résidence permanente (Temporary Evidence of Lawful Admission for Permanent Residence) aux États-Unis et une fausse autorisation d'emploi.


[5]                 La SSR n'était pas convaincue que les éléments de preuve présentés par M. Akhigbe relativement aux faits substantiels de la revendication étaient dignes de foi et a conclu que la « question à examiner dans cette revendication est la crédibilité » .

[6]                 La SSR a estimé qu'il n'était pas crédible que M. Akhigbe puisse ne pas se souvenir du nom de quatre autres groupes importants opérant dans la région du delta du Niger, compte tenu du fait qu'il avait témoigné avoir été, de mai 1997 à septembre 1998, coordonnateur du NDYM pour la zone Rumukoro/Rumusi.

[7]                 La SSR a tiré des inférences défavorables du fait que M. Akhigbe n'a produit aucune preuve documentaire pour corroborer l'existence du NDYM, l'incident du 8 septembre 1998 et le décès de 12 membres du NDYM, survenu trois semaines après l'évasion du demandeur.

[8]                 La SSR a tiré une inférence défavorable au motif que M. Akhigbe n'a pas relaté, dans son FRP, que la police lui a confisqué sa carte de membre du NDYM lors de son arrestation en septembre 1998, qu'un avocat a tenté sans succès d'obtenir sa libération de prison, que son passeport contenait des faux timbres d'arrivée et de départ et que le demandeur avait utilisé un deuxième faux passeport pour franchir les douanes de l'aéroport de Lagos.


[9]                 La SSR a conclu qu'il était peu vraisemblable que M. Akhigbe se soit caché au Nigéria pendant trois mois au lieu de se rendre, par voie terrestre, au Ghana avec son passeport, que ni ses frères et soeurs ni le coordonnateur du NDYM n'aient éprouvé de graves problèmes à la suite de l'évasion du demandeur et que le NDYM n'ait pas été au courant de l'évasion et ait donc organisé, trois semaines après l'arrestation du demandeur, une manifestation pour protester contre cette arrestation ainsi que celle d'autres membres de l'exécutif du NDYM.

[10]            La SSR n'a mentionné aucune contradiction, ni dans le témoignage oral de M. Akhigbe ni entre son témoignage oral et son FRP. La SSR n'a pas, non plus, mentionné la documentation sur la situation au pays du demandeur, qui nous apprend, entre autres, que :

  • [TRADUCTION][...] un grand nombre de militaires et de membres des forces paramilitaires de la Police mobile ont été, au courant de l'année, déployés partout dans le delta. Dans beaucoup de cas, non seulement les forces de sécurité n'ont pas réussi à protéger les civils d'actes de violence, mais elles ont été elles-mêmes responsables de graves violations des droits de la personne, notamment d'exécutions sommaires. Comme ailleurs au Nigéria, les forces de sécurité intervenaient souvent de façon aveugle ou s'en prenaient à des personnes qui n'avaient commis aucun crime autre que d'avoir manifesté contre l'exploitation du pétrole, dans l'exercice de leur droit à la liberté d'expression, de réunion et d'association. Au cours de descentes militaires à la fin décembre 1998 et en début janvier 1999, des douzaines de jeunes hommes, qui étaient, pour la plupart, non armés, ont été tués en représailles aux manifestations, en grande partie pacifiques, en faveur de la déclaration de Kaiama. D'autres ont été torturés et traités de façon inhumaine; beaucoup d'autres ont été détenus arbitrairement pendant plusieurs semaines.

et que :

[TRADUCTION] Dans les autres régions productrices de pétrole du delta du Niger, les forces policières et militaires ont procédé à des arrestations arbitraires, battu et même parfois tué des personnes à la moindre crainte d'une manifestation à l'encontre des activités des compagnies pétrolières.


[11]            C'est à la SSR qu'il incombe d'évaluer le poids à accorder aux éléments de preuve, et la Cour ne peut pas substituer, tout simplement, sa propre opinion à celle de la SSR en cette matière. Les conclusions de faits de la SSR doivent être examinées selon la norme de contrôle qui appelle le plus haut degré de retenue et ne devraient être modifiées que si elles ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou si elles ne tiennent pas compte de la documentation produite devant la SSR.

[12]            Par ailleurs, parmi les principes qui régissent la façon dont la SSR doit considérer les éléments de preuve, certains trouvent application en l'espèce :

(i)          Quand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, celles-ci sont présumées l'être, à moins qu'il n'existe des raisons d'en douter. Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.);

(ii)         La SSR a le droit de tirer des conclusions raisonnables, se fondant en cela sur le manque de vraisemblance, le bon sens et la raison, et de rejeter des témoignages irréfutés si ceux-ci ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble. Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.); Shahamati c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.F.);


(iii)        Bien que la SSR puisse même rejeter des témoignages irréfutés, elle doit tenir compte des éléments de preuve qui expliquent les incompatibilités apparentes avant de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.);

(iv)        Lorsque la SSR conclut à un manque de crédibilité en se fondant sur des inférences, notamment sur des inférences au sujet de la vraisemblance de la preuve, il faut que la preuve permette d'étayer ces dernières. Miral c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 254 (C.F. 1re inst.);

(v)         À défaut d'éléments de preuve réfutant la preuve présentée par le requérant, il est fautif de la part de la SSR d'exiger une preuve documentaire pour étayer les allégations du requérant. Ahortor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 65 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.); Lachowski c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 18 Imm. L.R. 134 (C.F. 1re inst.); et


(vi)        L'omission d'un fait important dans le FRP du requérant peut fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Grinevich c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 444 (C.F. 1re inst.); Lobo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 597 (C.F. 1re inst.).

