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Date : 20040927

Dossier : IMM-1492-04

Référence : 2004 CF 1327

Ottawa (Ontario), le 27 septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

ROGELIO PONCE MELCHOR

LUIS ALBERTO BUJANDA BASACA

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Melchor et M. Basaca demandent le contrôle judiciaire de la décision de l'agente d'immigration qui a refusé leur demande de dispense qui leur aurait permis de faire une demande de résidence permanente depuis le Canada en raisons de considérations humanitaires (demande CH).

[2]                Les demandeurs sont des citoyens du Mexique qui ont vécu ensemble, comme couple homosexuel, à Hermosillo (état de Sonora), pendant environ trois ans avant d'arriver au Canada en juillet 2001 et de revendiquer le statut de réfugié parce qu'ils craignent d'être persécutés en raison de leur orientation sexuelle.

[3]                La décision rejetant leur revendication se terminent par la phrase suivante : « S'ils ont l'intention d'invoquer, en dehors du processus de reconnaissance du statut de réfugié, des motifs d'ordre humanitaire qui le leur permettraient, ils semblent bien être capables de s'adapter avec succès à la vie au Canada » .

[4]                Par conséquent, les demandeurs ont présenté une demande CH en octobre 2002. Le 15 janvier 2004, ils ont également présenté une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR). Les deux demandes ont été refusées par la même agente le 30 janvier 2004.

[5]                Les demandeurs ont déposé deux demandes d'autorisation de contrôle judiciaire quant à ces deux refus qui ont été instruits conjointement par la Cour.

[6]                Le 10 mars 2004, le juge O'Keefe a suspendu l'exécution de la mesure de renvoi du Canada jusqu'à ce qu'une décision finale soit rendue quant à ces demandes.

[7]                Dans leurs représentations écrites, les demandeurs ont soulevé de nombreuses questions mais, à l'audience, ils ont principalement mis l'accent sur les deux questions suivantes :


i)                     l'agente d'immigration a-t-elle contrevenu à son obligation d'agir équitablement en ne demandant pas des renseignements à jour malgré le fait que la demande datait déjà de quatorze mois lorsqu'elle a été examinée;

ii)                    l'agente d'immigration n'a pas bien examiné ou n'a pas bien compris la preuve et les arguments avancés par les demandeurs qu'ils feraient face à des difficultés inhabituelles, injustes ou indues, non seulement en raison des risques énumérés aux articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), mais également en raison du fait qu'ils seraient vraisemblablement victimes de discrimination et devraient vivre dans un environnement « cloîtré » , ce qui aurait une incidence directe sur le bien-être psychologique de M. Melchor, lequel se faisait suivre par un psychiatre.    


[8]                Quant au premier argument, les demandeurs ont également affirmé qu'ils s'étaient fiés à la pratique des agents d'immigration qui travaillent dans la région de Vancouver de toujours demander des renseignements à jour. Ils ont produit l'affidavit d'une avocate qui pratique exclusivement dans le domaine du droit de l'immigration à Vancouver depuis 1990 et qui affirme que dans le cas de toutes les demandes CH qu'elle a présentées, apparemment sans égard à la date de la demande au moment de leur examen, elle a été contactée par le décideur qui lui a demandé une mise à jour des renseignements concernant son client. Un autre affidavit, provenant d'un jeune associé pratiquant depuis mai 2002, fait part d'une expérience semblable. Sur ce fondement, les demandeurs ont prétendu qu'ils s'attendaient légitimement à ce qu'ils aient la possibilité de déposer des renseignements à jour.

[9]                La Cour n'est pas convaincue que les affidavits soumis suffisent à établir que la règle qui veut que, à Vancouver, une demande soit envoyée dans le cas de chaque dossier.

[10]            De toute façon, il n'existe absolument aucune preuve que les demandeurs étaient au courant de cette prétendue pratique ou savaient que leur avocate s'était fiée sur elle. De plus, il n'y a aucune preuve que des renseignements importants auraient été produits suite à la réception d'une telle demande.

Violation de l'équité procédurale


[11]            À l'appui de leur position qu'un agent a le devoir général de demander des renseignements à jour, les demandeurs ont invoqué la décision rendue par le juge McTavish dans Pramauntanyath c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [ 2004] A.C.F. no 184 (QL) (1re inst.). La Cour estime que cette décision doit manifestement être distinguée parce que dans cette cause l'agente d'immigration avait, en fait, envoyé une demande de renseignements à jour. Malgré ceci, l'agente a rendu sa décision sans tenir compte des renseignements supplémentaires fournis par M. Pramauntanyath, lesquels étaient manifestement pertinents à sa prétention et auraient pu en influencer l'issue. La savante juge a annulé la décision, non pas parce que l'agente avait contrevenu à un devoir général mais parce qu'elle avait conclu que l'agente avait créé une attente légitime chez le demandeur que tout nouveau renseignement qu'il fournirait serait examiné tant qu'il serait envoyé dans le délai imparti.

[12]            Comme il a été mentionné plus tôt, j'estime que, en l'espèce, les actions de l'agente n'ont créé aucune attente légitime.

[13]            Il est bien établi en droit qu'il incombe aux demandeurs de fournir tous les documents nécessaires à l'appui de leur demande. À cet égard, ils peuvent fournir des renseignements supplémentaires à tout moment avant qu'une décision ne soit rendue.

[14]            Dans la décision Arumugam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1360 (QL) (1re inst.), paragraphe 17, le juge McKay a affirmé ce qui suit :

Après l'entrevue de mars 1999, l'agente d'immigration n'a pas cherché d'information nouvelle ou plus récente sur le pays en s'adressant au demandeur ou à d'autres sources (sauf pour la décision concernant la qualité de DNRSRC) mais, à mon avis, elle n'avait pas l'obligation de le faire. En tout temps après l'entrevue et avant la décision, il était loisible au demandeur de présenter des informations complémentaires pertinentes de nature personnelle ou relatives à l'évolution de la situation au Sri Lanka. Il ne l'a pas fait. L'agente d'immigration a rendu une décision fondée sur la preuve qui était devant elle. Je ne puis être d'accord avec l'idée que la procédure n'était pas équitable ou que la décision était déraisonnable, alors que le demandeur n'a pris aucune initiative pour fournir de l'information additionnelle sur les conditions régnant dans le pays, conditions qui, à son avis, allaient se détériorant pendant l'année 1999. La responsabilité de l'agente d'immigration était d'examiner la demande d'admission fondée sur des considérations humanitaires en s'appuyant sur les éléments de preuve produits par le demandeur et sur tout élément de preuve contenu aux dossiers d'immigration du demandeur ou fourni par le ministre, et elle s'en est acquittée.                     

[15]            Je souscris entièrement à ces propos et je conclus que l'agente n'a commis aucune erreur en rendant sa décision sans demander de renseignements supplémentaires aux demandeurs.


Difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives

[16]            Il est convenu que ce concept de difficultés dans une demande CH est beaucoup plus étendu que le risque de persécution ou le risque à la vie ou à la sécurité d'une personne au sens des articles 96 et 97 de la LIPR, lesquels doivent être appréciés dans le contexte de l'ERAR.

[17]            Souvent, les risques soulevés par un demandeur dans un ERAR sont exactement les mêmes que ceux qu'il soulève dans sa demande CH. Ce n'est cependant pas toujours le cas. Dans son rapport, sous le titre « Difficultés ou sanctions au retour dans le pays d'origine? » , l'agente a décrit les difficultés de la manière suivante : [traduction] « les allégations de risque sont celles qui sont mentionnées dans leur demande d'ERAR et qui sont fondées sur leur orientation sexuelle » .

[18]            Dans la partie intitulée « Décision et motifs » , l'agente d'immigration a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Les prétentions des demandeurs dans la présente demande portaient sur leurs allégations qu'ils seraient exposés à des risques s'ils retournaient au Mexique ainsi que sur leur degré d'établissement au Canada.

J'aborde la question de leurs allégations qu'ils seraient exposés à des risques s'ils retournaient au Mexique. Veuillez consulter la décision relative à l'ERAR datée du 30 janvier 2004, dans le cadre de laquelle j'étais l'agente d'examen des risques avant renvoi qui a examiné leurs allégations de risque en fonction des critères mentionnés dans les articles 96 et 97 de la LIPR [...].