[13]            Ayant appliqué ces principes au cas présent et me fondant sur le témoignage de M. Akhigbe au sujet de sa participation au NDYM, je suis convaincue que la SSR était en droit de tirer une inférence défavorable du fait que M. Akhigbe n'a pu se souvenir du nom d'autres groupes importants opérant dans la région du delta du Niger.

[14]            Je ne suis cependant pas convaincue qu'il était loisible à la SSR de tirer une conclusion défavorable du fait que M. Akhigbe n'avait corroboré ni l'existence du NDYM, ni l'incident de septembre 1998, ni les décès d'autres membres du NDYM. Ces éléments de preuve n'étaient pas contradictoires en soi et n'allaient pas à l'encontre de la preuve documentaire. Il n'y avait aucune raison d'écarter la présomption de véracité.

[15]            Pour ce qui est des omissions dans le FRP de M. Akhigbe, la SSR est en droit, comme je l'ai mentionné, de tirer une inférence défavorable du fait qu'un demandeur n'a pas mentionné dans son FRP des faits importants. Ce principe est compatible avec la question 37 du FRP, selon laquelle un demandeur a l'obligation de relater dans l'ordre chronologique « tous les incidents importants » qui ont amené le demandeur à chercher protection.


[16]            La SSR n'a toutefois pas le droit de tirer une inférence défavorable au motif que le demandeur n'a pas mentionné des détails mineurs ou donné toutes les précisions.

[17]            En l'espèce, je suis convaincue que la confiscation de la carte de membre du NDYM, l'incapacité de l'avocat d'obtenir la libération de prison de M. Akhigbe et le fait que le demandeur n'a pas énuméré tous les faux timbres se trouvant dans son passeport constituent des détails mineurs sur des renseignements contenus au FRP et aucune inférence n'aurait due être tirée du fait qu'ils ne figurent pas au FRP.

[18]            Le fait que le demandeur n'a pas mentionné le faux passeport qu'il a utilisé à l'aéroport constitue une omission au FRP plus importante que celles susmentionnées et, à mon avis, cette omission pouvait servir de fondement à l'inférence défavorable de la SSR.


[19]            En ce qui concerne les conclusions quant à la vraisemblance tirées par la SSR, la première avait trait au fait que M. Akhigbe n'avait pas quitté le Nigéria par voie de terre pour se rendre au Ghana. À cet égard, M. Akhigbe a expliqué qu'il n'était pas certain de pouvoir bénéficier de la protection du Ghana en raison de l'influence qu'exerçait le Nigéria sur ce pays. La SSR a commis une erreur en rejetant cet élément de preuve sans fournir d'explication. Elle avait l'obligation de se pencher sur l'explication que M. Akhigbe avait donnée au sujet de son comportement avant de conclure qu'il était peu vraisemblable qu'il se soit caché trois mois au Nigéria en attendant d'avoir les faux documents nécessaires pour quitter son pays en avion.

[20]            La deuxième conclusion quant à la vraisemblance se basait sur le fait que ni les frères et soeurs de M. Akhigbe ni le coordonnateur du NDYM n'avaient éprouvé de graves problèmes après l'évasion de M. Akhigbe. Lorsque la SSR conclut à un manque de crédibilité en se fondant sur des inférences, comme en l'espèce quand elle a inféré que les frères et soeurs du demandeur et le coordonnateur d'État auraient dû éprouver des difficultés, il faut que la preuve permette d'étayer ces inférences. La SSR n'a mentionné aucun élément de preuve à leur appui. Étant donné la preuve documentaire, reproduite plus haut, dont disposait la SSR, selon laquelle les forces de sécurité intervenaient souvent de façon aveugle ou arbitraire, je conclus que la deuxième conclusion de la SSR quant à la vraisemblance ne se basait pas sur la preuve produite.

[21]            La dernière conclusion quant à la crédibilité se fondait sur la supposition selon laquelle le NDYM aurait dû savoir que M. Akhigbe s'était évadé de prison grâce au versement de pots-de-vin. Je conclus qu'il n'y a pas d'élément de preuve à l'appui de cette affirmation et que la SSR n'a pas fourni de motif pour expliquer sa conclusion.


[22]            Pour ces motifs, je suis convaincue que la SSR a commis certaines erreurs en évaluant la preuve. Bien que la SSR ait été raisonnablement en droit de tirer certaines conclusions quant à la crédibilité eu égard à la preuve, je ne suis pas convaincue que les motifs qu'elle a exposés suffisaient à justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[23]            Les avocats n'ont pas soumis de question aux fins de certification et aucune question n'est certifiée.

                                           ORDONNANCE

PAR LES PRÉSENTES, LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la SSR datée du 14 septembre 2000 est annulée. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

2.         Aucune question ne sera certifiée.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 6 mars 2002

  

Traduction certifiée conforme

Sandra Douyon-de Azevedo, LL.B.


            COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                              IMM-5222-00

INTITULÉ :                           KINGSLEY AKHIGBE

                                                demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                 LE MERCREDI 6 FÉVRIER 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :              LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                    LE MERCREDI 6 MARS 2002

COMPARUTIONS :              M. Bola Adetunji

pour le demandeur

Mme Mielka Visnic

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     M. Bola Adetunji

Avocat

Carlton on the Park

120, rue Carlton, bureau 313

Toronto (Ontario)

M5A 4K2

pour le demandeur

                 Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

pour le défendeur


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

     Date : 20020306

      Dossier : IMM-5222-00

ENTRE :

KINGSLEY AKHIGBE

                   demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                   défendeur

                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                           

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