Dans le contexte de la présente demande CH, le risque à la vie ou le risque à la sécurité de la personne doivent également être pris en compte. Ayant lu et examiné l'ensemble des renseignements et des éléments de preuve présentés par les demandeurs ainsi que les documents accessibles au public, j'estime que les demandeurs ne courraient aucun risque quant à leur vie ou quant à leur sécurité s'ils étaient renvoyés au Mexique » .

[19]            L'agente ne discute pas si le fait de vivre « cloîtrés » en raison du stigmate social rattaché aux couples homosexuels au Mexique et de la discrimination dont ils sont victimes, peut être considéré comme une difficulté inhabituelle, injuste ou indue, surtout si l'on tient compte de l'opinion médicale au dossier qui donne à entendre qu'un retour au Mexique dans ces conditions occasionnerait des dommages physiques et psychologiques importants à M. Ponce Melchor. Des éléments de preuve documentaire étayaient le point de vue que la vie était « difficile » partout au Mexique pour les homosexuels.

[20]            Comme il a été fait mention dans la décision relative à l'ERAR, la situation au Mexique n'équivaut peut-être pas à un risque au sens des articles 96 et 97 parce qu'il y avait une possibilité de refuge intérieur et qu'il était possible d'obtenir la protection de l'État contre les mauvais traitements. Cela ne signifie cependant pas que l'on ne doit pas évaluer ou ignorer les difficultés auxquelles les demandeurs seraient confrontés, même dans des villes plus importantes.

[21]            Je ne suis pas convaincue que l'agente se soit interrogée sur cette différence subtile entre ce qu'elle devait faire en évaluant la demande CH par opposition à ce qu'elle avait fait en examinant l'ERAR. Comme elle l'a elle-même affirmé, la situation à laquelle les demandeurs seront confrontés lors de leur retour était un facteur crucial dans l'évaluation de leur demande CH. Par conséquent, je conclus qu'à cet égard la décision n'était pas raisonnable et que cette décision est importante et qu'elle devrait être annulée.

[22]            Comme il a été mentionné, les demandeurs ont soulevé de nombreuses autres questions dans leur mémoire qui n'ont pas à être tranchées par la Cour, compte tenu que la décision comporte une erreur importante. Toutefois, d'autres aspects de la décision pourraient induire en erreur l'agent chargé de réexaminer l'affaire. Par exemple, l'agente a fait référence à deux reprises au fait que les demandeurs vivaient au Canada depuis juillet 1997. Le défendeur a prétendu qu'il s'agissait d' « erreurs typographiques » parce que, dans une autre partie du rapport, l'agente renvoie à la date appropriée de juillet 2001. Aucun affidavit n'a été déposé à l'appui de cette explication. De toute évidence, s'il n'était pas parfaitement clair dans l'esprit de l'agente que les demandeurs vivaient au Canada depuis deux ans et demi au lieu de six ans et demi, cela a pu avoir une incidence sur son évaluation du degré d'établissement.

[23]            Dans les circonstances, il serait souhaitable de voir à ce que la décision faisant l'objet du contrôle ne soit pas mise à la disposition du nouvel agent qui examinera la présente affaire.

[24]            Les parties n'ont proposé aucune question à la certification et la Cour estime que la présente affaire repose sur ses propres faits.                

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

la demande soit accueillie.


la décision faisant l'objet du contrôle soit annulée et que l'affaire soit décidée de nouveau par un autre agent d'immigration qui tiendra compte des motifs susmentionnés.

    « Johanne Gauthier »                                                                  

                                                                                                                             Juge

                                                                                                                                                           

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                       IMM-1492-04

INTITULÉ :                                                      ROGELIO PONCE MELCHOR,

LUIS ALBERTO BUJANDA BASACA

c.

MCI

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                               VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE 7 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                                     LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                                    LE 27 SEPTEMBRE 2004                 

COMPARUTIONS :

Bediako Buahene                                                POUR LES DEMANDEURS

Benton Mischuk                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bediako K. Buahene

Avocat

Vancouver (C.-B.)                                              POUR LES DEMANDEURS

Morris rosenberg        

Sous-procureur général du Canada

Toronto (ON)                                                     POUR LE DÉFENDEUR                               


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